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Date : 20130917

Dossier : T‑457‑12

Référence : 2013 CF 958

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 17 septembre 2013

En présence de monsieur le juge Manson

 

Entre :

 

LEON WALCHUK

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

CANADA (MINISTRE DE LA JUSTICE)

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

 

           MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, de la décision par laquelle l’honorable Rob Nicholson, ministre de la Justice, [le ministre] a rejeté la demande de révision du demandeur de sa déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré, demande qui était fondée sur le paragraphe 696.1(1) du Code criminel, LRC 1985, c C‑46 [le Code].

 

I.          Contexte

[2]               Le 14 juin 2000, le demandeur, Leon Walchuk, a été reconnu coupable du meurtre au deuxième degré de son épouse, Corrine Walchuk [la victime]. Il a été condamné à l’emprisonnement à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 16 ans. Au moment de la mort de la victime, les époux étaient séparés depuis quatre ans et vivaient un divorce acrimonieux.

 

[3]               Les parties ne contestent pas les circonstances générales entourant la mort de la victime. Le 30 mars 1998, vers 19 heures, la victime s’est rendue en voiture à la ferme du demandeur pour le rencontrer. Environ 20 minutes plus tard, la voiture de la victime se trouvait dans la maison de ferme, la victime gisait au sous‑sol avec des blessures graves à la tête et la maison était en feu. Le demandeur a appelé le service des incendies par l’entremise de sa mère à 19 h 24 et des voisins et les enfants du demandeur sont arrivés peu après. Avant l’arrivée des pompiers à 19 h 40, le demandeur n’a mentionné à personne que la victime se trouvait au sous‑sol. La cause immédiate du décès de la victime était l’inhalation de fumée, mais elle avait également subi un grave traumatisme crânien après que le demandeur l’eut battue avec un bâton de hockey, ce qui lui aurait probablement fait perdre conscience avant l’incendie. La preuve indiquait également qu’elle avait été traînée sur le sol et dans l’escalier vers le sous‑sol. La défense et le ministère public ont fait appel à des pathologistes judiciaires. Malgré leurs divergences quant à la gravité des blessures à la tête qu’a subies la victime, les pathologistes judiciaires se sont entendus pour dire que si ses blessures avaient été traitées, elle aurait survécu. 

 

[4]               Le juge du procès a adopté la thèse du ministère public selon laquelle le demandeur avait gravement battu la victime avec un bâton de hockey, l’avait laissée au sous‑sol, avait versé de l’essence sur les marches de l’escalier et un palier, et avait mis le feu avec une allumette, la tuant intentionnellement. Le juge a aussi souscrit à la thèse qu’un accélérateur avait été utilisé, au paragraphe 26 de sa décision, et que l’incendie n’était pas d’origine électrique – causé par l’automobile qui s’était retrouvée dans la maison –, au paragraphe 16. Au procès, les parties ont appelé différents témoins experts, dont James Fairbank, qui a déclaré qu’un accélérateur avait été utilisé pour allumer l’incendie. Arthur Hunter a, quant à lui, témoigné que l’incendie ne tirait pas son origine d’une défaillance du véhicule.

 

[5]               Outre ces témoignages d’experts, le juge a souligné d’autres éléments de preuve circonstancielle militant en faveur de la culpabilité du demandeur :

            •     il avait gravement battu la victime et l’avait laissée au sous‑sol;

            •     il n’a pas immédiatement dit à quelqu’un qu’elle se trouvait à l’intérieur de la maison;

            •     il a caché des effets personnels à l’extérieur de la maison de ferme, comme on le fait souvent lors d’un incendie criminel;

            •     il avait des projets concernant une nouvelle résidence, mais n’avait pas d’argent;

•     il a manifesté de la surprise devant un policier banalisé relativement au fait que la maison de ferme n’avait pas explosé;

•     le soir de la mort de la victime, il s’agissait de la première fois que les enfants ne se trouvaient pas à la maison de ferme à 19 heures pour que la victime passe les prendre;

            •     il avait proféré des menaces graves envers la victime dans le passé;

            •     il a indiqué clairement qu’aucune autre personne n’était la bienvenue sur la propriété ce soir‑là;

            •     son litige financier avec la victime pouvait avoir été un mobile du meurtre.

