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Date : 20140527


Dossier : IMM-3881-13

Référence : 2014 CF 512

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2014

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

ISAAC EMMANUEL MEDINA TORRES

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               CONSIDÉRANT la demande de contrôle judiciaire faite de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 10 avril 2013;

[2]               CONSIDÉRANT que la SPR avait refusé de donner suite à une demande faite en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi];

[3]               CONSIDÉRANT qu’il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire faite en vertu de l’article 72 de la Loi;

[4]               CONSIDÉRANT les plaidoiries des parties et ayant examiné le dossier, la Cour a conclu que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée et a annoncé à l’audience du 22 mai la conclusion. Voici mes brefs motifs.

[5]               Le demandeur, citoyen du Mexique, revendiquait le statut de réfugié et de personne à protéger, disant craindre un revendeur de drogue et ses complices.

[6]               Il a raconté qu’il travaillait comme assistant opérateur à la raffinerie Général Lazaro Cardenas. Ses problèmes auraient débuté le 23 octobre 2010 quand, vers trois heures du matin, trois amis et lui ont été agressés dans une boîte de nuit par sept personnes en état d’ivresse. La bagarre a continué dehors. Le 5 novembre, un ami du demandeur a été accusé d’avoir blessé à l’œil un dénommé Jerson ou Gerson durant la confrontation.

[7]               La famille de ce dernier réclamait 150 000 pesos en dommages. L’ami aurait payé ce montant le 18 novembre 2010 et a signé un document exonérant ses trois amis de toute responsabilité. Toutefois, Jerson était un trafiquant de drogue, et le demandeur craignait qu’il n’ait pas oublié l’incident. En effet, selon son récit, en novembre 2010 Jerson et des complices s’étaient stationnés en face de chez lui, le guettant, et la même semaine on a livré deux menaces de mort écrites à sa maison. Il ne les a pas conservées.

[8]               Il a aussi ajouté qu’il aurait reçu des menaces par téléphone durant la deuxième semaine de novembre. À l’audience il a décrit un incident où une camionnette noire s’était arrêtée à côté de lui et le passager aurait braqué une arme sur lui et l’aurait menacé de mort.

[9]               Il a affirmé avoir déposé une plainte avec le Ministère public en décembre 2010, mais la personne au bureau n’avait pas rédigé d’acte parce que le demandeur ne pouvait pas lui fournir de détails, tels que les noms des individus ou la plaque d’immatriculation de la camionnette. La responsable aurait simplement pris note de l’affaire sans l’enregistrer dans les dossiers officiels. Une autre menace téléphonique par la suite aurait inclus la mention « nous sommes les Zetas et nous sommes dans toutes les places, nous allons te tuer. »

[10]           En décembre le demandeur s’est enfui chez sa sœur et ensuite chez un oncle, abandonnant son travail. Un oncle qui avait déjà visité le Canada l’a conseillé de quitter le pays pendant un certain temps pour se cacher des Zetas.

[11]           Il a soumis deux demandes de visa pour venir au Canada, la première du 26 janvier 2011 étant rejetée et la deuxième du 28 avril 2011 étant acceptée. Dans la deuxième demande il a affirmé qu’il travaillait encore à la raffinerie; il a admis à l’audience que ce n’était pas vrai mais a expliqué qu’il pensait qu’il ne recevrait pas de visa sans argent ni travail. Il a aussi dit avoir dépeint son voyage au Canada comme voyage de tourisme et de plaisir.

[12]           Il est arrivé à Montréal le 26 juin 2011. Il n’a demandé l’asile que quatre mois plus tard.

[13]           La SPR a considéré le demandeur non crédible, son témoignage étant marqué par de nombreuses contradictions avec son récit écrit. Celles-ci sont bien présentées et expliquées dans la décision sous étude. Ainsi, le demandeur ne se souvenait pas du mois dans lequel avaient eu lieu les événements racontés, les plaçant en novembre lorsqu’il avait dit décembre auparavant. Il a invoqué des erreurs de traduction, amenant le tribunal à lui soumettre la version originale en espagnol de son histoire, et s’est dit confus. Lorsque le tribunal a soulevé la contradiction entre sa déclaration initiale qu’il travaillait encore pour la raffinerie en avril 2011 et son histoire de s’être caché chez sa sœur et son oncle, il a expliqué qu’il parlait d’une période contractuelle plutôt que de travail, explication que le tribunal n’a pas accepté.

[14]           Alors que le demandeur témoignait avoir été victime d’une agression durant la deuxième semaine de novembre 2010, ce qui l’aurait incité à quitter, le formulaire de renseignements personnels parlait plutôt d’une assignation à comparaître pour le 11 novembre comme étant le déclencheur. Des menaces de mort qui auraient été reçues durant cette même semaine ne sont même pas mentionnées dans le formulaire de renseignements personnels.

