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Date : 20140509


Dossier : T-394-13

Référence : 2014 CF 446

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 9 mai 2014

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

NUNO CAMARA

demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

DU CHEF DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Nuno Camara sollicite le contrôle judiciaire d’une décision du commissaire par intérim de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC). Par cette décision, le grief de niveau II de M. Camara concernant sa suspension sans solde ni indemnités en attendant l’issue du processus disciplinaire engagé contre lui par son employeur a été rejeté.

[2]               M. Camara soutient que la décision du commissaire par intérim devrait être annulée à cause du temps qu’il a fallu pour ordonner la cessation de sa solde et de ses indemnités et en raison des retards excessifs dans le traitement de son grief. M. Camara soutient de plus que les motifs invoqués par le commissaire par intérim pour rejeter son grief étaient insuffisants et que, de toute façon, la décision était déraisonnable.

[3]               Bien que les retards dans cette affaire soient effectivement malheureux, je ne suis pas convaincue qu’ils justifient l’annulation de la décision du commissaire par intérim. Qui plus est, je suis convaincue que les motifs que le commissaire par intérim a donnés à l’appui de sa décision étaient suffisants et que la décision même était raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de M. Camara sera rejetée.

I.                   Le contexte

[4]               M. Camara était membre de la GRC depuis 18 ans au moment des événements en question. Il semble qu’à un certain point de sa carrière, on se soit interrogé sur son honnêteté. Le Groupe des crimes graves de la GRC de Winnipeg a donc organisé des scénarios de simulation afin de mettre à l’épreuve l’intégrité de M. Camara dans l’exercice de ses fonctions.

[5]               Un seul de ces contrôles de l’intégrité est en litige dans la présente instance. Le 23 novembre 2005, on a demandé à M. Camara de participer à ce qu’on lui a présenté comme étant une fouille dans un véhicule qui devait être effectuée sous l’autorité apparente d’un mandat de perquisition. M. Camara a été laissé seul pour effectuer la fouille et dans le cours de celle-ci, il a retiré du véhicule un sac contenant 575 $ en espèces et un disque compact, entre autres choses. Avant de remettre le sac à la GRC, M. Camara y a pris cinq billets de 20 $ et a conservé le CD.

[6]               Plus tard ce jour-là, M. Camara a dépensé une partie de l’argent en achat d’essence pour son véhicule et pour un repas au restaurant. Au cours d’un interrogatoire tenu par les enquêteurs le lendemain, il a admis avoir pris l’argent tout en prétendant qu’il avait l’intention de le remettre. Les deux billets de 20 $ restants ont été par la suite récupérés à son domicile, tout comme le CD.

[7]               Le 24 novembre 2005, M. Camara a été arrêté, puis accusé d’un vol de moins de 5 000 $ et d’abus de confiance. M. Camara a été également suspendu de ses fonctions avec solde.

[8]               Le 30 décembre 2005, M. Camara s’est vu signifier un avis d’intention de recommander la cessation du paiement de sa solde et de ses indemnités. Il a présenté des observations écrites relativement à cette question le 23 janvier 2006, et une autre série d’observations a été présentée par M. Camara le 16 février 2006.

[9]               Le 13 avril 2006, le Dirigeant principal des ressources humaines de la GRC a délivré une ordonnance de cessation de la solde et des indemnités (l’OCSI) de M. Camara, au motif que sa conduite avait été [traduction] « scandaleuse » et qu’elle avait compromis l’intégrité de la GRC. L’OCSI a été signifiée à M. Camara cinq jours plus tard.

[10]           Le 18 mai 2006, M. Camara a présenté un grief pour contester l’OCSI. Le 22 mai 2008, soit deux ans plus tard, son grief a été rejeté au premier niveau du processus de règlement des griefs.

[11]           Le 29 août 2008, M. Camara a plaidé coupable en Cour provinciale du Manitoba au chef d’accusation de vol de moins de 5 000 $ pour lequel une amende de 1 000 $ lui a été imposée. La Couronne a retiré son accusation d’abus de confiance. M. Camara a démissionné de la GRC le 23 septembre 2008, après avoir été suspendu sans solde pendant quelque 29 mois.

[12]           Dans l’intervalle, le 29 juin 2008, M. Camara a déposé un grief de niveau II concernant l’OCSI. Le grief a ensuite été renvoyé au Comité externe d’examen de la GRC (le CEE) aux fins d’examen. Le CEE est un organisme indépendant qui examine les questions de relations de travail au sein de la GRC, conformément au paragraphe 33(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC, 1985, c R-10 (la Loi sur la GRC).

