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Date : 20140403


Dossier : T-1517-13

 

Référence : 2014 CF 328

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 3 avril 2014

En présence de madame la protonotaire Milczynski

 

 

 

ENTRE :

VIIV SOINS DE SANTÉ ULC,

VIIV HEALTHCARE UK LIMITED ET GLAXO GROUP LIMITED

 

demanderesses

et

TEVA CANADA LIMITÉE ET

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

Résumé de la question en litige et de la décision

[1]               Il s’agit d’une requête par laquelle la défenderesse, la société Teva Canada Limitée (Teva), sollicite, en vertu de l’alinéa 6(5)a) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), une ordonnance rejetant la demande concernant le brevet canadien no 2 289 753 (le brevet 753), au motif que le brevet 753 n’est pas admissible à l’inscription au registre des brevets.

 

[2]               Le brevet 753 a été inscrit au registre des brevets à l’égard du médicament KIVEXA®, une association à dose fixe de deux ingrédients médicinaux, à savoir l’abacavir (sous la forme du sel d’hémisulfate « sulfate d’abacavir ») et la lamivudine. La demanderesse, la société ViiV Soins de santé ULC (ViiV), vend KIVEXA® en vertu d’un avis de conformité (AC) initialement délivré par le ministre le 25 juillet 2005 à l’égard de la présentation de drogue nouvelle de ViiV (PDN 087905) concernant le comprimé de 600 mg de sulfate d’abacavir et de 300 mg de lamivudine.

 

[3]               Aux termes du paragraphe 4(2) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), est admissible à l’inscription au registre maintenu par le Bureau des médicaments brevetés et de la liaison de Santé Canada tout brevet se rattachant à une présentation de drogue nouvelle si ledit brevet contient, selon le cas :

a)                  une revendication de l’ingrédient médicinal;

b)                  la formulation contenant l’ingrédient médicinal;

c)                  la forme posologique;

d)                 une revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, pourvu que l’ingrédient médicinal, la formulation, la forme posologique ou l’utilisation ait été approuvé par la délivrance d’un AC à l’égard de la présentation de drogue nouvelle ou de la présentation abrégée de drogue nouvelle.

 

[4]               Le brevet 753 concerne et revendique l’ingrédient médicinal sel d’hémisulfate d’abacavir (et ses solvates). Aucune des revendications du brevet 753 ne revendique expressément l’association d’abacavir et de lamivudine, à savoir les deux ingrédients médicinaux présents dans KIVEXA®, comme il est énoncé dans la présentation de drogue nouvelle pour laquelle l’AC a été délivré. Le brevet 753 vise les formes pharmaceutiques caractérisées par l’association d’une ou de plus d’une classe d’agents thérapeutiques avec de l’abacavir, y compris des classes n’englobant pas la lamivudine. Le brevet 753 ne concerne pas la forme posologique ou l’utilisation de l’ingrédient médicinal sulfate d’abacavir.

 

[5]               Bien que le brevet 753 puisse englober la lamivudine en tant qu’ingrédient médicinal, cela ne satisfait pas aux exigences relatives à l’inscription des brevets au registre énoncées à l’alinéa 4(2)a) ou à l’alinéa 4(2)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Il ne suffit pas, aux fins de l’inscription au registre, qu’un brevet n’identifie qu’un des ingrédients médicinaux identifiés dans la présentation de drogue à l’égard de laquelle l’AC a été délivré. Comme l’a statué la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Gilead Sciences Canada c Ministre de la Santé, 2012 CAF 254 (Gilead), l’ingrédient médicinal ou la formulation visé par un AC doit correspondre à ce qui est revendiqué dans le brevet dont l’inscription au registre est demandée. Il doit y avoir un haut degré de spécificité entre le brevet et l’AC. Cependant, comme nous l’avons mentionné, l’AC visant KIVEXA® concerne un comprimé à base de sulfate d’abacavir et de lamivudine, alors que le brevet 753 ne revendique que l’ingrédient médicinal sulfate d’abacavir.

 

[6]               Par conséquent, pour les motifs qui suivent, la requête est accueillie.