 

[6]               Selon la thèse de la défense, la victime est devenue folle de rage, a roulé avec la voiture jusque dans la maison de ferme pour tenter de tuer le demandeur, qu’elle a par la suite battu avec un bâton de hockey, le pourchassant jusqu’au sous‑sol. Le demandeur a alors réussi à s’emparer du bâton de hockey et a battu la victime avec celui‑ci. Il a alors quitté le sous‑sol, a constaté qu’il y avait un incendie, a tenté de l’éteindre avec sa veste et n’a pas réussi à le faire. Il a entendu la victime crier, mais à ce moment‑là, il ne pouvait rien faire pour l’aider.

 

[7]               La déclaration de culpabilité du demandeur a été confirmée en appel le 5 mars 2001, après que la Cour d’appel de la Saskatchewan eut conclu que James Fairbank avait les compétences nécessaires pour être reconnu comme témoin et que ses méthodes d’enquête étaient appropriées. La Cour d’appel a de plus estimé que le juge du procès s’était à juste titre appuyé sur le reste de la preuve.

 

[8]               En 2006, le demandeur a pressenti l’Innocence Project à Osgoode Hall pour obtenir de l’aide pour son cas. Le 12 février 2009, le demandeur a présenté une demande au ministre en application de l’article 696.1 du Code. À l’appui de sa demande, il a soumis trois rapports contredisant la preuve d’opinion présentée par le ministère public lors de son procès. Il s’agissait de rapports rédigés par Peter Pendlebury, Gerald Hurst et Jack Henderson, experts en matière d’incendie et d’incendie criminel, qui indiquaient tous que :

i)        rien n’étayait l’opinion voulant qu’un accélérateur ait été utilisé;

ii)      l’opinion selon laquelle il ne pouvait pas s’agir d’un incendie d’origine électrique était erronée.

 

[9]               Le 21 septembre 2010, le demandeur a reçu le rapport d’enquête du Groupe de la révision des condamnations criminelles [GRCC] du ministère de la Justice. Ce rapport contenait une opinion rédigée par Peter Senez, consultant expert en matière d’incendie dont le GRCC avait retenu les services. M. Senez déclarait que la thèse de l’incendie présentée dans le rapport de M. Fairbank était erronée et que celle concernant l’origine et la cause de l’incendie présentée par les rapports de MM. Pendlebury, Hurst et Henderson était crédible. Il a également écrit qu’il existait toujours suffisamment d’éléments de preuve circonstancielle pour justifier la prise en compte d’un incendie volontaire. Toutefois, le poids accordé à ces éléments de preuve dépendait de la question de savoir si la preuve présentée par MM. Hunter et Davies était acceptée.

 

[10]           Le 1er novembre 2010, le demandeur a présenté des observations finales au ministre en réponse au rapport du GRCC.

 

[11]           Le 4 novembre 2011, le ministre a rejeté la demande du demandeur fondée sur l’article 696.1. Le ministre a examiné les rapports et a reconnu qu’ils [traduction] « mettent en doute » à la fois les conclusions de M. Fairbank et celles de M. Davies. Toutefois, il a souligné qu’une mesure de réparation en vertu de l’article 696.1 était une mesure exceptionnelle et que même si un accélérateur n’avait pas été utilisé pour allumer le feu, il restait suffisamment d’éléments de preuve circonstancielle pour que le juge du procès puisse conclure que le demandeur avait eu l’intention de tuer la victime. À l’appui de cette conclusion, le ministre a renvoyé aux éléments de preuve circonstancielle décrits précédemment.

