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Date : 20140516


Dossier : IMM-11747-12

Référence : 2014 CF 480

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 16 mai 2014

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

TIBOR DEZSO MERUCZA

EMESE MAGDOLNA GONCZO

TIBOR MERUCZA

DORKA MERUCZA

ALEX BALAZS MERUCZA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               VU la demande de contrôle judiciaire, présentée en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], qui vise une décision rendue le 30 octobre 2012 par la Section de la protection des réfugiés [la SPR];

[2]               ET VU les mémoires du droit et des faits produits par les parties;

[3]               ET VU mon examen minutieux des arguments et de la jurisprudence présentés par les parties, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée pour les motifs qui suivent.   

[4]               Il s’agit d’une autre affaire mettant en cause des citoyens hongrois d’origine ethnique rom qui demandent l’asile au Canada, parce qu’ils allèguent avoir été victimes d’une série d’agressions racistes à Budapest. Les cinq demandeurs sont d’une même famille; le père est le demandeur principal.  

[5]               Le demandeur principal est instruit et il a, au cours des années, maintenu un bon dossier d’emploi. Il avait 30 ans au moment où la décision a été rendue.

[6]               Il invoque la crainte que les autres membres de sa famille et lui‑même soient victimes d’actes de violence raciste. Le 11 novembre 2011, la famille est arrivée au Canada et elle y a demandé l’asile.   

[7]               Bon nombre d’incidents se sont produits au fil des ans, ce qui donne à penser qu’ils avaient un caractère raciste. Compte tenu de leur grand nombre, il est en effet peu probable que les incidents aient été le fruit de simples coïncidences. Il semble aussi que les incidents étaient des actes fortuits de violence et de vandalisme, plutôt que le résultat d’un plan concerté d’actes ciblant les demandeurs et dont les auteurs seraient demeurés inconnus. En 2000, d’abord, le pare‑brise de l’automobile du demandeur principal a été fracassé; il l’a de nouveau été en 2003. En 2005, lors d’un concert, des skinheads auraient agressé le demandeur; il semblerait que ce dernier était avec un groupe impliqué dans l’altercation. En 2007, des skinheads auraient insulté le demandeur et lui auraient asséné un coup de poing à un arrêt d’autobus. En mai et en juin 2009, des membres de ce qu’on appelle la « Garde hongroise » et des skinheads auraient encore une fois agressé le demandeur principal. Lors de l’agression de mai 2009, quelqu’un a poussé au sol la conjointe de fait du demandeur principal, qui était alors enceinte. Enfin, en mai 2011, il y a eu une tentative d’entrée par effraction au domicile du demandeur principal. Comme il a mentionné précédemment, la famille est arrivée au Canada et elle y a demandé l’asile en novembre 2011.  

[8]               On n’a pas fait appel à la police, ni signalé quoi que ce soit aux autorités lors la plupart de ces incidents. En outre, selon la preuve, le demandeur principal n’a pas poussé l’affaire plus loin, même dans les cas où on avait fait appel à la police. Autrement dit, lorsque la police est intervenue, autrement dit, l’affaire en est restée là en ce qui concerne le demandeur principal. Ce dernier n’a pas demandé à la police ou aux autorités hongroises de donner suite aux incidents. Le demandeur principal n’a jamais été capable non plus de fournir le moindre renseignement qui aurait aidé à identifier les auteurs des actes répréhensibles.

[9]               On rencontre ce type de situation de fait assez souvent dans notre jurisprudence. En dernière analyse, la question est de savoir si une personne peut ou non se réclamer de la protection de l’État en Hongrie. Il s’agit effectivement de la question déterminante en l’espèce.

[10]           Les demandeurs dans la présente affaire soutiennent qu’en l’espèce, la SPR n’a pas tenu compte du [traduction] « faible niveau de démocratie » en Hongrie. Ils affirment que cet état de fait aurait dû alléger leur fardeau de preuve pour réfuter la présomption relative à la protection de l’État. Il s’ensuit, selon les demandeurs, que la SPR a commis une erreur en concluant que la protection de l’État était adéquate en Hongrie. 

