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Date : 20140507


Dossier : T-2243-12

Référence : 2014 CF 439

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 7 mai 2014

En présence de monsieur le juge Boivin

 

ENTRE :

PETER COLLINS

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada a confirmé le refus de la Commission d’accorder une semi‑liberté ou une libération conditionnelle totale à Peter Collins (le demandeur) en vue de son expulsion.

I.                   Le contexte factuel

[2]               Peter Collins (le demandeur) est un citoyen britannique de cinquante‑deux (52) ans qui vit au Canada depuis la petite enfance, mais n’a jamais acquis la citoyenneté canadienne (dossier du demandeur, volume 1, aux pages 22 et 23).

[3]               Le demandeur purge une peine de prison à vie pour le meurtre au premier degré d’un agent de police (dossier du demandeur, volume 1, à la page 13).

[4]               Le meurtre s’est produit en 1983, alors que le demandeur se trouvait illégalement en liberté après s’être évadé du Centre de détention d’Ottawa‑Carleton, où il était incarcéré pour divers vols qualifiés. Le demandeur est entré dans un centre d’achat dans l’intention de dévaliser une banque. Il a remarqué un agent de police dans l’aire de restauration, lui a ordonné de se lever et a tiré en l’air en guise d’avertissement. Lorsque l’agent s’est mis à marcher dans sa direction, le demandeur lui a tiré une balle dans la poitrine et l’a tué. Il s’est emparé de son pistolet, a tiré deux (2) autres coups de feu en l’air et dans la foule qui se trouvait dans l’aire de restauration. Le demandeur a été arrêté peu après dans une résidence, où la police a retrouvé l’arme de poing de l’agent, deux (2) pistolets chargés et un fusil de chasse à canon scié (dossier du demandeur, volume 1, à la page 13).

[5]               Le demandeur est visé depuis 1991 par une mesure d’expulsion vers le Royaume‑Uni (dossier du demandeur, volume 1, aux pages 65 et 66).

[6]               Il est devenu admissible à la semi‑liberté le 14 octobre 2005, et à la libération conditionnelle totale le 14 octobre 2008.

[7]               Lorsqu’il sera relâché, que ce soit au titre d’une semi‑liberté, d’une libération conditionnelle totale ou d’une permission de sortir sans escorte (PSSE), le demandeur sera détenu par les autorités de l’immigration et expulsé vers le Royaume‑Uni (Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, alinéa 50b); Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 (la LSCMLC), paragraphe 128(3)).

[8]               Le demandeur a comparu à des audiences devant la Commission des libérations conditionnelles (la Commission) – anciennement la Commission nationale des libérations conditionnelles – en 2006, 2008, 2009 et 2010, et la libération conditionnelle lui a été refusée à chaque fois, la Commission ayant conclu qu’il représentait un risque inacceptable.

[9]               Le 31 mai 2011, la Commission a effectué un examen du cas du demandeur par voie d’étude du dossier. Le 21 novembre suivant, la Commission des libérations conditionnelles du Canada, Section d’appel (la Section d’appel), a confirmé cette décision.

[10]           Le 18 mai 2012, la Commission a de nouveau refusé d’accorder au demandeur une semi‑liberté ou une libération conditionnelle totale.

[11]           Le 14 novembre suivant, la Section d’appel a confirmé la décision de la Commission.

[12]           Le 14 décembre 2012, le demandeur a déposé un avis de demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la Section d’appel.

II.                La décision contestée

A.                La décision de la Commission

[13]           Dans la décision par laquelle elle a refusé d’accorder une semi‑liberté et une libération conditionnelle totale, la Commission a rappelé les circonstances qui ont entouré le meurtre de 1983.

[14]           La Commission a noté que le demandeur avait décrit son enfance difficile, qu’il se souvenait des actes commis le jour du meurtre, qu’il reconnaissait avoir pris de mauvaises décisions et qu’il regrettait les conséquences tragiques subies par la famille de la victime, sa propre famille et l’ensemble de la collectivité.

[15]           La veuve de la victime et l’un de ses fils étaient présents à l’audience. On a lu une déclaration indiquant que le dernier souhait de la mère de la victime était que le demandeur reste en prison pour le meurtre de son fils.

[16]           La Commission a également noté que le demandeur avait déjà été condamné pour voies de fait contre un agent de la paix, vol, possession de biens volés, méfait et défaut de comparution. Le demandeur a d’ailleurs reconnu avoir commis sept (7) vols de banque.

[17]           La Commission a fait observer que, bien qu’il ait complété son plan correctionnel visant à corriger ses facteurs de risque dynamiques, le demandeur requiert encore un degré d’intervention modéré en ce qui touche son fonctionnement dans la collectivité et son orientation personnelle/émotionnelle. Il a obtenu un score de +4 sur l’Échelle d’information statistique sur la récidive, ce qui signifie généralement que deux (2) délinquants du même type sur trois (3) ne commettront pas d’acte criminel dans les trois (3) ans suivant leur libération.

[18]           La Commission a noté que, d’après un rapport psychologique récent, le demandeur ne présentait qu’un [traduction] « risque faible à modéré » de récidive générale et violente. Le psychologue qui a rédigé le rapport est favorable au transfèrement du demandeur dans une prison à sécurité minimale et à des permissions de sortir avec escorte (PSAE) très structurées. Selon un avis psychologique plus récent, le demandeur présente un [traduction] « faible risque » de violence future. Le clinicien qui a rédigé cet avis recommande néanmoins un soutien psychologique constant en raison de la persistance de traits antiautoritaires et oppositionnels. La Commission fait observer que ces évaluations concernant le demandeur représentent un progrès par rapport aux précédentes et que [traduction] « le risque s’est estompé très graduellement au fil des ans » (dossier du demandeur, à la page 14).

[19]           La Commission a relevé la participation louable du demandeur à diverses activités éducatives et bénévoles. Il est également reconnu comme un artiste accompli et a utilisé ses talents au profit d’organisations caritatives.

