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Date : 20140521


Dossier : T-1699-13

Référence : 2014 CF 461

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

THE CANADIAN TRANSIT COMPANY

demanderesse

et

LA CORPORATION DE LA VILLE DE WINDSOR

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               La Cour d’appel fédérale s’est exprimée en termes catégoriques dans la décision Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, 2013 CAF 250 :

[101]    Pour certains, le recours en contrôle judiciaire devant la Cour fédérale est la première voie de recours privilégiée. Ils ont tort. C’est une voie de dernier recours, ouverte uniquement lorsqu’une action recevable en droit administratif existe, lorsque toutes les autres voies de recours actuelles ou éventuelles sont épuisées, inefficaces ou inappropriées, et lorsque la Cour fédérale est habilitée à accorder la réparation demandée.

[2]               La Cour fédérale doit avoir compétence non seulement sur l’objet du litige, mais aussi à l’égard des parties, en plus d’avoir compétence pour accorder la réparation demandée. La demanderesse n’a invoqué aucune disposition législative qui permettrait à la Cour fédérale de se pencher sur sa demande. La Cour renvoie, quant à la nécessité d’une telle disposition pour pouvoir instruire une affaire, à l’arrêt de la Cour suprême du Canada ITO-Int’l Terminal Operators c Miida Electronics Inc, [1986] 1 RCS 752, au paragraphe 11.

II.                Introduction

[3]               La défenderesse a présenté une requête en vue de faire radier l’avis de demande de la demanderesse, en application de l’alinéa 221(1)a) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, au motif que la Cour n’avait pas compétence pour connaître de la demande. Dans la demande, la demanderesse, la Canadian Transit Company [CTC], sollicite un jugement déclaratoire portant sur l’étendue de ses droits en vertu de la Loi constituant en corporation « The Canadian Transit Company », SC 1921, c 57 [la LCCTC] et sur l’applicabilité de divers règlements municipaux à des biens‑fonds qu’elle détient dans la ville de Windsor.

III.             Contexte

[4]               Entre 2004 et 2013, la demanderesse, CTC, a acquis 114 biens‑fonds dans le quartier d’Olde Sandwich Towne à Windsor, en Ontario, immédiatement à l’ouest du côté canadien du pont Ambassador. Elle a fait ces acquisitions dans le cadre du projet de longue date visant à ajouter une deuxième travée au pont Ambassador qui enjambe la rivière Detroit. La CTC a, et a toujours eu, l’intention de démolir les structures se trouvant sur les biens‑fonds en vue de la construction de la deuxième travée.

[5]               En septembre 2013, la ville de Windsor, a pris des arrêtés de réparation visant les 114 biens‑fonds vacants, qui désormais faisaient tache dans le quartier. CTC a interjeté appel de ces arrêtés devant le Comité des normes des biens‑fonds.

[6]               En octobre 2013, la demanderesse a présenté une demande à la Cour fédérale afin que celle‑ci déclare, notamment, qu’il faut considérer que le pont Ambassador constitue une « entreprise fédérale » et qu’à ce titre, le pont n’est pas assujetti aux règlements municipaux. C’est cette demande que la défenderesse demande à la Cour de radier pour défaut de compétence.

[7]               Le 1er novembre 2013, le Comité des normes des biens‑fonds a ordonné que 83 des 114 arrêtés de réparation soient modifiés afin de permettre les démolitions demandées par CTC, et a différé l’instruction des appels relatifs aux 31 autres biens‑fonds jusqu’à ce que les parties aient discuté entre elles de la question. La ville de Windsor en a appelé des deux ordonnances.

[8]               En appel de l’ordonnance de report, le Comité des normes des biens‑fonds a maintenu les arrêtés de réparation pris à l’origine par la ville de Windsor à l’égard des 31 biens‑fonds en cause. CTC a par la suite interjeté appel de cette ordonnance du Comité.

[9]               La date d’instruction prévue pour l’appel de la ville de Windsor à l’encontre des ordonnances autorisant la démolition de 83 biens‑fonds était le 7 avril 2014, tandis que l’appel interjeté par CTC à l’égard de l’ordonnance visant les 31 autres biens‑fonds devait être instruit le 8 avril 2014.

IV.             Question en litige

[10]           Faut‑il accueillir la requête de la défenderesse en radiation de l’avis de demande de la demanderesse?

V.                Analyse

[11]           La Cour a établi depuis longtemps qu’il ne fallait recourir que dans des cas exceptionnels à une requête en radiation d’une demande de contrôle judiciaire pour défaut de compétence, et qu’on devait faire droit à une telle requête uniquement lorsque l’avis de demande est manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli (David Bull Laboratories (Canada) Inc c Pharmacia Inc, [1995] 1 CF 588 (CA)). La règle fondamentale a été formulée dans l’arrêt David Bull, et récemment confirmée de la manière suivante dans la décision Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, précité :

[47] La Cour n’accepte de radier un avis de demande de contrôle judiciaire que s’il est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucun chance d’être accueilli » […] Elle doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande […].

[12]           Sans statuer sur le fond de l’affaire, la Cour estime qu’il est évident et manifeste que la demande ne révèle aucune cause d’action raisonnable et qu’elle n’a aucune chance d’être accueillie. Même en faisant une lecture généreuse de l’avis de demande de la demanderesse, il est extrêmement difficile de discerner ce que cette dernière demande exactement à la Cour de faire. La demanderesse ne semble contester aucune décision particulière de la ville de Windsor ou du Comité sur les normes des biens‑fonds, ni aucune ordonnance d’un office fédéral. Elle semble plutôt demander simplement un avis juridique à la Cour sur l’applicabilité de la LCCTC.