[11]           Nul ne conteste que la norme de la raisonnabilité s’applique au contrôle judiciaire de la décision visée en l’espèce. L’affaire soulève des questions mixtes de fait et de droit et la SPR a appliqué aux faits en l’espèce les principes de droit bien connus. Comme l’a conclu la Cour dans la décision Kotai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 693, une autre affaire concernant des citoyens hongrois d’origine ethnique rom :

[10]      La norme de contrôle applicable à la décision de la Commission est celle de la décision raisonnable, de sorte qu’il faut faire preuve de déférence. Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, le rôle de la Cour n’est pas de substituer la décision qu’elle aurait prise à celle faisant l’objet du contrôle judiciaire, mais plutôt de « déterminer si celle‑ci fait partie des "issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit" (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59.

[12]           Dans une décision bien documentée et clairement énoncée, la SPR effectué un examen équitable de la situation qui règne en Hongrie, particulièrement pour les membres de sa minorité rom. En termes simples, la SPR n’a pas « enjolivé » son analyse et elle a pris en considération l’argument même soulevé par les demandeurs.

[13]           La Commission en est ainsi arrivée à la conclusion suivante après avoir analysé avec soin la preuve documentaire produite par les parties :  

[34]      Par conséquent, l’ensemble de la preuve dont je dispose indique que, bien qu’il existe des éléments de preuve démontrant que la police commet encore des abus contre certaines personnes, y compris les Roms, il est toutefois raisonnable de s’attendre à ce que les autorités agissent dans de tels cas, que la police est à la fois capable de protéger les Roms et disposée à le faire et que des organisations ont été mises sur pied afin de veiller à ce que la police réponde de ses actes. En outre, en examinant cette question sur le plan opérationnel, en ce qui a trait aux circonstances en l’espèce, j’estime que les demandeurs d’asile n’ont pas présenté d’éléments de preuve clairs et convaincants selon lesquels la protection de l’État qui leur était offerte n’était pas efficace ni adéquate.

[14]           Cette conclusion fait écho à une décision rendue par la Cour à l’égard de circonstances rappelant fortement celles en l’espèce. Dans Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004, le juge en chef Crampton a procédé à une analyse rigoureuse et approfondie de la question de la protection des Roms par l’État en Hongrie.

[15]           Nous rappelant qu’il incombe au demandeur d’asile de démontrer, par une preuve claire et convaincante, que l’État n’est pas en mesure de lui offrir une protection adéquate dans le pays dont il a la nationalité, le juge en chef déclare ce qui suit :

[31]      En ce qui concerne le volet « ne peut » de la définition, il ne suffit pas de démontrer certaines défaillances de la police locale en matière de protection de l’État [renvois omis].

[32]      Le demandeur d’asile doit démontrer qu’il n’a ménagé aucun effort objectivement raisonnable afin d’épuiser tous les recours auxquels il a raisonnablement accès avant de demander l’asile à l’étranger. Pour ce faire, les demandeurs d’asile sont notamment tenus « de s’adresser à leur État d’origine pour obtenir sa protection avant que la responsabilité d’autres États ne soit engagée » [renvois omis].

[33]      À cet égard, remettre en doute l’efficacité de la protection de l’État sans vraiment la mettre à l’épreuve ou simplement faire valoir une réticence subjective à faire intervenir l’État ne suffit pas à réfuter la présomption de protection de l’État. En l’absence d’une explication convaincante, le défaut de prendre des mesures raisonnables pour épuiser toutes les avenues raisonnablement existantes dans l’État d’origine avant de demander l’asile à l’extérieur, est généralement considéré comme un fondement raisonnable pouvant justifier la SPR de conclure qu’un demandeur d’asile n’a pas réfuté la présomption de protection de l’État au moyen d’une preuve claire et convaincante [renvois omis].