 

II.                Questions en litige

[12]           La présente demande soulève les questions suivantes :

A.    Que signifie l’expression « erreur judiciaire »?

B.     La décision du ministre était‑elle raisonnable?

 

III.       Norme de contrôle judiciaire

A.  Position du demandeur

[13]           Le demandeur soutient que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte. Premièrement, il soutient que la question de savoir ce que constitue une « erreur judiciaire » est d’une importance capitale pour le système juridique et que l’importance de la réponse déborde le fonctionnement du régime législatif en cause. La question de l’erreur judiciaire figure tout au long du Code relativement aux appels en matière criminelle, à la formation d’un nouveau jury à l’occasion d’un procès et aux pouvoirs des cours d’appel provinciales, de même que dans d’autres lois comme la Loi sur la Cour suprême, LRC 1985, c S‑26, au paragraphe 65.1(2), et la Loi sur la défense nationale, LRC 1985, c N‑5, à l’article 241. De plus, l’interprétation de l’expression « erreur judiciaire » ne relève pas de l’expertise du ministre : le Code n’est pas la loi habilitante du ministre ni ne relève de ses fonctions principales ou de son expertise, situations qui commandent de faire preuve de déférence envers d’autres régimes administratifs (Commission canadienne des droits de la personne c Canada, 2011 CSC 53 au paragraphe 24). Par conséquent, la norme de contrôle applicable à l’égard de cette question est celle de la décision correcte (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 89).

 

[14]           Deuxièmement, l’article 696.3 ne confère pas au ministre le pouvoir de trancher des questions de droit. En l’absence d’un pouvoir expressément prévu, l’interprétation d’une loi par le ministre responsable de sa mise en œuvre est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, à moins que le législateur n’en ait décidé autrement (Georgia Strait Alliance c Canada (Ministre des Pêches et des Océans), 2012 CAF 40 au paragraphe 86).

 

[15]           Troisièmement, en présence d’une compétence parallèle pour interpréter une loi, la présomption relative à la raisonnabilité sera réfutée (Rogers Communications Inc c Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2012 CSC 35 aux paragraphes 14 et 15). Différents tribunaux dans plusieurs affaires se sont penchés sur l’interprétation de l’expression « erreur judiciaire » (Renvoi relatif à Milgaard, [1992] 1 RCS 866; Re Truscott, 2007 ONCA 575 au paragraphe 58).

 

B.  Position du défendeur

[16]           Le défendeur soutient que la décision du ministre devrait être contrôlée selon la norme de la raisonnabilité. Premièrement, le paragraphe 696.3(4) contient une clause privative visant toute demande relative à une erreur judiciaire, ce qui justifie l’application de la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir, au paragraphe 52).

 

[17]           Deuxièmement, les facteurs dont le ministre doit tenir compte en vertu de l’article 696.4 lorsqu’il se prononce sur une demande relative à une erreur judiciaire sont extrêmement larges et ce pouvoir devrait être exercé uniquement dans des circonstances « extraordinaires », ce qui tend à indiquer qu’il faut faire preuve de déférence (Dunsmuir, au paragraphe 89).

 

[18]           Troisièmement, l’article 696.3 est fondé sur la prérogative royale de clémence, qui n’est habituellement pas susceptible de révision par les tribunaux (Thatcher c Canada (Procureur général), [1997] 1 CF 289). Bien que la mention de cette prérogative ait été éliminée en 2002, les remarques préliminaires faites par la ministre de la Justice d’alors, Anne McLellan, indiquent que les nouvelles dispositions étaient également fondées sur la prérogative de clémence (Délibérations du comité sénatorial permanent des Affaires juridiques et constitutionnelles, fascicule 20 – Témoignages (le 5 décembre 2001) [Délibérations du comité sénatorial permanent]).

