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Date : 20140507


Dossier : T-1179-12

Référence : 2014 CF 440

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 7 mai 2014

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

THE SERVICEMASTER COMPANY

demanderesse

et

385229 ONTARIO LTD. DBA MASTERCLEAN SERVICE COMPANY

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               La présente demande constitue un appel, interjeté en application de l’article 56 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 (la Loi), de la décision du 30 mars 2012 par laquelle la Commission des oppositions, au nom du Registraire des marques de commerce (le registraire), a rejeté, par suite de l’opposition de la défenderesse, la demande d’enregistrement de la marque de commerce canadienne n° 1,070,731 et la demande d’enregistrement de la marque n° 1,278,252 présentées par la demanderesse à l’égard, respectivement, de la marque « SERVICEMASTER CLEAN » (la marque nominale) et de la marque « SERVICEMASTER CLEAN et Dessin » (le dessin‑marque).

[2]               La marque nominale et le dessin‑marque de la demanderesse (la requérante devant la Commission) étaient annoncés en liaison avec les services suivants :

Services de conseils auprès des entreprises, services de conseils en affaires et services de franchisage, nommément fourniture d’aide technique dans la création et/ou l’exploitation d’entreprise de services de nettoyage, de gérance de bâtiments ou de gestion des réparations de bâtiments; fourniture d’aide technique dans la création et l’exploitation d’une entreprise; fourniture d’aide technique dans la création et l’exploitation de services de nettoyage; services de nettoyage pour l’intérieur des bâtiments, comprenant les résidences privées, les immeubles commerciaux, les établissements de santé, les installations industrielles et les installations pédagogiques, et leur ameublement, y compris les tapis, les planchers, les murs, les meubles et les appareillages; services de conciergerie; services de restauration après un sinistre, nommément restauration de l’intérieur et de l’extérieur des bâtiments endommagés par le feu, une inondation et d’autres genres de sinistres.

La couleur est revendiquée comme une caractéristique du dessin-marque. Le mot « SERVICEMASTER » est en turquoise et le triangle est en jaune. La requérante se désiste en outre du droit à l’usage exclusif des mots SERVICE et CLEAN en dehors de la marque de commerce.  

[3]               La défenderesse est propriétaire de la marque de commerce déposée MASTER CLEAN portant le numéro d’enregistrement LMC 226,306 et enregistrée le 24 février 1978 en liaison avec les marchandises décrites en tant qu’« appareils de nettoyage pour tapis » et avec les services décrits en tant que « services de restauration, de rénovation et de nettoyage ». L’enregistrement se fonde sur l’emploi de la marque depuis le 1er mai 1980 en liaison avec les services de la défenderesse. La défenderesse utilise également la marque MASTERCLEAN en liaison avec ses services depuis au moins le 1er novembre 1971.

[4]               Quant à la marque nominale, le registraire a rejeté les motifs d’opposition de la défenderesse fondés sur l’article 30, les alinéas 12(1)d) et 16(1)c) ainsi que l’article 2. Il a toutefois accueilli le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(1)a) de la défenderesse. Quant au dessin‑marque, le registraire a accueilli les motifs d’opposition de la défenderesse fondés sur les alinéas 12(1)d) et 16(1)d) et sur l’article 2.

[5]               Dans le présent appel à l’encontre de la décision du registraire, la demanderesse conteste uniquement les conclusions de ce dernier concernant les motifs d’opposition accueillis de la défenderesse, en appuyant fortement son argumentation sur de « nouveaux éléments de preuve ». En ce qui concerne le déroulement du présent appel, le droit applicable est clairement énoncé dans l’arrêt Les Brasseries Molson, Société en nom collectif c John Labatt Ltée, (2000), 5 CPR (4th) 180 (C.A.F.) et la décision Hawke & Company Outfitters LLC c Retail Royalty Company and American Outfitters, Inc, 2012 CF 1539 : la norme de contrôle applicable aux appels en vertu de l’article 56 de la Loi est la raisonnabilité, à moins que n’ait été déposée de nouveaux éléments de preuve qui auraient pu avoir une incidence importante sur la décision du registraire; en l’absence d’éléments de preuve supplémentaires importants, les décisions du registraire qui relèvent de son champ d’expertise, qu’elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu’elles résultent de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la raisonnabilité; en raison de l’expertise du registraire, les décisions de ce dernier commandent une certaine retenue et ne devraient pas être écartées à la légère; toutefois, lorsque des éléments de preuve supplémentaires sont déposés et que ces éléments de preuve auraient pu avoir une incidence importante sur les conclusions de fait du registraire ou sur l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne le bien‑fondé de la décision. La Cour doit par conséquent apprécier les éléments de preuve présentés par la demanderesse en vue d’établir si ceux‑ci auraient pu avoir une incidence importante sur la décision du registraire. Dans la négative, il faut faire preuve de retenue à l’égard de la décision du registraire, ne pas l’écarter à la légère et procéder à son contrôle selon la norme de la raisonnabilité. La question est alors de savoir si la décision du registraire peut résister [traduction] « à un examen assez poussé » et si on ne peut dire qu’elle est [traduction] « manifestement erronée » (voir le mémoire des faits et du droit de la défenderesse, paragraphes 23 à 29).