 

Contexte : Objet de l’avis de conformité et inscription du brevet 753

[7]               Le 31 octobre 2003, la société GlaxoSmithKline Shire Biochem (GSK) a déposé une présentation de drogue nouvelle (PDN 087905) pour obtenir l’autorisation de commercialiser des comprimés contenant deux ingrédients médicinaux : le sulfate d’abacavir (600 mg) et la lamivudine (300 mg), sous le nom commercial KIVEXA®. Le comprimé de KIVEXA®, qui est une association à dose fixe, est décrit comme une solution de rechange à l’administration de comprimés de sulfate d’abacavir et de comprimés de lamivudine (commercialisés sous les noms ZIAGEN® et 3TC, respectivement). Comme l’ont souligné les demanderesses, d’un point de vue chimique, scientifique, clinique et réglementaire, les ingrédients médicinaux présents dans un comprimé de KIVEXA® sont identiques aux ingrédients médicinaux présents dans deux comprimés de 300 mg de ZIAGEN® et dans un comprimé de 300 mg administrés séparément, de façon concomitante.

 

[8]               La prise d’un comprimé de KIVEXA® ou, lorsqu’ils sont pris en concomitance, de deux comprimés de ZIAGEN® (600 mg de sulfate d’abacavir) et d’un comprimé de 3TC (300 mg de lamivudine), est indiquée pour le traitement antirétroviral d’association de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) chez l’adulte. Selon les demanderesses, l’utilisation d’un comprimé unique, comme dans le cas de KIVEXA®, et, plus généralement, de doses fixes dans le cadre d’un traitement d’association s’est révélée commode et efficace, et est associée à une augmentation globale de l’observance du schéma thérapeutique par les patients et de la satisfaction de ces derniers à l’égard dudit schéma thérapeutique.

 

[9]               Selon la monographie de produit de KIVEXA®, chaque comprimé de KIVEXA® contient 600 mg de sulfate d’abacavir et 300 mg de lamivudine, et KIVEXA® est « l’un de plusieurs produits contenant de l’abacavir ».

 

[10]           La monographie de produit divulgue en outre que chaque comprimé contient les ingrédients non médicinaux suivants : hypromellose, stéarate de magnésium, cellulose microcristalline, polyéthylèneglycol 400, polysorbate 80, glycolate d’amidon sodique, dioxyde de titane et laque d’aluminium jaune soleil FCF.

 

[11]           Le 25 juillet 2005, le ministre de la Santé a émis un AC concernant KIVEXA®, dans lequel il était indiqué que les « ingrédients médicinaux » étaient l’abacavir (sous forme de sulfate d’abacavir) et la lamivudine, et que la dose était fixée à 600 mg d’abacavir et à 300 mg de lamivudine. L’AC mentionne donc deux ingrédients médicinaux.

 

[12]           Le 14 mai 1998, GSK a déposé sa demande de brevet à l’égard du brevet 753, intitulé : « Hémisulfate de nucléoside carbocyclique et utilisation connexe pour traiter des infections virales », lequel brevet a été délivré le 23 janvier 2007. GSK a présenté une nouvelle liste de brevets le 22 février 2007 pour faire inscrire au registre des brevets le brevet 753 se rattachant à la PDN 087905. Le brevet 753 a été inscrit au registre à l’égard de la PDN 087905 concernant KIVEXA® le 23 février 2007.

 

[13]           Dès lors, tout fabricant de médicaments génériques cherchant à obtenir un AC pour commercialiser un produit contenant 600 mg d’hémisulfate d’abacavir et 300 mg de lamivudine devra tenir compte du brevet 753 dans le cadre du processus d’homologation, c’est‑à‑dire attendre jusqu’à l’expiration du brevet après avoir déposé sa présentation abrégée de drogue nouvelle, ou alors déposer un avis d’allégation avançant que le brevet 753 est invalide ou qu’il ne serait pas contrefait. Pour savoir si ces allégations sont justifiées, il faudrait alors demander une ordonnance (comme dans la présente affaire) pour empêcher le ministre de la Santé de délivrer l’AC jusqu’à l’expiration du brevet 753, au motif que les allégations du fabricant de médicaments génériques concernant la non‑contrefaçon ou l’invalidité du brevet 753 ne sont pas justifiées.