[20]           La Commission a indiqué que le demandeur avait envisagé un transfèrement au Royaume‑Uni au titre de l’Entente de transfèrement international, mais qu’il avait décidé que cela n’était pas dans son meilleur intérêt, car la procédure paraissait incertaine.

[21]           La Commission fait remarquer que le demandeur n’a pas de plan spécifique en vue de sa semi‑liberté, mais qu’il a fourni un plan de libération conditionnelle totale au cas où il retournerait au Royaume‑Uni. Celui-ci prévoit qu’il vivra chez sa tante, et s’accompagne de lettres de soutien d’amis et de parents au Canada et au Royaume‑Uni, ainsi que de membres de son cercle de soutien et de responsabilité au Royaume‑Uni. Le demandeur a également trouvé un emploi auprès d’un organisme canadien qui l’engagerait au Royaume-Uni. Il a réfléchi à plusieurs modalités de supervision, mais aucune n’est confirmée.

[22]           La Commission a noté que l’équipe de gestion du cas (l’EGC) du demandeur était initialement favorable à son transfèrement dans un établissement à sécurité minimale, mais que des renseignements de sécurité récents indiquaient qu’il était une personne d’intérêt dans une importante enquête criminelle en cours. Cette information a amené l’EGC à rétracter son soutien au transfèrement.

[23]           La Commission a insisté sur le fait que l’EGC du demandeur n’était pas favorable à sa remise en liberté à ce stade-ci, et qu’elle recommandait que la semi‑liberté et la libération conditionnelle totale lui soient refusées.

[24]           La Commission a reconnu que le plan de libération normal d’un individu purgeant une peine de prison à vie incluait des PSSE, suivies d’une semi‑liberté et d’une libération conditionnelle totale. Cependant, le demandeur ne peut s’en prévaloir, puisqu’il sera détenu et expulsé par les autorités de l’immigration dès sa première PSSE. La Commission était convaincue que le transfèrement du demandeur dans un établissement à sécurité minimale serait un moyen possible de répondre à la nécessité d’une remise en liberté graduelle et structurée. Un séjour dans un établissement de ce type permettrait au demandeur de démontrer qu’il peut intégrer un nouvel environnement et respecter les règles dans un cadre beaucoup moins strict. Comme les prisons à sécurité minimale ne sont pas clôturées, cela permettrait aussi d’éprouver la capacité du demandeur à résister à l’évasion. Ce dernier a fait valoir qu’il était possible que les établissements à sécurité minimale soient bientôt clôturés, ce qui annulerait tous les bénéfices potentiels de son transfèrement dans une prison de ce type, mais la Commission a rejeté l’argument, car cette allégation ne reposait sur aucune preuve.

[25]           Enfin, la Commission a tenu compte du fait que le demandeur était une personne d’intérêt dans une importante enquête criminelle en cours, et que cela avait amené l’EGC à ne plus cautionner son transfèrement dans une prison à sécurité minimale. La Commission en a conclu qu’elle n’était pas convaincue que le demandeur ne représentait pas un trop grand danger dans la collectivité, puisqu’aucune supervision ne serait possible dans un autre pays (dossier du demandeur, à la page 15).

B.                 La décision de la Section d’appel

[26]           La Section d’appel a rejeté l’appel et confirmé la décision de la Commission le 18 mai 2012.

[27]           Premièrement, la Section d’appel a conclu que la Commission n’avait pas manqué à son devoir d’équité, puisqu’elle n’avait pas fondé sa décision sur des renseignements incomplets et qu’elle n’avait pas empêché le demandeur de présenter des observations approfondies.

[28]           La Section d’appel a noté que la Commission avait commis une erreur en déclarant au demandeur qu’elle n’était pas tenue de lui communiquer certaines lettres de soutien. Il semblerait qu’elle ait reçu à la dernière minute de tels documents et qu’elle ne les lui ait pas transmis. La Section d’appel fait observer que la Commission a informé le demandeur de l’existence de ces lettres à l’audience, et que celui-ci n’a pas demandé à les consulter et a accepté que l’instruction se poursuive. Il a pu s’étendre sur le soutien dont il bénéficiait, et la Commission a expressément tenu compte de cet élément avant de rendre sa décision.

[29]           La Section d’appel a aussi rejeté l’argument du demandeur d’après lequel la Commission ne lui avait pas communiqué des documents concernant un transfèrement international potentiel de prisonniers, puisqu’elle ne les avait consultés que pour lui demander s’il avait envisagé cette option.

[30]           Deuxièmement, la Section d’appel a conclu que la décision de la Commission était équitable, raisonnable et bien étayée par la preuve disponible.

[31]           La Section d’appel a estimé que le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau de démontrer qu’il existait une crainte raisonnable de partialité de la part de la Commission. Selon la Section d’appel, une personne raisonnable et bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, ne conclurait pas que la Commission avait tranché à l’avance le cas du demandeur, parce que Service correctionnel Canada (SCC) n’avait jamais eu l’intention de le transférer dans un établissement à sécurité minimale. La Commission a toutefois noté que l’EGC avait finalement rétracté son soutien au transfèrement et que le demandeur lui‑même n’en reconnaissait pas la valeur en tant qu’étape d’un processus de remise en liberté graduelle.

[32]           La Section d’appel a également conclu que la décision de la Commission était par ailleurs raisonnable. La Commission a examiné tous les renseignements disponibles, notamment les éléments positifs du dossier du demandeur, mais a conclu en définitive qu’il devait démontrer sa capacité à vivre dans un environnement moins encadré comme une prison à sécurité minimale avant que le risque lié à une libération sans supervision dans un autre pays soit jugé acceptable. Compte tenu de la gravité des actes violents commis, la Commission a raisonnablement déterminé que le danger que le demandeur représentait pour la société demeurait inacceptable, malgré des progrès graduels. Elle n’a accordé aucun poids à ce statut de personne d’intérêt dans une enquête en cours, mais a noté que cette information avait amené l’EGC à ne plus cautionner son transfèrement, ce qui l’avait privé d’une remise en liberté graduelle.

