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Date : 20140523


Dossier : IMM-5154-13

Référence : 2014 CF 492

Ottawa (Ontario), le 23 mai 2014

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

MEHDI REZKI

FATIHA MELLOUK

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur conteste la décision d’une agente d’immigration en date du 30 mai 2013 selon laquelle les circonstances d’ordre humanitaire évoquées dans son cas ne justifiaient pas une dispense en tout ou en partie des exigences pertinentes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] et du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement]. La demande de contrôle judiciaire est faite en vertu de l’article 72 de la LIPR.

I.                   Faits

[2]               Mehdi Rezki est arrivé au Canada le 1 novembre 2009, à l’âge de six ans. Ses parents, un dentiste et une pharmacienne, ainsi que leurs trois autres enfants nés en 1993, 1995, et 1998, s’étaient vus accorder la résidence permanente au Canada. Mais pour une raison difficilement explicable, même à ce jour, le jeune Mehdi n’était pas inclus dans la demande faite pour le reste de la famille. La famille est originaire du Maroc, mais le demandeur est né aux États-Unis. Il est citoyen américain et il est d’ailleurs entré au Canada en utilisant le passeport américain que ses parents avaient de toute évidence obtenu pour lui. Il n’avait pas été déclaré lors de la demande de résidence permanente soumise en 2007. Toutefois, ses parents affirment qu’ils ont présenté son passeport américain à la frontière canadienne lors de leur arrivée au Canada.

[3]               Les circonstances entourant l’arrivée de Mehdi Rezki au Canada étaient nébuleuses lorsque son cas a été étudié par les autorités de Citoyenneté et Immigration Canada, et elles le restent à ce jour. Fatiha Mellouk est sa mère, tel que des tests d’ADN l’auraient confirmé, et c’est elle qui a choisi de représenter son fils qui est le benjamin des quatre enfants d’une famille dont tous les membres ont au moins la citoyenneté marocaine.

[4]               Le 18 octobre 2010, la mère du demandeur a tenté de le parrainer dans la catégorie du regroupement familial. Elle a expliqué d’abord qu’elle et son mari croyaient que grâce à sa nationalité américaine, leur fils n’avait pas besoin de visa. Ensuite elle a indiqué que le couple craignait de retarder le traitement de la demande d’immigration. En aucune façon a-t-on expliqué en quoi compléter les formulaires en ajoutant un quatrième enfant aurait retardé le traitement de la demande; pas plus d’ailleurs que la croyance qu’un passeport américain pouvait conférer un statut au Canada. Alors que les membres de la famille cherchaient à devenir des résidents permanents, la citoyenneté américaine aurait pu suffire sans plus. Le 2 juin 2011, la demande de parrainage a été rejetée.

[5]               Le demandeur a continué de vivre au Canada malgré qu’il soit sans statut; il est maintenant inscrit au Collège international Marie de France à Montréal. La preuve documentaire suggère qu’il n’y est inscrit que depuis septembre 2011, l’année scolaire précédente ayant été passée à Casablanca, à l’école Ernest Renan.

[6]               Essentiellement c’est l’alinéa 117(9)d) du Règlement qui empêche le parrainage dans les circonstances. Son texte se lit de la façon suivante :

Restrictions

Excluded relationships

(9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

[…]

[…]

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

[7]               Les demandeurs n’ont pas semblé contester ce refus. Plutôt, Madame Mellouk a tenté d’obtenir la résidence permanente pour son fils en obtenant une exemption d‘application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement en invoquant les dispositions salvatrices du paragraphe 25(1) de la LIPR qui se lit ainsi :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations - request of foreign national

25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire - sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 -, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada - sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 - qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible - other than under section 34, 35 or 37 - or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada - other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 - who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected

[8]               Ainsi, le 1er février 2012, les demandeurs ont déposé une deuxième demande de résidence permanente, cette fois invoquant les motifs humanitaires, en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR pour justifier l’obtention d’une exemption aux exigences règlementaires. C’est évidemment la mère de l’enfant qui pilote le dossier.