 

[14]           Sans l’inscription du brevet 753 au registre, et en laissant de côté tout autre brevet pouvant avoir été inscrit au registre à l’égard du médicament, le fabricant d’un médicament générique recevrait son AC et pourrait commercialiser son produit, et les demanderesses exerceraient leur monopole en engageant une action en contrefaçon de brevet.

 

Le brevet 753

[15]           Il n’y a pas de différend entre les parties au sujet de l’interprétation du brevet 753. Le brevet 753 concerne le sel d’hémisulfate d’abacavir. La revendication 1 concerne l’hémisulfate d’abacavir et ses solvates. La revendication 2 dépend de la revendication 1 et revendique de façon expresse et exclusive l’hémisulfate d’abacavir, l’un des ingrédients médicinaux de KIVEXA®. Aucune revendication du brevet 753 ne revendique expressément l’association d’abacavir et de lamivudine, à savoir les deux ingrédients médicinaux de KIVEXA®. Toutefois, la revendication 32 du brevet 753 revendique l’abacavir en association avec un ou plus d’un autre ingrédient médicinal, selon le libellé suivant :

[traduction] 32. Une forme pharmaceutique telle qu’elle est revendiquée dans l’une ou l’autre des revendications 25 à 31, comprenant également un ou plus d’un agent thérapeutique choisi parmi un groupe comprenant [1] des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse, [2] des inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse, [3] des inhibiteurs de protéase, [4] des modulateurs de la réponse immunitaire et [5] des interférons.

 

[16]           Il est précisé en page quatre du brevet 753 que l’abacavir peut être utilisé seul ou en association avec un certain nombre des agents thérapeutiques suivants, qui sont indiqués pour le traitement de l’infection par le VIH ou le VHB :

[traduction] Les composés de l’invention peuvent être administrés seuls ou en association avec d’autres agents thérapeutiques indiqués pour le traitement de l’infection par le VIH, comme les inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI), par exemple la zidovudine, la zalcitabine, la lamivudine, la didanosine, la stavudine, la 5‑chloro‑2’,3’-didésoxy‑3’-fluorouridine, l’adéfovir et la (2R,5S)‑5fluoro-1-[2-(hydroxyméthyl)-1,3-oxathiolan-5yl]cytosine, le lovaride; des inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse, par exemple la névirapine, la délavuridine, l’α‑APA, HBY‑1293 et l’éfavirenz; des inhibiteurs de la protéase du VIH, par exemple le saquinavir, l’indinavir, le nelfinavir, le ritonavir et VX‑478; d’autres agents anti‑VIH, par exemple des molécules CD4 solubles; des modulateurs de la réponse immunitaire, par exemple l’interleukine II, l’érythropoïétine et le tucarésol; et les interférons, par exemple l’interféron α. De plus, le composé de l’invention peut être administré en association avec d’autres agents thérapeutiques indiqués pour le traitement de l’infection par le VHB, par exemple la lamivudine, la (2R,5S)-5-fluoro-1-[2-(hydroxyméthyl)-1,3-oxathiolan-5yl]cytosine, des modulateurs de la réponse immunitaire et les interférons décrits ci‑dessus. De telles associations peuvent être administrées de façon concomitante ou de façon séquentielle, pourvu que le laps de temps s’écoulant entre l’administration de chacun des agents thérapeutiques n’en diminue pas l’effet additif.

 

[17]           Ainsi, la revendication 32 revendique une association à dose fixe d’hémisulfate d’abacavir et de un ou de plus d’un agent thérapeutique choisi parmi les cinq classes décrites précédemment, dont l’une est la classe des inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse, ou les INTI. Neuf INTI sont identifiés, dont l’un est la lamivudine, et environ vingt et un agents thérapeutiques sont identifiés au total dans les cinq classes (les INTI, les INNTI, les inhibiteurs de protéase, les modulateurs de la réponse immunitaire et les interférons); tous ces agents thérapeutiques peuvent être utilisés en association avec l’abacavir. En d’autres termes, la revendication 32 du brevet 753 ne se limite pas à une association de deux médicaments, comme dans une forme pharmaceutique comprenant de l’hémisulfate d’abacavir et de la lamivudine. En effet, la portée de la revendication 32 est plutôt vaste et englobe une formulation contenant de l’abacavir et un autre INTI (non précisé). La revendication 32 concerne une ou plus d’une classe d’agents thérapeutiques pouvant être associés avec l’abacavir, et la lamivudine n’est que l’un de ces agents thérapeutiques.