[6]               Les conclusions du registraire sur la pertinence de la preuve et, par conséquent, son admissibilité aux fins tant de l’alinéa 12(1)d) que de l’alinéa 16(1)a), reproduits ci‑après, sont un élément clé du présent appel :

112. (1) Sous réserve de l’article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l’un ou l’autre des cas suivants :

[…]

d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;

[…]

16. (1) Tout requérant qui a produit une demande selon l’article 30 en vue de l’enregistrement d’une marque de commerce qui est enregistrable et que le requérant ou son prédécesseur en titre a employée ou fait connaître au Canada en liaison avec des marchandises ou services, a droit, sous réserve de l’article 38, d’en obtenir l’enregistrement à l’égard de ces marchandises ou services, à moins que, à la date où le requérant ou son prédécesseur en titre l’a en premier lieu ainsi employée ou révélée, elle n’ait créé de la confusion :

a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;

[…]

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

[…]

(d) confusing with a registered trade-mark;

[…]

16. (1) Any applicant who has filed an application in accordance with section 30 for registration of a trade-mark that is registrable and that he or his predecessor in title has used in Canada or made known in Canada in association with wares or services is entitled, subject to section 38, to secure its registration in respect of those wares or services, unless at the date on which he or his predecessor in title first so used it or made it known it was confusing with

    (a) a trade-mark that had been previously used in Canada or made known in Canada by any other person;

[…]

I.                   Conclusions du registraire relatives à la marque nominale

A.  Alinéa 12(1)d)

[7]               Le registraire a conclu qu’il fallait rejeter le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d), ce que, bien sûr, la demanderesse ne conteste pas dans le présent appel. Cette conclusion a toutefois son importance aux fins de l’appel, étant donné que, comme nous le verrons plus loin, la demanderesse la fait valoir dans ses arguments sur les conclusions du registraire relatives à l’alinéa 16(1)a) :

Après avoir examiné toutes les circonstances de l’espèce, je conclus que la Requérante a établi, selon la prépondérance des probabilités, que SERVICEMASTER CLEAN et MASTER CLEAN ne sont pas susceptibles de créer de la confusion en date d’aujourd’hui, pour les motifs suivants.

Il est difficile de monopoliser des termes faibles comme « master clean ». Tout en reconnaissant que l’Opposante a acquis une certaine réputation en rapport avec MASTER CLEAN, force est d’admettre que la protection accordée à ce genre de marque n’est généralement pas très grande, de petites différences étant suffisantes pour distinguer une marque analogue. SERVICEMASTER CLEAN ressemble à MASTERCLEAN, mais comme le premier élément, et le plus dominant, diffère, les marques sont assez distinctes pour rendre improbable toute confusion, d’autant que la Requérante a acquis une réputation appréciable en rapport avec SERVICEMASTER CLEAN. L’absence d’une preuve de confusion quant à la source, malgré une coexistence de plus de dix ans, confirme ma conclusion.

Le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d) est donc rejeté.

[Non souligné dans l’original.]

(Décision, paragraphes 50 à 52)

B.  Alinéa 16(1)a)

[8]               Le registraire a conclu qu’il fallait accueillir le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(1)a), et la demanderesse conteste cette conclusion :