 

[19]           Ce pouvoir discrétionnaire tire son origine dans la prérogative royale (Bilodeau c Canada, 2009 QCCA 746 au paragraphe 25; McArthur c Ontario (Procureur général), 2012 ONSC 5773 au paragraphe 22). De plus, les tribunaux ont statué depuis que l’exercice de ce pouvoir était susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable (Bilodeau c Canada (Ministre de la Justice), 2011 CF 886 au paragraphe 64; Daoulov c Canada (Procureur général), 2008 CF 544 au paragraphe 22).

 

C.  Quelle est la norme applicable?

[20]           L’approche à adopter pour déterminer la norme de contrôle appropriée est énoncée dans l’arrêt Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 au paragraphe 48 :

Notre Cour à (sic) décidé dans l’arrêt Dunsmuir que pour déterminer la norme de contrôle appropriée, la cour saisie d’une demande de contrôle judiciaire doit entreprendre un processus en deux étapes. Premièrement, elle doit vérifier si la jurisprudence établit de manière satisfaisante le degré de retenue correspondant à une catégorie de questions soulevées dans la demande de contrôle judiciaire. La deuxième étape s’applique lorsque cette première démarche se révèle infructueuse ou si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente du droit en matière de contrôle judiciaire. À cette deuxième étape, la cour entreprend une analyse complète en vue de déterminer la norme applicable.

 

 

[21]           Nonobstant la position convaincante et bien présentée de l’avocat du demandeur selon laquelle je devrais m’écarter des décisions Thatcher, Bilodeau (2009), Bilodeau (2011), McArthur et Daoulov, je dois refuser de le faire. À mon avis, cette jurisprudence et l’arrêt Agraira que la Cour suprême a rendu récemment établissent de façon satisfaisante la norme de contrôle. Dans l’arrêt Agraira, la Cour a traité de l’exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel dans un contexte qui exigeait l’interprétation parallèle de l’expression « intérêt national ». Pour ce faire, la Cour a rejeté la norme de contrôle à deux volets qu’a proposée la Cour d’appel fédérale et a appliqué la norme de la décision raisonnable à la fois à l’exercice du pouvoir discrétionnaire et à l’interprétation de l’expression « intérêt national ». Même si l’interprétation de l’expression « intérêt national » fait intervenir des facteurs différents de ceux qui sous‑tendent l’interprétation de l’expression « erreur judiciaire », je suis convaincu que l’arrêt Agraira, lorsqu’il est lu avec le reste de la jurisprudence citée par le défendeur, est déterminant quant à l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable en l’espèce.

 

IV.       Analyse

A.     L’interprétation de l’expression « erreur judiciaire » par le ministre était‑elle raisonnable?

[22]           Dans sa décision, le ministre n’a pas défini explicitement l’expression « erreur judiciaire ». Comme dans l’affaire Agraira, il appartient en l’espèce à la Cour d’évaluer le caractère raisonnable de l’interprétation implicite du ministre, exercice à l’égard duquel l’absence d’une définition explicite n’a pas pour conséquence de diminuer la déférence à laquelle a droit le ministre (Agraira, au paragraphe 63).

 

[23]           À la page 7 de sa décision, le ministre écrit ce qui suit :

[traduction] Même en supposant qu’un accélérateur n’est pas à l’origine de l’incendie qui a tué la victime, je suis d’avis qu’il reste des éléments de preuve convaincants indiquant que M. Walchuk avait l’intention de tuer la victime, en me fondant sur ce qui suit […] Me fondant sur les conclusions du juge du procès, j’estime que ces nouveaux rapports, pris isolément ou ensemble, n’auraient pas eu d’incidence sur sa décision de prononcer une déclaration de culpabilité de toute manière.

 

[24]           Dans mon esprit, l’interprétation implicite du ministre, axée sur la question de savoir si le demandeur aurait été déclaré coupable nonobstant la preuve d’expert supplémentaire, était raisonnable. Cette interprétation implicite est raisonnable parce qu’elle correspond à l’analyse selon l’approche moderne à l’égard de l’interprétation législative, qui nécessite la prise en compte du « libellé explicite de cette disposition, ainsi [que] son historique législatif, son objet manifeste et son contexte législatif » (Agraira, au paragraphe 64).