III.             Les dispositions applicables

[33]           Les dispositions suivantes de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoient qu’il sera sursis aux mesures de renvoi visant des étrangers tant qu’ils n’auront pas purgé leur peine d’emprisonnement au Canada. Elles prévoient aussi qu’une peine sera réputée purgée si l’intéressé est relâché au titre d’une permission de sortir sans escorte, d’une semi‑liberté ou d’une libération conditionnelle totale :

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

Immigration and Refugee Protection Act

 

Sursis

 

50. Il y a sursis de la mesure de renvoi dans les cas suivants :

 

[…]

 

b) tant que n’est pas purgée la peine d’emprisonnement infligée au Canada à l’étranger;

 

[…]

 

Stay

 

50. A removal order is stayed

 

 

 

(b) in the case of a foreign national sentenced to a term of imprisonment in Canada, until the sentence is completed;

 

 

 

 

Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition

 

CORRECTIONS AND CONDITIONAL RELEASE ACT

CONSÉQUENCES DE LA LIBÉRATION CONDITIONNELLE

OU D’OFFICE ET PERMISSION DE SORTIR SANS

ESCORTE

 

EFFECT OF PAROLE, STATUTORY RELEASE OR

UNESCORTED TEMPORARY ABSENCE

 

Présomption

 

128. (1) Le délinquant qui bénéficie d’une libération conditionnelle ou d’office ou d’une permission de sortir sans escorte continue, tant qu’il a le droit d’être en liberté, de purger sa peine d’emprisonnement jusqu’à l’expiration légale de celle-ci.

 

[…]

 

Continuation of sentence

 

128. (1) An offender who is released on parole, statutory release or unescorted temporary absence continues, while entitled to be at large, to serve the sentence until its expiration according to law.

 

 

Cas particulier

 

 

(3) Pour l’application de l’alinéa 50b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et de l’article 64 de la Loi sur l’extradition, la peine d’emprisonnement du délinquant qui bénéficie d’une libération conditionnelle ou d’office ou d’une permission de sortir sans escorte est, par dérogation au paragraphe (1), réputée être purgée sauf s’il y a eu révocation, suspension ou cessation de la libération ou de la permission de sortir sans escorte ou si le délinquant est revenu au Canada avant son expiration légale.

Sentence deemed to be completed

 

(3) Despite subsection (1), for the purposes of paragraph 50(b) of the Immigration and Refugee Protection Act and section 64 of the Extradition Act, the sentence of an offender who has been released on parole, statutory release or an unescorted temporary absence is deemed to be completed unless the parole or statutory release has been suspended, terminated or revoked, the unescorted temporary absence is suspended or cancelled or the offender has returned to Canada before the expiration of the sentence according to law.

 

Mesure de renvoi

 

(4) Malgré la présente loi, la Loi sur les prisons et les maisons de correction et le Code criminel, le délinquant qui est visé par une mesure de renvoi au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés n’est admissible à la semi-liberté ou à la permission de sortir sans escorte qu’à compter de son admissibilité à la libération conditionnelle totale.

Removal order

 

(4) Despite this Act, the Prisons and Reformatories Act and the Criminal Code, an offender against whom a removal order has been made under the Immigration and Refugee Protection Act is not eligible for day parole or an unescorted temporary absence until they are eligible for full parole.

[34]           Les dispositions suivantes de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition énoncent les fonctions et pouvoirs de la Commission pertinents en l’espèce :

 

OBJET ET PRINCIPES

PURPOSE AND PRINCIPLES

 

Principes

 

 

101. La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l’exécution de leur mandat par les principes suivants :

 

a) elles doivent tenir compte de toute l’information pertinente dont elles disposent, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, la nature et la gravité de l’infraction, le degré de responsabilité du délinquant, les renseignements obtenus au cours du procès ou de la détermination de la peine et ceux qui ont été obtenus des victimes, des délinquants ou d’autres éléments du système de justice pénale, y compris les évaluations fournies par les autorités correctionnelles;

 

b) elles accroissent leur efficacité et leur transparence par l’échange, au moment opportun, de renseignements utiles avec les victimes, les délinquants et les autres éléments du système de justice pénale et par la communication de leurs directives d’orientation générale et programmes tant aux victimes et aux délinquants qu’au grand public;

 

c) elles prennent les décisions qui, compte tenu de la protection de la société, ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire et proportionnel aux objectifs de la mise en liberté sous condition;

 

d) elles s’inspirent des directives d’orientation générale qui leur sont remises et leurs membres doivent recevoir la formation nécessaire à la mise en œuvre de ces directives;

 

e) de manière à assurer l’équité et la clarté du processus, les autorités doivent donner aux délinquants les motifs des décisions, ainsi que tous autres renseignements pertinents, et la possibilité de les faire réviser.

 

 

Principles guiding parole boards

 

101. The principles that guide the Board and the provincial parole boards in achieving the purpose of conditional release are as follows :

 

(a) parole boards take into consideration all relevant available information, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, the nature and gravity of the offence, the degree of responsibility of the offender, information from the trial or sentencing process and information obtained from victims, offenders and other components of the criminal justice system, including assessments provided by correctional authorities;

 

(b) parole boards enhance their effectiveness and openness through the timely exchange of relevant information with victims, offenders and other components of the criminal justice system and through communication about their policies and programs to victims, offenders and the general public;

 

(c) parole boards make decisions that are consistent with the protection of society and that are limited to only what is necessary and proportionate to the purpose of conditional release;

 

(d) parole boards adopt and are guided by appropriate policies and their members are provided with the training necessary to implement those policies; and

 

(e) offenders are provided with relevant information, reasons for decisions and access to the review of decisions in order to ensure a fair and understandable conditional release process.