[9]               Il est clair à l’examen de la preuve documentaire que l’agente d’immigration entretenait des doutes à l’égard de cette demande et du dossier de façon plus générale. Ainsi des compléments d’information ont été requis.

[10]           Le 11 décembre 2012, l’agente a communiqué avec Madame Mellouk par courriel pour lui dire qu’il fallait encore des explications : une déclaration écrite expliquant qui était Zanine Fatiha, qui figurait originalement comme la mère de l’enfant sur son certificat de naissance; une preuve officielle confirmant le changement légal du nom de la mère; des preuves de résidence au Canada; une explication des sources de revenu de la famille au Canada; un certificat médical confirmant la naissance prématurée de l’enfant; et un Certificat de sélection du Québec au nom de l’enfant. De plus, l’agente a informé la mère du demandeur que l’information sur le laboratoire d’analyse d’ADN était désuète et que le lien de maternité ne pouvait être évalué sur la base des résultats déjà fournis.

II.                Décision et arguments des parties

[11]           Le 30 mai 2013, l’agente a rejeté la demande. La lettre de décision explique qu’elle a conclu qu’en vertu du paragraphe 117(9) du Règlement, Mehdi n’appartenait pas à la catégorie du regroupement familial, n’étant pas déclaré à l’origine, et qu’en l’espèce, les circonstances d’ordre humanitaire et l’intérêt supérieur de l’enfant ne justifiaient pas une dispense au paragraphe 117(9).

[12]           Essentiellement, la demande sous le paragraphe 25(1) de la LIPR est fondée sur l’intérêt de l’enfant. Il est de l’intérêt de l’enfant, plaident les demandeurs, de rester au Canada et d’y vivre avec les autres membres de la famille qui ont tous le statut de résident permanent. Une séparation causerait un grand tort.

[13]           L’agente d’immigration a exercé la discrétion en refusant la demande. Plus tôt lors de l’examen du dossier, des doutes au sujet de la filiation étaient apparus. Des tests d’ADN ont fait disparaître ces doutes. Mais toutes les circonstances entourant la naissance de l’enfant et la difficulté à obtenir l’information demandée, et pertinente au traitement de la demande, ont continué d’être un nuage au-dessus de cette affaire.

[14]           Ainsi, la naissance de l’enfant continue d’être nébuleuse. Aucune documentation ne semble disponible, mais Madame Mellouk prétend être allée aux États-Unis pour assister à une conférence et l’enfant y serait né de façon prématurée. À l’audience de la demande de contrôle judiciaire, Madame Mellouk, qui a choisi de se dispenser des services d’un avocat après avoir été assistée tout au long, a indiqué l’existence de raisons supplémentaires. Cependant cette preuve n’a pas été fournie à l’agente d’immigration, pour une raison inconnue, et elle ne peut pas faire l’objet d’une utilisation sur contrôle judiciaire. Quoi qu’il en soit, cette absence de preuve sur les circonstances de la naissance aura attiré les soupçons.

[15]           Mais, d’abord et avant tout, l’agente d’immigration croit que le manquement noté au paragraphe 117(9) du Règlement n’était pas involontaire. Les demandeurs ont délibérément choisi de ne pas divulguer l’existence du quatrième enfant. De plus, l’agente d’immigration n’est pas satisfaite que la famille est tellement établie au Canada qu’elle ne pourrait pas retourner au Maroc pour s’y ré-établir. Ils sont tous citoyens du Maroc et le père semble ne s’être jamais établi complètement au Canada : d’ailleurs, il s’agit là d’une autre zone d’ombre autour de l’histoire familiale puisque de très longues périodes sont passées au Maroc sans qu’une explication satisfaisante ne soit offerte.

[16]           L’agente d’immigration conclut donc que l’intérêt supérieur de l’enfant ne constitue pas, en l’espèce, des circonstances d’ordre humanitaire suffisantes. L’intérêt supérieur de l’enfant ne serait pas à risque si madame Mellouk et son enfant devaient retourner au Maroc. Les notes du Système mondial de la gestion des cas (SMGC) nous fournissent une certaine élaboration sur les raisons du refus. L’agente d’immigration semble partir de la prémisse qu’il n’y a pas à avoir de séparation puisque toutes les personnes impliquées sont des citoyens marocains. La famille a de solides attaches. Les liens au Canada sont plus ténus et l’agente d’immigration note que les sources de revenus sont à l’extérieur du pays.

