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Date : 20140516


Dossier : T-1384-13

Référence : 2014 CF 476

Montréal (Québec), le 16 mai 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

TLILI, NAIM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Au préalable

[1]               La Cour rappelle que la citoyenneté est attribuée seulement au demandeur qui satisfait aux critères énoncés à l’article 5 de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29. Or, une certaine période de résidence est requise, dans ce type de cas, pour se voir attribuer la citoyenneté canadienne. Selon l’alinéa 5(1)c), la personne qui demande la citoyenneté doit démontrer qu’elle a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins 1 095 jours.

[2]               Comme expliqué par le juge Donald J. Rennie dans le cas Abbas c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 145 :

[8] Indépendamment du critère qui est retenu, il incombe à tout candidat à la citoyenneté de soumettre des éléments de preuve suffisamment crédibles pour permettre l’appréciation de la résidence, qu’elle soit quantitative (Pourghasemi) ou qualitative (Koo). À cet égard, le juge de la citoyenneté doit tirer des conclusions de fait que notre Cour ne peut modifier que si elles sont déraisonnables.

[3]               Contrairement à ce que prétend le demandeur, il appartenait à lui seul de prouver qu’il répondait aux critères de résidence fixés dans la Loi sur la citoyenneté (Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 763, 169 ACWS (3d) 956 au para 18). Ce n’était pas à la juge de la citoyenneté de présenter une preuve suffisante que le demandeur n’était pas présent au Canada. Comme le juge Frank Muldoon l’a constaté dans l’arrêt Pourghasemi (1993), 62 FTR 122, 39 ACWS (3d) 251 (CFPI) :

[3] Il est évident que l’alinéa 5(1)c) vise à garantir que quiconque aspire au don précieux de la citoyenneté canadienne ait acquis, ou se soit vu obligé d’acquérir, au préalable, la possibilité quotidienne de « se canadianiser ». [La Cour souligne.]

II.                Introduction

[4]               Il s’agit d’un appel présenté en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, à l’encontre d’une décision d’une juge de la citoyenneté rendue le 23 mai 2013, rejetant la demande de citoyenneté canadienne du demandeur au motif qu’il ne respectait pas les conditions de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté.

III.             Faits

[5]               Le demandeur, monsieur Naim Tlili, est entré au Canada le 4 janvier 2006 à l’aide d’un permis d’étude. Il aurait étudié à l’École des Hautes Études Commerciales [HEC] de Montréal de janvier 2006 à mai 2008.

[6]               Le demandeur est devenu résident permanent du Canada le 13 mai 2007.

[7]               Le 11 décembre 2009, il a déposé une demande de citoyenneté. Dans sa demande, le demandeur a déclaré 1 113 jours de présence physique au Canada et 76 jours d’absence du Canada dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande (« la période pertinente »).

[8]               Après avoir retourné un Questionnaire sur la résidence et des documents à l’appui de sa demande à un agent de la citoyenneté, le demandeur a été convoqué à une audience devant une juge de la citoyenneté. L’audition a eu lieu le 3 avril 2013.

[9]               En plus des réponses à l’égard de sa période alléguée au Canada, devant la juge de la citoyenneté, le demandeur a avoué avoir fait une faillite personnelle compte tenu de ses dépenses dépassant ses revenus.

[10]           La demande de citoyenneté du demandeur a été rejetée par la juge de la citoyenneté le 23 mai 2013. Le demandeur fait maintenant appel de cette décision.

IV.             Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[11]           En se fondant sur le critère d’analyse énoncé dans l’affaire de Pourghasemi, ci-dessus, la juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur n’avait pas fourni une preuve documentaire suffisante pour démontrer qu’il se conformait à l’exigence en matière de résidence prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté – le demandeur n’avait pas établi qu’il était présent physiquement au Canada pendant 1 095 jours au cours des quatre ans qui ont précédé sa demande de citoyenneté. En particulier, elle nota que le demandeur n’avait produit aucun document de travail pour soutenir sa déclaration qu’il avait été travailleur autonome au Canada en 2008 et 2009.

[12]           La juge de la citoyenneté a également noté que certaines preuves documentaires transmises au Ministre de la Citoyenneté ne correspondaient pas aux déclarations écrites et verbales du demandeur, et que ces déclarations elles-mêmes se contredisaient parfois.

[13]           Elle a jugé que ces contradictions, en plus de réponses évasives lors de l’audience, minaient la crédibilité du demandeur. Ainsi, elle a attribué peu de poids aux autres documents qui lui ont été soumis.