 

[25]           Le demandeur nous fournit un point de départ utile en citant le Black’s Law Dictionary, qui définit l’erreur judiciaire comme étant une situation où [traduction] « [u]ne issue extrêmement injuste dans une procédure judiciaire, comme le cas où un défendeur est déclaré coupable malgré une absence de preuve relativement à un élément essentiel du crime ».

 

[26]           Le demandeur et le défendeur ne semblent pas être en désaccord de façon générale : l’interprétation de l’expression « erreur judiciaire » dans son sens ordinaire signifie qu’une personne est reconnue coupable pour un crime qu’elle n’a pas commis.

 

[27]           Cette approche fondée sur le sens ordinaire est étayée par les antécédents législatifs qui expriment l’objet de la disposition. Dans les Délibérations du comité sénatorial permanent, la ministre d’alors, Mme McLellan, a décrit la modification comme incluant l’expression « erreur judiciaire » :

[…] Le processus de révision des condamnations vise les personnes qui ont déjà épuisé toutes les autres possibilités d’appel judiciaire et qui prétendent qu’elles ont été condamnées injustement.

 

[28]           Le demandeur soutient également que l’interprétation peut être étayée par la mention de la disposition réparatrice prévue au sous‑alinéa 686(1)b)(iii) du Code, qui permet à une cour de rejeter un appel malgré la présence d’une erreur au procès, dans les cas où la cour est d’avis « qu’aucun tort important ou aucune erreur judiciaire grave ne s’est produit ».

 

[29]           Pour définir les circonstances qui empêchent le recours à la disposition réparatrice, diverses affaires ont circonscrit l’interprétation de l’expression « erreur judiciaire », dont voici des exemples :

            •     « […] s’il existe une possibilité qu’un juge du procès ait un doute raisonnable d’après les éléments de preuve admissibles » (R c S (PL), [1991] 1 RCS 909, au paragraphe 14);

            •     « […] le verdict aurait nécessairement été le même si cette erreur ne s’était pas produite » (R c Bevan, [1993] 2 RCS 599, au paragraphe 42);

            •     [traduction] « […] il y a erreur judiciaire […] s’il y a confirmation de la déclaration de culpabilité en présence de nouveaux éléments de preuve qui rendent la déclaration de culpabilité douteuse compte tenu des faits » (Re Truscott, 2007 ONCA 575 au paragraphe 110).

 

[30]           Le demandeur fait valoir que l’examen des autres éléments de preuve existants n’est pas pertinent, citant le Renvoi relatif à Milgaard, [1992] RCS 166, au paragraphe 19, pour affirmer que malgré l’existence d’éléments de preuve admissibles, le maintien de la déclaration de culpabilité constituerait une erreur judiciaire s’il n’y avait pas la possibilité d’examiner les nouveaux éléments de preuve. Ce faisant, le demandeur soutient que la question qu’il faut se poser pour savoir s’il y a eu une erreur judiciaire, est la suivante : [traduction] « Existe‑t‑il une possibilité qu’un juge des faits puisse avoir un doute raisonnable quant aux éléments de preuve admissibles? »

 

[31]           Le fondement de l’ancien article 690 du Code sur la prérogative de clémence est à mon avis le même pour l’article 696.1 du Code : une protection contre les erreurs du système de justice criminelle qui donnent lieu à une déclaration de culpabilité erronée. Dans ce contexte, une erreur survient lorsque de nouveaux éléments de preuve mèneraient inévitablement à une déclaration de culpabilité erronée. Par conséquent, je ne suis pas d’accord avec le demandeur lorsqu’il soutient que les autres éléments de preuve ne devraient pas être pris en compte lors de l’examen de la question de savoir s’il y a eu erreur judiciaire. Le demandeur cite l’arrêt R c John, [1985] 2 RCS 476, au paragraphe 9, pour affirmer qu’on ne peut s’attendre à ce qu’une cour de révision retire ou insère des éléments de preuve dans le dossier et se demande si le verdict serait le même. Or, c’est précisément la tâche entreprise lors de l’examen de nouveaux éléments de preuve en appel suivant le critère énoncé dans l’arrêt R c Palmer, [1980] 1 RCS 759. Il ne semble y avoir aucune raison de principe de ne pas le faire dans le contexte de l’article 696.1 du Code.