III.             Analyse

[17]           La contestation de la décision a procédé devant cette Cour comme si celle-ci peut substituer sa discrétion à celle de l’agente d’immigration. Malgré les efforts de la Cour pour faire comprendre à Madame Mellouk que son fardeau était de démontrer que la décision est déraisonnable, elle s’est plutôt employée à chercher à générer de la sympathie. Force est d’admettre qu’il y a place à la sympathie, mais le rôle de la Cour est autre. C’est du contrôle de la légalité de la décision dont il est ici question. Or, puisque les décisions au titre de l’article 25 de la LIPR sont révisées selon la norme de la décision raisonnable (Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2009 CAF 189; [2010] 1 RCF 360 [Kisana]), la Cour doit faire preuve de déférence à l’égard de la décision du tribunal administratif. Il n’est pas inutile de citer à nouveau le paragraphe 47 de la décision Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9; [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir] :

[47]      La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[18]           Dans le cas sous étude, l’agente d’immigration aura conclu que plusieurs facteurs mis ensemble font en sorte que la discrétion à exercer aux termes du paragraphe 25(1) de la LIPR doit aller dans le sens d’un refus. Une fois résumés, ces facteurs sont :

a)                  la décision de ne pas déclarer Mehdi Rezki a été faite de propos délibérés et l’alinéa 117(9)d) s’applique dans toute sa puissance;

b)                  les raisons fournies pour expliquer cette décision ont varié : d’abord, Madame Mellouk a plaidé l’ignorance, prétendant que le passeport américain de Mehdi suffisait, pour ensuite invoquer qu’elle ne voulait pas retarder le processus d’immigration. Ces variations constituent des contradictions;

c)                  de façon plus générale, les réponses données auraient été vagues, voire contradictoires. Pourtant les questions étaient simples et factuelles, alors que les interlocuteurs sont des personnes instruites. De fait, les délais pour répondre et suivre des instructions aussi simples que celles données en février 2011 de régulariser le statut de l’enfant sont notés. Cette dernière incongruité a été qualifiée de « another blatant disregard for immigration laws and non-compliance with instructions given by a CIC employee… » (SMGC);

d)                 l’établissement au Canada n’est pas suffisant. Quoique la résidence de la mère ne soit pas remise en question, celle du père l’est du fait qu’il passe une bonne partie de son temps au Maroc. Ces absences prolongées sont inexpliquées. L’établissement au Maroc est maintenu et pourrait être augmenté sans difficulté. Par conséquent, la famille peut être réunie au Maroc si tel est son vœu; ni l’enfant, ni la famille ne subirait un « disproportionate hardship ».

[19]           Essentiellement, si Mehdi ne peut être inclus dans la « family class » c’est à cause des actions délibérées de ceux qui veulent maintenant devenir ses parrains et l’intérêt supérieur de l’enfant de demeurer avec sa famille au Canada ne pèse pas suffisamment dans la balance parce que l’établissement de ses parents au Maroc serait relativement facile, ou à tout le moins sans « disproportionate hardship » eu égard aux liens persistants du père et à l’instruction des parents.

[20]           Comme noté auparavant, la demanderesse a semblé croire que la Cour pouvait substituer son avis à celui de l’agente d’immigration. Sa présentation n’a en aucune façon mis en exergue en quoi la décision attaquée ne serait pas raisonnable, au sens de Dunsmuir.

[21]           La Cour s’en est remise au mémoire des faits et du droit qui n’a pas, par ailleurs, été répudié, pour y examiner les arguments faits au sujet du caractère raisonnable de la décision. Il me semble que le mémoire porte sur deux arguments sur lesquels l’auteur élabore assez peu :

1)                  l’agente d’immigration aurait dû se questionner sur l’intérêt supérieur de l’enfant de se voir octroyer la résidence permanente. Au lieu, elle s’est plutôt questionnée sur l’intérêt supérieur de l’enfant s’il devait quitter le Canada. Pour les demandeurs, l’intérêt supérieur de l’enfant était de continuer à vivre avec sa famille au Canada; une séparation causerait préjudice;

2)                  l’agente d’immigration aurait failli à son obligation de motiver la décision. Cela constituerait une atteinte aux règles de justice naturelle.