Critères

 

102. La Commission et les commissions provinciales peuvent autoriser la libération conditionnelle si elles sont d’avis qu’une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société et que cette libération contribuera à la protection de celle-ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

Criteria for granting parole

 

102. The Board or a provincial parole board may grant parole to an offender if, in its opinion,

 

(a) the offender will not, by reoffending, present an undue risk to society before the expiration according to law of the sentence the offender is serving; and

 

(b) the release of the offender will contribute to the protection of society by facilitating the reintegration of the offender into society as a law-abiding citizen.

 

Compétence

 

107. (1) Sous réserve de la présente loi, de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, de la Loi sur le transfèrement international des délinquants, de la Loi sur la défense nationale, de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre et du Code criminel, la Commission a toute compétence et latitude pour :

 

a) accorder une libération conditionnelle;

 

[…]

 

Jurisdiction of Board

 

107. (1) Subject to this Act, the Prisons and Reformatories Act, the International Transfer of Offenders Act, the National Defence Act, the Crimes Against Humanity and War Crimes Act and the Criminal Code, the Board has exclusive jurisdiction and absolute discretion

 

(a) to grant parole to an offender;

 

 

Appel auprès de la Section d’appel

Appeal to Appeal Division

Droit d’appel

 

147. (1) Le délinquant visé par une décision de la Commission peut interjeter appel auprès de la Section d’appel pour l’un ou plusieurs des motifs suivants :

 

a) la Commission a violé un principe de justice fondamentale;

 

b) elle a commis une erreur de droit en rendant sa décision;

 

c) elle a contrevenu aux directives établies aux termes du paragraphe 151(2) ou ne les a pas appliquées;

 

d) elle a fondé sa décision sur des renseignements erronés ou incomplets;

 

e) elle a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou omis de l’exercer.

 

Right of appeal

 

147. (1) An offender may appeal a decision of the Board to the Appeal Division on the ground that the Board, in making its decision,

 

(a) failed to observe a principle of fundamental justice;

 

(b) made an error of law;

 

(c) breached or failed to apply a policy adopted pursuant to subsection 151(2);

 

(d) based its decision on erroneous or incomplete information; or

 

(e) acted without jurisdiction or beyond its jurisdiction, or failed to exercise its jurisdiction.

 

IV.             Les questions en litige

[35]           La Cour estime que la présente demande soulève trois (3) questions :

1.            La décision de la Commission de refuser d’accorder une semi‑liberté et une libération conditionnelle totale au demandeur était‑elle raisonnable?

2.            La décision de la Commission porte‑t‑elle atteinte à l’article 7 de la Charte?

3.            La décision de la Section d’appel de confirmer la décision de la Commission était‑elle raisonnable?

V.                La norme de contrôle

[36]           Les deux parties font valoir et la Cour convient que, bien que la décision sous contrôle soit techniquement celle de la Section d’appel, c’est en fin de compte la décision de la Commission que la Cour doit apprécier (Cartier c Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, [2002] ACF no 1386 (QL) (Cartier), au paragraphe 10; Scott c Canada (Procureur général), 2010 CF 496, [2010] ACF no 595 (QL) (Scott), aux paragraphes 20 et 35; Latimer c Canada (Procureur général), 2010 CF 806, [2010] ACF no 970 (QL), aux paragraphes 19 et 20). Si la décision de la Commission est jugée raisonnable, celle par laquelle la Section d’appel l’a confirmée le sera également, sauf erreur particulière de sa part (Scott, au paragraphe 35).

[37]           Les parties conviennent également que la norme de la raisonnabilité s’applique aux questions de fait et aux questions mixtes de fait et de droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 (Dunsmuir), aux paragraphes 53 et 54; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339 (Khosa), aux paragraphes 44 et 46).

[38]           Les deux parties soutiennent que les questions concernant des violations alléguées de la Charte sont soumises à la norme de la décision correcte (Dunsmuir, précité, au paragraphe 55; Khosa, précité, au paragraphe 44).

VI.             Les arguments

A.                Les arguments du demandeur

[39]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur de droit et limité son pouvoir discrétionnaire en estimant qu’une [traduction] « remise en liberté graduelle et structurée » était une [traduction] « exigence » ou une condition préalable à l’octroi d’une libération conditionnelle. Bien qu’elle soit désirable et qu’elle s’inscrive dans la politique de la Commission (Manuel des politiques de la CLCC, volume 1, no 29, section 4.2, en ligne : <http://www.pbc-clcc.gc.ca/infocntr/policym/polman-fra.shtml>), la remise en liberté graduelle et structurée n’est pas une exigence légale. La Commission est autorisée à adopter des politiques concernant les libérations conditionnelles, mais celles‑ci n’ont pas le statut de mesures législatives subordonnées et restent « non contraignantes » (Latimer, précitée, aux paragraphes 42 à 48). En faisant de cette préférence politique une exigence stricte, la Commission a illégalement limité son pouvoir discrétionnaire. Plutôt que d’examiner la preuve abondante démontrant que le demandeur ne représentait pas de risque véritable pour la sécurité publique, la Commission s’est concentrée sur l’exigence d’une remise en liberté graduelle qui ne relève pas du régime législatif.

[40]           Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en se reposant sur le fait que l’EGC n’était plus favorable à son transfèrement dans un établissement à sécurité minimale au lieu d’effectuer sa propre analyse du risque. La Commission a souscrit aux recommandations de SCC, formulées par l’entremise de l’EGC du demandeur, alors qu’elle aurait dû prendre sa propre décision (Steele c Canada (Procureur général), 2012 CF 380, [2012] ACF no 535 (QL) (Steele), au paragraphe 14) et expliquer en quoi le transfèrement dans une prison à sécurité minimale relevait de la gestion du danger qui lui était imputé dans la collectivité. Cette erreur est d’autant plus grave que les recommandations de l’EGC s’appuient sur des rapports psychologiques obsolètes.

