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Date : 20140512

Dossiers : T‑1620‑12

T‑1673‑12

T‑1682‑12

Référence : 2014 CF 443

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2014

En présence de monsieur le juge Mosley

Dossier : T‑1620‑12

ENTRE :

KEVIN MACADAM

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Dossier : T‑1673‑12

ET ENTRE :

KENT ESTABROOKS

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Dossier : T‑1682‑12

ET ENTRE :

PATRICK DORSEY

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie de demandes de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC, ch. F‑7, de la décision de la Commission de la fonction publique (CFP ou Commission) no 2012‑085‑IB prononcée en date du 8 août 2012.

[2] La décision a été rendue à la suite d’une enquête menée en vertu des articles 66 et 68 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22 (la LEFP) concernant la nomination de Kevin MacAdam, dont le numéro de processus est le 10‑ACO‑EA‑HO‑68, au poste de directeur général, Opérations – Î.‑P.‑É. (DG des Opérations) au groupe et niveau EX‑02, par l’Agence de promotion économique du Canada atlantique (APECA).

[3] La Commission a conclu que le comportement de Patrick Dorsey, de Kent Estabrooks, de Paul LeBlanc et de Monique Collette dans le cadre du processus de nomination constituait une conduite irrégulière qui a influé sur le choix de M. MacAdam nommé au poste.

[4] Les trois demandes ont été présentées de manière distincte, mais elles ont été regroupées et instruites ensemble avec consentement. Messieurs MacAdam et Estabrooks demandent une ordonnance annulant la décision de la Commission, renvoyant l’affaire à la Commission pour nouvel examen, ainsi que des dépens. Subsidiairement, M. MacAdam demande une directive selon laquelle la Commission le nomme à un autre poste en application de l’article 73 de la LEFP, ainsi que des dépens. M. Dorsey demande une ordonnance annulant la décision de la Commission, ainsi que des dépens. Le défendeur demande une ordonnance rejetant les demandes, ainsi que des dépens.

[5] Pour les motifs qui suivent, les demandes sont rejetées.

I.                    FAITS

[6] Les faits suivants sont tirés du dossier et, plus particulièrement, du rapport d’enquête modifié rédigé par la Commission. Même si les demandeurs ont contesté les inférences que la Commission a tirées des faits, les faits même n’ont pas été sérieusement contestés.

[7] L’APECA est un organisme du gouvernement fédéral chargé du financement du développement économique dans les provinces de l’Atlantique. Elle située à Moncton, au Nouveau‑Brunswick et a des bureaux régionaux à Fredericton, au Nouveau‑Brunswick, à Charlottetown, à l’Île‑du‑Prince‑Édouard (Î.‑P.‑É.), à Halifax, en Nouvelle‑Écosse et à St. John’s, à Terre‑Neuve‑et‑Labrador. Les nominations aux postes au sein de l’APECA sont effectuées conformément à la LEFP. Le pouvoir de dotation conféré par la PSEA est délégué du président de la Commission de la fonction publique au président de l’APECA. Le président de l’APECA est chargé des décisions prises liées aux nominations à l’organisation et au sein de celle‑ci.

[8] Le poste de DG des Opérations est le poste de « commandant en second » au bureau de l’APECA situé à l’Î.‑P.‑É., et a été établi en regroupant les responsabilités des deux anciens postes suivants : le poste de DG du développement et des politiques ministériels, l’ancien poste de « commandant en second » au groupe et niveau EX‑02 et le poste de DG du développement économique communautaire au groupe et niveau EX‑01. Les trois autres bureaux régionaux de l’APECA ont des postes semblables depuis 2006. Entre 2006 et 2011, cinq processus annoncés à l’interne ont été menés pour doter ces postes. Ces annonces étaient identiques à celle utilisée en l’espèce, sauf le fait qu’ils faisaient tous l’objet de processus annoncés à l’interne.

[9] Le demandeur, Kevin MacAdam, était un chercheur et un rédacteur de discours à l’intention du chef de l’Opposition officielle (le Parti progressiste‑conservateur) à l’Île‑du‑Prince‑Édouard, immédiatement après avoir obtenu son diplôme universitaire. Entre 1996 et 2006, il était un ministre du cabinet du gouvernement de l’Î.‑P.‑É. En 2000, il était un candidat conservateur qui n’a pas été élu au cours de l’élection fédérale. De février 2006 à janvier 2010, M. MacAdam occupait un poste de personnel ministériel au bureau de l’honorable Peter MacKay, le ministre des Affaires étrangères de l’époque et de l’APECA. De janvier 2010 à février 2011, lorsque M. MacAdam a été nommé au poste de DG des Opérations, il était le chef de cabinet adjoint de l’honorable Keith Ashfield, le ministre de l’époque de la porte d’entrée de l’Atlantique et ministre de l’APECA.

[10]                     Monique Collette était fonctionnaire de carrière et présidente de l’APECA de 2003 à 2010. Mme Collette était donc chargée de la dotation des postes au niveau de la direction au moment où le processus de nomination en litige a été amorcé. Cependant, elle avait délégué une grande partie de la responsabilité de dotation à Paul LeBlanc, le sous‑ministre délégué de l’APECA à l’époque.

[11]                     À la suite de la retraite de Mme Collette, M. LeBlanc est devenu président de l’APECA le 15 novembre 2010 et, en cette qualité, il a signé la lettre d’offre à l’intention de M. MacAdam. D’après une discussion tenue avec M. MacAdam, M. LeBlanc savait que M. MacAdam avait un intérêt à occuper un poste à l’APECA depuis environ un avant le début du processus de nomination. Ils avaient discuté des vacances prévues à l’APECA dans la région et à Ottawa. M. LeBlanc avait communiqué ces renseignements à Mme Collette. M. MacAdam a demandé à M. Leblanc des renseignements sur les éléments techniques pour devenir fonctionnaire en tant que membre du personnel ministériel et il lui a demandé des conseils. Selon M. LeBlanc, M. MacAdam ne savait pas, avant ces discussions, qu’il n’existait plus un droit de considération prioritaire à l’égard des anciens membres du personnel du ministre aux fins de nomination aux postes.

[12]                     Lors de la première entrevue, M. MacAdam a nié avoir eu ces discussions avec M. LeBlanc ou toute autre personne au sein de l’APECA. Il a déclaré qu’il a pris connaissance pour la première fois du poste de DG des Opérations à doter lorsqu’il a vu une annonce à cet effet en novembre 2010. Il a indiqué qu’il n’avait aucune idée qu’une possibilité d’emploi pourrait être offerte et qu’il n’a reçu aucun préavis de l’affichage du poste à pourvoir. Il a qualifié ces remarques à la suite de la publication du premier rapport rédigé par les enquêteurs afin de reconnaître qu’il avait présenté des demandes de renseignements générales au sujet de la vie à la fonction publique.

[13]                     Le demandeur, Patrick Dorsey, était le vice‑président de l’APECA à l’Î.‑P.‑É. au moment du processus de nomination et il avait occupé ce poste depuis janvier 2007. Dans la plainte qui a donné lieu à l’enquête par la CFP, il est décrit comme [traduction] « un organisateur et un directeur des communications conservateur de longue date au service de l’ancien premier ministre de l’Î.‑P.‑É., Pat Binns ». En exerçant ce rôle, il aurait connu M. MacAdam, un ministre à l’époque du gouvernement sous le régime du ministre Binns. Ils ont communiqué ensuite davantage dans le cadre de leur rôle respectif à l’égard de l’APECA et lors d’événements politiques. En 2010, M. Dorsey était également le président du Conseil fédéral régional de l’Î.‑P.‑É., un forum dont l’objet est d’échanger des renseignements entre les ministères et organismes fédéraux et le président des réunions nationales des conseils régionaux.

[14]                     Wayne Hooper a occupé le poste de conseiller spécial de M. Dorsey et a occupé par intérim le poste de DG des Opérations pendant que M. MacAdam suivait une formation linguistique. M. Hooper était un ami de M. MacAdam et provenait de la même collectivité sur l’Île. Il a occupé le poste de sous‑ministre de M. MacAdam dans le gouvernement progressiste‑conservateur de l’Î.‑P.‑É. Les nominations des messieurs Dorsey et Hooper à l’APECA ont fait l’objet d’enquêtes distinctes menées par la CFP. M. Hooper était le vice‑président intérimaire du bureau de l’APECA à l’Î.‑P.‑É. au moment où M. MacAdam a discuté avec M. LeBlanc de son intérêt relatif au poste parce que M. Dorsey suivait une formation linguistique. Messieurs LeBlanc et Hooper ont envisagé de procéder à un concours pour doter le poste.

[15]                     Le demandeur, Kent Estabrooks, était le directeur général des Ressources humaines (RH) de l’APECA au moment de la nomination. Il avait remplacé Charlene Sullivan dans ce poste pendant qu’elle était absente en raison d’une affectation d’un an à compter de septembre 2010. Selon les liens hiérarchiques fonctionnels de M. Estabrooks à l’APECA de l’Î.‑P.‑É., il relevait de l’autorité M. Dorsey, mais son supérieur immédiat à l’organisme était Denise Frenette, vice‑présidente de Finances et Services du ministère.

[16]                     Lorraine Léger occupait le poste de directrice des Programmes de dotation et de ressources humaines de l’APECA et elle était la conseillère opérationnelle des RH pendant le processus de nomination.

A.                 Création du poste de DG des Opérations

[17]                     En juillet 2010, Mme Sullivan, la DG des Ressources humaines de l’époque, a informé M. Dorsey qu’elle était d’avis qu’aucun soutien ne serait offert, sous réserve du pouvoir discrétionnaire de Mme Collette en tant que présidente, aux fins d’une mesure de dotation bilingue non impérative étant donné les pressions financières sur l’organisme et les coûts de la formation en langue seconde si le candidat retenu n’avait pas les aptitudes linguistiques requises. En août 2010, elle a informé Mme Léger de l’intention de M. Dorsey de doter le poste de DG des Opérations et sa recommandation était de le doter à l’interne. À la suite d’une téléconférence tenue avec M. Dorsey, Mme Sullivan l’a informé qu’il pourrait procéder à une dotation bilingue impérative ou non impérative.

