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Date : 20140514


Dossier : IMM-3480-13

Référence : 2014 CF 466

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 mai 2014

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

MARIA MERCEDES GAITAN COMENARES

CARLOS ALBERTO SABOGAL MORA

MARIA JOSE VARGAS GAITAN

JULIANA VARGAS GAITAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandes d’asile présentées par Mme Maria Mercedes Gaitan Colmenares, la demandeure d’asile principale (son nom de famille est mal orthographié dans l’intitulé), son époux, Carlos Alberto Sabogal Mora, et leurs filles, Maria Jose Vargas Gaitan et Juliana Vargas Gaitan, ont été rejetées par la Section de la protection des réfugiés. La commissaire a déclaré : «Je suis d’avis que la crainte des demandeurs d’asile d’être la cible des FARC est purement théorique. »

[2]               Je ne peux pas accepter l’affirmation des demandeurs selon qui [traduction] « la Commission a commis une erreur en tirant des conclusions déraisonnables quant à la vraisemblance et dénuées de tout fondement par rapport à la preuve ».

[3]               La Cour a fréquemment estimé que les conclusions quant à l’invraisemblance doivent reposer sur des éléments de preuve clairs et un processus de rationalisation étayé par les inférences de la Commission. Elle a aussi affirmé qu’il existe deux motifs distincts qui justifient une conclusion d’invraisemblance : Zacarias c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1155, [2012] ACF no 1252, au paragraphe 11. Le premier entre en jeu  lorsque les allégations « débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre » : Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 1131. Le second entre en jeu lorsque les allégations ne tiennent pas la route à la lumière des éléments de preuve dont disposait le décideur. L’invraisemblance, en l’espèce, entre dans la seconde catégorie.

[4]               La demande d’asile des demandeurs reposait sur l’allégation selon laquelle Mme Colmenares et, par conséquent, sa famille étaient menacées par les FARC parce que son père a été enlevé et désigné comme étant une cible militaire des FARC. Selon les éléments de preuve, le père de Mme Colmenares a été enlevé le 28 septembre 1993, lorsqu’il était pilote pour une entreprise privée offrant des services de transport par hélicoptère au secteur pétrolier. Il a été libéré le 13 novembre 1993, après le versement d’une rançon. En 1996, l’entreprise pour laquelle il travaillait a été chargée de fournir des services à l’armée colombienne, et les pilotes ont été désignés comme étant des cibles militaires du FARC. Le père de Mme Colmenares a continué de travailler entre 1996 et 1999, année où il a pris sa retraite, sans avoir subi de représailles de la part des FARC.

[5]               Mme Colmenares a déclaré que, en 2001, ses deux filles et elle avaient reçu un appel téléphonique de menaces exigeant le paiement de 100 millions de pesos. Elle a reçu d’autres appels lui faisant savoir que les FARC n’avaient pas oublié son père. La famille a déménagé dans une autre région en 2002 pour échapper aux menaces.

[6]               En 2003, toujours pour échapper aux menaces, la famille a rendu visite à la sœur de Mme Colmenares à Aruba, pendant deux mois. Lorsqu’elle est rentrée en Colombie, elle a habité chez les parents de Mme Colmenare. Vers cette époque, Mme Colmenares a retiré ses filles de l’école et a pris congé de son travail. En 2003, ses parents ont reçu un appel de menaces, indiquant que les FARC les épiaient et savaient où les trouver. Ils ont quitté la Colombie pour les États‑Unis.

[7]               En 2004, des inconnus ont contacté le restaurant où Mme Colmenares travaillait. C’est à cette époque que ses filles et elle ont quitté la Colombie pour retourner passer trois mois à Aruba. En 2006, les parents de Mme Colmerares sont retournés aux États-Unis et y ont passé six mois, mais n’ont pas demandé l’asile.

[8]               En 2008, Mme Colmenares a à nouveau été contactée et sommée de verser la somme de 500 millions de pesos, et la famille a reçus d’autres appels visant à l’intimider. Mme Colmenares a à nouveau changé ses filles d’école, et la famille a emménagé avec sa belle‑famille.

