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Date : 20140527


Dossier : IMM‑1673‑13

Référence : 2014 CF 506

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 27 mai 2014

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

EUGENIUSZ KOZLOWSKI

DAWID GRZESKIEWICZ

MALGORZATA KOZLOWSKA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Monsieur et Mme Kozlowski et leur neveu Dawid, dont ils ont la garde, sont des citoyens de la Pologne d’origine rom. Ils ont demandé l’asile au Canada parce qu’ils prétendent craindre d’être victimes de persécution de la part de skinheads s’ils devaient rentrer en Pologne. Un commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté leur demande. Il a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles et pouvaient même ne pas être les personnes qu’ils prétendent être. Toutefois, il prétend avoir laissé de côté la question de la crédibilité et avoir établi que, quoi qu’il en soit, les demandeurs pouvaient se réclamer d’une protection de l’État adéquate en Pologne. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

[2]               Le commissaire a commis un certain nombre d’erreurs dans ses conclusions de fait, et d’erreurs à l’égard du dossier. L’avocat du ministre prétend que les erreurs en questions ne sont pas déterminantes et que, quoi qu’il en soit, l’analyse de la protection de l’État résiste à l’examen judiciaire.

[3]               Je ne suis pas de cet avis. Un grand nombre des conclusions quant à la crédibilité découlent de la confusion régnant dans l’esprit du commissaire. Celui‑ci a bien compris certains éléments pendant l’audience, mais a écrit le contraire dans sa décision. Il a également soulevé dans sa décision un élément qu’il n’a pas soumis à M. Kozlowski pendant l’audience. Cela s’apparente à de l’inéquité procédurale.

[4]               En ce qui concerne la protection de l’État, les conclusions douteuses du commissaire se sont répercutées dans son analyse. Même s’il se peut que la Pologne offre une protection adéquate, il est impossible de le savoir à partir de l’analyse du commissaire étant donné que celui‑ci a appliqué le mauvais critère.

[5]               Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SPR pour qu’il rende une nouvelle décision.

I.                   Norme de contrôle

[6]               La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait est la raisonnabilité. Malgré le fait que l’appréciation de la protection de l’État constitue une conclusion mixte de fait et de droit, elle est aussi susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité. Il faut garder à l’esprit l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales. Selon le paragraphe 4, la Cour peut accorder réparation si elle est convaincue, entre autres choses, que le tribunal « [...] n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale » ou « [...] a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée [...] sans tenir compte des éléments dont il dispose ».

II.                Les faits

[7]               Il a fallu s’attacher à établir les faits. En se mariant, M. Kozlowski a adopté le nom de famille de son épouse. Par conséquent, le nom de famille de ses deux frères, Adam et Robert, dont il est question dans la présente demande, n’est pas le même. La transcription de l’audience montre que le commissaire l’avait compris, mais qu’il s’est trompé à cet égard dans ses motifs. Cette erreur semble avoir influé considérablement sur la réflexion du commissaire quant à la crédibilité des demandeurs.

[8]               Les frères de M. Kozlowski, Adam et Robert, sont des jumeaux. Robert est vivant, mais Adam est décédé. Adam, et non pas Robert, était le père de Dawid.

[9]               Les renseignements médicaux concernant Robert ont été produits. Selon la transcription, ils ont été produits pour montrer ce qu’a vécu une personne dans la même situation. Les rapports médicaux font état de blessures, pouvant avoir été causées par des skinheads. Toutefois, le commissaire pensait que les rapports en question avaient été produits pour montrer que Robert était décédé.

[10]           Les rapports médicaux concernant Dawid montrent que son père est Piotr. C’est l’un des facteurs qui a amené le commissaire à conclure qu’il n’était pas convaincu quant à l’identité des demandeurs d’asile. Toutefois, le commissaire n’a pas interrogé les demandeurs au sujet du rapport médical. Il peut y avoir une explication logique. Piotr est peut-être un nom de famille. Suivant un principe d’équité procédurale, on ne saurait miner la crédibilité d’un témoin si on omet de l’interroger au sujet d’un document qui figure au dossier. Cela concorde avec le principe énoncé il y a plus d’un siècle par la Chambre des lords dans Browne c Dunn (1893) 6 R 67.

[11]           Parmi les événements qui ont amenés la famille à quitter la Pologne figure une tentative de viol de Mme Kozlowska. Le commissaire a renvoyé au témoignage de la demanderesse. Or, celle-ci n’a pas témoigné.

[12]           Je ne peux pas séparer les conclusions du commissaire quant à l’absence de crédibilité des demandeurs de la confusion qui régnait dans son esprit et, pour cette raison, je dois conclure que la décision à l’égard de cette affaire est déraisonnable.

III.             Protection de l’État

[13]           Le commissaire aurait dû prendre en compte les rapports médicaux de Robert comme pouvant étayer la proposition selon laquelle les demandeurs seraient exposés à la persécution s’ils rentraient en Pologne en raison de ce qui est arrivé à une personne se trouvant dans la même situation.

[14]           Le commissaire a souligné que Mme Kozlowska aurait dû déclarer la tentative de viol à la police. Elle ne l’a pas fait. Toutefois, il n’a pas pris en compte l’aspect délicat de la situation.

[15]           Même s’il est possible que les Kozlowskis puissent bénéficier d’une protection de l’État adéquate s’ils devaient rentrer en Pologne, il est impossible de le savoir à partir de l’analyse du commissaire. Celui‑ci met l’accent sur les mesures prises par le gouvernement polonais afin d’améliorer le quotidien de ses citoyens roms. C’est tout à son honneur, mais ce n’est pas la question que doit trancher la Cour. Il s’agit ici de la protection de l’État, et le dossier ne contient pas d’analyse digne de ce nom sur la question.


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS :

LA COUR STATUE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  La décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada rendue le 30 janvier 2013 dans les dossiers TB1‑20929, TB1‑20930 et TB1‑20939 est annulée.

3.                  L’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la SPR pour qu’il rende une nouvelle décision.

4.                  Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm‑1673‑13

 

INTITULÉ :

EUGENIUSZ KOZLOWSKI ET AUTRES c MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 MAI 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le JUGE HARRINGTON

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 27 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Geraldine MacDonald

POUR LES DEMANDEURS

 

Aleksandra Lipska

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Geraldine MacDonald

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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