[13]           Nulle disposition législative n’autorise la Cour à accorder une telle réparation. Seuls peuvent renvoyer une question à la Cour le procureur général du Canada ou un office fédéral à l’égard duquel la Cour exerce par ailleurs, en vertu des paragraphes 18.3 (1) et (2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, des fonctions de contrôle judiciaire. Les particuliers demandeurs ne peuvent se servir du renvoi comme d’un outil leur permettant d’obtenir un jugement déclaratoire de la Cour (Conseil de bande de la Première nation de Whitesand c Diabo, 2011 CAF 96).

[14]           Dans les circonstances, la Cour conclut que la demande ne révèle aucune action recevable en droit administratif, ce qui constitue un vice fondamental et manifeste justifiant la radiation de l’avis de demande de la demanderesse (Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, précité).

[15]           La Cour conclut en outre qu’il est tout aussi difficile de discerner sur quel fondement juridique la demanderesse s’est appuyée pour lui présenter la demande. La demanderesse a invoqué l’alinéa 23c) de la Loi sur les Cours fédérales lorsqu’elle a déposé son avis de demande; toutefois, le législateur fédéral a simplement attribué une compétence à la Cour au moyen de cet alinéa. La disposition ne confère aucun droit d’appel ou de contrôle judiciaire à un demandeur, ni n’accorde le pouvoir à la Cour de rendre un jugement déclaratoire.

[16]            La demanderesse devait se conformer au régime prévu en matière de contrôle judiciaire par la Loi sur les Cours fédérales lorsqu’elle a déposé son avis de demande. Plus particulièrement, elle devait particulièrement donner un énoncé complet et concis des motifs invoqués, avec mention de toute disposition législative ou règle applicable (alinéa 301e) des Règles des Cours fédérales). Le défaut de la demanderesse de faire état d’un fondement juridique valable constituait lui aussi un vice fondamental et manifeste infirmant à la base sa capacité à instruire la demande (Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc, précité, au paragraphe 47).

[17]           S’il se peut que la demanderesse ait raison d’affirmer que l’objet du litige tombe sous le coup de l’alinéa 23c) de la Loi sur les Cours fédérales en tant qu’« ouvrage fédéral », une conclusion en ce sens ne suffirait pas à elle seule à remédier aux autres vices importants qui entachent son avis de demande. La Cour doit avoir compétence non seulement sur l’objet du litige, mais aussi à l’égard des parties, en plus d’avoir compétence pour accorder la réparation demandée. La demanderesse n’a fait valoir aucune disposition législative qui permettrait à la Cour de se pencher sur sa demande. La Cour renvoie à l’arrêt de la Cour suprême du Canada ITO‑Int’l Terminal Operators c Miida Electronics Inc, précité, pour ce qui est de la nécessité d’une disposition législative afin que la Cour fédérale ait compétence pour connaître d’une affaire.

VI.             Conclusion

[18]           Pour tous les motifs qui précèdent, la requête de la défenderesse en radiation de l’avis de demande de la demanderesse est accueillie. Il est évident et manifeste que la Cour ne peut instruire la demande sous‑jacente.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la requête de la défenderesse en radiation de l’avis de demande de la demanderesse est accueillie avec dépens.

À cet égard, la défenderesse demande, conformément au raisonnement exposé par le juge François Lemieux dans la décision Pelletier c Canada (Procureur général), 2011 CF 1459, 402 FTR 222, au paragraphe 17, que la défenderesse lui verse d’un montant forfaitaire de 25 000,00 $, demande à laquelle la Cour fait droit (en reconnaissant le fait que, dans l’ensemble, les frais réellement engagés ont été beaucoup plus élevés, comme en atteste le mémoire de frais de la défenderesse versé au dossier de la Cour).

Remarque incidente

La Cour relève que, même si l’objet du litige invoqué par la demanderesse relève du champ d’application de l’alinéa 23c) de la Loi sur les Cours fédérales, puisqu’il s’agit d’un « ouvrage fédéral », la question peut néanmoins être tranchée correctement dans le cadre du litige qui se poursuit devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. L’alinéa 14.05(3)d) des Règles de procédure civile, RRO 1990, règlement 194, prévoit expressément qu’une instance peut être introduite par requête devant la Cour de justice de l’Ontario « si elle vise à obtenir […] une décision sur des droits qui dépendent de l’interprétation […] d’une loi, d’un décret, d’un règlement, d’une résolution ou d’un règlement municipal » [non souligné dans l’original]. La demanderesse ne se retrouve donc pas sans autre recours dans la présente affaire.

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A. Trad


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1699-13

 

INTITULÉ :

THE CANADIAN TRANSIT COMPANY c LA CORPORATION DE LA VILLE DE WINDSOR

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 MAI 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 21 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Larry P. Lowenstein

Laura K. Fric

Kevin O’Brien

Pierre Alexandre-Henri

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Christopher J. Williams

Courtney V. Raphael

Jody E. Johnson

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osler, Hoskin & Harcourt SENCRL srl

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Aird & Berlis LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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