[22]           La seconde question, qui est examinée sous l’angle de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12; [2009] 1 RCS 339) peut faire l’objet d’une disposition rapide. L’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62; [2011] 3 RCS 708, constitue à mon avis une réponse complète. La qualité des motifs ne suffit pas en soi. On lit au paragraphe 14 :

[14]      Je ne suis pas d’avis que, considéré dans son ensemble, l’arrêt Dunsmuir signifie que l’« insuffisance » des motifs permet à elle seule de casser une décision, ou que les cours de révision doivent effectuer deux analyses distinctes, l’une portant sur les motifs et l’autre, sur le résultat (Donald J. M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), §§12:5330 et 12:5510). Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles. Il me semble que c’est ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir en invitant les cours de révision à se demander si « la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité » (par. 47).

Le test à appliquer se retrouve à la fin du paragraphe 16 :

[16]      Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision. Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

[23]           Ce dont se plaignent en fait les demandeurs est bien davantage de la conclusion à laquelle l’agente est arrivée. Les motifs d’une décision ne suffisent jamais à qui est en désaccord. Celle-ci me semble avoir expliqué pourquoi l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas en péril puisque sa famille peut relativement facilement retourner à son pays d’origine où ses liens continuent d’être présents et profonds si on se fie au temps passé là par le père et à l’absence de sources de revenus au Canada. La Cour comprend sans difficulté les raisons de la décision.

[24]           La question de savoir si la décision est raisonnable quant à l’intérêt supérieur de l’enfant mérite peut-être une plus longue élaboration. La demande faite en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, comme en l’espèce, ne se limite pas au seul intérêt supérieur de l’enfant. Celui-ci doit être tenu en compte. Mais le paragraphe prévoit que les considérations d’ordre humanitaire doivent justifier de passer outre aux critères et obligations de la loi. Tels sont les éléments qui sont mis dans la balance et qu’a examinés l’agente d’immigration.

[25]           Le test que les demandeurs ont proposé voudrait mettre l’accent sur l’intérêt de l’enfant qui serait de rester au Canada. Ils se plaignent que la décision a porté sur l’intérêt supérieur de l’enfant au cas où il quitterait le pays. À mon avis, tel n’est pas le test et tel n’est pas l’exercice auquel l’agente d’immigration s’est astreinte. Ce que l’agente d’immigration a fait aura été d’examiner les considérations humanitaires et de conclure que les difficultés de l’enfant, s’il doit retourner au Maroc, ne sont pas inhabituelles et injustifiées ou disproportionnées puisque le ré-établissement des parents pourrait se faire relativement facilement. Il n’y a pas d’erreur puisque les intérêts de l’enfant ont été adéquatement considérés.

[26]           Ce qui est inhabituel ici, c’est que les parents de l’enfant, de même que les enfants plus âgés de la famille, ont tous le statut de résident permanent au Canada. Habituellement, les parents veulent le statut de résident permanent et invoquent l’intérêt supérieur de l’enfant à rester au Canada. Tout ce que les demandeurs présentent comme argument est une prétention que le test de l’intérêt de l’enfant a été mal appliqué. Pourtant, l’examen de la décision n’est pas concluant à cet égard. Tout le monde a compris que la préférence de la famille est que tous ses membres soient capables de rester au pays. Mais l’agente d’immigration a conclu que les difficultés d’un retour au Maroc ne sont ni inhabituelles et injustifiées, ni disproportionnées. Les raisons d’intérêt public qui expliquent le paragraphe 117(9) du Règlement ne sont pas suffisamment renversées dans les circonstances particulières de l’espèce.