Après avoir examiné toutes les circonstances de l’espèce, j’arrive à la conclusion que les probabilités de confusion entre les marques MASTER CLEAN et SERVICE MASTER CLEAN en octobre 1997 penchent tout autant du côté de la confusion que de l’absence de confusion. Il en est ainsi d’une part parce que MASTER CLEAN n’est pas le type de marque à laquelle on accorde généralement une grande protection et que la marque de la Requérante ne commence pas par le même mot que celle de l’Opposante, et d’autre part parce qu’en octobre 1997, seule cette dernière avait acquis une réputation en liaison avec sa marque, que les parties sont des concurrentes et que la Marque nominale de la Requérante est composée de la marque de l’Opposante dans son intégralité, précédée du mot SERVICE, faible en soi. Comme il incombe à la Requérante d’établir, suivant la prépondérance des probabilités, que la Marque ne crée pas de confusion avec la marque de commerce de l’Opposante, le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(1)a) est accueilli. Il faut mentionner que la différence entre la conclusion relative à ce motif et celle relative au motif fondé sur l’alinéa 12(1)d) tient en partie au fait que la preuve de la coexistence des marques sans confusion, de même que la preuve de l’emploi par un tiers de marques analogues ne sauraient être prises en compte dans l’examen du présent motif.

[Non souligné dans l’original.]

(Décision, paragraphe 60)

Le registraire s’est fondé sur les éléments de preuve suivants pour tirer les conclusions de fait soulignées dans les motifs qui suivent :

L’Opposante présente la preuve suivante concernant l’emploi de sa marque avant octobre 1997. M. English [président de la société défenderesse] atteste que, depuis 1980, l’Opposante et son prédécesseur ont utilisé sans interruption la marque MASTER CLEAN en liaison avec des services de restauration, de rénovation et de nettoyage. Il précise dans son affidavit que le total des ventes, entre le 1er mai 1996 et le 30 avril 1997, s’élevait à 2 093 828 $. De plus, en réponse à la question 356 de son contre-interrogatoire concernant les ventes antérieures au 1er mai 1996, M. English a indiqué qu’elles [traduction] « tournaient autour de 2 millions de dollars pendant plusieurs années […] [et que son entreprise] avait connu 34 années de croissance modeste mais continue et constante ». Par conséquent, je suis convaincue que les services MASTER CLEAN ont été liés à des ventes substantielles avant la date de premier emploi revendiquée par la Requérante.

[…]

Dans son affidavit, M. English atteste également que les dépenses de publicité liées à la marque de l’Opposante s’élevaient à 92 065 $ pour la période allant du 1er mai 1996 au 30 avril 1997.

Bien entendu, à la date de premier emploi revendiquée par la Requérante, la Marque nominale n’avait pas été utilisée ou annoncée, si bien que les facteurs touchant la durée d’utilisation des marques et la mesure dans laquelle chacune d’elles est devenue connue sont nécessairement favorables à l’Opposante.

L’argument de la Requérante est manifestement moins solide au regard de ce motif qu’au regard de celui fondé sur l’alinéa 12(1)d). Je signale que la preuve liée à l’état du marché est postérieure à la date pertinente applicable à ce motif et qu’elle n’est donc d’aucune utilité pour la Requérante.

[Non souligné dans l’original.]

II.                Conclusions du registraire relatives au dessin‑marque

[9]               La demanderesse conteste chacune des conclusions du registraire relatives au dessin‑marque.

 

A.  Alinéa 12(1)d)

[10]           Le registraire a étayé des motifs suivants sa conclusion d’accueillir le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d) :

Après avoir examiné toutes les circonstances de l’espèce, j’arrive à la conclusion qu’en date d’aujourd’hui, les probabilités de confusion entre MASTER CLEAN et le Dessin-marque penchent tout autant du côté de la confusion que de l’absence de confusion. Il en est ainsi parce que d’une part MASTER CLEAN n’est pas le type de marque à laquelle on accorde généralement une grande protection et que la marque de l’Opposante et le Dessin-marque présentent des différences, et d’autre part parce que les parties sont des concurrentes et que la Requérante a choisi un dessin faisant ressortir les mots de sa marque qui reprennent intégralement la marque de l’Opposante. Comme il incombe à la Requérante d’établir, suivant la prépondérance des probabilités, que le Dessin‑marque ne crée pas de confusion avec la marque de commerce de l’Opposante, le motif fondé sur l’alinéa 12(1)d) est accueilli à l’égard de l’enregistrement no LMC 226306. Mentionnons que la différence dans la conclusion relative au motif fondé sur l’alinéa 12(1)d) entre le Dessin‑marque et la Marque nominale tient aussi en partie à l’imprécision de la preuve relative à la réputation acquise par le Dessin-marque, qui m’a empêchée de tirer une conclusion sur l’absence de preuve de confusion.

[Non souligné dans l’original.]