 

Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) — Admissibilité à l’inscription

[18]           Le paragraphe 4(2) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) énonce les critères d’admissibilité en ce qui concerne l’inscription des brevets :

4(2)      Est admissible à l’adjonction au registre tout brevet, inscrit sur une liste de brevets, qui se rattache à la présentation de drogue nouvelle, s’il contient, selon le cas :

 

                                                                  a)                        une revendication de l’ingrédient médicinal, l’ingrédient ayant été approuvé par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;

                                                                  b)                        une revendication de la formulation contenant l’ingrédient médicinal, la formulation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;

                                                                  c)                        une revendication de la forme posologique, la forme posologique ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;

                                                                  d)                        une revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, l’utilisation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation.

 

[19]           L’article 2 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) définit la « revendication de la formulation » comme une « [r]evendication à l’égard d’une substance qui est un mélange des ingrédients médicinaux et non médicinaux d’une drogue et qui est administrée à un patient sous une forme posologique donnée ». Selon le Règlement, la « [r]evendication de l’ingrédient médicinal » :

S’entend, d’une part, d’une revendication, dans le brevet, de l’ingrédient médicinal — chimique ou biologique — préparé ou produit selon les modes ou procédés de fabrication décrits en détail et revendiqués dans le brevet ou selon leurs équivalents chimiques manifestes, et, d’autre part, d’une revendication pour différents polymorphes de celui-ci, à l’exclusion de ses différentes formes chimiques.

 

[20]           Comme nous l’avons mentionné précédemment, il n’y a aucun différend entre les parties au sujet du fait que le brevet 753 revendique le sulfate d’abacavir, l’un des ingrédients médicinaux approuvés utilisés dans KIVEXA®. Pour cette raison (le brevet revendiquant « l’ » ingrédient médicinal ou l’un des ingrédients médicinaux), les demanderesses et le ministre prétendent que le brevet 753 est admissible à l’inscription au registre des brevets aux termes de l’alinéa 4(2)a) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). En effet, cette approche est énoncée dans la ligne directrice de 2010 de Santé Canada selon laquelle un brevet qui ne revendique qu’un seul ingrédient médicinal peut être inscrit au registre à l’égard d’un produit homologué qui contient plus d’un ingrédient médicinal :

Les brevets revendiquant une combinaison d’ingrédients médicinaux ne sont pas admissibles à l’inscription en ce qui touche à un médicament qui ne contient qu’un seul des ingrédients médicinaux revendiqués. Toutefois, un brevet revendiquant, à titre de composé, un seul ingrédient médicinal sera admissible à l’inscription concernant un médicament qui contient ledit ingrédient en association avec d’autres ingrédients médicinaux, nonobstant le fait que l’ingrédient médicinal de l’AC consiste en la combinaison des ingrédients médicinaux.

 

[21]           Tant les demanderesses que le ministre avancent que, à la lumière de ce qui précède, le brevet 753 possède la spécificité nécessaire en ce qui concerne le produit revendiqué pour être inscrit au registre en vertu de l’alinéa 4(2)a) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Le seul ingrédient médicinal revendiqué dans le brevet, à savoir le sulfate d’abacavir, est identifié dans l’AC concernant KIVEXA® et est approuvé dans la présentation de drogue, quoiqu’en association avec un autre ingrédient médicinal, nommément la lamivudine.

 

[22]           Le ministre prétend également que cette approche (une exigence inférieure à une spécificité complète en ce qui concerne le produit) devrait être mise en opposition avec l’alinéa 4(2)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), qui traite des revendications de la formulation dans un brevet devant renfermer une revendication concernant un mélange particulier ou précis d’ingrédients médicinaux et non médicinaux effectivement administrés. Une formulation contenant de multiples composés ou ingrédients médicinaux doit être distincte d’une formulation ne contenant qu’un seul composé — il ne peut y avoir de « concordance » entre la formulation revendiquée dans le brevet et la formulation approuvée dans l’AC à moins que les ingrédients médicinaux soient exactement les mêmes. S’il n’y a pas de concordance, le brevet (de formulation) est admissible à l’inscription au registre des brevets aux termes de l’alinéa 4(2)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