[18]                     Brian Schmeisser qui était à l’APECA depuis 22 ans, était le DG du Développement économique communautaire et de l’Infrastructure au groupe et niveau EX‑02 jusqu’en août 2010. À ce moment‑là, M. Schmeisser a accepté une affectation sous forme d’échange à la province de l’Î.‑P.‑É., un processus qui, selon lui, avait été amorcé et encouragé par M. Dorsey. Les fonctionnaires de l’APECA ont accepté de payer la moitié de son salaire si l’affectation était acceptée. À la suite du départ de M. Schmeisser, le poste de DG des Opérations a été créé en absorbant ses responsabilités. Selon M. Schmeisser, il avait exprimé son intérêt relatif au poste à M. Dorsey, mais celui‑ci avait indiqué qu’il ne répondait pas aux exigences linguistiques. Mme Sullivan a reconnu, lorsqu’elle a été interrogée, que le départ de M. Schmeisser constituait un facteur dans la dotation du poste de DG des Opérations. Sans son départ, elle ne savait pas s’ils auraient procédé à la dotation puisque la structure organisationnelle d’une petite direction générale comme celle à l’Î.‑P.‑É. n’aurait pas pu soutenir un autre DG aux groupe et niveau EX‑02.

[19]                     Lorsqu’il a été interrogé pour la première fois par les enquêteurs de la CFP, M. Dorsey a déclaré qu’aucune autre option, comme une affectation avec Échange Canada ou un processus interne, n’avait été envisagée aux fins de la dotation du poste. Il ne se souvenait pas de discussions avec le personnel des RH au sujet de sa décision faire recours à un processus externe annoncé. Aucune tentative n’a été faite pour savoir si un répertoire interne de candidats bilingue pourrait être établi. M. Dorsey a affirmé qu’il avait une connaissance générale des candidats possibles, y compris M. MacAdam et avait discuté de l’intérêt de M. MacAdam avec M. LeBlanc. Il n’a envoyé aucun renseignement sur le poste à son réseau du conseil régional et fédéral. Il souhaitait terminer le processus avant de suivre lui‑même une formation linguistique en français pendant une période supplémentaire en février 2011.

[20]                     Le 27 octobre 2010, Mme Léger a informé M. Estabrooks, qui avait alors remplacé Mme Sullivan, qu’une justification d’une dotation non impérative était nécessaire. À l’origine, elle a tenté d’envoyer ces renseignements à l’aide de la fonction NIP de son BlackBerry, qui permet la transmission d’un message d’un appareil à un autre, évitant les serveurs de courriels ministériels internes. Mme Léger n’avait utilisé cette fonction qu’une seule fois avant afin de protéger la confidentialité de certains renseignements. Le lendemain, le 28 octobre 2010, dans un courriel, Mme Léger a demandé à M. Dorsey de discuter avec M. Estabrooks de ses projets concernant le poste.

[21]                     M. Estabrooks a dressé un compte rendu à Denise Frenette, vice‑présidente des Finances et Services du ministère, de la conversation dans l’heure suivant la communication entre Mme Frenette et M. Dorsey. Dans son courriel, M. Estabrooks a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

[...] J’ai expliqué les trois conditions que nous avons discuté et Pat [Dorsey] n’était pas au courant de la condition liée à ‘quitter l’emploi’ [...] En tenant compte de cela, j’ai recommandé un processus externe [...] Il a indiqué qu’il préférait un processus interne, mais qu’il comprenait les dynamiques et les enjeux et ce qui lui conviendrait; j’ai expliqué que, selon les critères standard du SMC du DG des Opérations que j’ai vus, les processus externes peuvent être raisonnablement limités en ce qui concerne les exigences, ce qui réduit le nombre de candidatures et permet de justifier le caractère non impératif.

[22]                     Les enquêteurs de la CFP ont interrogé M Dorsey au sujet des mentions de M. Estabrooks des [traduction] « dynamiques et des enjeux », de la préférence de M. Dorsey pour un processus interne et de la condition liée à [traduction] « quitter l’emploi ». Selon M. Dorsey, le commentaire lié aux [traduction] « dynamiques et enjeux » faisait référence au délai et à la capacité d’attirer de bons candidats. Il a indiqué que sa préférence pour un processus interne découlait de la charge de travail qu’entraînerait un processus externe. Il a déclaré qu’il ne savait pas ce que signifiait la condition « quitter l’emploi ». Il ne se souvenait pas d’avoir discuté d’un candidat particulier avec M. Estabrooks, ni de l’admissibilité du personnel des ministres.

[23]                     Lorsque le courriel lui a été montré pendant l’enquête, Mme Frenette a déclaré, à l’origine, qu’il s’agissait d’une situation visant à donner à M. MacAdam accès au processus. Il avait exprimé un intérêt à l’égard du poste. La décision de passer d’un processus interne à un processus externe reposait sur le fait que M. MacAdam occupait encore son emploi au cabinet du ministre. M. Estabrooks lui avait expliqué cela. Elle a expliqué ses énoncés plus tard en indiquant qu’elle ne savait pas qu’il s’agissait d’un fait, mais qu’elle avait supposé qu’il en était ainsi. Elle était certaine que M. Estabrooks avait discuté des conséquences de l’article 35.2 de la LEFP avec M. Dorsey.

[24]                     L’article 35.2 de la LEFP a été adopté en 2006 dans le cadre de la Loi fédérale sur la responsabilisation, 1ère sess, 39e législature, 2006, cl 10. Il a pour but d’éliminer l’embauche préférentielle du personnel politique des ministres. Par le passé, le personnel ministériel avait le droit de contourner le processus concurrentiel normal d’embauche à la fonction publique et d’être nommé de manière prioritaire par rapport à d’autres à des postes dans la fonction publique. La modification en 2006 avait pour but de réduire la possibilité de politiser la fonction publique. Comme cela a été déclaré à l’époque, ce droit passé « compromettait la nature non partisane de la fonction publique et le respect du principe du mérite » : http://www.tbs-sct.gc.ca/faa-lfi/fs-fi/16/06fs-fi-fra.asp. La modification permettait aux personnes qui avaient été employées pendant trois ans auprès d’un ministre de présenter leur candidature aux fins des concours internes dans la fonction publique pendant une période d’un an suivant la fin de leur emploi. Afin d’être admissibles à présenter leur candidature pour ces postes annoncés à l’interne, ils devaient d’abord démissionner ou [traduction] « quitter » leur poste politique, tel que l’a décrit M. Estabrooks dans le courriel à l’intention de Mme Frenette.

[25]                     M. Estabrooks a reconnu qu’il avait fait une recherche concernant cette disposition lorsqu’il a été informé qu’une personne du cabinet du ministre avait manifesté un intérêt à l’égard du poste. Il ne savait pas à ce moment‑là qu’il s’agissait de M. MacAdam. Sa recherche a été suscitée par une question de M. Dorsey.

[26]                     Le 28 octobre 2010, M. Dorsey avait signé une demande de suivi par les Ressources humaines visant à amorcer un processus de nomination externe annoncé comportant une exigence linguistique bilingue non impérative. Le lendemain, il a envoyé une note de service à Mme Colette pour obtenir l’approbation de doter le poste de de DG des Opérations de manière non impérative. Il a écrit ce qui suit :

[TRADUCTION]

L’intention est d’annoncer de la manière la plus vaste dans le cadre d’un processus externe national annoncé, qui devrait donner lieu à des candidats très qualifiés. Toutefois, il est prévu que de nombreux demandeurs seront unilingues ou auront seulement une compétence de niveau fonctionnelle (B) en français. Il est important de donner à ces personnes la possibilité d’accéder à ce poste.

[27]                     Le 2 novembre 2010, l’APECA a annoncé le poste dans le site Web de la CFP : emplois.gc.ca. Le poste a été affiché comme étant situé à l’Î.‑P.‑É. et de durée indéterminée (permanente). Les exigences linguistiques énumérées étaient bilingue non impératif, ce qui signifie que le candidat sélectionné aux fins de nomination serait admissible à une formation linguistique s’il ne répondait pas au niveau de compétence précisée (CBC) au moment de la nomination.

B.                 Le processus de nomination

[28]                     Le délai de réception des demandes était fixé au 15 novembre 2010. À cette date, 73 demandes avaient été reçues, mais 48 de celles‑ci avaient été automatiquement éliminées par le système de ressourcement automatisé de la CFP. Ce qui laissait 25 demandes qui ont été renvoyées à l’APECA. Parmi 25 demandes, 14 ont été éliminées par Mme Léger et les autres ont été renvoyées à M. Dorsey aux fins d’examen approfondi. Il a déterminé que six personnes répondaient aux exigences de sélection et il les a invités à assister à une entrevue. Deux se sont retirés du processus, ce qui en laissait quatre, y compris M. MacAdam, qui devaient être interrogés par le comité d’évaluation.

[29]                     Le comité était composé de M. Dorsey, de Paul Mills, V.‑P. de l’APECA à Terre‑Neuve‑et‑Labrador, et de Melissa McEachern, une sous‑ministre du gouvernement provincial de l’Î.‑P.‑É. Mme Léger a assisté pour offrir des conseils et prendre des notes. Le 15 décembre 2010, le comité d’évaluation a décidé que seul un des quatre candidats interrogés répondait à toutes les qualifications essentielles, à savoir M. MacAdam. À la suite des vérifications des références effectuées par un consultant externe au cours des jours qui ont suivi, une lettre a été envoyée à M. MacAdam en vue de lui offrir le poste de DG des Opérations, poste qu’il a accepté le 4 janvier 2011. Cette date était préalable à la date de confirmation de ses titres sur le plan des études, qui a été effectuée quelques jours plus tard. La date d’entrée en vigueur de la nomination était le 7 février 2011. M. MacAdam a ensuite entrepris une formation linguistique.

[30]                     À l’audition de l’espèce, en janvier 2014, l’avocat a indiqué que M. MacAdam espérait pouvoir réussir les examens linguistiques requis dans un avenir proche. Il semble qu’il suivait une formation linguistique continue dans la région de la capitale nationale depuis janvier 2011.

C.                 La plainte

[31]                     Dans une lettre datée du 4 février 2011, Brian Murphy, président du Parti libéral du Canada, caucus de l’Atlantique, a informé la CFP de sa préoccupation quant à l’affiliation politique des administrateurs et des membres du personnel de gestion des bureaux régionaux de l’APECA qui avaient été nommés par le gouvernement conservateur. M. Murphy a fait référence à l’embauche de messieurs Dorsey, MacAdam et Hooper. M. Murphy a demandé à la CFP d’envisager la possibilité de renverser certaines des nominations qui, selon lui, étaient partisanes et devenaient la norme à l’APECA.