(Décision, paragraphe 71)

Le registraire s’est fondé sur les éléments de preuve suivants pour tirer sa conclusion sur l’« imprécision » de la preuve relative à la réputation :

Un autre facteur distingue l’analyse du Dessin-marque de la Requérante de celle de sa Marque nominale, à savoir la mesure dans laquelle la marque de la Requérante est devenue connue. Par exemple, M. England [administrateur, vice‑président et secrétaire de ServiceMaster of Canada LTD.] a fourni des chiffres de ventes et de publicité annuelles associés aux services de la Requérante depuis 1997; or, ces chiffres concernaient à la fois la Marque nominale et le Dessin-marque. Bien que l’emploi du Dessin‑marque tienne lieu d’emploi de la Marque nominale, l’inverse n’est pas vrai. Par conséquent, on ne sait pas vraiment quel pourcentage de ces chiffres est attribuable au Dessin-marque. Il convient donc d’accorder, dans une certaine mesure, moins d’importance aux chiffres de vente et de publicité fournis par la Requérante.

[Non souligné dans l’original.]

(Décision, paragraphe 70)

B.  Alinéa 16(1)a)

[11]           Le registraire a étayé des motifs suivants sa conclusion d’accueillir le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(1)a) :

Après avoir examiné toutes les circonstances de l’espèce, j’arrive à la conclusion qu’en date du 1er octobre 1997, les probabilités de confusion entre MASTER CLEAN et le Dessin-marque penchaient tout autant du côté de la confusion que du côté de l’absence de confusion. Il en est ainsi d’une part parce que MASTER CLEAN n’est pas le type de marque à laquelle on accorde généralement une grande protection et que MASTER CLEAN et le Dessin-marque présentent des différences, et d’autre part parce qu’au 1er octobre 1997, seule l’Opposante avait acquis une réputation en liaison avec ses marques, que les parties sont des concurrentes et que les éléments graphiques du Dessin-marque de la Requérante font ressortir la partie qui reprend intégralement la marque de l’Opposante. Comme il incombe à la Requérante d’établir, suivant la prépondérance des probabilités, que la Marque ne crée pas de confusion avec la marque de commerce de l’Opposante, le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(1)a) est accueilli. Comme je l’ai mentionné à l’égard de la Marque nominale, la preuve de la coexistence des marques sans confusion ou la preuve de l’emploi par un tiers de marques analogues sont postérieures à la date pertinente applicable à ce motif et ne sauraient être prises en compte.

[Non souligné dans l’original.]

(Décision, paragraphe 75)

Le registraire s’est fondé sur les éléments de preuve suivants pour tirer les conclusions de fait soulignées dans les motifs qui suivent :

Dans le cadre de son opposition contre le Dessin-marque, l’Opposante a présenté moins d’éléments de preuve concernant l’emploi de sa marque avant le 1er octobre 1997 qu’en ce qui concerne la Marque nominale, étant donné qu’on n’a pas demandé à M. English, lorsqu’il a été contre-interrogé au sujet de la demande liée au Dessin-marque, de fournir des données sur les ventes antérieures à mai 1996. M. English a néanmoins fourni dans son affidavit des chiffres de vente et de publicité pour la période allant du 1er mai 1996 au 30 avril 1997 et j’estime que l’Opposante s’est acquittée de son fardeau initial au titre de l’alinéa 16(1)a) quant au Dessin-marque. […]

Bien entendu, à la date de premier emploi revendiquée par la Requérante, le Dessin-marque n’avait pas été utilisé ou annoncé, si bien que les facteurs touchant la durée d’utilisation des marques et la mesure dans laquelle chacune d’elles est devenue connue sont nécessairement favorables à l’Opposante.

[Non souligné dans l’original.]

(Décision, paragraphes 73 et 74)

C.  Article 2

[12]           Le registraire a étayé des motifs suivants sa conclusion d’accueillir le motif d’opposition fondé sur l’article 2 :

Pour s’acquitter de son fardeau initial à l’égard du motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif, l’Opposante doit prouver que son nom commercial MASTER CLEAN était devenu suffisamment connu en date du 6 novembre 2006 pour annuler le caractère distinctif du Dessin-marque. La preuve produite par M. English permet à l’Opposante de s’acquitter de son fardeau initial.

La situation de la Requérante en date du 6 novembre 2006 n’est pas plus solide qu’elle ne l’est aujourd’hui relativement au motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d); pour des raisons analogues à celles qui ont été évoquées à l’égard du motif fondé sur l’alinéa 12(1)d), le motif d’opposition fondé sur le caractère distinctif est accueilli relativement au Dessin-marque.