[16]           Il s’agit exactement, selon moi, de la situation à laquelle la Cour est confrontée dans la présente affaire. Les demandeurs ont signalé des incidents à la police locale, mais seulement un certain nombre d’entre eux. En outre, ils n’ont jamais tenté de poursuivre leur démarche. Je souscris à cet égard aux commentaires suivants du juge en chef, aux paragraphes 49, 50 et 51 de sa décision :

[49]      À mon avis, la jurisprudence établit que, en l’absence d’une preuve convaincante qui démontre l’existence d’un fondement objectivement raisonnable d’exploiter tous les moyens raisonnables existants de protection de la part de l’État, il est raisonnable que la SPR conclue que la présomption de protection de l’État n’a pas été réfutée au moyen d’une preuve claire et convaincante.

[50]      À cet égard, une preuve convaincante est une preuve qui fournit un fondement objectif à la conclusion que la mise en œuvre de l’une de ces actions pourrait raisonnablement exposer le demandeur à la persécution, à des lésions ou à des dépenses excessives ou serait objectivement déraisonnable. Il n’est pas déraisonnable de s’attendre à ce qu’une personne qui fait appel à l’aide et à la générosité du Canada fasse des efforts sérieux pour recenser et épuiser toutes les sources raisonnablement existantes de protection potentielle dans son pays d’origine, sauf s’il existe un fondement incontestable au défaut d’agir ainsi. En résumé, ce comportement ne satisferait pas aux exigences du volet « ne peut » de l’article 96, dont il a été question aux paragraphes 30 à 33 des présents motifs. Par ailleurs, en l’absence de la preuve que les personnes visées craignaient objectivement et avec raison d’être persécutées, il ne serait pas non plus satisfait aux exigences du volet « ne veut », dont il a été question au paragraphe 34 des présents motifs.

[51]      J’ajoute, pour plus de clarté, que l’impression subjective qu’une personne perdrait son temps en demandant la protection de la police ou en essayant de corriger les manquements de la police locale en soumettant l’affaire à d’autres sources de protection policière ne constituerait pas une preuve convaincante, sauf si le demandeur avait demandé sans succès la protection de la police à de multiples reprises, comme dans l’affaire Ferko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1284, au paragraphe 49.

[17]           En d’autres termes, si un demandeur a signalé certains incidents aux autorités locales, mais pas tous, cela ne suffit pas pour pouvoir demander l’asile à un pays comme le Canada. La barre est plus haute. Il faut chercher protection chez soi de manière plus vigoureuse avant de se rabattre sur la générosité d’un autre pays.

[18]           Selon moi, l’analyse de la SPR s’harmonise parfaitement avec celle effectuée par le juge en chef dans la décision Ruszo. La SPR a eu recours au bon cadre juridique et elle a apprécié les faits en fonction de ce cadre. Les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau de démontrer qu’ils avaient déployé tous les efforts raisonnables pour se réclamer de la protection en Hongrie. Il n’y a pas en Hongrie un effondrement complet de l’appareil étatique (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689). Il s’ensuit que la présomption relative à la capacité de l’État de protéger ses citoyens s’applique toujours. En supposant même que la présomption soit plus faible lorsque le niveau de démocratie n’est pas aussi élevé que celui dont jouissent les Canadiens, il reste nécessaire de présenter une preuve claire et convaincante. Tout ce dont nous disposons en l’espèce est le fait que, sur dix ans, le demandeur principal a porté plainte quelques fois à la police. On n’a jamais tenté de donner suite à l’affaire. Les demandeurs n’ont pu s’acquitter du fardeau qui leur incombait, et le défaut de convaincre la SPR ne rend pas la décision de celle‑ci déraisonnable. Au contraire, il était raisonnable pour la SPR de conclure comme elle l’a fait, compte tenu de la preuve dont elle disposait.

[19]           La demande de contrôle judiciaire est par conséquent rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.

« Yvan Roy »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-11747-12

 

INTITULÉ :

TIBOR DEZSO MERUCZA, EMESE MAGDOLNA GONCZO, TIBOR MERUCZA, DORKA MERUCZA, ALEX BALAZS MERUCZA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 DÉCEMBRE 2013

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Aviva Basman

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Christopher Ezrin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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