D.                 L’enquête

[32]                     Au moyen d’une lettre datée du 18 mars 2011, la Direction des enquêtes de la CFP a informé M. MacAdam de la lettre et des allégations de M. Murphy. La lettre informait M. MacAdam qu’en vertu de l’article 66 de la LEFP, la Direction des enquêtes enquêterait la possibilité d’irrégularités concernant le processus de nomination qui pourraient avoir une incidence sur le principe du mérite ou qu’une erreur, une omission ou une conduite irrégulière qui a influé sur le choix de la personne nommée avait été commise. Conformément à l’article 68 de la LEFP, la Direction enquêterait sur la possibilité que la nomination ne se soit pas faite indépendamment de toute influence politique.

[33]                     Des entrevues ont été menées en 2011. Le 11 avril 2012, les personnes qui avaient été interrogées ont obtenu un premier rapport factuel qui résumait les renseignements pertinents recueillis au cours de l’enquête. On leur a demandé de faire part de tout commentaire ou de toute observation sur ces renseignements recueillis, ce que certains ont fait.

[34]                     Dans une lettre datée du 12 juillet 2012, les personnes interrogées ont été informées que l’enquête était terminée. Ils ont reçu une copie du rapport d’enquête qui énonçait les faits tels qu’ils ont été constatés par les enquêteurs, leur analyse et leurs conclusions. On a demandé aux destinataires de fournir des commentaires et des observations sur le rapport d’enquête et les mesures correctives proposées, ce que, encore une fois, certains ont choisi de faire.

[35]                     Selon la conclusion du rapport d’enquête, M. MacAdam répondait aux qualifications essentielles du poste de DG des Opérations et sa nomination ne comportait aucune ingérence politique. Toutefois, selon la conclusion du rapport, le comportement de Patrick Dorsey, de Kent Estabrooks, de Paul LeBlanc et de Monique Collette dans le cadre du processus de dotation constituait une conduite irrégulière qui a influé sur le choix de M. MacAdam.

[36]                     Entre autres choses, les enquêteurs ont conclu que l’affirmation de M. Dorsey selon laquelle un processus externe avait été choisi afin de répondre à sa propre préoccupation quant à la possibilité d’attirer un répertoire suffisant de candidats n’était pas crédible. Comme cela a été indiqué ci‑dessus, M. Estabrooks avait, à la demande de M. Dorsey, fait une recherche concernant les conditions applicables aux membres du personnel politique qui postulaient dans le cadre d’un processus de nomination interne. Il avait recommandé un processus externe à M. Dorsey en fonction de cette recherche. Les enquêteurs ont conclu que prise en compte de l’admissibilité de M. MacAdam dans le processus de nomination constituait donc un facteur dans la décision de M. Dorsey de recourir à un processus externe.

[37]                     La préférence initiale de M Dorsey pour un processus interne avait été consignée par M. Estabrooks dans le courriel envoyé le 28 octobre 2010. Les enquêteurs ont déduit que l’acceptation par M. Dorsey de la recommandation de M. Estabrooks indiquait que sa décision était fondée sur les circonstances personnelles de M. MacAdam.

[38]                     Mme Léger avait informé les enquêteurs qu’au moment de l’annonce du processus, il y avait des rumeurs au sein de l’APECA selon lesquelles l’emploi visait une personne particulière. Elle se souvenait d’avoir entendu mention du nom de M. MacAdam.

[39]                     Parmi les candidats interrogés, un petit nombre d’entre eux pouvaient faire concurrence à M. MacAdam en vue d’obtenir le poste. Les enquêteurs ont indiqué que, même si M. Dorsey n’était tenu de partager les renseignements sur la possibilité d’emploi avec personne, il a reconnu qu’il n’avait pas partagé ces renseignements avec son réseau du conseil fédéral, une source évidente de candidats possibles, ni avec son réseau du conseil régional de l’Î.‑P.‑É.

[40]                     Par conséquent, les enquêteurs ont conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les décisions principales concernant le processus de nomination étaient fondées sur les capacités linguistiques de M. MacAdam et sur son poste de membre du personnel du ministre; ce qui, selon eux, constitue un comportement inadéquat. Ces décisions-clés ont eu une incidence sur la nomination de M. MacAdam puisqu’il n’aurait pas été admissible à postuler si elles n’avaient pas été prises.

[41]                     M. Dorsey était le principal décideur dans le processus de création et de dotation du poste de DG des Opérations. Il était essentiel à l’affectation externe de M. Schmeisser, ce qui a permis de créer le nouveau poste. Les enquêteurs ont conclu que la décision de M. Dorsey d’annoncer le processus à l’externe était fondée sur l’inadmissibilité de M. MacAdam, s’il avait été annoncé à l’interne. En outre, la recommandation de M. Dorsey de doter le poste de manière bilingue non impératif n’était pas fondée sur les expériences antérieures, sur les processus antérieurs ou sur les tentatives de doter des postes ayant des attributs semblables. Ses décisions et recommandations étaient axées sur l’admissibilité de M. MacAdam. Selon les enquêteurs, cette approche ne respecte pas l’attente en matière de transparence et d’équité de la prise de décision dans le cadre d’un processus de nomination.

[42]                     Il a été conclu que le comportement de M. Estabrooks constituait une conduite irrégulière, qui a influé sur la nomination de M. MacAdam. M. Estabrooks savait qu’une personne au cabinet du ministre avait manifesté un intérêt à présenter sa candidature, même s’il ne savait pas qu’il s’agissait de M. MacAdam. Il a effectué une recherche concernant les conditions dans lesquelles un membre du personnel du ministre pouvait postuler dans le cadre de processus de nomination internes avant de recommander le recours à un processus externe afin que la personne au cabinet du ministre puisse postuler. Les enquêteurs ont conclu que les énoncés de M. Estabrooks démontraient qu’il était à l’aise avec la possibilité de recommander un processus externe en fonction des circonstances d’une personne, que sa recommandation visait à assurer l’admissibilité de la personne au cabinet du ministre et qu’il a participé à la prise de décisions adaptées aux circonstances de M. MacAdam.

[43]                     Les actes de Mme Collette et de M. LeBlanc consistant à autoriser ce processus ont également été jugés comme étant une conduite irrégulière, qui a influé sur la nomination de M. MacAdam au poste de DG des Opérations.

[44]                     La décision finale a été rendue par la Commission le 10 août 2012.

II.                 DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[45]                     La Commission a ordonné que le rapport d’enquête soit modifié en vue de supprimer un paragraphe et une phrase, et de déplacer un deuxième paragraphe. Hormis ces modifications, la Commission a accepté le rapport d’enquête. Elle a reconnu que la personne nommée, M. MacAdam, n’a fait preuve d’aucune conduite irrégulière. Toutefois, une conduite irrégulière a été constatée au sein du processus de nomination, ce qui remet en question son intégrité. Conformément à son pouvoir de prendre une mesure corrective en vertu de l’article 66 de la PSEA, la Commission a ordonné que :

la nomination de M. MacAdam au poste de directeur général des Opérations, à l’Î.‑P.‑É., aux groupe et niveau EX‑02, soit révoquée;

M. Dorsey et M. Estabrooks suivent deux cours sur le leadership et l’éthique à l’École de la fonction publique du Canada dans les six mois suivant la décision;

la présidente de l’APECA ne délègue ni ne subdélègue à M. Dorsey ou à M. Estabrooks les pouvoirs de nomination et les pouvoirs liés à la nomination pendant une période de trois ans à compter de la date de signature de la décision;

M. Dorsey n’exerce aucune fonction liée à la dotation pendant une période de trois ans à compter de la date de signature de la décision.

[46]                     Le 18 septembre 2012, la Commission a ordonné que l’exécution de l’ordonnance prévue dans le rapport de décision soit suspendue en attendant l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire.

III.               QUESTIONS EN LITIGE

[47]                     Après avoir étudié les questions proposées par les parties, j’ai conclu que les questions en litige sont les suivantes :

1.                  La décision de la Commission selon laquelle il existait une conduite irrégulière dans le cadre de la nomination de M. MacAdam était‑elle raisonnable?

2.                  Les mesures correctives ordonnées à l’égard de messieurs MacAdam, Estabrooks et Dorsey étaient‑elles raisonnables?

IV.              DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[48]                     Les dispositions pertinentes de la LEFP figurent au préambule, à l’article 35.2 concernant la mobilité des membres du personnel du ministre et à la partie 5, soit les articles 66 et 68.

Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22.

Public Service Employment Act, SC 2003, c 22.

Préambule

Attendu :

Preamble

Recognizing that

[…]

[…]

qu’il demeure avantageux pour le Canada de pouvoir compter sur une fonction publique non partisane et axée sur le mérite et que ces valeurs doivent être protégées de façon indépendante;

Canada will continue to benefit from a public service that is based on merit and non-partisanship and in which these values are independently safeguarded;

[…]

[…]

que le pouvoir de faire des nominations à la fonction publique et au sein de celle-ci est conféré à la Commission de la fonction publique et que ce pouvoir peut être délégué aux administrateurs généraux;

authority to make appointments to and within the public service has been vested in the Public Service Commission, which can delegate this authority to deputy heads;

que ceux qui sont investis du pouvoir délégué de dotation doivent l’exercer dans un cadre exigeant qu’ils en rendent compte à la Commission, laquelle, à son tour, en rend compte au Parlement;

 

those to whom this appointment authority is delegated must exercise it within a framework that ensures that they are accountable for its proper use to the Commission, which in turn is accountable to Parliament;

que le pouvoir de dotation devrait être délégué à l’échelon le plus bas possible dans la fonction publique pour que les gestionnaires disposent de la marge de manoeuvre dont ils ont besoin pour effectuer la dotation, et pour gérer et diriger leur personnel de manière à obtenir des résultats pour les Canadiens;

delegation of staffing authority should be to as low a level as possible within the public service, and should afford public service managers the flexibility necessary to staff, to manage and to lead their personnel to achieve results for Canadians; and

que le gouvernement du Canada souscrit au principe d’une fonction publique qui incarne la dualité linguistique et qui se distingue par ses pratiques d’emploi équitables et transparentes, le respect de ses employés, sa volonté réelle de dialogue et ses mécanismes de recours destinés à résoudre les questions touchant les nominations,

the Government of Canada is committed to a public service that embodies linguistic duality and that is characterized by fair, transparent employment practices, respect for employees, effective dialogue, and recourse aimed at resolving appointment issues;

[…]

[…]

Mobilité — personnel du ministre

 La personne qui a été, pendant au moins trois ans, employée dans le cabinet d’un ministre ou du titulaire des charges de leader de l’Opposition au Sénat ou de chef de l’Opposition à la Chambre des communes, ou employée successivement dans deux ou trois de ces cabinets :

         a) peut participer, pendant une période d’un an à partir de la date de sa cessation d’emploi, à tout processus de nomination annoncé pour lequel le critère organisationnel fixé en vertu de l’article 34 vise tous les fonctionnaires, pourvu qu’elle satisfasse aux autres critères fixés, le cas échéant, en vertu de cet article;

         b) a le droit de présenter une plainte en vertu de l’article 77.