 

[23]           Le ministre se fonde également sur l’affaire Bayer c Canada, 2009 CF 1171, conf. 2010 CAF 161, concernant l’admissibilité à l’inscription au registre des brevets aux termes de l’alinéa 4(2)b), pour faire valoir qu’il faut adopter une approche différente pour interpréter l’alinéa 4(2)a) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) et l’alinéa 4(2)b) du même règlement. Le ministre affirme que, dans cette affaire, la Cour avait statué qu’en raison des différences qui existent entre les brevets visant un composé unique et les brevets de formulation, il fallait adopter une approche différente au moment d’établir une correspondance entre un AC et les revendications formulées dans un brevet pour déterminer le degré de spécificité requis pour que le brevet en question puisse être inscrit au registre. La raison de principe à l’appui de l’adoption d’une approche différente est décrite comme étant la reconnaissance du fait que, généralement, le processus de mise au point de médicaments mène d’abord à la découverte d’un seul ingrédient médicinal pour le traitement d’une affection bien précise. Après que le médicament est mis au point et que l’ingrédient médicinal est breveté, un innovateur peut chercher à associer cet ingrédient médicinal à d’autres ingrédients médicinaux connus. Pour protéger son produit d’association, un innovateur peut chercher à faire inscrire au registre le brevet revendiquant l’ingrédient médicinal en question à l’égard du produit d’association au moment de la délivrance de l’AC concernant ce produit, aux termes de l’alinéa 4(2)a) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité).

 

[24]           Par conséquent, d’après le ministre et les demanderesses, un brevet de composition revendiquant uniquement le sulfate d’abacavir et un autre brevet de composition revendiquant uniquement la lamivudine seraient tous deux admissibles à l’inscription au registre à l’égard de KIVEXA® aux termes de l’alinéa 4(2)a) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). Un brevet de formulation renfermant une revendication à l’égard d’une composition contenant à la fois du sulfate d’abacavir et de la lamivudine serait également admissible à l’inscription au registre en vertu de l’alinéa 4(2)b) du même règlement. Selon les demanderesses (mais non selon le ministre ou Teva), un brevet de formulation qui renferme une revendication à l’égard d’une composition et qui revendique expressément l’un des ingrédients médicinaux, de même qu’un autre ingrédient médicinal, sans le nommer, mais de façon à « englober » l’ingrédient médicinal mentionné dans l’AC, serait également admissible à l’inscription au registre aux termes de l’alinéa 4(2)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité). La question est donc de savoir s’il faut adopter une approche différente pour juger de la spécificité d’un produit aux termes de l’alinéa 4(2)a) et aux termes de l’alinéa 4(2)b), et/ou de savoir si chacune de ces dispositions permet une correspondance partielle entre l’AC et le brevet pour ce qui est du respect de l’exigence relative à la spécificité d’un produit en vue de son inscription au registre.

 

[25]           Teva souligne que le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) a été modifié en 2006 de façon à faire de la spécificité du produit la principale exigence en ce qui concerne l’inscription d’un brevet au registre, et que le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (RÉIR) publié avec les modifications témoigne de cette fin;

Les modifications proposées mettent ce fait en évidence en enracinant davantage le concept de la spécificité des produits en tant que principale considération exigée du ministre dans l’application des exigences relatives à l’inscription, prévues à l’article 4 du Règlement de liaison. Les modifications utilisent un libellé plus précis quant au lien entre le sujet d’un brevet inscrit sur une liste et le contenu de la demande d’avis de conformité à l’égard duquel elle est soumise. De plus, en vertu des modifications, une nouvelle liste de brevets ne peut être soumise que dans le cas de certains types de demandes bien précis.