(Décision, paragraphes 77 et 78)

 

 

III.             Argumentation de la demanderesse relative aux « nouveaux éléments de preuve »

[13]           Le fait que le registraire a donné gain de cause à la demanderesse, quant à la marque nominale, dans son application de l’alinéa 12(1)d) est au cœur de l’argumentation de la demanderesse dans le présent appel. Le registraire a néanmoins conclu qu’il y avait création de confusion au titre de l’alinéa 16(1)a) à l’égard de la marque nominale et du dessin‑marque. Puisqu’une seule conclusion en matière de confusion à l’égard d’une marque suffit à la rendre non enregistrable, les arguments que la demanderesse soulève au moyen des nouveaux éléments de preuve ont comme objectif premier de faire échec aux conclusions du registraire relatives à l’alinéa 16(1)a). La demanderesse présente aussi de nouveaux éléments de preuve à l’égard de la question de la lacune de la preuve en ce qui concerne la conclusion tirée par le registraire au sujet du dessin‑marque et du motif d’opposition fondé sur l’alinéa 12(1)d), en vue de faire aussi échec à cette conclusion.

[14]           L’avocat de la demanderesse a décrit ainsi dans son argumentation les nouveaux éléments de preuve produits par sa cliente :

[traduction]

La demanderesse a produit en appel la déposition de deux témoins, M. Ian England [administrateur, vice‑président et secrétaire de ServiceMaster of Canada LTD.] et Mme Mary Noonan [chercheuse]. Ces nouveaux éléments de preuve visent directement à corriger les lacunes précises que, selon la décision de la Commission, comportait la preuve. (Affidavit du 2 août 2012 d’Ian England (l’affidavit de 2012 de M. England).)

 

Ian England a expliqué que les recettes de 1,2 milliard de dollars qu’il a dit avoir été générées dans ses affidavits précédents, de 1997 à 2006, correspondaient à des ventes effectuées en liaison avec le dessin‑marque. Or, comme l’a souligné la Commission, l’emploi du dessin‑marque est considéré comme l’emploi de la marque nominale.

 

Ian England a déclaré dans sa déposition que, pendant la période de neuf années s’étendant de 1988 à 1996, soit juste avant l’adoption de la marque nominale et du dessin‑marque, SeviceMaster avait engrangé des recettes de plus de 440 millions de dollars au Canada pour les services offerts sous la marque de commerce SERVICEMASTER. M. England a précisé qu’il s’agissait d’un chiffre prudent, étant donné que le calcul ne tenait pas compte de tous les distributeurs.

 

Pendant la même période, soit de 1988 à 1996, des frais de publicité et de promotion de 4,4 millions de dollars ont été supportés relativement à la marque de commerce SERVICEMASTER. Il s’agit encore une fois d’un chiffre prudent.

 

Ian England a aussi expliqué que ServiceMaster faisait concurrence à Masterclean dans le secteur de la restauration après sinistre, et non dans le secteur général du nettoyage, mais qu’elle avait adopté pour ses activités de restauration des marques distinctes – SERVICEMASTER RESTORE et SERVICEMASTER RESTORE & Dessin –, recourant essentiellement à l’identifiant RESTORE plutôt que CLEAN, parce qu’il reflétait mieux la nature des travaux effectués, c‑à‑d la restauration et non le nettoyage.

 

Le changement a été apporté en avril 1999, soit avant que la Commission des oppositions des marques de commerce ne rende sa décision mais après que la preuve lui a été présentée; aucun élément de preuve concernant le changement n’avait donc été présenté à la Commission au moment où elle a rendu sa décision.  

 

Ian England affirme également n’avoir connaissance d’aucun cas où de la confusion aurait existé entre la marque nominale, ou le dessin‑marque, et la défenderesse ou sa marque de commerce MASTER CLEAN.

 

La demanderesse a aussi produit en appel l’affidavit de Mary P. Noonan, qui a témoigné de l’état du registre en octobre 1997. Mme Noonan a repéré des marques en usage en date de 1997 qui comportaient le mot MASTER et qui étaient utilisées en liaison avec des produits ou des services de nettoyage. (Affidavit du 2 août 2012 de Mary P. Noonan (l’affidavit de 2012 de Mme Noonan).)

 

Mme Noonan a également recherché si des marques en usage en 1997 comportaient le mot CLEAN et étaient utilisées en liaison avec des produits ou des services de nettoyage. Elle a relevé 416 pareilles marques.