 

Mobility — ministers’ staffs

 A person who has been employed for at least three years in the office of a minister or of a person holding the recognized position of Leader of the Opposition in the Senate or Leader of the Opposition in the House of Commons, or in any of those offices successively,

         a) may, during a period of one year after they cease to be so employed, participate in an advertised appointment process for which the organizational criterion established under section 34 entitles all employees to be considered, as long as they meet the other criteria, if any, established under that section; and

         (b) has the right to make a complaint under section 77.

 

PARTIE 5

ENQUÊTES ET PLAINTES RELATIVES AUX NOMINATIONS

PART 5

INVESTIGATIONS AND COMPLAINTS RELATING TO APPOINTMENTS

Enquêtes de la Commission sur les nominations

Investigation of Appointments by Commission

Nominations externes

 La Commission peut mener une enquête sur tout processus de nomination externe; si elle est convaincue que la nomination ou la proposition de nomination n’a pas été fondée sur le mérite ou qu’une erreur, une omission ou une conduite irrégulière a influé sur le choix de la personne nommée ou dont la nomination est proposée, la Commission peut :

 

External appointments

 The Commission may investigate any external appointment process and, if it is satisfied that the appointment was not made or proposed to be made on the basis of merit, or that there was an error, an omission or improper conduct that affected the selection of the person appointed or proposed for appointment, the Commission may

 

a) révoquer la nomination ou ne pas faire la nomination, selon le cas;

(a) revoke the appointment or not make the appointment, as the case may be; and

b) prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées.

(b) take any corrective action that it considers appropriate.

[…]

[…]

Nomination fondée sur des motifs d’ordre politique

 La Commission peut mener une enquête si elle a des raisons de croire que la nomination ou proposition de nomination pourrait avoir résulté de l’exercice d’une influence politique; si elle est convaincue que la nomination ou proposition de nomination ne s’est pas faite indépendamment de toute influence politique, elle peut :

 

Political influence

 If it has reason to believe that an appointment or proposed appointment was not free from political influence, the Commission may investigate the appointment process and, if it is satisfied that the appointment or proposed appointment was not free from political influence, the Commission may

 

a) révoquer la nomination ou ne pas faire la nomination, selon le cas;

(a) revoke the appointment or not make the appointment, as the case may be; and

b) prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées.

(b) take any corrective action that it considers appropriate.

 

V.                 NORME DE CONTRÔLE

[49]                     Les parties s’entendent pour dire que la norme de contrôle applicable à la décision de la Commission est celle de la décision raisonnable : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], aux paragraphes 43 à 64; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland and Labrador Nurses] aux paragraphes 12 à 14 et 18.

[50]                     Je suis d’accord avec les parties que la question a été tranchée de façon satisfaisante par la jurisprudence antérieure et n’exige pas une analyse de la norme de contrôle. L’interprétation et l’application des articles 66 et 68 de la LEFP sont, entre autres dispositions, au cœur du mandat et de l’expertise de la Commission : Seck c Canada (Procureur général), 2011 CF 1355 [Seck], aux paragraphes 10 et 11. Comme cela est indiqué dans Hughes c Canada (Procureur général), 2009 CF 573, au paragraphe 26, la portée du pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission, auquel vient s’ajouter un régime de la fonction publique « distinct et particulier » dans le cadre duquel la Commission possède une expertise, permettent de conclure qu’il y a lieu de déférer aux décisions de la Commission. En conséquence, la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

[51]                     Selon les instructions données par la Cour suprême dans Dunsmuir, précitée, au paragraphe 47 :

La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l’origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

VI.              ARGUMENTS ET DISCUSSION

A.                 La décision de la Commission selon laquelle il existait une conduite irrégulière dans le cadre de la nomination de M. MacAdam était‑elle raisonnable?

(1)               Arguments de M. MacAdam

[52]                     M. MacAdam soutient que la Commission a décidé, à tort, qu’une conduite irrégulière a influé sa sélection, contrairement à la preuve selon laquelle M. Dorsey, M. Estabrooks, M. LeBlanc et Mme Collette ont agi sans aucune intention illégitime. La Commission avait conclu antérieurement qu’il était nécessaire de tenir compte de l’intention qui sous‑tend les mesures prises afin de décider s’il existe une conduite irrégulière dans le processus de sélection : Commission de la fonction publique – Résumé de rapports d’enquêtes 2008 – Fondé – Service correctionnel du Canada (http://www.cfp-psc.gc.ca).

[53]                     En l’espèce, M. MacAdam soutient que la preuve démontre que les gestionnaires de l’APECA cherchaient à annoncer le poste de la manière la plus vaste dans le cadre d’un processus externe national afin d’assurer un large accès. Il fait valoir que cet argument est étayé surtout par le témoignage de M. Dorsey selon lequel il était difficile de recruter des candidats bilingues à l’Î.‑P.‑É. Ce fait est également indiqué dans le plan des ressources humaines de l’APECA de 2010 à 2012 (le plan des RH) pour cette période, qui indique les difficultés antérieures éprouvées pour recruter des candidats chevronnés. Les mesures prises par M. Dorsey, M. Estabrooks, M. LeBlanc et Mme Collette étaient conformes à la compréhension commune de ce facteur. Toute connaissance qu’ils ont pu avoir quant à la probabilité qu’il postule le poste ne constitue pas une conduite irrégulière parce qu’il représentait un exemple du type de candidat qu’ils cherchaient à attirer.

[54]                     M. MacAdam soutient que l’établissement des critères essentiels et l’évaluation des qualifications relevaient du pouvoir de M. Dorsey en tant que gestionnaire par intérim, tel que la Cour l’a reconnu antérieurement dans : Lavigne c Canada (Sous‑ministre de la Justice), 2009 CF 684, aux paragraphes 1 à 3 et 70. En conséquence, il était le seul candidat qualifié qui répondait à toutes les qualifications essentielles, tel qu’en avait décidé le gestionnaire de la dotation en consensus avec les deux autres membres du jury de sélection de trois personnes.

[55]                     M. MacAdam fait valoir que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la décision de doter le poste de DG des Opérations de manière bilingue non impératif découlait de la compétence insuffisante en français de M. MacAdam et que le recours au processus externe visait à lui donner accès au processus de nomination. Il soutient qu’aucun élément de preuve n’indique que les gestionnaires responsables étaient au courant de sa compétence linguistique, ou l’absence de celle‑ci à l’époque.

[56]                     Par ailleurs, M. MacAdam fait valoir que la Commission a conclu de manière déraisonnable, sans aucune preuve à l’appui, que ses circonstances personnelles exigeaient un affichage externe du poste. M. MacAdam avait le droit de participer à un processus interne pendant un an après la cessation de son emploi auprès d’un cabinet de ministre. Il soutient qu’aucun élément de preuve n’indique qu’il n’était pas prêt à démissionner de son poste afin d’être admissible à postuler. Il soutient qu’il n’existe non plus aucun élément de preuve quant à savoir si M. Dorsey, M. Estabrooks, M. LeBlanc ou Mme Collette ont supposé qu’en raison de son intérêt qu’il était peu probable qu’il le fasse.

[57]                     En règle générale, M. MacAdam fait valoir que la Commission a recouru aux conjectures, aux hypothèses, aux rumeurs et à des renseignements obtenus de manière indirecte transmis par des personnes qui n’étaient pas concernées directement par le processus de dotation afin de tirer des conclusions de fait qui ne peuvent être étayé par la preuve.

(2)               Arguments de M. Dorsey

[58]                     M. Dorsey soutient que la Commission a commis une erreur lorsqu’elle a interprété l’expression « conduite irrégulière ». Cette expression n’est pas définie dans la LEFP. La Commission l’a décrite comme étant « un comportement inapproprié, en raison d’une ou plusieurs actions ou d’un défaut d’agir, dans le cadre d’un processus de nomination ». M. Dorsey est d’avis qu’une analyse contextuelle et téléologique indique clairement que le législateur n’avait l’intention que l’expression « conduite irrégulière » constitue une évaluation purement subjective du « comportement approprié » de la Commission. Cette expression avait l’intention de viser un comportement qui n’était pas nécessairement fautif en droit, mais néanmoins contraire aux règles et aux lignes directrices établies par la Commission en vertu du paragraphe 29(3) de la LEFP. Une conduite contraire à ces politiques est une conduite inappropriée. En l’espèce, il n’y a eu aucun manquement aux politiques et, par conséquent, aucune conduite irrégulière.

Lignes directrices

29(3) La Commission peut établir des lignes directrices sur la façon de faire et de révoquer les nominations et de prendre des mesures correctives.

Commission policies

29(3) The Commission may establish policies respecting the manner of making and revoking appointments and taking corrective action.

 

[59]                     M. Dorsey soutient que la Commission n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle le fait d’attirer des candidats à l’Î.‑P.‑É. constituait une préoccupation de l’APECA et que les postes de cadre supérieur avaient été dotés antérieurement au moyen de processus externes de manière bilingue non impératif. Sa propre nomination constituait un bon exemple. Ni la LEFP ni ses politiques n’exigent que le poste soit doté de manière bilingue impératif. L’Î.‑P.‑É. n’est pas une région désignée comme bilingue au niveau de la langue au travail, comme l’est le Nouveau‑Brunswick. En outre, il existait des répertoires de candidats aux fins de postes de DG dans les autres provinces de l’Atlantique. Ce n’était pas le cas pour poste à l’Î.‑P.‑É. En conséquence, il était important d’avoir la zone de sélection la plus large possible. L’exclusion de M. MacAdam, qui avait exprimé un intérêt de joindre la fonction publique, n’aurait pas été raisonnable. Des antécédents politiques ne devraient pas exclure la prise en compte de la candidature d’une personne.