[27]           À y regarder de plus près, la situation qui se présente en l’espèce peut recevoir un certain éclairage grâce à la jurisprudence. Nombreuses sont les affaires devant cette Cour en vertu de l’article 25 de la LIPR qui impliquent un ou des parents qui doivent être déportés alors qu’un enfant est citoyen canadien qui possède un droit constitutionnel de rester au pays. Il a été très souvent répété que l’intérêt supérieur de l’enfant, qui à n’en pas douter est de rester avec ses parents, n’était qu’un élément à considérer. Dans Legault c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 125, [2002] 4 CF 358 [Legault], on lit :

[11]      La Cour suprême, dans Suresh, nous indique donc clairement que Baker n'a pas dérogé à la tradition qui veut que la pondération des facteurs pertinents demeure l'apanage du ministre ou de son délégué. Il est certain, avec Baker, que l'intérêt des enfants est un facteur que l'agent d'immigration doit examiner avec beaucoup d'attention. Il est tout aussi certain, avec Suresh, qu'il appartient à cet agent d'attribuer à ce facteur le poids approprié dans les circonstances de l'espèce. Ce n'est pas le rôle des tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par les agents.

[12]      Bref, l'agent d'immigration doit se montrer « réceptif, attentif et sensible à cet intérêt » (Baker, précité, au paragraphe 75), mais une fois qu'il l'a bien identifié et défini, il lui appartient de lui accorder le poids qu'à son avis il mérite dans les circonstances de l'espèce. La présence d'enfants, contrairement à ce qu'a conclu le juge Nadon, n'appelle pas un certain résultat. Ce n'est pas parce que l'intérêt des enfants voudra qu'un parent qui se trouve illégalement au Canada puisse demeurer au Canada (ce qui, comme le constate à juste titre le juge Nadon, sera généralement le cas), que le ministre devra exercer sa discrétion en faveur de ce parent. Le Parlement n'a pas voulu, à ce jour, que la présence d'enfants au Canada constitue en elle-même un empêchement à toute mesure de refoulement d'un parent se trouvant illégalement au pays (voir Langner c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1995), 29 C.R.R. (2d) 184 (C.A.F.), permission d'appeler refusée, [1995] 3 R.C.S. vii).

[28]           Les facteurs qui favorisent le maintien d’une famille n’ont pas nécessairement pour effet d’avoir plus de poids que le maintien de l’intégrité du système d’immigration. De fait, s’il était automatique que les intérêts de l’enfant doivent prévaloir, cela deviendrait une dispensation automatique de l’application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement, le rendant inutile pour une classe particulière d’individus.

[29]           Comme le notait la Cour fédérale d’appel, dans Kisana, il est donc clair que des déclarations fausses ou trompeuses pourront l’emporter sur l’intérêt de l’enfant (para 27).

[30]           Il me semble clair que l’agente d’immigration savait parfaitement que l’intérêt de l’enfant serait de rester avec ses parents au Canada, si c’est ce qu’ils devaient décider de faire. Cela en aucune manière n’implique que l’examen des difficultés inhérentes qu’un refus de faire droit à une demande pour motifs humanitaires aura fait fi des intérêts de celui-ci. Comme le disait la Cour fédérale dans Hawthorne c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 475, [2003] 2 CF 555 :

[5]        L'agente n'examine pas l'intérêt supérieur de l'enfant dans l'abstrait. Elle peut être réputée savoir que la vie au Canada peut offrir à un enfant un éventail de possibilités et que, règle générale, un enfant qui vit au Canada avec son parent se trouve dans une meilleure position qu'un enfant vivant au Canada sans son parent. À mon sens, l'examen de l'agente repose sur la prémisse -- qu'elle n'a pas à exposer dans ses motifs -- qu'elle constatera en bout de ligne, en l'absence de circonstances exceptionnelles, que le facteur de « l'intérêt supérieur de l'enfant » penchera en faveur du non-renvoi du parent. Outre cette prémisse que je qualifierais d'implicite, il faut se rappeler que l'agente est saisie d'un dossier particulier dans lequel un parent, un enfant ou les deux, comme en l'occurrence, allèguent des raisons précises quant à savoir pourquoi le non-renvoi du parent est dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Il va de soi que l'agente doit examiner attentivement ces raisons précises.