[13]           Pour des raisons qui n’ont pas été expliquées, il a fallu quatre ans au CEE pour arrêter sa décision au sujet du grief de M. Camara et finalement formuler ses recommandations le 29 juin 2012.

[14]           Le CEE a conclu que l’OCSI n’était pas justifiée, car elle [traduction] « ne satisfaisait pas aux critères de la politique applicable ». Le CEE recommandait de plus que le commissaire de la GRC fasse droit au grief de M. Camara et que celui-ci récupère sa solde et ses indemnités jusqu’à la date de sa démission. Enfin, le CEE recommandait d’adopter une approche systématique en matière d’OCSI.

[15]           Le grief de M. Camara a donc été renvoyé au deuxième niveau de traitement des griefs pour décision. Il s’en est suivi un échange d’observations écrites, et, le 15 janvier 2013, le commissaire par intérim a rendu sa décision.

[16]           Le commissaire par intérim n’a pas accepté les recommandations du CEE. Après avoir examiné à nouveau le grief de M. Camara, le commissaire a conclu qu’il n’y avait pas eu de retard indu dans le cas de M. Camara et que la délivrance de l’OCSI était justifiée. Le grief de niveau II de M. Camara a donc été rejeté.

II.                Les questions en litige

[17]           M. Camara cherche à faire annuler la décision du commissaire par intérim et soutient que l’imposition de l’OCSI ne s’est pas faite en temps opportun. De plus, il prétend avoir été traité de façon inéquitable en raison du long retard dans le traitement du grief et de l’insuffisance des motifs du commissaire par intérim. Enfin, M. Camara affirme que la décision du commissaire par intérim était essentiellement déraisonnable.

III.             L’imposition en temps opportun de l’OCSI

[18]           Dans la mesure où M. Camara assimile le retard dans l’imposition de l’OCSI à une question d’équité, je suis disposée a examiner la décision du commissaire par intérim selon le critère de la décision correcte, bien que l’on puisse à tout le moins prétendre que les conclusions du commissaire sur cette question sont en fait contrôlables selon la norme de la décision raisonnable : voir, par exemple, l’arrêt Information and Privacy Commission c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] ACS no 61, aux paragraphes 30 à 32.

[19]           Devant le commissaire par intérim, M. Camara a fait valoir l’argument qu’il y avait eu un retard excessif entre la date du précédent contrôle de l’intégrité en juin 2005 et l’imposition de l’OCSI le 13 avril 2006. Or, M. Camara ne fait plus valoir que sa suspension était fondée en partie sur les résultats de ce précédent contrôle de l’intégrité, et je crois comprendre qu’il accepte maintenant que sa suspension était entièrement fondée sur les événements du 23 novembre 2005.

[20]           Le commissaire par intérim a constaté que [traduction] « le dernier élément de renseignement obtenu dans le cadre de l’enquête » concernant la conduite de M. Camara le 23 novembre 2005 avait été reçu le 19 décembre 2005. M. Camara s’est vu signifier un avis d’intention de recommander la cessation du paiement de sa solde et de ses indemnités le 30 décembre 2005.

[21]           En janvier et février 2006, des observations écrites ont été échangées entre les parties au sujet de la suspension du versement de la solde et des indemnités de M. Camara, et ce dernier aurait demandé au moins deux prorogations de délai pour produire ses observations écrites : voir le dossier du demandeur, à la page 461-A.

[22]           Le Dirigeant principal des ressources humaines de la GRC a délivré l’OCSI le 13 avril 2006. Le commissaire par intérim a par la suite conclu qu’il n’y avait [traduction] « pas de retards excessifs » dans le processus et que l’OCSI avait été imposée en temps opportun.

[23]           À cet égard, M. Camara ne m’a pas convaincue qu’il y avait une quelconque iniquité et n’a pas non plus expliqué en quoi il avait subi un préjudice du fait du retard qui se serait produit dans l’imposition de l’OCSI. De fait, il a admis à l’audience qu’il avait en fait profité du retard, ayant reçu sa solde et ses indemnités à compter de la date de sa suspension jusqu’au 13 avril 2006.

[24]           Outre la question de l’équité, M. Camara a aussi fait valoir que le retard dans l’imposition de l’OCSI démontrait que l’ordonnance n’était pas nécessaire pour protéger l’intégrité de la GRC. Cet argument porte en fait sur le caractère raisonnable de la décision du commissaire par intérim de confirmer l’imposition de l’OCSI, ce que nous aborderons plus loin dans les présents motifs.