[41]           Troisièmement, le demandeur affirme que la Commission a agi de manière arbitraire et contraire à l’article 7 de la Charte en concluant qu’il devait être transféré dans un établissement à sécurité minimale avant d’obtenir une libération conditionnelle. L’exercice arbitraire d’un pouvoir discrétionnaire conféré par la Loi contrevient à l’article 7 de la Charte (R c Gill, 2012 ONCA 607, [2012] OJ no 4332 (QL), au paragraphe 64; (Chaoulli c Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, [2005] 1 RCS 791 (Chaoulli), au paragraphe 130; Sfetkopoulos c Canada (Procureur général), 2008 CF 33, [2008] ACF no 6 (QL), au paragraphe 11).

[42]           Le demandeur allègue qu’il ne peut obtenir en aucun cas une remise en liberté graduelle et structurée, puisqu’il est visé par une mesure d’expulsion. Il ne peut pas bénéficier de PSSE, d’un placement à l’extérieur ni d’une semi‑liberté, puisqu’il serait automatiquement mis en détention et expulsé vers le Royaume‑Uni. De plus, même si les PSAE ne sont pas exclues dans sa situation, SCC a refusé toutes ses demandes de PSAE non fondée sur des motifs médicaux ou humanitaires, parce qu’il était sous le coup d’une mesure d’expulsion (affidavit Collins, aux paragraphes 19 à 20, 41 à 65, 148 à 157), et alors même qu’il bénéficiait d’un soutien à cet égard (mémoire des faits et du droit du demandeur aux paragraphes 72 à 79).

[43]           Dans un premier temps, la Commission n’a pas recommandé le transfèrement du demandeur dans un établissement à sécurité minimale et a suggéré l’octroi de PSAE, après quoi elle a changé d’avis et a commencé à évoquer la possibilité d’un transfèrement dans une prison à sécurité minimale (dossier du demandeur, volume 2, à la page 329). Le demandeur a cherché à obtenir un transfèrement volontaire dans un établissement de ce type, mais celui-ci lui a été refusé en raison de son score moyen de 17,5 sur l’Échelle de réévaluation de la cote de sécurité (l’ÉRCS), ce qui signifie qu’un transfèrement était improbable [traduction] « sans dérogation » de SCC (dossier du demandeur, volume 2, à la page 337). Le demandeur note qu’à ce stade, son score sur l’ÉRCS ne sera jamais inférieur à 17,5 ,compte tenu de certains facteurs statiques liés à ses actes passés, sans égard à son comportement actuel et futur. Il n’atteindra donc jamais le score de 17,0 qui lui permettrait d’être transféré dans un établissement à sécurité minimale sans avoir à obtenir de [traduction] « dérogation » (dossier du demandeur, volume 2, à la page 359). Eu égard à ces éléments échappant à son contrôle, son transfèrement dans une prison de ce type dépend entièrement de l’exercice par SCC de son pouvoir discrétionnaire de passer outre son score sur l’ÉRCS (dossier du demandeur, volume 1, aux pages 98 et 99). Comme le transfèrement espéré lui a été refusé plusieurs fois au cours des dernières années, malgré le soutien de différents fonctionnaires de SCC, le demandeur craint que le Service n’use jamais de son pouvoir discrétionnaire en sa faveur. Il qualifie sa situation d’inextricable : le droit canadien ne lui permet aucune forme de libération conditionnelle officielle, et les prétendues mesures de substitution, comme les PSAE et le transfèrement dans un établissement à sécurité minimale, lui sont refusées en pratique. Cette impasse est arbitraire, parce qu’elle résulte du respect aveugle de la politique de remise en liberté graduelle et de l’impossibilité pratique de bénéficier de toutes les autres solutions de rechange à la libération conditionnelle traditionnelle, due aux décisions mêmes de SCC (mémoire des faits et du droit du demandeur aux paragraphes 80 à 100).

[44]           Cinquièmement, le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait que SCC s’était opposé à tous ses efforts en vue d’obtenir la remise en liberté graduelle et structurée qu’elle exigeait de sa part. En lui imposant des conditions qu’elle l’empêchait effectivement de remplir, SCC semble avoir eu pour objectif réel de prolonger l’incarcération du demandeur (mémoire des faits et du droit du demandeur, aux paragraphes 101 à 121). SCC a exigé qu’il démontre sa capacité à fonctionner dans la collectivité, par le travail ou le bénévolat, alors qu’elle savait très bien qu’il ne serait jamais en mesure de le faire, puisqu’il est inadmissible à toute forme de libération conditionnelle au Canada (mémoire des faits et du droit du demandeur, aux paragraphes 103 et 104). Le demandeur ajoute qu’en recommandant une remise en liberté graduelle et structurée tout en refusant toutes ses demandes de PSAE, SCC a agi de manière arbitraire (mémoire des faits et du droit du demandeur, aux paragraphes 105 à 111). Par ailleurs, il fait valoir que SCC défend deux (2) positions contradictoires : le Service affirme qu’une remise en liberté très graduelle et structurée est requise, et il s’oppose pour cette raison à une libération conditionnelle totale; en même temps, comme le demandeur est visé par une mesure d’expulsion, le Service ne prévoit aucun plan véritable pour sa remise en liberté graduelle et rejette toute demande de PSAE ou de transfèrement dans un établissement à sécurité minimale (mémoire des faits et du droit du demandeur, aux paragraphes 112 à 116).

B.                 Les arguments du défendeur

[45]           Premièrement, le défendeur soutient que la Commission a raisonnablement conclu que le demandeur représentait un risque inacceptable.