 

[26]           Dans l’affaire Gilead Sciences Canada c Ministre de la Santé, 2012 CAF 254, la Cour d’appel formule le commentaire suivant au sujet de l’incidence du RÉIR :

Il est également évident que les modifications de 2006 ont introduit l’exigence de spécificité du produit. Il ressort de la simple lecture de la version […] antérieure aux modifications de 2006 que s’il était établi que les revendications du brevet étaient « pertinent[es] quant [au] » médicament approuvé, l’inscription des brevets soumis était généralement acceptée. Par contre, la version modifiée crée l’obligation de fournir des renseignements plus précis sur le produit dont l’inscription du brevet est demandée, notamment l’ingrédient médicinal, le nom de marque, la forme posologique, la concentration, la voie d’administration et l’utilisation, tels qu’ils figurent dans la PDN. De plus, les catégories énoncées à l’article 4 sont maintenant plus détaillées et définies avec plus de précision. Ces changements, de même que l’importance accrue accordée au respect des critères d’admissibilité, sous réserve de la décision du ministre, dont il a été fait état précédemment, m’amènent à rejeter simplement la thèse de Gilead concernant le caractère général de la correspondance entre les revendications du brevet et l’AC.

 

[27]           Dans Gilead, Gilead Sciences cherchait à faire inscrire au registre un brevet revendiquant le ténofovir, l’emtricitabine et un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse (INNTI) non identifié. L’AC concernant le médicament COMPLERA, cependant, mentionnait le ténofovir, l’emtricitabine et l’INNTI rilpivirine. Étant donné que le brevet ne nommait pas le troisième ingrédient médicinal entrant dans la composition de ce qui était un médicament consistant en l’association de trois ingrédients médicinaux visé par un AC, la Cour a statué que le brevet était inadmissible à l’inscription au registre :

Vu le libellé du Règlement sur les MBAC, de même que son objet, l’exigence touchant la spécificité du produit se traduit par un seuil élevé de correspondance. En l’espèce, « les » ingrédients médicinaux, c’est-à-dire, le ténofovir, l’emtricitabine et la rilpivirine, doivent donc être énoncés dans l’AC et les revendications du brevet pour que le brevet puisse être inscrit au registre.

 

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[...] quoique la Ligne directrice citée par l’appelante clarifie les rôles des différents intervenants du système des médicaments brevetés, notamment les innovateurs, les fabricants de médicaments génériques et le ministre, il ne s’agit pas d’un document légalement opposable. Qui plus est, si la Ligne directrice est incompatible avec le Règlement sur les MBAC ou qu’elle le contredit, ce dernier a préséance […]. À l’audience, le ministre a reconnu que seul le Règlement sur les MBAC était un texte de loi opposable.

 

Je note par ailleurs que le Règlement sur les MBAC ne va nullement dans le sens de l’interprétation proposée dans la Ligne directrice. Comme nous l’avons vu, le libellé de l’article 4 est cohérent dans les quatre dispositions et impose un degré élevé de correspondance entre le libellé de la revendication et l’AC quant au produit spécifié. À moins d’y ajouter des précisions qui n’y figurent pas, l’alinéa 4(2)a) ne permet pas de présenter des revendications ne contenant qu’une partie des ingrédients médicinaux. Une telle interprétation va à l’encontre du sens ordinaire des mots, de l’objet du Règlement sur les MBAC et de la position du gouvernement voulant que la spécificité du produit soit une considération essentielle pour saisir le sens de l’article 4. Je ne retiendrai donc pas cette interprétation du Règlement sur les MBAC.

 

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Je confirmerais donc la conclusion du juge selon laquelle les revendications du brevet n’établissent pas suffisamment la spécificité du produit parce qu’elles ne mentionnent pas expressément l’ingrédient médicinal rilpivirine, mais seulement la classe générale des composés [nommément les INNTI].

 

[28]           De même, dans le cas de KIVEXA®, aucune revendication du brevet 753 ne revendique expressément l’association des deux ingrédients médicinaux visés par l’AC concernant KIVEXA®, à savoir le sulfate d’abacavir et la lamivudine. Rien dans le brevet 753 ne fait en sorte que la lamivudine soit requise. Le brevet 753 ne revendique que l’abacavir en association avec un autre ingrédient médicinal non nommé. Comme l’a mentionné la Cour dans Gilead, l’alinéa 4(2)a) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) prévoit que l’ensemble des ingrédients médicinaux nommés dans la présentation ayant mené à la délivrance d’un AC doit être revendiqué dans le brevet pour que ledit brevet puisse être inscrit au registre. De la même manière, la formulation identifiée dans la présentation ayant mené à la délivrance d’un AC doit être revendiquée dans le brevet. Dans le cas du brevet 753, il n’est pas suffisant que la revendication englobe l’ingrédient médicinal lamivudine (parmi d’autres ingrédients médicinaux) en association avec l’abacavir aux fins de l’alinéa 4(2)b) du Règlement.