IV.             La durée de l’OCSI

[25]           M. Camara reconnaît que la GRC a le pouvoir de suspendre sans solde des membres dans des circonstances appropriées. Il admet de plus que la procédure d’OCSI est administrative, plutôt que punitive, et qu’elle vise à protéger l’intégrité de la GRC.

[26]           Pourtant, M. Camara soutient qu’il a été suspendu sans solde ni indemnités pour une durée à ce point déraisonnable que l’on doit considérer l’OCSI comme une punition ayant toutes les allures d’un congédiement déguisé.

[27]           M. Camara cite l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Cabiakman c Industrielle-Alliance Cie d’Assurance sur la vie, 2004 CSC 55, [2004] 3 RCS 195, aux paragraphes 60 et 61, à l’appui de sa prétention de congédiement déguisé. D’ailleurs, M. Camara a introduit une action en Cour du Banc de la Reine du Manitoba pour congédiement injustifié, une action qui est de toute évidence suspendue dans l’attente de l’issue de la présente instance.

[28]           À l’appui de sa prétention selon laquelle il a fait l’objet de sanctions punitives par le truchement de l’imposition de l’OCSI, M. Camara fait valoir les deux années qu’il a fallu pour qu’une décision soit prise au premier niveau du processus de grief dans son cas, les quatre ans pendant lesquels le cas était porté devant le CEE, et les sept mois qu’il a fallu au commissaire par intérim pour qu’il rende sa décision au deuxième niveau du processus des griefs.

[29]           L’OCSI était en vigueur dans l’attente de l’issue du processus disciplinaire engagé contre M. Camara. Son audience disciplinaire devait avoir lieu le 3 décembre 2007 – moins de huit mois après l’imposition de l’OCSI. L’audience a été ajournée, bien que les motifs de l’ajournement ne soient pas bien clairs au vu du dossier dont je dispose. Il est également difficile de savoir au vu du dossier si M. Camara a consenti ou non à l’ajournement. Rien n’indique cependant que M. Camara se soit arrangé pour faire accélérer l’audience disciplinaire.

[30]           L’audience disciplinaire de M. Camara a été fixée de nouveau pour septembre 2008. Toutefois, en août 2008, M. Camara a plaidé coupable de l’accusation de vol de moins de 5 000 $, et l’affaire a été reportée d’un mois aux fins de la détermination de la peine.

[31]           M. Camara a démissionné de la GRC le 23 septembre 2008 – juste au moment où son audience disciplinaire devait commencer. Il est admis qu’à compter de cette date, il n’avait plus le droit de recevoir sa solde et ses indemnités.

[32]           Le CEE a examiné et rejeté la prétention de retard indu de M. Camara, faisant observer que la durée de l’OCSI était tributaire de la durée du processus disciplinaire. Le CEE n’a relevé ni preuve de mauvaise foi de la part de la GRC ni preuve que l’OCSI avait été en vigueur plus que le temps nécessaire.

[33]           Le commissaire par intérim a également rejeté la prétention de retard indu de M. Camara, au motif que le dossier ne faisait état d’aucun retard entourant l’audience disciplinaire. Par voie de conséquence, le commissaire a conclu que la durée de l’OCSI était raisonnable.

[34]           Comme M. Camara est celui qui veut établir qu’un retard administratif était tel qu’il entraînait un manquement à l’obligation d’équité procédurale, il lui incombe d’établir que le retard était inacceptable au point d’être oppressif et de vicier la procédure en cause : Blencoe c Colombie-Britannique (Human Rights Commission), 2000 CSC 44, [2000] 2 RCS 307, au paragraphe 121[1].

[35]           Or, la question ne se résume pas à la longueur du retard. De plus, il convient de tenir compte des circonstances particulières du cas, notamment la mesure dans laquelle la partie qui allègue le retard y a contribué ou y a renoncé : Blencoe, au paragraphe 122. Voir aussi la décision Panula c Canada (Procureur général) (24 février 2014), Ottawa T-62-12, 2014 CanLII 13154 (CF), au paragraphe 41.

[36]           Le dossier révèle qu’une partie au moins du retard est attribuable à M. Camara, car il a demandé et obtenu de nombreuses prorogations de délai pour présenter des observations écrites à diverses étapes du processus de grief. Certes, ces prorogations ne comptent pas pour tout le temps écoulé, mais M. Camara n’a guère fourni de preuves concrètes pour étayer ses affirmations d’iniquité procédurale causée par les retards dans son cas, et se fonde largement sur de simples assertions d’iniquité et de préjudice.