[46]           Le défendeur avance que le demandeur a mal compris le raisonnement de la Commission en affirmant qu’elle prenait la remise en liberté graduelle et structurée comme une condition préalable légale à l’octroi d’une libération conditionnelle. Au contraire, la Commission a convenablement analysé le risque qu’il représentait pour la société. Elle a tenu compte de la gravité de son infraction, de son milieu et de ses antécédents de violence, des progrès que les programmes et le soutien psychologique lui ont permis d’accomplir, des évaluations psychologiques, de son plan de remise en liberté au Royaume‑Uni et du fait qu’il y serait relâché sans être soumis à un régime de surveillance obligatoire. La Commission a également évoqué les observations du demandeur.

[47]           La Commission a aussi tenu compte de l’Évaluation en vue d’une décision de l’EGC, présentée le 11 avril 2012 (dossier du demandeur, volume 1, aux pages 168 à 174) (Steele, précitée, au paragraphe 14). Dans son évaluation, l’EGC a examiné les antécédents du demandeur, son risque de récidive ainsi que les observations de l’agent de libération conditionnelle, et elle a recommandé qu’il soit transféré dans un établissement à sécurité minimale avant de pouvoir demander une libération conditionnelle. Ses recommandations reposaient principalement sur le fait que le demandeur avait passé la plus grande partie de sa vie adulte en prison et qu’il gagnerait à passer du temps dans la collectivité, plutôt que dans l’environnement restrictif de l’établissement à sécurité moyenne où il se trouve actuellement, avant d’être libéré. Ayant pris en compte tous ces éléments, la Commission a déterminé que le demandeur représentait un risque qui n’était pas inacceptable, puisqu’il ne serait pas soumis à un régime de surveillance obligatoire au Royaume‑Uni. Elle a donc décidé que le demandeur devait démontrer qu’il pouvait s’intégrer à un nouvel environnement et respecter les règles dans un cadre moins restrictif.

[48]           Le défendeur fait valoir que la Commission est parvenue à sa propre conclusion et qu’elle n’a pas suivi aveuglément les recommandations de l’EGC. Elle n’a jamais laissé entendre qu’une remise en liberté graduelle et structurelle était nécessaire. La Commission a plutôt conclu que, dans le cas précis du demandeur et eu égard à tous les renseignements, elle aurait pu être convaincue qu’il ne représentait pas un risque inacceptable pour la société s’il avait passé du temps dans une prison à sécurité minimale. Le défendeur affirme que le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire n’est pas d’apprécier à nouveau les éléments dont disposait la Commission (Pimparé c Canada (Procureur général), 2012 CF 581, [2012] ACF no 589 (QL) (Pimparé), au paragraphe 33).

[49]           Deuxièmement, le défendeur soutient que la décision de la Commission n’est pas contraire à l’article 7 de la Charte. Il ajoute que le refus d’accorder une libération conditionnelle n’équivaut pas en soi à la privation d’une liberté protégée par l’article 7 de la Charte. La libération conditionnelle n’est qu’un simple changement de la forme de la peine et, à ce titre, elle constitue un privilège et non un droit (Scott, précitée, aux paragraphes 62 et 63; Pearce c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), 2012 CF 923, [2012] ACF no 1059 (QL), au paragraphe 39). Quand bien même la décision de la Commission de refuser une libération conditionnelle serait considérée comme une privation de liberté contraire à l’article 7 de la Charte, celle-ci n’offenserait pas les principes de la justice fondamentale, parce qu’elle était nécessaire pour protéger le public conformément à l’article 102 de la LSCMLC (Scott, précitée, au paragraphe 70).

[50]           Le défendeur affirme que la simple idée que le transfèrement dans un établissement à sécurité minimale puisse convaincre la Commission que le demandeur ne représente pas un risque inacceptable pour la société, sous-entend que la libération conditionnelle n’est pas impossible. Il soutient que ce n’est pas parce que des PSAE ont été refusées au demandeur et que SCC n’a pas consenti à son transfèrement dans une prison à sécurité minimale que les décisions futures seront identiques. À mesure que la situation du demandeur évolue et que le danger de récidive diminue, SCC est susceptible de prendre d’autres décisions à l’avenir. Il convient de noter que l’EGC n’a retiré son soutien au transfèrement que parce que le demandeur avait été désigné comme personne d’intérêt dans une enquête de police en cours. La Commission a considéré ce retrait comme un obstacle temporaire, et non comme un état de fait permanent (mémoire des faits et du droit du défendeur, aux paragraphes 54 à 58).

[51]           Le défendeur ajoute que, tant que la remise en liberté d’un détenu entraîne un risque inacceptable pour la société, la prolongation de sa détention à perpétuité peut être justifiée (Pimparé, précitée, au paragraphe 31). L’argument du demandeur selon lequel il devrait être remis sans restriction aux autorités britanniques parce que des PSAE et un transfèrement dans un établissement à sécurité minimale lui ont été refusés jusqu’ici est indéfendable (mémoire des faits et du droit du défendeur, aux paragraphes 59 et 60).

[52]           Troisièmement, le défendeur soutient que la Commission n’est pas compétente à l’égard des décisions de SCC (mémoire des faits et du droit du défendeur, aux paragraphes 62 à 66). Comme la Commission n’est pas compétente à l’égard des décisions de SCC concernant le plan correctionnel d’un détenu (Collier c Canada (Procureur général), 2006 CF 728, [2006] ACF no 924 (QL) (Collier)), le demandeur aurait dû soumettre ses plaintes au SCC en se prévalant du processus de règlement des griefs applicable (ASR c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), 2002 CFPI 741, [2002] ACF no 978 (QL), au paragraphe 21). La Commission devait seulement déterminer si la remise en liberté du demandeur représentait un risque inacceptable pour la société, et non apprécier le grief ou procéder au contrôle judiciaire des décisions de SCC.

