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Date : 20140514


Dossier :

T‑1811‑13

Référence : 2014 CF 473

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 14 mai 2014

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

SEGUNDA MANUELA MERA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration interjette appel de la décision par laquelle un juge de la citoyenneté a approuvé la demande de citoyenneté canadienne de Segunda Manuela Mera. Pour les motifs qui suivent, je conclus que l’appel doit être accueilli.

I.                   Contexte

[2]               Madame Mera est une résidente permanente du Canada âgée de 82 ans qui est originaire de l’Équateur. Elle a quatre filles qui vivent au Canada, et trois fils qui vivent en Équateur. Elle vit chez l’une de ses filles lorsqu’elle est au Canada, et elle possède sa propre maison en Équateur.

[3]               Madame Mera a déposé sa demande de citoyenneté le 7 août 2005. Ainsi, la période pertinente de quatre ans relative à son obligation de résidence s’étendait donc du 7 août 2005 au 7 août 2009.

[4]               Madame Mera a indiqué dans sa demande de citoyenneté qu’elle avait été absente du Canada à l’occasion quatre voyages d’une durée totale de 542 jours, et qu’elle avait été effectivement présente au Canada pendant environ 918 jours au cours de la période pertinente.

[5]               Le 11 septembre 2013, Mme Mera a comparu devant un juge de la citoyenneté, qui a ensuite demandé une copie de son rapport d’entrées et de sorties (un « rapport du SIED ») de l’Agence des services frontaliers du Canada. Le rapport du SIED confirmait essentiellement le témoignage de Mme Mera quant à ses séjours à l’étranger, même si aucune mention n’y était faite d’un bref voyage au Mexique en 2008. Cette omission n’a pas joué de rôle important dans la décision du juge de la Citoyenneté, non plus qu’elle n’a d’incidence sur l’issue du présent appel.

[6]               Selon Mme Mera, son dernier voyage à l’étranger a débuté le 25 juillet 2009, bien que le juge de la Citoyenneté ait conclu par erreur qu’il avait commencé le 21 janvier 2010.

[7]               Le juge de la citoyenneté a approuvé la demande de Mme Mera le 12 septembre 2013. Considérant l’ensemble de la preuve, y compris [traduction] « le cycle de ses absences » et son témoignage, il a conclu qu’elle [traduction] « vivait véritablement au Canada et y avait été effectivement présente pendant un nombre de jours suffisant pour se conformer à la Loi sur la citoyenneté ».

II.                Analyse

[8]               Pour avoir droit à la citoyenneté canadienne, un demandeur doit démontrer qu’il a résidé au Canada pendant trois des quatre années précédant immédiatement la demande de citoyenneté.

[9]               La jurisprudence de la Cour a reconnu trois critères pouvant servir à déterminer si un demandeur a satisfait aux conditions de résidence de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C‑29.

[10]           Le premier est celui de la présence effective établi par la Cour dans la décision Re Pourghasemi [1993] ACF no 232. Ce critère ne requiert du demandeur qu’une période de présence effective au Canada d’au moins trois ans sur quatre, soit un minimum de 1 095 jours.

[11]           Le deuxième critère est celui qui a été formulé dans la décision Re Papadogiorgakis, [1978] 2 CF 208; [1978] ACF no 31. Ce critère est moins rigoureux en ce qu’il ne demande au demandeur que de démontrer qu’il a un grand attachement pour le Canada et qu’il y a établi une résidence, même s’il s’est absenté temporairement du pays.

[12]           Le troisième critère est souvent utilisé dans les affaires de citoyenneté. Il s’agit du critère connu sous le nom de « Koo », établi dans la décision Re Koo, [1993] 1 CF 286; [1992] ACF no 1107. Le critère de Koo définit la résidence comme le lieu où l’on « vit régulièrement, normalement ou habituellement » ou celui où l’on a « centralisé son mode d’existence ». Dans la décision Koo, la Cour a établi six facteurs à considérer afin de déterminer si le demandeur satisfait à ce critère :

(1)               la présence effective du demandeur au Canada pendant une longue période avant ses absences récentes;

(2)               la qualité de résident de la famille immédiate et des personnes à charge du demandeur;

(3)               la question de savoir si le cycle des présences effectives du demandeur au Canada dénote un retour à la maison ou de simples visites;

(4)               la durée des absences effectives du pays;

(5)               la question de savoir si les absences effectives sont attribuables à une situation manifestement temporaire;

(6)               la qualité des attaches au Canada.