[6]        Il est quelque peu superficiel de simplement exiger de l'agente qu'elle décide si l'intérêt supérieur de l'enfant milite en faveur du non-renvoi -- c'est un fait qu'on arrivera à une telle conclusion, sauf dans de rares cas inhabituels. En pratique, l'agente est chargée de décider, selon les circonstances de chaque affaire, du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d'un parent exposera l'enfant et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d'intérêt public, qui militent en faveur ou à l'encontre du renvoi du parent.

[31]           Ainsi, je ne vois pas en quoi la décision sous examen aurait mal appliqué le test de l’article 25 de la LIPR. Quant au poids à donner aux facteurs à être considérés, l’arrêt Legault établit que c’est au décideur de le fixer. Il pourrait à mon sens arriver que le poids donné soit en soi déraisonnable : aucune discrétion ne peut être exercée de façon arbitraire et sans lien avec la réalité (Roncarelli v Duplessis, [1959] SCR 121).

[32]           Or, en l’espèce, l’agente d’immigration avait des motifs sérieux de questionner les différents aspects de cette affaire.

[33]           Je ne puis me résoudre à conclure que cette conclusion de l’agente d’immigration n’est pas une des issues possibles, au sens de Dunsmuir. Toute conclusion différente de la Cour porterait en elle la reconnaissance que le paragraphe 117(9) du Règlement n’est pas d’intérêt public lorsque le membre de la famille à être inclus au titre du regroupement familial est un enfant. Dans le cas d’espèce, alors que la plus grande transparence des demandeurs serait attendue, elle n’aura pas été au rendez-vous. De fait, le formulaire sur les antécédents, qui a été rempli par la mère et que l’on retrouve aux pages 15 à 18 du dossier certifié, porte que Mehdi fréquente l’École Ernest Renan, à Casablanca, durant l’année scolaire 2010-2011. Il ne devient étudiant au Canada que depuis septembre 2011. Bien après que la résidence permanente n’ait été conférée à ses parents et après, de toute évidence, qu’il ait commencé sa scolarité au Maroc. Pour toute réponse, la mère a répondu laconiquement que la formule, qu’elle a elle-même signée le 29 décembre 2011, devait être une erreur.

[34]           À mon sens, qui demande une exemption d’une disposition de la loi pour des considérations humanitaires doit le faire en étant de la plus parfaite transparence. Il en est de même de l’obligation faite à l’alinéa 117(9)d) du Règlement. La sanction est sévère pour qui ne fait pas preuve de transparence. L’article 25 existe pour remédier à certaines situations mais, en l’invoquant, on ne peut perpétuer les zones d’ombrage. Les demandeurs n’ont pas fait preuve de cette transparence attendue.

[35]           Il en est résulté une demande entourée de brouillard que les demandeurs ne se sont pas appliqués à dissiper malgré les occasions qui leur ont été offertes. L’agente d’immigration a exercé sa discrétion, au nom du Ministre, en considérant pleinement, d’une part, l’intérêt de l’enfant pour conclure à l’absence de difficultés inhabituelles et injustifiées, ou disproportionnées en cas de retour au pays de citoyenneté et, d’autre part, les dispositions de la LIPR, qui sont évidemment d’intérêt public, et qu’il faudrait écarter pour satisfaire à la demande faite.

[36]           On peut penser que certains auraient pu en venir à une conclusion différente. Mais ce n’est pas là qu’est le test de la raisonnabilité. Comme le dit la Cour suprême dans Dunsmuir, les cours de révision « ne peuvent pas non plus invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues. » (para 48). Cette décision sous étude a les attributs de la raisonnabilité et elle mérite déférence.

[37]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a pas de question à certifier.

« Yvan Roy »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5154-13

 

INTITULÉ :

MEHDI REZKI, FATIHA MELLOUK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 avril 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 23 mai 2014

 

COMPARUTIONS :

Fatiha Mellouk

 

POUR MEHDI REZKI ET EN SON PROPRE

NOM (DEMANDEURS)

 

Guillaume Bigaouette

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fatiha Mellouk

Montréal (Québec)

 

POUR MEHDI REZKI ET EN SON PROPRE

NOM (DEMANDEURS)

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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