[53]           Quatrièmement, le défendeur fait valoir que la décision de la Section d’appel était raisonnable (mémoire des faits et du droit du défendeur, aux paragraphes 67 à 69). Comme la décision de la Commission l’était aussi, celle par laquelle la Section d’appel l’a confirmée devrait également être tenue pour raisonnable, à moins que celle-ci n’ait commis une erreur particulière (Scott, précitée, au paragraphe 35). Comme le demandeur n’impute aucune erreur distincte à la Section d’appel, la Cour ne devrait pas modifier sa décision.

VII.          Analyse

A.                La décision de la Commission de refuser d’accorder une semi‑liberté et une libération conditionnelle totale au demandeur était‑elle raisonnable?

[54]           En substance, le demandeur avance trois (3) principales observations pour contester le caractère raisonnable de la décision de la Commission. Premièrement, il prétend que la Commission a illicitement limité son propre pouvoir discrétionnaire en considérant la remise en liberté graduelle et structurée comme une condition nécessaire à l’octroi d’une libération conditionnelle. Deuxièmement, il soutient que la Commission n’a pas analysé elle-même la situation du demandeur et elle s’est trop appuyée sur les recommandations de SCC. Troisièmement, il fait valoir que SCC l’a délibérément empêché de bénéficier d’une remise en liberté graduelle et structurée de quelque forme que ce soit, alors que la Commission y voyait une condition à l’octroi d’une libération conditionnelle.

[55]           La Cour convient d’abord avec le défendeur que le demandeur a mal compris le raisonnement de la Commission. Quoique le choix du terme [traduction] « exigence » pour désigner le plan de [traduction] « remise en liberté graduelle et structurée » (dossier du demandeur à la page 15) recommandé par l’EGC n’était pas forcément très heureux, il n’est pas fatal, et rien dans la décision de la Commission ne donne à penser qu’elle ait illicitement limité son pouvoir discrétionnaire.

[56]           L’article 102 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition énonce les critères liés à l’octroi d’une libération conditionnelle :

Critères

 

102. La Commission et les commissions provinciales peuvent autoriser la libération conditionnelle si elles sont d’avis qu’une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société et que cette libération contribuera à la protection de celle-ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

Criteria for granting parole

 

102. The Board or a provincial parole board may grant parole to an offender if, in its opinion,

 

(a) the offender will not, by reoffending, present an undue risk to society before the expiration according to law of the sentence the offender is serving; and

 

(b) the release of the offender will contribute to the protection of society by facilitating the reintegration of the offender into society as a law-abiding citizen.

 

 

[57]           Les alinéas 101a) et c) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition prévoient qu’au moment d’appliquer les critères ci‑dessus, la Commission doit tenir compte de tous les renseignements pertinents et prendre des décisions compatibles avec la protection de la société et n’allant pas au‑delà de ce qui est nécessaire et proportionnel aux objectifs de la mise en liberté sous condition :

Principes

 

 

101. La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l’exécution de leur mandat par les principes suivants :

 

a) elles doivent tenir compte de toute l’information pertinente dont elles disposent, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, la nature et la gravité de l’infraction, le degré de responsabilité du délinquant, les renseignements obtenus au cours du procès ou de la détermination de la peine et ceux qui ont été obtenus des victimes, des délinquants ou d’autres éléments du système de justice pénale, y compris les évaluations fournies par les autorités correctionnelles;

[…]

 

c) elles prennent les décisions qui, compte tenu de la protection de la société, ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire et proportionnel aux objectifs de la mise en liberté sous condition;

 

[…]

 

Principles guiding parole boards

 

101. The principles that guide the Board and the provincial parole boards in achieving the purpose of conditional release are as follows :

 

(a) parole boards take into consideration all relevant available information, including the stated reasons and recommendations of the sentencing judge, the nature and gravity of the offence, the degree of responsibility of the offender, information from the trial or sentencing process and information obtained from victims, offenders and other components of the criminal justice system, including assessments provided by correctional authorities;

 

 

(c) parole boards make decisions that are consistent with the protection of society and that are limited to only what is necessary and proportionate to the purpose of conditional release;

 

 

[58]           Dans sa décision, la Commission a notamment examiné les circonstances du meurtre, les antécédents de violence du demandeur, ses activités de bénévolat, les nombreuses évaluations psychologiques et relatives au risque effectuées par les autorités, ainsi que les recommandations de l’EGC. La Commission a noté que le risque que la mise en liberté du demandeur représentait pour la société avait lentement diminué au fil du temps, mais qu’il était encore tel qu’une libération conditionnelle totale n’était pas justifiée à ce stade. Même s’il prétend qu’il ne pose plus qu’un faible danger pour la société, le demandeur ne fait pas valoir que la Commission a commis une erreur sur ce point. Comme il s’agit là d’une conclusion éminemment factuelle regardant le domaine d’expertise de la Commission, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de la modifier (Pimparé, précitée, au paragraphe 33).

[59]           La Commission a noté qu’en raison de son statut de personne susceptible d’expulsion, l’octroi d’une semi‑liberté au demandeur entraînerait son expulsion vers le Royaume‑Uni et sa libération sans condition. Et comme les autres formes de remise en liberté graduelle comme des PSSE lui sont refusées, la seule option qui rendrait plus acceptable le danger qu’il pose pour la collectivité serait un transfèrement dans une prison à sécurité minimale. La Commission a estimé qu’un tel transfèrement permettrait au demandeur de démontrer sa capacité à respecter les règles dans un environnement moins restrictif.

[60]           La Cour est d’avis que la décision de la Commission reposait sur les critères de la LSCMLC, à savoir protéger le public en ne relâchant pas le demandeur s’il présente encore un risque inacceptable et faciliter sa réinsertion dans la société. Tout au long de sa décision, la Commission a appliqué les principes de la LSCMLC en tenant compte de toute la preuve disponible et en recherchant un équilibre entre l’importance capitale de la protection de la société et le choix de la solution la moins restrictive pour le demandeur. Ce dernier n’a pas réussi à convaincre la Cour que la Commission avait ainsi illicitement limité son pouvoir discrétionnaire de quelque manière.

