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Date : 20140506


Dossier : T‑1538‑13

Référence : 2014 CF 426

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 6 mai 2014

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

WAYNE SKINNER

                                                                                                                                        demandeur

et

FEDEX GROUND LTD.

                                                                                                                                      défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               La présente ordonnance fait suite à une contestation introduite par le demandeur, un ancien employé de la défenderesse, qui cherche à faire annuler une décision, datée du 19 août 2013, par laquelle un arbitre a rejeté la plainte pour congédiement injuste qu’il a déposée contre la défenderesse sous le régime de l’article 240 du Code canadien du travail, LRC 1985, c L‑2 (le Code).

I.                   Faits ayant mené au congédiement

[2]               Le demandeur a travaillé pour la défenderesse du 6 septembre 2005 au 1er juin 2012, date à laquelle il a été congédié pour un motif valable. Au moment de son congédiement, le demandeur occupait le poste de « collaborateur principal des douanes » (« Senior Customs Associate »). Le dossier d’emploi du demandeur révèle que ce dernier souffrait d’une incapacité chronique à arriver au travail à l’heure. En conséquence, le 16 décembre 2011, la défenderesse a donné au demandeur un [traduction] « avis préalable à un avis final » indiquant que [traduction] « tout autre retard […] entraînera[it] un avis écrit final [et] [t]out retard subséquent à cet avis entraînera[it] un congédiement ». Après qu’il fut arrivé en retard au travail, le 16 février 2012, le demandeur a reçu, le 21 février, un « avis final » qui indiquait : [traduction] « ceci est un avis écrit final et toute violation subséquente entraînera votre congédiement » (décision de l’arbitre, pp 3 et 4).

[3]               Pour contrôler l’heure à laquelle un employé arrive à son poste de travail, la défenderesse a instauré un système électronique de consignation des heures de travail fondé sur l’intégrité. Le demandeur était tenu d’être effectivement présent à son poste de travail chaque jour ouvrable à 8 h 30 et de consigner avec exactitude l’heure de son arrivée à son poste de travail. L’événement déterminant qui a mené au congédiement du demandeur est survenu le 25 mai 2012, alors que ce dernier est arrivé et a signé le registre au poste de sécurité à 8 h 30, mais n’est arrivé à son poste de travail qu’à 8 h 34. Il a alors inscrit dans le système d’horaire électronique que son heure d’arrivée était 8 h 30. L’arrivée tardive du demandeur et sa conduite malhonnête ont fondé son congédiement pour un motif valable.

II.                La décision de l’arbitre

[4]               Le 15 juin 2012, le demandeur a déposé une plainte pour congédiement injuste, laquelle a par la suite été instruite par un arbitre lors d’une audience qui a duré deux jours, le 8 mai 2013 et le 10 juillet 2013. Le 19 août 2013, l’arbitre a rejeté la plainte du demandeur pour les motifs suivants :

[traduction]

L’employeur a fait de multiples efforts, au cours d’une longue période, pour faire en sorte que M. Skinner corrige sa mauvaise habitude d’arriver en retard et l’aider en ce sens. De nombreuses fois, à la demande de M. Skinner, l’employeur a modifié l’horaire de M. Skinner pour maximiser les probabilités que M. Skinner se présente au travail à l’heure. Cependant, bien que M. Skinner ait fait des progrès, le problème n’a pas été réglé. L’employeur a tout de même donné à M. Skinner une dernière chance, qui a clairement été décrite comme telle à ce moment‑là. Et, même si un retard de quatre minutes pourrait, en soi, être considéré comme une faute presque anodine, M. Skinner avait des antécédents sérieusement problématiques. Et le 25 mai, non seulement M. Skinner était en retard encore une fois, mais il a innové en adoptant une inconduite malhonnête.

 

Dans ce contexte, j’estime que le congédiement du plaignant était justifié, et que la présente plainte doit par conséquent être rejetée.

 

(Décision, aux pages 17 et 18)

III.             Arguments et conclusions

[5]               Il est acquis aux débats que la norme de contrôle applicable dans les cas de congédiement injuste sous le régime du Code est celle de la décision déraisonnable, tandis que la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte.

[6]               Le demandeur conteste la décision faisant l’objet du présent contrôle pour trois motifs distincts : une crainte raisonnable de partialité de la part de l’arbitre; le défaut de l’arbitre de procéder à une enquête en deux étapes pour déterminer s’il existait un motif valable au congédiement; et un manquement à l’équité procédurale à laquelle le demandeur avait droit.