[9]               Les demandeurs ont tenté d’obtenir des visas pour les États-Unis, mais leur demande a été rejetée. Des inconnus ont suivi les demandeurs lorsque ceux‑ci sont allés demander l’asile à l’ambassade du Canada à Bogota. Cette demande d’asile n’a pas été traitée alors parce que le programme n’existait plus.

[10]           En mai 2009, les demandeurs sont arrivés au Canada. Depuis leur arrivée, ils ont reçu des appels exigeant le versement de paiements. Le père de Mme Colmenares a affirmé que, en 2009,  lorsque Mme Colmenares a quitté la Colombie pour le Canada, les FARC l’avaient contacté et qu’il avait commencé à acquitter les demandes d’extorsion en remettant des denrées non périssables et des médicaments en vente libre, comme de l’aspirine. Mme Colmenares a déclaré que, pour cette raison, les FARC avaient mis fin aux appels de menaces; toutefois, même si c’était vrai, cela n’explique pas pourquoi les FARC avaient mis fin aux appels auparavant.

[11]           J’estime que la conclusion de la Commission selon laquelle les affirmations sont invraisemblables est raisonnablement fondée compte tenu du dossier dont elle disposait. Comme l’a reconnu la Commission, au‑delà des menaces aléatoires reçues pendant une période de 17 ans, ni les demandeurs, ni le père de la demanderesse, n’ont subi de représailles. Voilà qui est troublant, étant donné les faits qui suivent:

1.                  Les éléments de preuve documentaire soulignent constamment les moyens que prennent et l’acharnement dont font montre les membres des FARC pour extorquer leurs victimes et punir les gens qui refusent de payer. Le père de Mme Colmenares a lui-même admis [traduction] «[qu’] il est notoire que ces groupes n’ont aucune pitié pour leurs victimes ».

2.                  Malgré le fait qu’elles ont déjà enlevé une fois le père de Mme Colmenares, les FARC ne se sont plus intéressées à lui sinon en proférant des menaces à son égard à la suite de son enlèvement, en 1993.

3.                  Malgré le fait qu’elles ont exigé le paiement de 100 millions de pesos et, par la suite, fait passer la somme exigée à 500 millions de pesos, les FARC ont semblé se satisfaire des denrées non périssables distribuées à titre de paiement par le père de Mme Colmenares. Cela est incroyable, particulièrement étant donné le témoignage de Mme Colmenares à l’audience, selon qui l’une des principales raisons pour lesquelles les FARC s’intéresseraient toujours à sa famille était [traduction] « financière ».

4.                  Dans son FRP, Mme Colmenares reconnaît que ses frères n’étaient pas ciblés, ce qui mine complètement son affirmation selon laquelle sa famille était ciblée à cause du lien avec son père.

5.                  Aucun membre de sa famille n’a reçu de menaces depuis 2010.

[12]           En bref, il est invraisemblable que Mme Colmenares soit ciblée en raison de son lien avec son père lorsque ses frères ne sont pas ciblés et qu’aucun membre de sa famille n’a fait l’objet de représailles depuis l’enlèvement de son père en 1993, en dépit du fait que les FARC sont reconnues à l’échelle internationale comme une organisation impitoyable qui ne profère pas de menaces en l’air.

[13]           En dépit du fait que les demandeurs n’ont pas tort de souligner qu’il n’existe aucun élément de preuve voulant que les FARC n’acceptaient pas de denrées non périssables à titre de paiement, et qu’elles ont accepté des paiements non pécuniaires, comme des munitions, par le passé, il n’y a absolument aucun lien logique entre le fait d’exiger le versement de 500 millions de pesos et celui d’accepter le don de denrées non périssables de manière « anonyme » correspondant à 3,7 millions de pesos tous les deux ou trois mois. Toutefois, cette conclusion n’était pas essentielle quant à  la crédibilité globale des demandeurs; la Commission s’est plutôt servie de cette invraisemblance pour, raisonnablement, ne pas tenir compte de la lettre du père de Mme Colmenares.

[14]           Pour ces motifs, la décision de la Commission ne peut pas être annulée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée, et aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIeR :

   IMM-3480-13

 

INTITULÉ :

MARIA MERCEDES GAITAN COMENARES ET AUTRES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 MAI 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ZINN

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 14 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Bjorn Harsanyi

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Camille Audain

 

POUR LES DÉFENDEURs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ministère de la Justice – Région des Prairies

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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