 

Mme Noonan a également repéré l’existence d’Hydra Master Cleaning Systems Ltd., une société fédérale exploitée activement en 1997.

 

Mme Noonan a finalement trouvé 69 dénominations commerciales en usage en 1997 qui comportaient à la fois les mots MASTER et CLEAN, notamment M&M MASTER CLEAN, MASTER CLEAN CARPET CLEANING, MASTER CLEAN INC., MASTER CLEAN LTD., MASTERCLEAN JANITORIAL SERVICES (RED DEER) et MASTERCLEAN SERVICES.

 

Mme Noonan n’a pas été contre‑interrogée et sa déposition n’a pas été contredite à ce jour.

 

(Mémoire des faits et du droit de la demanderesse, paragraphes 58 à 69)

[15]           La pertinence des nouveaux éléments de preuve de la demanderesse est la question principale à trancher dans la présente demande.

A. Nouveaux éléments de preuve relatifs à la « coexistence de marques sans confusion » postérieurs à la date du premier emploi

[16]           Comme l’ont fait ressortir les passages soulignés de la décision du registraire, ce dernier a clairement exprimé son avis quant à la bonne façon d’interpréter, pour chaque motif d’opposition, la date pertinente. Ainsi, pour pouvoir tirer une conclusion quant à l’existence de confusion entre une marque dont l’enregistrement est demandé et une marque de commerce déposée, pour ce qui est de l’alinéa 12(1)d), la date pertinente est la date de la décision du registraire, mais, pour ce qui est de l’alinéa 16(1)a), la date pertinente est la date du premier emploi de la marque dont l’enregistrement est demandé – il s’agit d’octobre 1997 pour la date nominale et du 1er octobre 1997 pour le dessin‑marque.    

[17]           Comme je l’ai déjà mentionné, en ce qui concerne le motif d’opposition fondé sur l’alinéa 16(1)a), le registraire a conclu qu’on ne saurait prendre en compte, tant à l’égard de la marque nominale que du dessin‑marque, la « preuve de l’emploi par un tiers de marques analogues » et « la coexistence de marques sans confusion ». Le registraire fait remarquer par ces propos que, bien qu’il ait conclu, pour ce qui est de l’alinéa 12(1)d), que la marque nominale ne créait pas de confusion au moment où il a rendu la décision relative à l’opposition, la preuve étayant cette conclusion n’est pas pertinente pour l’application de l’alinéa 16(1)a) aux deux marques, parce que le moment dont il faut tenir compte dans ce cas‑là est la date du premier emploi des marques. 

[18]           La demanderesse remet directement en question les conclusions du registraire quant à la pertinence des éléments de preuve postérieurs à la date du premier emploi. Selon son avocat, le registraire a commis une erreur de principe en excluant ces éléments de preuve :

[traduction]

[…] aucune raison de principe n’empêchait la membre de la Commission de prendre en compte la preuve de la longue coexistence des marques sans confusion dans son analyse du motif d’opposition fondé sur l’article 16. La membre de la Commission n’a pas cité de jurisprudence à l’appui de son interprétation du droit applicable. Il serait logique de pouvoir examiner si une inférence peut être tirée de l’absence de preuve de confusion pendant plus de 15 ans, alors que les services de restauration offerts se recoupaient de façon importante entre 1997 et 2009, afin de savoir s’il existait une probabilité de confusion entre les marques au tout début.

 

(Mémoire des faits et du droit de la demanderesse, paragraphe 110)

[19]           Je juge que la conclusion du registraire s’appuie sur une interprétation littérale du libellé de l’article 16, selon laquelle l’analyse de la question de la confusion doit reposer sur la preuve qui existait à la « date de premier emploi ». Je ne suis donc pas d’accord avec l’avocat de la demanderesse pour dire que les conclusions que le registraire a tirées sur l’inadmissibilité d’éléments de preuve ne s’appuyaient sur aucune raison de principe. Il s’agit d’une question d’interprétation législative. Selon moi, pour que son argument selon lequel il n’existait [traduction] « aucune raison de principe » soit retenu, l’avocat de la demanderesse doit présenter des arguments fondés sur des principes contestant l’avis du registraire quant au droit applicable. De pareils arguments n’ont pas été avancés. Il ne suffit pas d’invoquer la « logique » pour étayer une contestation. Seule suffirait une argumentation liée à l’interprétation législative, correctement formulée et démontrant que l’interprétation littérale de l’alinéa 16(1)a) par le registraire n’est pas exacte, en fonction d’une preuve, ou d’une jurisprudence, convaincante. Or, rien de tel n’a été présenté.