A.  Crainte de partialité

[7]               Le demandeur soutient que [traduction] « l’arbitre a fait naître une crainte raisonnable de partialité dans l’esprit du demandeur à plus d’une occasion en raison de ses commentaires et de sa conduite au cours de l’instance » (Argumentation du demandeur, au paragraphe 55). La Cour suprême a énoncé comme suit le critère de la crainte raisonnable de partialité, au paragraphe 111 de l’arrêt R c S. (R.D.), [1997] 3 RCS 484 :

Dans ses motifs de dissidence dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la p. 394, le juge de Grandpré a exposé avec beaucoup de clarté la façon dont il convient d’appliquer le critère de la partialité:

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle‑même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet [. . .] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique [. . .] »

[8]               Avant d’instruire la plainte du demandeur, l’arbitre a tenté de procéder par voie de médiation avec l’accord du demandeur, qui n’était pas représenté par avocat, et de l’avocat de la défenderesse. Au cours de l’audition de la présente demande, l’avocat de la défenderesse a confirmé que, en ce qui a trait aux plaintes de congédiement injuste sous le régime du Code, il est de pratique établie et reconnue que les arbitres tentent de parvenir à un règlement par voie de médiation avant de trancher une plainte donnée. Bien que l’arbitre ne fasse aucune mention de la tenue de séances de médiation dans la décision qu’il a rendue, le demandeur fait valoir dans son affidavit les éléments de preuve suivants au soutien de son argument fondé sur la crainte de partialité :

[traduction]

Au cours de nos discussions privées, [l’arbitre] M. Herlich m’a fait part de son avis selon lequel, compte tenu de ce qu’il avait vu de ma plainte jusqu’alors, le fait que l’on m’avait imposé des mesures disciplinaires à plusieurs occasions portait à croire que ma cause n’était pas très solide (paragraphe 6).

 

Toujours au cours de nos discussions privées et en rapport avec mon intention déclarée de réclamer des dommages‑intérêts pour défaut d’avis raisonnable, M. Herlich s’est senti obligé de partager avec moi et mon épouse son souvenir d’une certain dessin animé télévisé de son enfance. M. Herlich se souvenait que, bien souvent, au début d’un épisode de ce dessin animé, le personnage principal caressait un plan qui lui permettrait d’acquérir de l’argent. L’argent en question qu’il acquerrait, si son plan fonctionnait, était illustré par une image d’un sac d’argent qui apparaissant au coin supérieur de l’écran de télévision. M. Herlich a conclu sa réminiscence du dessin animé en question en affirmant qu’à la fin de l’épisode, le plan du personnage du dessin animé pour acquérir de l’argent échouait inévitablement et l’image du sac d’argent disparaissait en faisant « Pouf! » (paragraphe 7).

En plus des détails relatés au paragraphe 6 de son affidavit, le demandeur a formulé, dans son mémoire des faits et du droit le demandeur, la précision suivante :

[traduction]

Au cours de ces conversations privées, le demandeur a demandé l’avis de l’arbitre au sujet du bien-fondé de sa plainte. L’arbitre a répondu en affirmant que, d’après ce qu’il avait vu de la plainte jusqu’alors, le fait que le demandeur s’était vu imposer des mesures disciplinaires à plusieurs occasions portait à croire que la cause du demandeur n’était pas très solide (paragraphe 63).

 

[Non souligné dans l’original.]

[9]               Lorsque j’applique le critère, je conclus que les incidents relatés par le demandeur ne font naître aucune crainte de partialité. L’emploi d’une allégorie et l’expression d’une opinion franche par l’arbitre au sujet des chances de succès du demandeur visaient manifestement à aider celui‑ci à comprendre qu’il courait un risque en demandant que sa plainte soit instruite. À mon avis, la tentative de l’arbitre d’aider le demandeur cadrait parfaitement avec ce à quoi on pourrait raisonnablement s’attendre d’un médiateur compétent.

[10]           Au paragraphe 34 de son affidavit, le demandeur relate un autre incident survenu avant l’audience qui tend aussi à étayer son argument selon lequel il existe une crainte de partialité :

[traduction]

Compte tenu de ma compréhension du guide des audiences de RHDCC, j’ai envoyé un courriel à M. Herlich, le 10 mai 2013, dans lequel je lui demandais d’assigner six témoins potentiels à témoigner. À ma surprise, dans sa réponse datée du 13 mai 2013, M. Herlich m’a avisé qu’il n’avait pas pour pratique de préparer des assignations à témoigner pour des parties et que je ne devrais pas lui demander de conseils juridiques. Voir la pièce « A ».