 

[32]           Compte tenu de ce qui précède, je suis d’avis que l’interprétation implicite du ministre de l’expression « erreur judiciaire », qui est axée sur la question de savoir si le demandeur aurait été reconnu coupable nonobstant la nouvelle preuve d’expert, était raisonnable.

 

B.  La décision du ministre était‑elle raisonnable?

[33]           Je suis d’avis que la décision du ministre est raisonnable.

 

[34]           Le demandeur soutient que le ministre n’a pas examiné la distinction entre le meurtre et l’homicide involontaire coupable dans le Code. Pour établir qu’il y a eu meurtre, le ministère public doit prouver hors de tout doute raisonnable que le demandeur avait l’intention de causer la mort de la victime ou savait qu’il y avait un danger que sa conduite cause la mort de sa femme et a persisté malgré ce risque (l’article 229 du Code, R c Hinchey, [1996] 3 RCS 1128, au paragraphe 110).

 

[35]           Pour satisfaire au critère relatif au meurtre, les actes d’un accusé doivent avoir constitué une « cause ayant contribué de façon appréciable » au décès, et, en ce qui concerne l’état mental, il devait y avoir une « prévision subjective de la mort » (R c Nette, 2001 CSC 78 au paragraphe 69; R c Martineau, [1990] 2 RCS 633, au paragraphe 12). Dans le cas de l’homicide involontaire coupable (mort au moyen d’un acte illicite ou de la négligence criminelle), les exigences sont différentes. Dans le cas de la mort au moyen d’un acte illicite, le ministère public doit prouver la mens rea et démontrer que l’accusé aurait dû prévoir le risque de lésions corporelles qui ne sont ni sans importance ni de nature passagère (R c Creighton, [1993] 3 RCS 3, au paragraphe 78). Cette distinction est importante en raison des peines minimales obligatoires, de la stigmatisation accrue et de l’admissibilité limitée à la libération conditionnelle pour le meurtre par rapport à l’homicide involontaire coupable. Le demandeur soutient que les nouveaux éléments de preuve fournis nécessitent une analyse de la causalité plus détaillée, étant donné qu’il a été démontré que les éléments de preuve sur lesquels s’est appuyé le juge (l’utilisation d’un accélérateur pour causer l’incendie) pour déclarer le demandeur coupable de meurtre étaient erronés. 

 

[36]           Le demandeur conteste également plusieurs affirmations du ministre concernant la preuve circonstancielle. La contestation la plus pertinente est celle selon laquelle le ministre a commis une erreur en s’appuyant exclusivement sur la preuve circonstancielle. Comme il est indiqué dans le rapport de M. Senez, une telle preuve n’est probante que si la preuve présentée par MM. Davies et Hunter est admise. Étant donné qu’il a été démontré que la preuve de M. Davies était peu vraisemblable, le demandeur soutient qu’il était déraisonnable de la part du ministre de s’appuyer sur celle‑ci.

 

[37]           Le défendeur paraphrase WR c Canada (Ministre de la Justice), [1999] ACF no 1059, au paragraphe 10 [WR], pour invoquer un ensemble de principes directeurs qui devraient guider le ministre pour l’exercice de ce qui était alors la prérogative royale. Le défendeur invoque principalement ces principes pour montrer que le rôle du ministre ne consiste pas à exercer une compétence en matière d’appel à l’égard des tribunaux, et qu’il ne devrait faire droit au recours fondé sur cet article qu’après un examen minutieux du rôle que doit jouer chacun des décideurs en cause et des circonstances de l’affaire en cause. 