V.                Point en litige

[14]           Est-ce que la juge de la citoyenneté a commis une erreur en concluant que le demandeur ne satisfaisait pas aux critères de résidence prévus à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté?

VI.             Dispositions législatives pertinentes

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

[…]

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

VII.          Norme de contrôle

[15]           La norme de contrôle applicable aux appels interjetés à l’encontre des décisions de juges de la citoyenneté est celle de la raisonnabilité (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Abdallah, 2012 CF 985, 417 FTR 13; Pourzand c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2008 CF 395, 166 ACWS (3d) 222).

VIII.       Analyse

[16]           Le demandeur fait valoir que la juge de la citoyenneté a commis une erreur en basant sa décision quant à sa présence au Canada sur des doutes subjectifs et des faits non pertinents. Le demandeur allègue qu’il n’a pas bénéficié des présomptions favorables comprises dans la loi.

[17]           Le demandeur soutient également que la juge de la citoyenneté a erré en concluant qu’il y avait des contradictions entre ses déclarations écrites et orales, et la preuve documentaire soumise. Le demandeur avance qu’il n’y avait pas de réelles contradictions, mais que la juge de la citoyenneté aurait plutôt mal interprété ses déclarations.

[18]           Dernièrement, le demandeur soutient que la juge de la citoyenneté a erré en appliquant le test de résidence. Le demandeur prétend qu’elle n’a pas satisfait à son devoir de démontrer que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur n’était pas présent au Canada pendant la période pertinente.

[19]           Bien que la Loi sur la citoyenneté ne comporte pas de définition des mots « résident » et « résidence », la jurisprudence de cette Cour a établi qu’il y a trois modes d’interprétation que l’on peut utiliser pour déterminer la « résidence » d’un demandeur dans le contexte de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté. Une de ces modes d’interprétation, l’approche quantitative, est celle adoptée par la juge de la citoyenneté dans la présente affaire. Cette approche consiste à se demander si le demandeur a été physiquement présent au Canada pendant au moins 1 095 jours au cours des quatre ans qui ont précédé la date de la demande de la citoyenneté (Pourghasemi, ci-dessus).

[20]           En l’espèce, la juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur n’avait pas produit de preuve suffisante permettant d’établir sa présence physique au Canada pendant la période pertinente. Elle a noté que le demandeur avait démontré une possible présence au Canada dans l’année 2006, ayant fourni un relevé de notes des HEC, mais qu’il était difficile de confirmer sa présence après ce temps. Elle a accepté que le demandeur ait eu des visites médicales à quelques reprises après 2006, mais a déterminé que ces visites ne faisaient pas constat d’une présence continue au Canada.

[21]           Compte tenu de la preuve au dossier, la Cour est d’avis que la décision de la juge de la citoyenneté est tout à fait raisonnable. Malgré la preuve soumise par le demandeur confirmant les visites médicales susmentionnées, il demeure de longues périodes pendant lesquelles le demandeur n’a pas démontré sa présence physique au Canada. La Cour accepte que les autres documents présentés par le demandeur constituent certainement une preuve de la vie du demandeur au Canada, cependant, ils n’établissent pas qu’il était présent physiquement au Canada pendant la période pertinente (Dachan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 538, [2010] ACF no 643 (QL/Lexis) au para 24).

[22]           Dans sa décision, la juge de la citoyenneté a aussi soulevé de nombreuses incohérences dans la preuve soumise par le demandeur; réaffirmant ses doutes que le demandeur avait été réellement présent au Canada pour le nombre de jours requis en vertu de la Loi sur la citoyenneté.

[23]           La Cour n’est pas convaincue que la juge de la citoyenneté a mal interprété la preuve à cet égard. Il ressort clairement de ses motifs qu’elle a posé des questions précises au demandeur relatif à sa présence au Canada, et que les réponses fournies contredisaient ses réponses écrites, ainsi que certaines preuves documentaires. La juge de la citoyenneté était donc ouverte à tirer une conclusion défavorable concernant la crédibilité de l’histoire du demandeur.

[24]           Bref, la Cour estime que les motifs de la juge de la citoyenneté étaient intelligibles et entièrement justifiés par la preuve. La décision appartient donc aux issues possibles acceptables et ne doit pas être modifiée.

IX.             Conclusion

[25]           Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande d’appel du demandeur est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande d’appel du demandeur soit rejetée avec aucune question d’importance générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1384-13

 

INTITULÉ :

TLILI, NAIM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 mai 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 maI 2014

 

COMPARUTIONS :

Jean-François Bertrand

 

Pour le demandeur

 

Salima Djerroud

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers

Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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