[20]           Je conclus, par conséquent, que le registraire n’a pas commis d’erreur de principe en excluant, aux fins de son analyse fondée sur l’alinéa 16(1)a), des éléments de preuve jugés non pertinents. Je conclus donc que la déposition M. England sur la situation postérieure à la date de premier emploi n’est pas non plus pertinente.

B.  Nouveaux éléments de preuve relatifs à la « réputation » antérieure à la date de premier emploi

[21]           Le registraire a conclu dans son analyse relative à l’alinéa 16(1)a), tant à l’égard de la marque nominale que du dessin‑marque, que « seule cette dernière [l’Opposante] avait acquis une réputation en liaison avec sa marque » à la date du premier emploi, soit octobre 1997 dans le premier cas et le 1er octobre 1997 dans le deuxième. Pour étayer une conclusion de fait contraire, la demanderesse a présenté de nouveaux éléments de preuve relatifs à la réputation de ses marques avant l’une et l’autre dates de premier emploi.

[22]           L’avocat de la demanderesse fait valoir l’argument suivant pour soutenir que, contrairement à ce qu’estime le registraire, les éléments de preuve relatifs à la réputation antérieure à la date de premier emploi sont également pertinents :

[traduction]

La demanderesse a produit de nouveaux éléments de preuve démontrant l’acquisition d’une solide réputation en liaison avec la marque de commerce SERVICEMASTER avant 1997, découlant notamment de recettes de 440 millions de dollars; un volume de ventes considérable en lien avec la marque SERVICEMASTER CLEAN & Dessin; un grand nombre d’enregistrements de marques de commerce et de noms commerciaux comportant les mots CLEAN et MASTER en 1997; l’absence de chevauchement entre les services offerts sous la marque nominale et le dessin‑marque et ceux offerts sous la marque MASTER CLEAN. Ces nouveaux éléments de preuve visent directement à corriger les lacunes entachant la preuve dont la Commission disposait.

 

(Mémoire des faits et du droit de la demanderesse, paragraphe 75)

[23]           Le registraire a reconnu que la question de la réputation se posait lorsqu’il a rendu la décision faisant l’objet du présent contrôle. Lorsqu’il a analysé le motif de la confusion fondé sur l’alinéa 12(1)d) en lien avec la marque nominale, il a formulé les commentaires suivants en ce qui concerne « le caractère distinctif inhérent des marques, la mesure dans laquelle chacune d’elles est devenue connue et la période pendant laquelle elles ont été en usage » :

Le caractère distinctif d’une marque peut s’accroître par l’usage et la promotion. La Requérante emploie SERVICEMASTER au Canada depuis au moins 1954, et a adopté la marque SERVICEMASTER CLEAN en 1997 pour mieux distinguer ses divisions offrant des services liés au nettoyage. L’emploi de la Marque nominale au Canada est continu depuis 1997 et le budget consacré à la publicité nationale s’y rapportant, entre 1997 et 2007, dépassait 3,5 millions de dollars. La publicité entourant la Marque nominale est parue sur le site Web www.servicemaster.ca, dans des revues, des annuaires, des brochures, des salons professionnels et des conférences, sous forme de commandites d’événements, de distribution directe, d’annonces radiophoniques et sur les véhicules de service des franchisés. Les ventes liées aux services SERVICEMASTER CLEAN au Canada entre 1997 et 2006 dépassaient 1,28 milliard de dollars, et se répartissent ainsi selon les divisions : restauration après sinistre – 800 millions de dollars; services de nettoyage résidentiel – 25 millions de dollars; services de nettoyage commercial – 138 millions de dollars; services de conciergerie – 320 millions de dollars.

 

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Décision, paragraphe 25)

Pour ce qui est cette fois du « degré de ressemblance entre les marques », le registraire a fait remarquer ce qui suit :