[60]                     Le processus de nomination choisi par l’APECA constituait une des nombreuses « options » dont elle pouvait se prévaloir en vertu de la LEFP. Même si la Commission a adopté une différente approche, le législateur a jugé bon d’autoriser la délégation du pouvoir de nomination à des personnes externes à la Commission et d’établir un seuil quant à l’intervention subséquente de la Commission en cas d’irrégularité ou d’inaptitude. Il était déraisonnable et inapproprié pour la Commission d’évaluer la recommandation de M. Dorsey selon ce qu’elle estimait être approprié dans les circonstances.

[61]                     M. Dorsey soutient que le pouvoir réparateur de la Commission prévu à l’article 66 de la LEFP dépend d’une conclusion de « conduite irrégulière qui a influé sur le choix de la personne nommée ». Cela tient compte du Guide sur les mesures correctives et la révocation publié par la Commission, qui prévoir qu’afin de donner ouverture à une action, le vice doit toucher la personne choisie aux fins de nomination (http://www.psc-cfp.gc.ca/plcy-pltq/guides/revocation/guid-orie-fra.htm).

[62]                     La Commission a conclu que la recommandation formulée par M. Dorsey constituait un « comportement inapproprié dans le cadre d’un processus de nomination » et, par conséquent, une « conduite irrégulière qui a influé sur le choix de [M. MacAdam] pour la nomination ». M. Dorsey fait valoir que, dans son analyse, la Commission n’a pas établi le lien nécessaire entre la présumée « conduite irrégulière » et la sélection de M. MacAdam. M. MacAdam a été jugé qualifié par un jury de sélection régulièrement constitué et, s’il n’avait pas participé au processus, aucun candidat n’aurait été qualifié.

(3)                Arguments de M. Estabrooks

[63]                     M. Estabrooks soutient que la décision de la Commission selon laquelle il a fait preuve d’une conduite irrégulière est fondée sur une seule conclusion : que sa recommandation d’un processus externe était fondée sur sa connaissance d’un candidat externe intéressé. Il fait valoir que la décision était déraisonnable parce qu’il n’était qu’un simple conseiller dans le processus. À l’aide de ses connaissances et de son jugement, il a recommandé que le gestionnaire responsable (M. Dorsey) exerce son pouvoir discrétionnaire en choisissant un processus externe et a conclu de manière raisonnable qu’un processus externe répondait aux objectifs de la LEFP en ce qui concerne la dotation de ce poste.

[64]                     En l’espèce, M. Estabrooks soutient que la Commission n’a pas tenu compte de deux éléments de preuve très pertinents lorsqu’elle est parvenue à sa conclusion. En premier lieu, il soutient que la Commission n’a pas tenu d’éléments de preuve selon lesquels l’APECA avait comme pratique routinière de tenir compte de la présence de candidats possibles dans la sélection d’un processus interne par rapport à un processus externe. En deuxième lieu, la Commission n’a pas tenu compte du fait que, une fois que le véritable processus a été mené, aucun des candidats internes ne répondait aux qualifications essentielles, confirmant qu’un processus externe était nécessaire afin d’obtenir un candidat qualifié pour le poste. Ce résultat a permis de confirmer que la recommandation de M. Estabrooks de tenir un processus externe n’était pas inappropriée et était conforme au principe selon lequel la zone de sélection doit être suffisante pour offrir un répertoire raisonnable de candidats.

[65]                     Par ailleurs, M. Estabrook soutient qu’il était déraisonnable pour la Commission d’évoquer le fait que les autres postes de DG des Opérations de l’APECA avaient été dotés à l’aide d’un processus interne puisqu’il existait de nombreux autres exemples de processus externes utilisés pour doter des postes semblables dans le Canada atlantique.

(4)               Arguments du défendeur

[66]                     Le défendeur soutient que la décision de la Commission quant à la conduite irrégulière était raisonnable. L’expression « conduite irrégulière » doit être interprétée d’une manière textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la LEFP dans son ensemble : Seck c Canada (Procureur général), 2012 CAF 314, aux paragraphes 21 et 22 [Seck, CAF]. Le contexte dans lequel elle est employée en l’espèce comprend les conduites qui sont contraires aux valeurs directrices prescrites par la LEFP et les lignes directrices de la CFP.

[67]                     La LEFP et la Politique de nomination de la CFP visent à assurer l’intégrité du processus de nomination dans la fonction publique et à favoriser la confiance du public dans les décisions prises en matière de dotation. La LEFP actuelle remplace l’ancienne approche axée sur des règles complexes et lentes par une approche axée sur les valeurs et elle exige que les gestionnaires soient guidés par les valeurs de la LEFP et qu’ils respectent ces valeurs à chaque étape d’un processus de nomination. Ces valeurs sont soulignées dans le préambule de la LEFP. Les décisions de nomination doivent être guidées par les valeurs d’équité, de transparence, de représentativité et d’accès.

[68]                     Le défendeur fait valoir que l’interprétation de la CFP de l’expression « conduite irrégulière » comme étant « un comportement inapproprié, en raison d’une ou plusieurs actions ou d’un défaut d’agir, dans le cadre d’un processus de nomination » était inspiré par les valeurs directrices de la LEFP. Le favoritisme personnel ou la dissimulation des véritables motifs des décisions prises dans le cadre d’un processus de nomination constitueront une condition irrégulière s’ils minent une ou plusieurs des valeurs de la LEFP. L’ancienne définition axée sur les règles établissait uniquement un lien à la question de savoir si une exigence de la ligne directrice de la CFP qui a été violée est trop rigoureuse et pourrait contrecarrer l’intention du législateur.

[69]                     La version anglaise de « conduite irrégulière » à l’article 66 est « improper conduct ». Le défendeur soutient que ni l’expression française ni l’expression anglaise n’exige une intention de mauvaise foi. Par ailleurs, l’interprétation de la CFP est conforme au sens ordinaire des mots et est conforme aux définitions prévues par les dictionnaires :

L Black’s Law Dictionary définit le terme « irrégulier » comme [traduction] « 1 Incorrect ou inapproprié. 2 Frauduleux ou par ailleurs fautif »;

Le Black’s Law Dictionary en ligne définit l’expression « conduite irrégulière » comme [traduction] « Le comportement dont ne ferait pas preuve une personne raisonnable »;

Le Canadian Oxford Dictionary définit le terme « irrégulier » comme [traduction] « 1a) un attentat à la pudeur inconvenant; b) non conforme aux règles acceptées régissant les comportements. 2 Fautif ou incorrect. 3 malhonnête (pratiques commerciales inappropriées). »

[70]                     Le défendeur fait valoir que si une intention est requise, une conduite irrégulière était établie par l’omission de fournir des justifications ou des documents écrits transparents relatifs au processus choisi (externe, bilingue non impératif); que cela n’était pas conforme à la politique; et qu’il s’agissait d’une intention délibérée des cadres de l’APECA de créer et de concevoir cette nomination afin de permettre particulièrement à M. MacAdam de postuler et de participer afin qu’il puisse être nommé au poste. Messieurs Dorsey et Estabrooks ont dissimulé la véritable raison pour laquelle un processus externe annoncé a été choisi et pour laquelle le poste a été doté de manière bilingue non impérative.

[71]                     Le défendeur fait valoir qu’aucune justification transparente n’a été fournie pour la recommandation d’un processus de nomination bilingue non impératif et aucun répertoire de candidats bilingues n’a été évalués en annonçant d’abord le poste de manière bilingue impératif.

[72]                     Selon le défendeur, la dissimulation du véritable motif de ces choix contrevenait à l’exigence de la ligne directrice de la CFP en ce qui concerne la valeur de transparence et étaye une conclusion de conduite irrégulière. Par ailleurs, l’équité du processus de nomination a été viciée par le fait que des principales décisions ont été prises afin de s’assurer que M. MacAdam pouvait postuler.

[73]                     Le défendeur soutient que les fonctionnaires à l’APECA étaient au courant du profil linguistique de M. MacAdam en raison de ses interactions antérieures et de longue date avec eux et il indique, plus particulièrement, que M. Dorsey avait déclaré dans une note de service à l’intention de Mme Collette qu’il était [traduction] « prévu que de nombreux demandeurs soient unilingues ou aient seulement une compétence de niveau fonctionnelle (B) en français. » Selon la Directive sur la dotation des postes bilingues du Conseil du Trésor, « Dans tous les cas où la dotation non impérative est proposée, le gestionnaire doit justifier par écrit l’utilisation de la dotation non impérative [...] ». Le défendeur soutient que M. Dorsey n’a pas fourni une justification satisfaisante ou transparente lorsqu’il a recommandé que le processus soit bilingue non impératif.

[74]                     Contrairement à l’affirmation de M. MacAdam selon laquelle le plan des RH de l’APECA fournissait la justification de la décision de doter le poste de DG des Opérations de manière bilingue non impératif, M. Dorsey n’y a fait aucun renvoi précis et a déclaré plus particulièrement lors de son entrevue qu’elle n’avait aucune incidence sur les nominations au niveau EX. En outre, le défendeur indique qu’aucun des demandeurs n’a mentionné le plan des RH dans leurs commentaires et observations fournis en réponse au rapport d’enquête.