 

[38]           Aucun des nouveaux rapports d’expert n’a conclu que l’incendie était d’origine accidentelle ni n’a exclu la possibilité que le demandeur ait allumé l’incendie d’une autre manière. Selon les rapports, il est tout à fait possible que le demandeur ait allumé l’incendie après avoir conduit la voiture de la victime sur la galerie. En l’ajoutant à d’autres éléments de preuve circonstancielle, il existe un fondement suffisant pour conclure raisonnablement que le demandeur a intentionnellement allumé l’incendie. Le ministre souligne également que ces rapports [traduction] « ne pouvaient pas conclure que (le demandeur) n’avait pas intentionnellement allumé l’incendie d’une autre manière ou dans un autre lieu. »

 

[39]           Selon le rapport de M. Senez, le poids à accorder à la question de savoir s’il y a eu un incendie volontaire est fonction de la certitude de la cour quant à l’exclusion à la fois d’un feu causé par le véhicule ou d’un feu d’origine électrique. Le ministre a raison de dire qu’il est peu probable que les origines de l’incendie seront un jour établies de façon concluante. Ainsi, la déclaration de culpabilité pour meurtre du demandeur s’appuie davantage sur la preuve circonstancielle présentée au juge du procès.

 

[40]           De plus, les autres questions soulevées par le demandeur concernant l’examen de la preuve circonstancielle par le ministre sont une tentative de plaider à nouveau des questions qui n’ont pas été soulevées en appel.

 

[41]           Même si la nouvelle preuve d’expert modifie les éléments nécessaires pour conclure hors de tout doute raisonnable que le demandeur était coupable de meurtre au deuxième degré, il convient de faire preuve de déférence envers le ministre relativement à la décision qu’il a prise. Je suis d’accord que, comme dans l’affaire WR, la décision du ministre d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article est un recours extraordinaire et qu’il y a lieu de prendre en compte les différents décideurs en cause. Il ne s’agit pas d’un quatrième niveau d’appel.

 

[42]           Je rejette l’argument du demandeur selon lequel le ministre a omis d’examiner la distinction entre l’homicide involontaire coupable et le meurtre. Dans sa décision, le ministre déclare qu’il a conclu, peu importe la teneur de la preuve d’expert, que le demandeur a intentionnellement allumé l’incendie qui a tué la victime. Cette conclusion est nécessaire pour conclure que le demandeur était coupable de meurtre au deuxième degré. 

 

[43]           Compte tenu de la retenue dont il convient de faire preuve envers la décision du ministre en vertu de l’article 696.1 du Code, la décision du ministre était raisonnable. De nombreux éléments de preuve circonstancielle appuient la déclaration de culpabilité du demandeur pour meurtre. La conclusion du ministre qu’il n’y a aucune possibilité qu’un juge des faits ne déclarerait pas le demandeur coupable de meurtre au deuxième degré appartient aux issues acceptables, nonobstant la conclusion des nouveaux rapports d’expert concernant la cause de l’incendie qui a finalement causé la mort de la victime. Le ministre a justifié cette issue de façon intelligible en renvoyant à des éléments de preuve circonstancielle pertinents.


JUGEMENT

 

La cour statue que la demande est rejetée.

 

 

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


cour fédérale

 

Avocats inscrits au dossier

 

 

Dossier :                                                    T‑457‑12

 

Intitulé :                                                  Walchuk c
Canada (Ministre DE LA Justice)

 

 

 

Lieu DE L’AUDIENCE :                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                         Le 4 septembre 2013

 

Motifs du jugement

et jugement :                                        le juge MANSON

 

DATE DES MOTIFS :                                 Le 17 septembre 2013

 

 

 

Comparutions :

 

Alan Young

Brian Gover

Andrea Gonsalves

 

Pour le demandeur

 

Sean Gaudet

 

Pour le défendeur

 

 

Avocats inscrits au dossier :

 

Stockwoods LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

Osgoode Hall Innocence Project

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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