 

[29]           Le degré de spécificité requis aux fins de l’alinéa 4(2)a) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) est identique au degré de spécificité requis aux fins des alinéas 4(2)b), 4(2)c) et 4(2)d). Il doit y avoir une correspondance entre l’ingrédient médicinal, la formulation, la forme posologique ou l’utilisation de l’ingrédient médicinal revendiqués dans le brevet que l’on cherche à faire adjoindre au registre et ce qui est énoncé dans la présentation de drogue ayant mené à la délivrance de l’AC. Si les exigences à respecter dans le cas de l’alinéa 4(2)a) étaient différentes, cela irait à l’encontre du but et de l’objet du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) en ce qui concerne la spécificité du produit, et ce serait contraire aux motifs du jugement rendu par la Cour d’appel fédérale dans Gilead (voir également l’affaire Purdue Pharma c Ministre de la Santé, 2011 CAF 132, et, en ce qui concerne l’alinéa 4(2)b), les affaires Bayer Inc. c Ministre de la Santé, 2009 CAF 161 et Eli Lilly Canada Inc. c Procureur général du Canada et Ministre de la Santé, 2014 CF 152). Dans Gilead, la Cour précise, au paragraphe 39, ce qui suit :

Il n’y a aucune raison valable d’adopter différentes exigences législatives à l’égard des différents alinéas du paragraphe 4(2). Chaque alinéa emploie des articles définis pour renvoyer à la substance de la revendication comme à l’avis de conformité : « l’ingrédient », « la formulation », « la forme posologique », « l’utilisation » (en anglais, « the medicinal ingredient », « the formulation », « the dosage » et « the use »). Pour le reste, le contenu des dispositions est parfaitement identique.

 

[30]           En appliquant ce raisonnement au brevet 753, il est clair que le brevet ne contient pas :

i)                    une revendication de l’ingrédient médicinal, l’ingrédient ayant été approuvé par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;

ii)                  une revendication de la formulation contenant l’ingrédient médicinal, la formulation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;

iii)                une revendication de la forme posologique, la forme posologique ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation;

iv)                une revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, l’utilisation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard de la présentation.

 

[31]           Le brevet 753 n’est pas admissible à l’inscription au registre à l’égard de KIVEXA®, car il ne revendique ni l’ingrédient médicinal, comme l’exige l’alinéa 4(2)a) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), ni la formulation contenant du sulfate d’abacavir et de la lamivudine, comme l’exige l’alinéa 4(2)b) du même règlement, approuvés par la délivrance d’un AC à l’égard de la présentation de drogue concernant les comprimés de KIVEXA®, qui contiennent du sulfate d’abacavir (600 mg) et de la lamivudine (300 mg).

 


ORDONNANCE

LA COUR STATUE que :

 

1.                  La demande à l’égard du brevet canadien no 2,289,753 est rejetée au motif que le brevet n’est pas admissible à l’inscription au registre des brevets.

 

2.                  Dans l’éventualité où les parties ne peuvent s’entendre au sujet des dépens relatifs à la présente requête, chaque partie peut soumettre des observations écrites dans les 15 jours suivant la date de la présente ordonnance.

 

 

« Martha Milczynski »

Protonotaire

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-1517-13

 

INTITULÉ :

VIIV SOINS DE SANTÉ ULC, VIIV HEALTHCARE UK LIMITED ET GLAXO GROUP LIMITED c TEVA CANADA LIMITÉE ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 28 février 2014

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE:

LA PROTONOTAIRE MILCZYNSKI

 

DATE DES MOTIFS:

                                                            LE 3 AVRIL 2014

COMPARUTIONS :

Patrick Kierans

Louisa Pontrelli

Christopher Guerreiro

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

David Aitken

Scott Beeser

 

POUR LA DÉFENDERESSE,

TEVA CANADA LIMITÉE

 

Eric Peterson

POUR LE DÉFENDEUR,

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Aitken, Klee LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE,
TEVA CANADA LIMITÉE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR,

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

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