[75]                     Dans l’observation du défendeur, le contexte du processus de nomination aux fins du poste de DG des Opérations comprend les faits suivants établis dans le rapport d’enquête :

[TRADUCTION]

  • M. Schmeisser a été affecté au gouvernement provincial à la demande de M. Dorsey, ce après quoi il a regroupé les fonctions de Dr Schmeisser dans le nouveau poste de DG des Opérations. M. Dorsey a informé M. Schmeisser qu’il avait besoin d’un changement.
  • Le processus de nomination a été effectué à l’externe, par opposition au processus de nomination interne utilisé dans trois autres provinces de l’Atlantique pour doter le même poste.
  • La planification de ce processus de nomination a commencé pendant que M. Hooper, un ami d’enfance de M. MacAdam, était le vice‑président par intérim de l’APECA à l’Î.‑P.‑É., même si les responsabilités liées aux Ressources humaines étaient encore assumées par M. Dorsey.
  • Mme Léger a déclaré que le processus de nomination se déroulait rapidement et que des rumeurs existaient selon lesquels l’emploi visait M. MacAdam.
  • Mme Sullivan a indiqué dans un courriel qu’elle recommanderait que le poste soit annoncé à l’interne plutôt qu’à l’externe.
  • Mme Frenette a confirmé que les [TRADUCTION] « conditions liées à la démission de l'emploi » concernant la mobilité du personnel du ministre – ils ne pourraient avoir accès aux annonces internes s’ils quittaient le cabinet du ministre; Mme Frenette a déclaré que l’emploi de M. MacAdam au cabinet du ministre constituait le facteur qui a suscité le changement du processus, passant d’interne à l’externe.
  • M. Estabrooks a déclaré que l’intérêt d’une personne du cabinet du ministre constituait un facteur important dans sa recommandation d’utiliser un processus externe.
  • M. Estabrooks a déclaré que M. Dorsey souhaitait offrir à la personne du cabinet du ministre une occasion de participer au concours.
  • Mme Frenette a déclaré que M. Estabrooks l’avait informé que l’exigence pour un membre du personnel du ministre, M. MacAdam, de quitter son emploi constituait la raison pour laquelle le processus était externe.
  • Selon le témoignage de Mme Frenette, elle était sûre que M. Estabrooks avait discuté des exigences prévues à la LEFP avec M. Dorsey afin de déterminer comment un accès au processus pourrait être donné à un membre du personnel du ministre, M. MacAdam, soit la raison pour laquelle M. Estabrooks a fait une recherche concernant les conditions énoncées à l’article 35.2 de la LEFP.
  • Mme Collette a indiqué que la décision d’utiliser un processus de nomination externe relevait de M. Dorsey.
  • Mme Léger a informé M. Estabrooks qu’une justification d’une dotation non impérative devait traiter des tentatives effectuées pour doter le poste de manière bilingue impératif; M. Dorsey a reconnu qu’aucune telle tentative n’a été effectuée.
  • De principaux employés de l’APECA étaient au courant de l’intérêt de M. MacAdam dans le poste de DG des Opérations et que M. LeBlanc en était au courant au moins un an avant l’affichage du poste. M. LeBlanc, Mme Léger, Mme Frenette, Mme Collette, Michael Zinck (directeur du Bureau de liaison ministérielle) et M. Hooper savaient que M. MacAdam était intéressé dans le poste de DG des Opérations avant qu’il ne soit affiché.

[76]                     Le défendeur soutient que le fait de veiller à ce que M. MacAdam puisse participer au processus de nomination constituait un facteur clé dans la décision d’utiliser un processus externe. Le fait que cette justification a été dissimulée mine la valeur de transparence, contrevient à la Politique de nomination et il était donc raisonnable de conclure qu’elle constituait une conduite irrégulière, conformément à l’article 66 de la LEFP.

(5)               Discussion

[77]                     Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il faut faire preuve d’une grande retenue envers l’interprétation de la Commission de sa loi constitutive : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, aux paragraphes 30 et 39. La LEFP a pour objet d’offrir un système plus souple axé sur les valeurs, ce qui comprend l’application de l’article 66 et l’interprétation de l’expression « conduite irrégulière ». On peut raisonnablement conclure qu’il existe une conduite irrégulière lorsqu’un comportement inapproprié lié au processus de nomination mine à une ou à plusieurs des valeurs directrices de la LEFP. Contrairement aux observations des demandeurs, la définition appliquée par la Commission n’est pas trop subjective et, selon le sens ordinaire du texte des dispositions législatives, une intention de mauvaise foi ne constitue pas nécessairement une exigence, nonobstant son intégration dans des décisions antérieures de la CFP.

[78]                     Selon les politiques applicables relatives aux nominations, un processus équitable exige que les décisions de dotation soient prises de manière objective et indépendamment de toute influence politique ou de tout favoritisme personnel. Ce qui représentait, entre autres, un des objectifs de la Loi sur la responsabilisation de 2006. En l’espèce, il n’y a aucune indication d’influence politique dans le processus de nomination exercée par des ministres ou leur personnel. Toutefois, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que la conclusion de la Commission selon laquelle le processus était vicié par une conduite irrégulière était raisonnable en fonction de la preuve.

[79]                     Tout ce dont j’ai besoin pour trancher ces questions en litige est de savoir si la décision de la Commission est intelligible, justifiée et transparente et si elle appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir, précitée, au paragraphe 47. Je n’ai aucune difficulté à parvenir à cette conclusion.

[80]                     D’après ma lecture du dossier, la preuve démontre amplement l’exercice d’un favoritisme personnel de la part de M. Dorsey en vue d’aider un ancien associé en politique provinciale de l’Î.‑P. É. à trouver un atterrissage en douceur chez eux dans un poste sûr et de la haute direction de la fonction publique. M. MacAdam était le bénéficiaire de cette faveur. M. Estabrooks n’était ni un instigateur ni un intervenant principal de ce processus, mais il a facilité les efforts de M. Dorsey à aplanir les difficultés de M. MacAdam à obtenir le poste sans d’abord démissionner de son emploi au cabinet du ministre.

[81]                     Il était raisonnable pour les enquêteurs de la Commission de conclure, d’après la preuve, que les fonctionnaires de l’APECA, y compris M. Dorsey, étaient au courant de l’intérêt de M. MacAdam d’obtenir un poste d’une durée indéterminée dans la fonction publique, malgré son témoignage contraire. Cela a été confirmé par M. LeBlanc, Mme Collette et d’autres cadres au sein de l’APECA qui ont été interrogés. Collectivement, ils étaient au courant de l’intérêt de M. MacAdam relatif à un poste au sein de l’APECA et à retourner à l’Î.‑P.‑É. Mme Collette et M. LeBlanc en étaient au courant même avant qu’ils aient été informés de ce fait par le ministre Ashfield, en tant que courtoisie, pendant une de leurs réunions régulières avec le ministre à l’automne 2010.

[82]                     Le rôle de M. MacAdam en tant que chef de cabinet adjoint au cabinet du ministre comprenait les affaires de l’APECA. Il a utilisé une adresse courriel de l’APECA et travaillait étroitement avec le président et les autres cadres. Selon le témoignage du chef de cabinet du ministre Ashfield, Fred Nott, la personne qui a remplacé M. MacAdam lorsqu’il a été nommé au poste de l’APECA a été embauchée à l’été 2010, malgré le fait qu’il n’y avait aucune place vacante, parce qu’elle avait une expérience connexe au niveau du chef de cabinet et qu’elle était bilingue. Le témoignage de M. Nott indique également qu’une pression est exercée sur les niveaux de dotation au cabinet en raison de la fusion du personnel lorsque le ministre Ashfield a assumé la responsabilité du portefeuille. Une inférence qui peut être tirée est qu’il est devenu plus urgent pour M. MacAdam de se trouver un autre emploi. Selon la preuve, M. MacAdam était, quoiqu’il en soit, intéressé à trouver un emploi plus stable et plus sûr, préférablement chez eux sur l’île.

[83]                     Des discussions avaient été en cours à compter de l’été 2010 en vue de créer et de doter un poste de DG des Opérations. L’organigramme de la Direction générale de l’Î.‑P. É. ne permettrait pas d’avoir deux postes de DG au niveau EX‑02. Ce qui a été réglé lorsque M. Schmeisser, qui avait exprimé un intérêt dans le poste, a été encouragé par M. Dorsey d’accepter un détachement d’un poste auprès du gouvernement de l’Î.‑P.‑É. comportant un soutien financier (50 % de son salaire) provenant de l’APECA. Des mesures ont été prises pour doter le poste de DG des Opérations.

[84]                     Les enquêteurs ont jugé que l’affirmation de M. Dorsey selon laquelle il avait fondé sa décision d’utiliser un processus de nomination externe en raison de sa préoccupation d’attirer un répertoire suffisant de candidats n’était pas crédible. Cette conclusion était raisonnablement loisible aux enquêteurs. Ils ont indiqué que la préférence initiale de M. Dorsey d’utiliser un processus interne, mais l’acquiescement de passer à un processus externe lorsqu’il a été informé des résultats de la recherche de l’admissibilité du personnel du ministre à postuler a été consigné en même temps dans le courriel de M. Estabrooks à l’intention de Mme Frenette en date du 28 octobre 2010.

[85]                     Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’affirmation de M. MacAdam selon laquelle il aurait démissionné de son poste afin de participer à un processus de nomination interne constitue une déclaration intéressée qui ne mérite que peu, voire aucun, poids. Rien dans la preuve n’indique qu’un fonctionnaire de l’APECA avait l’impression qu’il démissionnerait afin de participer au concours. Au contraire, la preuve indique que les fonctionnaires de l’APECA ont agi en vue de protéger son statut d’emploi en s’assurant qu’il n’avait pas à démissionner afin d’être admissible. M. MacAdam n’a pas informé d’abord le ministre de sa demande parce qu’il aurait été sans emploi si sa candidature n’était pas retenue.

[86]                     Parmi les éléments de preuve principaux invoqués par le défendeur dans son argument est un courriel provenant de Mme Léger à l’intention de M. Estabrooks en date du 27 octobre 2010. Il est indiqué [traduction] « Essayer un NAS, mais n’a pas envoyé » dans la ligne objet. Comme cela est indiqué ci‑dessus, il existe un renvoi à la composante des téléphones intelligents de messages NIP à NIP qui est disponible dans le cadre d’une offre à commandes conclue avec les ministères et organismes du gouvernement fédéral. Il permet à un utilisateur BlackBerry d’envoyer un message à un autre utilisateur en évitant les réseaux ministériels. Aucune explication n’a été fournie à la question bizarre de savoir pourquoi Mme Léger souhaiterait transmettre un message à M. Estabrooks de cette façon concernant un processus de dotation. Même si les enquêteurs n’ont pas réglé cette question, une inférence pourrait être tirée selon laquelle Mme Léger ne souhaitait pas que le message soit préservé dans les banques de données du réseau. Toutefois, il a en fin de compte été envoyé par l’intermédiaire du réseau et récupéré par les enquêteurs.

[87]                     Dans le message, Mme Léger mentionne une conversation antérieure entre elle-même et M. Estabrooks et elle indique :

[TRADUCTION]

Un des principaux éléments que j’aurais dû souligner lors de notre discussion est l’élément total de qui fait partie du répertoire de candidats possibles qui respectent les conditions?

Un processus de ce type à ce niveau sera affiché à l’échelle nationale et, par conséquent, j’estime que la probabilité d’obtenir des candidats qualifiés qui sont bilingues s’élève à plus de 50 % (?). La justification doit traiter des « tentatives » que nous avons fait pour nous assurer qu’il n’y a aucun autre candidat qualifié qui répond aux exigences linguistiques.