[13]           À la lecture des brefs motifs du juge de la citoyenneté, on ne sait pas quel critère le juge a appliqué pour conclure que Mme Mera avait satisfait aux exigences en matière de résidence de la Loi sur la citoyenneté. En conséquence, la décision est dépourvue de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité nécessaires pour être raisonnable. Les motifs du juge de la citoyenneté ne permettent pas non plus de savoir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190.

[14]           Pour conclure que Mme Mera satisfaisait aux exigences en matière de résidence de la Loi, le juge de la citoyenneté a affirmé qu’il était convaincu que Mme Mera [traduction] « avait véritablement vécu et avait été effectivement présente au Canada pendant un nombre de jours suffisants pour se conformer à la Loi sur la citoyenneté ». Ces propos portent à croire qu’il a appliqué le critère de la présence effective de la décision Re Pourghasemi.

[15]           Si tel est le cas, la conclusion selon laquelle Mme Mera satisfaisait aux exigences du critère de la présence effective est inique, étant donné que le juge avait conclu expressément, comme question de fait, que Mme Mera avait seulement été effectivement présente au Canada pendant 922 jours au cours de la période pertinente, soit 173 jours de moins que la période requise de 1 095 jours.

[16]           Si, comme Mme Mera le soutient, le juge de la citoyenneté voulait appliquer l’un des critères plus qualitatifs de résidence, il a omis d’expliquer comment il était arrivé à la conclusion que Mme Mera avait établi sa résidence au Canada. Il n’y a rien qui indique que le juge a tenu compte du fait que Mme Mera a toujours une maison en Équateur et qu’elle n’en a pas au Canada. Bien que cela ne soit nullement déterminant quant à la question de la résidence, il s’agit de considérations pertinentes que le juge aurait dû examiner pour déterminer si Mme Mera avait établi sa résidence au Canada.

[17]           En outre, le juge de la citoyenneté n’a pas examiné plusieurs des facteurs du critère de la décision Koo afin de déterminer où Mme Mera « vit régulièrement, normalement ou habituellement » ou a « centralisé son mode d’existence ».

[18]           Par exemple, le juge de la citoyenneté ne semble pas s’être demandé si la présence effective de Mme Mera au Canada dénote qu’elle revenait chez elle au Canada après de longs voyages en Équateur, ou si elle était seulement en visite au Canada tout en demeurant en Équateur. Il n’a pas non plus cherché à savoir si les attaches de Mme Mera au Canada étaient plus importantes que ses attaches en Équateur, étant donné l’importance de ses liens dans les deux pays.

[19]           Puisque le juge de la citoyenneté a omis d’appliquer correctement l’un quelconque des trois critères de résidence reconnus, sa conclusion selon laquelle Mme Mera avait établi sa résidence au Canada était déraisonnable.

III.             Conclusion

[20]           Pour les motifs qui précèdent, l’appel du ministre est accueilli, sans frais. La décision du 12 septembre 2013 du juge de la citoyenneté est annulée. L’affaire est renvoyée à un juge de la citoyenneté différent pour qu’il procède à un nouvel examen en conformité avec l’un des critères de résidence reconnus.

[21]           Comme l’avocat du ministre l’a signalé, il est également loisible à Mme Mera de déposer une nouvelle demande de citoyenneté. Cela aurait l’effet de créer une période de résidence différente aux fins de sa nouvelle demande. Selon les renseignements communiqués par l’avocat de Mme Mera à l’audience, il semble qu’elle pourrait bien satisfaire au critère de la présence effective au cours de cette période plus récente de quatre ans.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                  L’appel du ministre est accueilli, sans frais.

2.                  La demande de citoyenneté canadienne de Mme Mera est renvoyée à un juge de la citoyenneté différent pour qu’il procède à un nouvel examen en conformité avec l’un des critères de résidence reconnus.

« Anne L. Mactavish »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRAL

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


doSSIER :

T‑1811‑13

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c SEGUNDA MANUELA MERA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 14 mai 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

la juge MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

le 14 mai 2014

 

COMPARUTIONS :

Christopher Ezrin

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Laura Li Preti

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Laura Li Preti

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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