[15]           Le demandeur avait motivé sa demande de visa comme étant pour « visite de Montréal, visite de ses musées, et avoir du fun ». Quatre mois après son arrivée, il a demandé l’asile au Canada. Il a expliqué ce délai à l’audience en disant qu’il ne savait pas initialement qu’il pouvait demander l’asile, quoique le commissaire a noté qu’il avait déclaré que son oncle lui avait recommandé de venir au Canada pour obtenir la sécurité.

[16]           La SPR est venue à la conclusion que le témoignage du demandeur n’était pas crédible; ayant le fardeau de la preuve, il n’avait aucunement démontré qu’il était réfugié ou une personne à protéger.

[17]           Les deux questions en litige sont de savoir s’il y a lieu de conclure à une crainte raisonnable de partialité et si la conclusion de la SPR est raisonnable. À l’audience, l’avocat du demandeur n’aura insisté que sur la première question.

[18]           La norme de contrôle pour les questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir] et Sketchley c Canada (Procureur général), [2006] 3 RCF 392; 2005 CAF 404 [Sketchley]). Quant aux questions de crédibilité et de suffisance de preuve, elles font l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[19]           L’allégation qu’il y aurait en l’espèce atteinte à l’équité procédurale du fait d’une crainte raisonnable de partialité de la part de la SPR, allégation grave, n’est appuyée par aucune preuve. Au mieux l’avocat du demandeur dit avoir eu gain de cause avec le même genre d’argument face au même commissaire dans une affaire et qu’une conclusion semblable a été rendue dans une autre affaire. Il a pointé dans les transcriptions deux commentaires qui peuvent être vus comme sarcastiques.

[20]           Cette allégation doit être démontrée. Une analyse portant sur la partialité alléguée doit être faite en fonction des faits propres de chaque affaire (Bande indienne Wewaykum c Canada, [2003] 2 RCS 259; 2003 CSC 45, au paragraphe 77).

[21]           De plus, il faut que la question soit soulevée tôt. La Cour d’appel fédérale présentait l’obligation de la façon suivant dans Kozak c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2006] 4 RCF 377; 2006 CAF 124 au paragraphe 66 :

[66]      Les parties ne peuvent généralement pas se plaindre d’un manquement à l’obligation d’équité procédurale par un tribunal administratif si elles n’en ont rien dit à la première occasion raisonnable. Une partie ne peut pas attendre d’avoir perdu pour crier à l’injustice.

[22]           En l’espèce, l’avocat qui agissait pour le demandeur devant la SPR comme devant cette Cour n’a pas fait de demande de récusation et le demandeur n’a rien soulevé au moment de l’audience. La seule existence d’une affaire où un avocat a eu gain de cause face à une situation de faits où une crainte raisonnable de partialité est apparue n’est en aucune façon suffisante pour établir partialité ou une crainte raisonnable de partialité dans toute autre affaire. L’avocat du demandeur inférait une animosité ayant découlé de cette première affaire. Ma lecture des transcriptions de l’audience ne confirme pas cette animosité. De fait, la version du demandeur souffrait de suffisamment d’infirmités pour justifier les questionnements de la SPR.

[23]           Pour ce qui est de la raisonnabilité de la décision, le rôle du juge en contrôle judiciaire n’est pas de substituer sa vision des faits, mais plutôt de voir à ce que la décision rendue ait les apanages de la raisonnabilité au sens de l’arrêt Dunsmuir :

Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

(Para 47)

[24]           Je suis d’avis que les conclusions de la SPR quant à la crédibilité sont tout à fait raisonnables. Le demandeur n’avait aucune explication acceptable pour les incohérences et les contradictions ont miné son témoignage. Son récit n’étant pas crédible, il n’était pas à la hauteur du fardeau de preuve qui lui incombait. Le raisonnement du tribunal était justifié, transparent, et intelligible.

[25]           De même, le retard à faire une demande d’asile, sans être déterminant, pouvait être considéré. Le demandeur fait une demande de visa où il dit vouloir faire du tourisme (« visite de Montréal, visite de ses musées, et avoir du fun », décision de la SPR, para 20), pourtant il prétend être sérieusement menacé et quatre mois après son arrivée, il fait une demande pour obtenir le statut de réfugié. Lorsque s’ajoute à cela que sa version des faits, qui n’est pas complexe, est loin d’être limpide à cause des incohérences et contradictions relevées avec soin par la SPR, force est de conclure que la décision est raisonnable.

[26]           L’avocat du demandeur a indiqué d’entrée de jeu ne pas avoir eu de communication avec le demandeur depuis au moins quatre mois. Dans la meilleure tradition du Barreau, il a tout de même plaidé l’affaire sur la base du mémoire en vertu duquel l’autorisation d’instance de contrôle judiciaire a été accordée. Il aura servi les intérêts de son client de la meilleure façon possible dans les circonstances.

[27]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont pas suggéré de question grave de portée générale et il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

« Yvan Roy »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3881-13

 

INTITULÉ :

ISAAC EMMANUEL MEDINA TORRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 mai 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 mai 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Manuel Centurion

 

Pour le demandeur

 

Myriam Larose

Me Émilie Tremblay

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocat

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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