L’autre élément dont on doit tenir compte est que le candidat non impératif qui est sélectionné doit atteindre le niveau dans un délai de deux ans. S’il ne répond pas à l’exigence, il y a une possibilité (une des quatre conditions) de proroger le délai de deux ans ou il doit être affecté à un poste à l’égard duquel il répond à toutes les exigences’, y compris les exigences linguistiques. Nous devrons avoir un EX‑02 non bilingue en réserve. Il n’y a aucune exception à cet élément et nous (président) rendons compte chaque année dans le RMORCD.

[88]                     Le « RMORCD » dans la langue de la fonction publique est le Rapport ministériel sur l’obligation de rendre compte en dotation qui évalue le rendement en vertu de la LEFP chaque année. Ce rapport vise à assurer le Parlement que les valeurs fondamentales du mérite et de l’impartialité, et les principes directeurs d’équité, de transparence, d’accessibilité et de représentativité sont respectés dans le cadre de nominations.

[89]                     J’estime que ce message indique clairement que les membres du personnel de l’APECA étaient au courant qu’ils étaient susceptibles d’être non conformes aux valeurs fondamentales de la PSEA si la décision de procéder à un processus de dotation externe était prise et qu’ils savaient également qu’il y aurait probablement un nombre important de candidats internes qui répondaient aux exigences linguistiques si l’emploi était affiché à l’échelle nationale. En conséquence, ils devaient fournir une justification qui traitait des [traduction] « tentatives » faites pour [traduction] « s’assurer » qu’il n’y avait aucun autre candidat bilingue qualifié. Cela ne suggère pas un effort pour répondre aux valeurs fondamentales, mais plutôt un avertissement que M. Estabrooks et les gestionnaires responsables devraient cacher leur jeu s’ils procédaient autrement.

[90]                     Il est également frappant que Mme Léger mentionne les conséquences d’une dotation non impérative. Tout candidat retenu qui ne répond pas aux exigences linguistiques du poste aurait droit à une formation de deux ans et peut‑être deux ans supplémentaires pour devenir bilingue. Par ailleurs, s’il ne réussissait pas dans ce délai, le candidat retenu serait garanti un poste équivalent ailleurs dans l’organisation. Cet avertissement suivait un avertissement antérieur provenant de Mme Sullivan en juillet 2010 selon lequel aucun appui ne serait offert pour une dotation non impérative pour des raisons budgétaires en raison des coûts associés à la dotation du poste par intérim en plus de payer les coûts salariaux du candidat retenu et la possibilité d’avoir à soutenir un poste supplémentaire au groupe et niveau EX‑02. Cet avertissement était clairvoyant. Comme cela est indiqué ci‑dessus, M. MacAdam ne répondait pas encore aux exigences du poste en janvier 2014.

[91]                     En conséquence, M. MacAdam est allé directement de son poste au cabinet du ministre à un poste garanti aux groupe et niveau EX‑02 peu importe le succès qu’il pourrait réaliser en formation linguistique. À l’exclusion d’une nomination à un niveau plus élevé ou à un poste plus lucratif dans le secteur privé, il n’aurait pu bénéficier d’un atterrissage plus en douceur pour un ancien membre du personnel du ministre qui cherche à obtenir un poste plus sûr plus près de chez lui.

[92]                     Une des questions que j’ai dû examiner dans le dossier de ce processus de dotation était celle de savoir comment il était possible que M. MacAdam soit devenu le seul candidat qualifié pour ce qui est un poste relativement élevé et sûr dans la fonction publique fédérale. Les postes EX‑02 ne poussent pas sur les arbres, surtout dans le Canada atlantique. Les demandeurs soutiennent que les cadres de l’APECA comprenaient que les candidats possibles ne souhaiteraient pas déménager à l’Î.‑P.‑É. pour des raisons personnelles et liées à leur carrière. Il pourrait s’agir d’une explication raisonnable, mais je me demande s’il en existe une autre.

[93]                     Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que les rumeurs, les ragots et la spéculation selon lesquels [traduction] « l’emploi était destiné à MacAdam », n’ont pas leur place dans la décision de savoir si une conduite irrégulière a eu lieu dans un concours de dotation. Toutefois, si de telles rumeurs circulaient, comme l’a indiqué Mme Léger, il n’est pas difficile de tirer l’inférence selon laquelle ils auraient pu avoir un effet néfaste sur d’autres candidats qualifiés qui se seraient par ailleurs intéressés au poste. Cela pourrait expliquer la raison pour laquelle ils n’ont pas présenté leur candidature.

[94]                     En ce qui concerne les véritables entrevues par le comité d’évaluation, les notes gribouillées prises au moment de l’entrevue sont peu utiles. Il ne semble exister aucun effort sérieux déployé pour consigner les entrevues. De plus, à l’exception de la déclaration catégorique [traduction] « Kevin MacAdam était le seul candidat qualifié », aucune explication n’a été fournie quant à la raison pour laquelle les autres candidats interrogés n’étaient pas qualifiés. M. Dorsey a reconnu qu’il n’a donné aucune explication à un des candidats qui avait pris la peine de se rendre à Charlottetown pour participer à l’entrevue. Un autre candidat a été informé que sa candidature n’avait pas été retenue, selon M. Dorsey, parce qu’il [traduction] « n’avait jamais occupé un poste d’attache de groupe EX » et [traduction] « qu’il s’agissait d’un bond considérable ». Ce candidat a soulevé plus tard l’équité et la transparence du processus auprès de M. Dorsey. M. Dorsey indique que le candidat a [traduction] « a tiré certaines conclusions en raison du candidat qui a en fin de compte été retenu » et qu’il, M. Dorsey, avait expliqué la raison pour laquelle le candidat ne répondait pas aux exigences. Malheureusement, ces explications ne figurent pas dans les notes.

[95]                     Cela ne suggère pas que M. MacAdam n’était pas qualifié aux fins du poste. Il n’y a aucun doute qu’il connaissait bien les conditions économiques de l’île et qu’il connaissait très bien les processus de l’APECA tant en raison de son expérience antérieure à titre de ministre provincial et de son expérience à travailler pendant cinq ans pour le ministre fédéral responsable. Dans un concours équitable du poste, sauf l’exigence linguistique, M. MacAdam aurait fort bien obtenu une note supérieure aux autres candidats. Toutefois, la probabilité de ce résultat ne permet pas de répondre à la conclusion de la Commission selon laquelle une conduite irrégulière l’a aidé à obtenir l’emploi.

[96]                     La seule difficulté que j’ai relativement au rapport d’enquête modifié et à la décision de la Commission concerne la conclusion selon laquelle M. Estabrooks a fait preuve d’une conduite irrégulière. Je comprends que la Commission estime qu’il est important de tenir le personnel des Ressources humaines responsable des conseils qu’ils donnent aux gestionnaires en matière de dotation. Toutefois, la participation de M. Estabrooks au processus attaqué était marginale au mieux. Il relevait de M. Dorsey et obtenir des directives de celui‑ci en tant que gestionnaire responsable.

[97]                     Dans sa réponse au rapport et les mesures correctives proposées, M. Estabrooks a expliqué la justification de ses recommandations concernant le processus de nomination. Il avait été informé que M. Dorsey avait exprimé un intérêt à envisager une personne du cabinet du ministre, mais il ne connaissait pas son identité et il ne comprenait pas que M. Dorsey souhaitait envisager uniquement cette personne aux fins du poste. Il avait l’impression que M. Dorsey souhaitait s’assurer que la personne pourrait participer au processus de nomination avec les candidats internes. Par ailleurs, M. Estabrooks travaillait dans un environnement où, comme il l’a indiqué, la direction de l’APECA avait comme pratique d’utiliser ses connaissances à l’égard des candidats possibles à l’extérieur du gouvernement fédéral comme un facteur pour décider l’utilisation de processus externes. Sa supérieure immédiate de la Direction générale des Ressources humaines, Mme Frenette, croyait que le processus avait été équitable une fois que tout le monde avait eu une possibilité égale de postuler.

[98]                     M. Estabrooks soutient que la Commission n’a pas tenu compte de ses observations lorsqu’elle est parvenue à sa décision finale. Si j’avais été le décideur à cette étape, il se peut que j’aie été d’accord avec M. Estabrooks pour dire que son rôle n’était qu’un rôle de conseiller et que le processus relevait du gestionnaire responsable de la dotation du poste, M. Dorsey et ses supérieurs au sein de l’organisation qui avaient approuvé la forme du concours. Toutefois, mon rôle ne consiste pas à substituer l’opinion du décideur par la mienne. D’après la lecture de la note d’information jointe au rapport d’enquête fourni à la Commission, je suis convaincu que les observations de M. Estabrooks ont été portées à l’attention de la Commission et qu’elles ont été prises en compte dans la décision visée par le présent contrôle.

[99]                     Selon le dossier approfondi et équitable présenté à la Commission, y compris les observations de chacun des demandeurs, je suis convaincu que la décision selon laquelle il existait une conduite irrégulière était raisonnable en ce sens qu’elle était justifiée, transparente et intelligible et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables et justifiables au regard des faits et du droit.

B.                 Les mesures correctives ordonnées à l’égard de messieurs MacAdam, Estabrooks et Dorsey étaient‑elles raisonnables?

(1)               Arguments de M. MacAdam

[100]                 Même si les conclusions de la Commission quant à l’existence d’une conduite irrégulière sont raisonnables, M. MacAdam soutient que la Commission a commis une erreur de droit dans sa décision d’ordonner la révocation de sa nomination. La révocation ne constitue pas une réparation requise en vertu de l’article 66 de la LEFP et ne permet pas de réaliser les objectifs correctifs et de réparation de l’article. Comme cela a été conclu dans des décisions antérieures, la révocation constitue une mesure exceptionnelle. La dérogation des décisions antérieures dans des cas comparables indique que la mesure correctrice en l’espèce est déraisonnable. La révocation devrait être réservée pour les cas les plus graves. Elle n’était pas appropriée dans ces circonstances puisque la Commission a conclu que M. MacAdam n’a fait preuve lui‑même d’aucune inconduite.