[37]           Bien que je convienne que les retards subis dans le processus de règlement du grief et dans celui du CEE sont regrettables, je n’ai pas été convaincue, pour ma part, au vu du dossier, qu’ils étaient inacceptables au point d’être oppressifs et de vicier la procédure en cause, et qu’ils avaient causé un préjudice grave à M. Camara. M. Camara ne m’a pas non plus convaincue que les conclusions du commissaire par intérim à cet égard étaient déraisonnables.

V.                Le caractère raisonnable de la décision du commissaire par intérim

[38]           La section D.9 de la Politique de suspension de la GRC (chapitre XII.5 du Manuel d’administration de la GRC) dispose qu’un membre peut être faire l’objet d’une suspension sans solde « dans des circonstances extrêmes où il serait inapproprié de payer un membre ».

[39]           La section D.9.a de la Politique dispose que chaque cas doit être apprécié individuellement et que la cessation de la solde et des indemnités sera envisagée si le membre « est manifestement impliqué dans la perpétration d’un délit qui contrevient à une loi du Parlement ou au code de déontologie, et ce, dans des circonstances scandaleuses susceptibles de porter sérieusement atteinte à la bonne exécution de ses fonctions dans le cadre de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada » [non souligné dans l’original].

[40]           La section D.10 de la Politique précise que « la cessation du versement de la solde et des indemnités ne s’applique pas à une déclaration sommaire de culpabilité, à une violation d’une loi provinciale ou à une infraction mineure au Code criminel ».

[41]           M. Camara fait valoir que la décision du commissaire par intérim de confirmer l’OCSI était déraisonnable, puisque sa conduite avait fait l’objet d’une déclaration sommaire de culpabilité et que la section D.10 de la Politique de suspension de la GRC dit clairement que la cessation de la solde et des indemnités ne s’applique pas à une déclaration sommaire de culpabilité ou à une infraction mineure au Code criminel.

[42]           Le commissaire par intérim a examiné et rejeté cet argument, et a fait observer que les infractions au Code de déontologie qui enclenchent le processus disciplinaire prévu à la Loi sur la GRC ne sont ni des actes criminels ni des infractions punissables par procédure sommaire. Le commissaire par intérim a de plus fait observer que, de toute façon, un vol de moins de 5 000 $ constitue une infraction hybride et que la Couronne n’avait pas arrêté son choix quant à la façon de procéder au moment où l’OCSI avait été imposée.

[43]           Le commissaire par intérim a reconnu que l’arbitre au niveau I avait mal interprété la Politique de suspension, mais s’est dit néanmoins convaincu que la décision de délivrer l’OCSI était conforme à la loi ainsi qu’aux politiques de la GRC et du Conseil du Trésor.

[44]           À mon sens, l’interprétation qu’a faite le commissaire par intérim de la Politique de suspension de la GRC était raisonnable. Les allégations contre M. Camara étaient davantage qu’une simple infraction au droit criminel : elles constituaient ce qui était à l’époque un manquement allégué au Code de déontologie de la GRC. Par conséquent, l’affaire relevait de la section D.9.a de la Politique de suspension, et la question que devait trancher le commissaire par intérim était de savoir si l’inconduite alléguée de M. Camara était à ce point scandaleuse qu’elle était susceptible de porter sérieusement atteinte à la bonne exécution de ses fonctions dans le cadre de la Loi sur la GRC.

[45]           M. Camara note que, selon les conclusions du CEE, sa conduite ne constituait pas un acte scandaleux, mais était plutôt de l’ordre d’une infraction criminelle mineure pour laquelle une amende lui a été imposée. Il soutient de plus que la décision du commissaire par intérim était déraisonnable, n’ayant pas expliqué pourquoi il avait rejeté les conclusions du CEE et en quoi sa conduite était [traduction] « scandaleuse » au point de justifier une OCSI.

[46]           Cette prétention est dénuée de fondement. Un examen de la décision du commissaire par intérim, en particulier les paragraphes 129 à 131 de celle-ci, révèle précisément pourquoi le commissaire par intérim n’a pas accepté les conclusions du CEE et pourquoi il estimait que la conduite de M. Camara était scandaleuse.

[47]           Le commissaire par intérim s’est dit d’avis que M. Camara était [traduction] « manifestement impliqué » dans l’appropriation de l’argent sans justification légitime. Le commissaire s’est dit [traduction] « complètement en désaccord » avec la conclusion du CEE selon laquelle cela ne constituait pas un acte scandaleux, et a ajouté que M. Camara [traduction] « a[vait] profité d’une fouille légitime […] pour se livrer à des actes malhonnêtes ».