Bien que la Marque nominale commence par un mot qui ne fait pas partie de la marque de l’Opposante, la Requérante a repris intégralement la marque de l’Opposante dans sa Marque nominale. De ce fait, il existe une bonne ressemblance entre les marques dans la présentation, le son et les idées qu’elles suggèrent. La Requérante a cependant soutenu qu’en raison de la réputation actuelle de sa marque ou nom SERVICEMASTER, la Marque nominale donne à penser que SERVICEMASTER offre des services de nettoyage, alors que celle de l’Opposante suggère qu’ils sont les maîtres du nettoyage. Tout en reconnaissant que la propriété de l’enregistrement SERVICEMASTER ne confère pas à la Requérante de droit automatique à l’enregistrement d’autres marques en dépit de l’étroitesse des liens unissant ces marques [voir Coronet-Werke Heinrich Schlerf GmbH c. Produits Ménagers Coronet Inc. (1984), 4 C.P.R. (3d) 108, à la page 115 (C.O.M.C.)], j’estime cependant qu’une réputation établie à l’égard du premier et principal élément de la Marque nominale contribue à distinguer la source des services qui lui sont associés, surtout dans un cas comme celui qui nous occupe où les marques sont intrinsèquement faibles.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Décision, paragraphe 36)

[24]           Il est manifeste qu’en rendant la décision faisant l’objet du présent contrôle, le registraire était au fait de la réputation acquise relativement à la marque et au nom SERVICEMASTER. J’estime que la communication au registraire d’éléments de preuve supplémentaires sur le même sujet, du type proposé par la demanderesse, n’aurait pas eu une incidence importante sur ses conclusions.

[25]           Selon la description précitée que l’avocat de la demanderesse a donnée des nouveaux éléments de preuve, Mme Noonan témoigne de la situation de tiers à la date du premier emploi, tant de la marque nominale que du dessin‑marque, pour ce qui est de la question de la confusion à cette date. 

[26]           L’avocat de la défenderesse fait pour sa part valoir dans son argumentation, quant à la preuve concernant les tiers, que la demanderesse est tenue de démontrer l’emploi par des tiers de marques analogues à la date du premier emploi (mémoire des faits et du droit de la demanderesse, paragraphe 81). Je souscris à cet argument. Je conclus que, comme la déposition de Mme Noonan ne démontre pas l’emploi par des tiers de marques analogues à la date du premier emploi, celle-ci n’est pas pertinente et qu’à ce titre, elle n’aurait pas pu avoir une incidence importante sur les conclusions du registraire.

C.  Lacune de la preuve pour le dessin‑marque au titre de l’alinéa 12(1)d)

[27]           La demanderesse fait valoir que les nouveaux éléments de preuve auront une incidence importante sur la conclusion tirée par le registraire, au paragraphe 71 de sa décision, quant à « l’imprécision de la preuve [de la demanderesse] relative à la réputation acquise par le Dessin‑marque ». Cette conclusion reposait sur l’attente exprimée par le registraire, au paragraphe 70 de la décision, et découlant du fait que les chiffres de ventes et de publicité fournis concernaient à la fois la marque nominale et le dessin‑marque, de sorte « [qu’]on ne sait pas vraiment quel pourcentage de ces chiffres est attribuable au Dessin-marque ». M. England a fourni les « nouveaux éléments de preuve » suivants pour remédier à cette lacune :

[traduction]

Dans mes affidavits antérieurs [des 17 avril 2007 et 7 mai 2008], j’ai témoigné de ventes, pour plus de 1,2 milliard de dollars entre 1997 et 2006, de services sous la marque SERVICEMASTER CLEAN au Canada. Comme ces chiffres se rapportent aux ventes effectuées par chacune de nos divisions auprès de clients, je tiens à préciser que les ventes ont été faites en liaison avec notre marque de commerce SERVICEMASTER CLEAN & DESSIN.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

(Affidavit du 2 août 2012, paragraphe 19)

Comme ces nouveaux éléments de preuve ne satisfont pas à l’attente du registraire, je conclus qu’ils n’auraient pas pu avoir une incidence importante sur la décision de ce dernier.

IV.             Conclusion

[28]           Je conclus que la demanderesse n’a pas présenté de nouveaux éléments de preuve qui auraient pu avoir une incidence importante sur la décision du registraire, et que je n’ai donc pas à exercer mon pouvoir discrétionnaire à l’égard de la décision visée par l’appel. Je conclus en outre que la décision du registraire est raisonnable puisqu’elle n’est entachée d’aucune erreur de principe, ni manifestement erronée.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la présente demande soit rejetée.

La question des dépens fera l’objet, après argumentation des parties, d’une ordonnance distincte.

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Christine Gervais


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

T-1179-12

 

INTITULÉ :

THE SERVICEMASTER COMPANY c 385229 ONTARIO LTD DBA MASTERCLEAN SERVICE COMPANY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 AVRIL 2014

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Peter W. Choe

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Michael Adams

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Lafleur Henderson SENCRL, srl

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Riches, McKenzie & Herbert LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

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