(2)               Arguments de M. Dorsey

[101]                 M. Dorsey soutient que les mesures correctives ne constituent des exercices valables du pouvoir conféré par l’alinéa 66b) de la LEFP que lorsqu’elles sont adaptées à la personne responsable du vice visé. L’interdiction de déléguer le pouvoir de nomination à M. Dorsey et la suspension de ses privilèges de dotation ne sont pas « correctifs » au sens de la LEFP. Ils ne sont pas non plus conformes aux mesures prises dans des cas semblables.

[102]                 Il n’existe aucune preuve ni aucune conclusion selon laquelle M. Dorsey a fait preuve d’un abus de pouvoir relativement à la nomination de M. MacAdam. L’ordonnance selon laquelle M. Dorsey doit suivre deux cours n’a aucun fondement juridique ou factuel. Il s’est fié à bon droit aux recommandations et aux conseils qu’il a obtenus des professionnels des ressources humaines à l’APECA. En conséquence, M. Dorsey n’a fait preuve d’aucune négligence ni d’aucun manquement à l’éthique qui exigeait une mesure corrective au moyen d’études supplémentaires.

(3)               Arguments de M. Estabrooks

[103]                 M. Estabrooks soutient que l’ordonnance réparatrice de la Commission était déraisonnable en l’espèce puisqu’elle n’avait pas tenu compte d’éléments de preuve selon lesquels il n’avait que suivi les pratiques établies à l’APECA. Ses actes étaient appuyés par M. LeBlanc, le président de l’APECA et par sa supérieure immédiate, Mme Frenette. M. LeBlanc a indiqué dans une lettre à la Commission qu’une conclusion selon laquelle M. Estabrooks a mal agi constituerait une injustice et aurait une incidence profonde et préjudiciable sur la dotation dans la fonction publique. Selon le témoignage de Mme Frenette, si une personne qualifiée possible est connue, l’APECA essayait de donner à cette personne accès au processus de nomination.

[104]                 S’il était raisonnable que la Commission conclue que le choix d’un processus externe constituait une conduite irrégulière, M. Estabrooks soutient que la mesure corrective en réponse aurait dû viser ceux qui en étaient responsables. La pratique de tenir compte de l’existence de candidats possibles afin de choisir le processus de sélection était uniforme dans l’ensemble de l’APECA. En conséquence, toute réparation aurait dû avoir été de nature systémique plutôt que de pénaliser M. Estabrooks pour avoir suivi la pratique standard.

(4)               Arguments du défendeur

[105]                 Le défendeur soutient que la révocation de la nomination de M. MacAdam et les mesures imposées à l’égard des messieurs Dorsey et Estabrooks sont raisonnables dans les circonstances et relèvent de la compétence de la Commission fondée sur Seck CAF, précitée, au paragraphe 51.

[106]                 Même s’il a été jugé que M. MacAdam n’a fait preuve d’aucune conduite irrégulière, le processus de nomination a été touché par le fait que des principales décisions ont été prises afin de permettre à celui‑ci de postuler et de participer au processus. Le défendeur fait valoir qu’étant donné que les mesures correctives ont pour but de normaliser le processus de nomination en corrigeant les erreurs commises, la façon appropriée de corriger le vice du processus en l’espèce est de révoquer la nomination. Les révocations n’exigent pas une constatation d’un acte répréhensible de la part de la personne nommée et, par conséquent, le défendeur soutient que la révocation de la nomination de M. MacAdam ne constitue pas une dérogation de la pratique antérieure. La révocation d’une nomination en vertu de l’article 66 de la LEFP ne constitue pas une mesure disciplinaire et les principes juridiques propres au droit du travail, tels les principes de la proportionnalité et de la gradation des sanctions, ne s’appliquent pas : Seck, CAF, précitée, aux paragraphes 48 à 51.

[107]                 L’affirmation de M. Dorsey selon laquelle il n’y avait aucun lien entre les mesures correctives imposées et ses actes est s fallacieuse. Le président de l’APECA a décidé de doter le poste de DG des Opérations au moyen d’une mesure de dotation bilingue non impérative externe en fonction de la recommandation de M. Dorsey. M. LeBlanc a indiqué que la décision concernant le processus externe relevait de M. Dorsey et des fonctionnaires des RH.

[108]                 Puisque les mesures prises par les messieurs Dorsey et Estabrooks étaient contraires aux valeurs directrices de la LEFP, plus particulièrement les valeurs d’équité et de transparence, le défendeur soutient qu’une formation en leadership et en dotation éthiques permet de réaliser un objectif correctif. En outre, le défendeur fait valoir que l’interdiction de trois ans concernant le pouvoir de nomination délégué et l’interdiction supplémentaire d’exercer des fonctions en matière de dotation imposées à M. Dorsey permet de s’assurer que les décisions de dotation dans l’avenir immédiat ne contreviendront pas aux valeurs de la LEFP et aux lignes directrices de la CFP.

(5)               Discussion

[109]                 Même si Seck, CAF, précitée, aux paragraphes 48 à 51, traite d’une mesure corrective en vertu de l’article 69 de la LEFP, je suis d’avis que les principes énoncés par la Cour d’appel fédérale s’appliquent également à la révision de mesures correctives en vertu de l’article 66 de la LEFP. Les deux articles de la LEFP confèrent à la Commission les mêmes pouvoirs de prendre des mesures lorsqu’elle conclut que les processus de nomination ont été viciés par la fraude, en ce qui concerne l’article 69, ou par une conduite irrégulière, entre autres, en ce qui concerne l’article 66. Ces pouvoirs de prendre des mesures sont : a) « révoquer la nomination ou ne pas faire la nomination » ou b) « prendre les mesures correctives qu’elle estime indiquées ».

[110]                 Dans Seck CAF, précitée, au paragraphe 48, la Cour d’appel fédérale a conclu que ces mesures correctives sont :

48 […] mesures administratives visant à assurer la probité du processus de nomination à la fonction publique fédérale, et non pas à proprement parler de mesures disciplinaires. Cette distinction est importante, tant afin de cerner les limites des mesures que peut prendre la Commission en vertu de l’article en cause qu’afin de préciser le devoir de la Commission d’agir équitablement envers ceux qui font l’objet de l’enquête.

[111]                 À la lumière de cette distinction, la Cour d’appel fédérale a ensuite examiné le rôle et le mandat de la Commission dans l’administration de ces mesures correctives, ainsi que toute réparation disponible à l’égard de telles mesures : Seck CAF, précitée, aux paragraphes 49 à 51 :

49 Les employeurs des fonctionnaires sont responsables des mesures disciplinaires envers eux, et celles‑ci sont régies par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. La Commission ne peut donc prendre de mesures disciplinaires en vertu de l’article 69 de la Loi. Elle peut tout au plus, comme elle l’a fait dans le cas de l’appelante, remettre à l’employeur l’information pertinente constatée au cours de son enquête. Il appartiendra à celui‑ci, s’il le juge opportun, d’entamer les mesures disciplinaires qui s’imposent. Le rôle et le mandat de la Commission portent sur la probité du processus de nomination à la fonction publique plutôt que sur la discipline des fonctionnaires fautifs.

50 La révocation d’une nomination par la Commission en vertu de l’article 69 n’est donc pas une mesure disciplinaire, car une telle nomination est nulle ab initio. Il ne s’agit pas là d’un congédiement ou d’un licenciement qui peut faire l’objet d’un grief. Les autres mesures correctives que peut prendre la Commission ne peuvent non plus faire l’objet d’un grief.

51 Si la Commission ne peut prendre de mesures disciplinaires en vertu de l’article 69, les mesures correctives qu’elle prend en vertu de cet article ne peuvent être contestées par un grief en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Le recours approprié est plutôt une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Il n’est donc pas question d’appliquer aux mesures correctives en vertu de l’article 69 les principes juridiques propres au droit du travail, tels les principes de la proportionnalité et de la gradation des sanctions. Ces mesures correctives doivent plutôt être contrôlées en utilisant les principes du droit administratif, c’est‑à‑dire qu’elles doivent relever de la compétence de la Commission et être raisonnables.

[112]                 On ne peut dire que la révocation de la nomination de M. MacAdam est déraisonnable au motif qu’il ne s’agit pas de l’un des cas les plus graves puisque les principes du droit du travail, comme les principes de la proportionnalité et de la discipline progressive, ne s’appliquent pas aux mesures correctives prises en vertu de l’article 66 : Seck CAF, précitée, au paragraphe 51. En outre, la révocation ne constitue pas une mesure disciplinaire imposée par la Commission. Au contraire, il s’agit d’une reconnaissance du fait que le processus de nomination a été vicié en raison d’une conduite irrégulière et, par conséquent, la nomination même est nulle ab initio : Seck CAF, précitée, au paragraphe 50.

[113]                 Je suis également d’avis que la mesure corrective prise à l’égard des messieurs Dorsey et Estabrooks est raisonnable. Les mesures correctives visent clairement à protéger et à renforcer l’intégrité du processus de nomination. Même si elles pourraient être considérées comme sévères dans les circonstances à l’égard de M. Estabrooks, elles appartiennent aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[114]                 En conséquence, les demandes sont rejetées avec dépens adjugés au défendeur selon le tarif ordinaire.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que les demandes sont rejetées. Les dépens sont adjugés au défendeur selon le tarif ordinaire. Une copie des présents jugement et motifs sera placée dans chacun des dossiers.

« Richard G. Mosley »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T‑1620‑12, T‑1673‑12, T‑1682‑12

 

INTITULÉ :

KEVIN MACADAM c

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

[BLANK / EN BLANC]

KENT ESTABROOKS c

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

[BLANK / EN BLANC]

PATRICK DORSEY c

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa, Ontario

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 JANVIER 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 MAI 2014

COMPARUTIONS :

Me Janice Payne

Me Craig Stehr

Me James Cameron

Me Murray L. Murphy

pour le demandeur

(pour Kevin MacAdam)

POUR LE DEMANDEUR

(pour Kent Estabrooks)

POUR LE DEMANDEUR

(pour Patrick Dorsey)

 

Me Robert Mackinnon

Me Peter Nostbakken

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nelligan O’Brien Payne S.R.L.

Avocats et procureurs

Ottawa (Ontario)

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Avocats et procureurs

Ottawa (Ontario)

Stewart McKelvey

Avocats et procureurs

Charlottetown (Île‑du‑Prince‑Édouard)

 

pour le demandeur

(pour Kevin MacAdam)

POUR LE DEMANDEUR

(pour Kent Estabrooks)

POUR LE DEMANDEUR

(pour Patrick Dorsey)

William F. Pentney

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 


 

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