À mon avis, cette allégation est frivole et n’a aucune valeur probante quant à la question.

B.  Procédure d’enquête en deux étapes

[11]           Le demandeur soutient que l’arbitre a omis de suivre la procédure d’enquête en deux étapes pour évaluer s’il y avait un motif valable de congédiement sans préavis, établie par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt McKinley c BC Tel (2001 CSC 38). Suivant cette procédure d’enquête, l’arbitre devait d’abord déterminer si la conduite invoquée comme motif de congédiement avait été établie selon la prépondérance des probabilités, puis si la nature et le degré de cette conduite justifiaient un renvoi dans le contexte précis de l’affaire, eu égard à l’ensemble des circonstances. Le demandeur soutient que l’arbitre a commis une erreur en omettant la première étape de l’enquête.

[12]           Je rejette l’argument du demandeur parce qu’il ressort clairement du dossier que l’arbitre a accompli la première étape; les éléments de preuve non contestés concernant les antécédents disciplinaires du demandeur, notamment son aveu selon lequel, le 25 mai 2012, il est arrivé à son poste de travail à 8 h 34, mais a noté qu’il était arrivé à 8 h 30, en font foi.

C.  Équité procédurale

[13]           Enfin, le demandeur soutient que l’arbitre l’a privé du droit à une audience équitable en lui refusant la possibilité de faire des observations sur certaines questions durant sa plaidoirie finale : la différence entre la conduite blâmable et la conduite non blâmable, s’agissant de la fréquence des retards au travail; le fait que le demandeur pensait que la défenderesse le ciblait; et la différence entre les services promis dans un délai garanti par opposition aux services non promis dans un délai garanti offerts par la défenderesse (mémoire des faits et du droit du demandeur, aux paragraphes 75 à 85). Comme le demandeur l’explique au paragraphe 78 de son mémoire, l’arbitre a refusé la présentation d’observations sur les premier et deuxième points au motif que le demandeur aurait dû soulever ces questions à l’audience, à l’étape de la présentation de la preuve.

[14]           Il n’est pas contesté qu’il relevait du pouvoir discrétionnaire de l’arbitre de décider de la procédure à suivre au cours de l’audience et de la pertinence des éléments de preuve et des arguments que le demandeur voulait présenter. À mon avis, compte tenu des motifs précis du congédiement du demandeur, à savoir son incapacité chronique et non contestée à arriver au travail à l’heure, l’arbitre a bel et bien agi dans les limites de son pouvoir discrétionnaire de limiter les arguments aux seules questions pertinentes liées aux éléments de preuve présentés. Pour expliquer sa décision d’agir ainsi, l’arbitre a fait observer ce qui suit :

[traduction]

Je tiens également à signaler que l’absence de formation juridique du plaignant n’a pas représenté un obstacle important à sa participation à la présente instance. M. Skinner m’a paru très intelligent, il possédait un éventail impressionnant d’aptitudes sociales. Il a également fait preuve d’une grande ténacité dans sa présentation. Il n’a toutefois pas pleinement compris la différence entre la preuve et l’argumentation juridique. Une bonne partie de son témoignage relevait de cette dernière. Et bien que je l’aie averti expressément lors de son témoignage qu’il devait s’assurer de produire en preuve tous les faits qu’il comptait invoquer, son plaidoyer final comportait la présentation ou l’affirmation de faits qui n’avaient pas été produits en preuve.

 

[…]

 

En dernière analyse, toutefois, j’estime que, même si je devais tenir pour avérés les faits, par ailleurs non prouvés, qui ont été allégués dans la plaidoirie finale, ces faits n’ont pas d’incidence importante sur l’issue de l’affaire.

 

(Décision, à la page 6)

[15]           Je conclus qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale envers le demandeur.

IV.             Conclusion

[16]           Je conclus que la décision de l’arbitre est raisonnable.

 

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée. Je n’adjuge aucuns dépens.

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


dossier :

T‑1538‑13

 

INTITULÉ :

WAYNE SKINNER c FEDEX GROUND LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 AVRIL 2014

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Wayne Skinner

 

POUR LE DEMANDEUR

(pour son propre compte)

 

Tim Lawson

Matthew Demeo

 

pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault, s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

pour la défenderesse

 

 

 

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