[48]           Il a de plus fait observer que M. Camara [traduction] « n’a[vait] pas “seulement” volé 100 $ en espèce ». Dans la mesure où M. Camara en était conscient, ce dernier s’appropriait un élément de preuve obtenu dans le cours d’une fouille légitime autorisée par un tribunal, et exécutée dans le contexte d’une enquête criminelle. Pour le commissaire par intérim, l’acte commis par M. Camara [traduction] « s’attaqu[ait] à l’essence même de l’activité policière ».

[49]           De plus, le commissaire par intérim a fait observer que le montant du vol n’était pas en cause. Étant donné que l’on croyait que l’argent était un élément de preuve, M. Camara ne pouvait pas simplement le remplacer le lendemain du vol. M. Camara a reconnu lors de l’audition devant moi que les billets de remplacement n’auraient pas comporté les mêmes traces d’empreintes digitales ou de résidus de drogue qui auraient été présentes sur l’argent volé à l’origine. D’ailleurs, s’il s’était agi d’une véritable enquête criminelle, la conduite de M. Camara aurait pu compromettre toute poursuite subséquente.

[50]           Le commissaire par intérim a estimé à juste titre que la conduite de M. Camara jetait un doute sur [traduction] « son intégrité, son honnêteté et sa moralité », compromettant ainsi son efficience et l’intégrité de la GRC. Il a souligné que les actions de M. Camara risquaient aussi de compromettre l’administration de la justice en influant sur l’issue du processus judiciaire d’autrui.

[51]           Le commissaire par intérim a conclu que la conduite de M. Camara constituait un [traduction] « abus absolu de la position de confiance dont jouit un agent de police ». Il a jugé qu’avec ses 18 ans d’expérience, M. Camara aurait dû être pleinement conscient de l’importance de préserver l’intégrité de la preuve. C’était là une conclusion que le commissaire par intérim était tout à fait en droit de tirer au vu du dossier dont il disposait.

[52]           Le commissaire par intérim était donc convaincu que le cas de M. Camara [traduction] « comportait des circonstances extrêmes où il aurait été peu approprié de continuer à rémunérer le requérant ».

[53]           La jurisprudence reconnaît que le commissaire de la GRC dispose d’une vaste expérience dans l’appréciation des exigences du travail policier, notamment pour ce qui concerne les comportements professionnels des agents qui risquent de nuire à l’intégrité et au professionnalisme de la GRC : voir Elhatton c Canada (Procureur général), 2013 CF 71, [2013] ACF no 58, au paragraphe 30. Voir aussi Millard c Canada (Procureur général), [2000] ACF no 279, 253 NR 187 (CAF), au paragraphe 9.

[54]           Par conséquent, les mises en garde de la Cour suprême quant à la déférence dont il convient de faire preuve envers des décideurs administratifs comme le commissaire par intérim sont particulièrement pertinentes en l’espèce : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 48.

[55]           La conclusion du commissaire par intérim selon laquelle la conduite de M. Camara était [traduction] « scandaleuse », justifiant une suspension administrative de sa solde et de ses indemnités, a été clairement expliquée et appartient effectivement, au sens de l’arrêt Dunsmuir, aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Je ne vois aucune raison de modifier cette décision.

VI.             Conclusion

[56]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire de M. Camara sera rejetée. Conformément à l’entente conclue entre les parties, la défenderesse a droit aux dépens, que je fixe à 500 $, y compris les débours et les taxes.

VII.          Intitulé

[57]           Avec le consentement des parties, l’intitulé est modifié en remplaçant par celui de Sa Majesté la Reine du chef du Canada le nom de la partie défenderesse dans la présente cause.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.                  la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

2.                  avec le consentement des parties, l’intitulé est modifié en remplaçant par celui de Sa Majesté la Reine du chef du Canada le nom de la partie défenderesse dans la présente cause;

 

3.                  les dépens sont adjugés à la défenderesse et fixés à 500 $, y compris les débours et les taxes.

 

 

« Anne L. Mactavish »

juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-394-13

 

INTITULÉ :

NUNO CAMARA c SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 AVRIL 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

 

LE 9 MAI 2014

COMPARUTIONS :

Richard M. Beamish

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Meghan Riley

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Tapper Cuddy LLP

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 



[1] Je note que l’arrêt Blencoe et la décision Panula n’ont pas été cités à l’origine par la défenderesse, et n’ont été invoqués que dans les observations présentées après l’audience. Étant donné que M. Camara a eu l’occasion de répondre aux observations additionnelles de la défenderesse, je suis disposée à examiner cette jurisprudence. Toutefois, je ne saurais examiner des observations faites par la défenderesse dont les éléments de preuve à l’appui sont absents du dossier.

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