[61]           La Cour est également d’avis que la décision de la Commission se fondait sur les critères et principes pertinents prévus par la loi, qu’elle était raisonnée et qu’elle reposait sur tous les éléments dont elle disposait. Elle a accordé un certain poids au fait que l’EGC est revenue sur son soutien au transfèrement du demandeur dans un établissement à sécurité minimale, mais elle a néanmoins soupesé elle-même la question dont elle était saisie, à savoir s’il fallait ou non accorder au demandeur une semi‑liberté ou une libération conditionnelle totale. Comme le demandeur est visé par une mesure d’expulsion, ces deux possibilités aboutissent à son expulsion vers le Royaume‑Uni où il serait, en substance, libéré sans condition. La Commission a estimé qu’une telle issue n’allait pas dans le sens de la protection de la société, le risque que représente le demandeur dans la collectivité n’étant pas encore acceptable.

[62]           La Commission a évoqué la possibilité d’un transfèrement dans un établissement à sécurité minimale, comme moyen de démontrer la capacité du demandeur à fonctionner en société et à respecter les règles dans un cadre moins contrôlé, et finalement de dissiper les autres préoccupations liées au danger qu’il pose pour la société. Cependant, comme la Commission n’a pas le pouvoir d’ordonner un tel transfèrement, la recommandation de l’EGC s’est en pratique avérée décisive quant aux chances de transfèrement au moment de l’audience. La décision de la Commission de refuser d’accorder une libération conditionnelle reposait en définitive sur son évaluation du risque que représentait le demandeur. La Cour conclut donc que la deuxième observation de ce dernier est non fondée.

[63]           Le demandeur n’a pas réussi à convaincre la Cour qu’il était déraisonnable de la part de la Commission d’exiger une remise en liberté graduelle et structurée tout en ne tenant pas compte des efforts délibérés de SCC pour contrarier tous les moyens qui la rendraient possible. Bien que le dossier indique que plusieurs demandes de PSAE et de transfèrement dans un établissement à sécurité minimale ont été rejetées par le passé, rien ne donne à penser que de futures demandes connaîtront la même issue. Au départ, l’EGC du demandeur était d’ailleurs ouverte à l’idée d’un transfèrement – ce qui montre que ses chances s’améliorent –, mais elle a retiré son soutien à la dernière minute en raison d’une importante enquête criminelle en cours. Cette rétractation de dernière minute de l’EGC a été un véritable revers pour le demandeur. Aussi étrange et malheureux que puisse avoir avoir été pour lui de devenir une personne d’intérêt dans une importante enquête criminelle en toute fin de processus, ceci n’est pas du ressort de la présente demande de contrôle judiciaire (Collier, précitée, au paragraphe 46).

B.                 La décision de la Commission porte‑t‑elle atteinte à l’article 7 de la Charte?

[64]           La Cour conclut que la Commission n’a pas illicitement limité son pouvoir discrétionnaire, qu’elle a raisonnablement appliqué aux faits en présence les critères et principes énoncés dans la loi et qu’elle n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle dans son traitement de la preuve disponible. Par conséquent, dans les circonstances, l’argument du demandeur voulant que la décision de la Commission soit arbitraire et qu’elle l’ait privé de sa liberté en contravention de l’article 7 de la Charte n’est pas convaincant.

[65]           La Cour convient avec le défendeur que le refus de la libération conditionnelle n’est qu’une simple modification d’une peine existante et ne constitue pas en soi une privation de liberté garantie par la Charte (Scott, précitée, au paragraphe 70).

[66]           La Cour ne peut souscrire à l’argument du demandeur selon lequel il a été privé de son droit à la liberté garanti par la Charte du fait que toutes ses tentatives en vue d’obtenir une remise en liberté graduelle et structurée ont échoué à ce jour et qu’elles sont susceptibles d’échouer à l’avenir. Il est bien établi en droit que si sa liberté sans condition continue de représenter une menace pour la société, la prolongation de sa détention à perpétuité peut se justifier (Pimparé, précitée, au paragraphe 31). Cependant, comme nous l’avons déjà mentionné, la Cour doit rejeter l’argument du demandeur selon lequel il n’a aucun moyen d’obtenir le type de remise en liberté progressive qui réduirait le danger qu’il continue de poser pour la société. Par exemple, le dossier donne à penser que, sans l’enquête policière en cours, l’EGC ne se serait pas opposée à son transfèrement dans un établissement à sécurité minimale. La situation du demandeur semble évoluer dans le bon sens. Rien n’autorise la Cour à conclure à ce stade qu’il ne sera jamais placé dans un environnement moins restrictif, de manière à lui permettre de convaincre la Commission qu’il ne représente aucun risque pour la sécurité du public.

C.                 La décision de la Section d’appel de confirmer la décision de la Commission était-elle raisonnable?

[67]           La Cour est convaincue que la Commission a raisonnablement refusé d’accorder au demandeur une semi‑liberté et une libération conditionnelle totale, conformément aux critères et principes pertinents énoncés dans la loi. La Cour conclut également que la décision de la Commission ne contrevient pas à la Charte. Comme le demandeur n’a pas allégué d’erreur particulière de la part de la Section d’appel, la Cour n’a aucune raison de modifier sa décision.

[68]           Pour tous ces motifs, la demande sera rejetée. La Cour a décidé, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, qu’aucuns dépens ne seront adjugés.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


dossier :

T-2243-12

 

 

 

INTITULÉ :

PETER COLLINS

c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

KINGSTON (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 mars 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :

LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

 

LE 7 MAI 2014

COMPARUTIONS :

Paul Quick

 

pour le demandeur

 

 

Peter Nostbakken

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ellacott Law Office

Kingston (Ontario)

 

POUR LE demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE défendeur

 

 

 

 

 

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