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Cour fédérale

 

Federal Court

 


Date : 20120628

Dossier : T-161-11

Référence : 2012 CF 825

Ottawa (Ontario), le 28 juin 2012

En présence de madame la juge Bédard 

 

ENTRE :

 

MARTIN LAMPRON

 

 

 

demandeur

 

et

 

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

 

défendeur

 

 

 

 

         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire a trait à une décision rendue le 9 décembre 2010 par le Chef d’état-major de la défense (le Chef d’état-major), à titre d’autorité finale du processus de règlement des griefs. Le grief de Martin Lampron (le demandeur) mettait en cause le paiement d’une indemnité différentielle de vie chère (IDVC). Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

 

I. Contexte

[2]               Le demandeur, qui se représente lui-même, est membre régulier des Forces canadiennes. En 2004, il a été muté au 438e escadron tactique d’hélicoptère à St-Hubert. N’habitant pas sur une base militaire, le demandeur avait l’obligation d’habiter dans les limites géographiques de son lieu de service, soit en l’espèce, la zone de service de Montréal. Le demandeur a choisi de s’installer à St‑Hyacinthe qui était, et est toujours, comprise dans la zone de service de Montréal. À l’époque où le demandeur s’est installé à St-Hyacinthe, la zone de service de Montréal contenait deux secteurs de vie chère, soit des secteurs où le coût de la vie est plus élevé que celui de la moyenne nationale et qui donne droit au paiement d’une IDVC : le secteur de la Rive-Sud de Montréal, dont faisait partie St-Hyacinthe, et le secteur de l’île de Montréal et de la Rive-Nord de Montréal.

 

[3]               C’est après avoir été informé par un représentant du 5e Groupe de soutien du secteur de Montréal (5e GSS) que la ville de St-Hyacinthe faisait partie des limites géographiques de la zone de service de Montréal et qu’il bénéficierait d’une IDVC, que le demandeur a choisi d’y acheter une résidence.

 

[4]               À compter d’août 2004, le demandeur a donc bénéficié de l’IDVC pour le secteur de la Rive-Sud de Montréal, et ce jusqu’en février 2008.

 

[5]               Le demandeur soutient avoir été informé en février 2008 que la ville de St-Hyacinthe avait maintenant sa propre zone géographique et qu’elle ne serait plus incluse dans la zone géographique de la Rive-Sud de Montréal. On lui a ainsi confirmé qu’il recevrait dorénavant l’IDVC applicable à St-Hyacinthe, laquelle était moins élevée que l’IDVC applicable à la zone de vie chère de la Rive‑Sud de Montréal.

 

[6]               Il est utile, pour comprendre la nature du litige qui oppose les parties et les différentes recommandations et décisions qui ont été prises en regard du grief du demandeur, de présenter l’encadrement administratif applicable aux IDVC, tel qu’il ressort de la preuve au dossier.

 

[7]               Les zones géographiques des lieux de service pour la province de Québec sont délimitées par une ordonnance du Comandant du 5e GSS. Les villes de St-Hubert et St-Hyacinthe sont comprises dans la zone géographique du lieu de service de Montréal. Comme le demandeur était posté à St-Hubert, il était donc autorisé à s’installer à St-Hyacinthe. Ce volet n’est pas contesté.

 

[8]               Le demandeur, comme les autres militaires, est assujetti aux Directives sur la rémunération et les avantages sociaux applicables aux Forces canadiennes (DRAS). La DRAS 205.45 traite des IDVC et prévoit que certains secteurs à l’intérieur des zones géographiques de certains lieux de service sont identifiés comme des secteurs de vie chère. Un secteur de vie chère est un secteur à l’intérieur des limites géographiques d’un lieu de service où le coût de la vie est plus élevé que celui de la moyenne canadienne. Les militaires dont la résidence principale est située à l’intérieur d’un secteur de vie chère, qui lui est situé dans les limites géographiques de leur lieu de service, sont admissibles à une IDVC mensuelle. Les IDVC sont versées aux militaires dans le but de mitiger les conséquences négatives sur le plan financier qu’ils subissent lorsqu’ils sont mutés et résident dans un lieu de service où le coût de la vie est supérieur à la moyenne nationale.

 

[9]               Avant décembre 2007, la DRAS 205.45 qui traite des IDVC n’énonçait pas la liste des endroits admissibles à l’IDVC. Le paragraphe 15 de la DRAS 205.45 (version avant décembre 2007) prévoyait par ailleurs que « les endroits admissibles à l’IVC [indemnité de vie chère] et les montants vont varier tous les ans avec les variations des conditions économiques ».

 

[10]           À cette époque, les secteurs de vie chère étaient déterminés par des messages généraux des forces canadiennes (CANFORGEN) émis et entérinés par le Conseil du Trésor, suite à une évaluation des conditions économiques.

 

[11]           Jusqu’en octobre 2005, la zone géographique du lieu de service de Montréal comprenait deux secteurs de vie chère : (1) la Rive-Sud de Montréal, dont faisait partie la ville de St-Hyacinthe et (2) l’île de Montréal et la Rive-Nord de Montréal.

 

[12]           Il y a une certaine confusion dans le dossier parce qu’il semble qu’un taux distinct d’IDVC aurait été déterminé pour St-Hyacinthe à partir de 2001, mais ce taux n’a fait l’objet d’aucune annonce dans les CANFORGEN et il n’a pas été appliqué au demandeur lorsqu’il s’est installé à St‑Hyacinthe en 2004.

 

[13]           Toutefois, le 21 octobre 2005, un CANFORGEN a annoncé pour la première fois un taux d’IDVC distinct pour la ville de St-Hyacinthe. Ce taux était moins élevé que le taux applicable au secteur de vie chère de la Rive-Sud de Montréal. Le CANFORGEN prévoyait par ailleurs que les taux prévus étaient applicables à compter du 1er octobre 2005, mais que la réduction, le cas échéant, entrerait en vigueur le 1er janvier 2006. Le demandeur n’a toutefois pas été informé avant février 2008, qu’il serait assujetti à ce nouveau taux.

 

[14]           Le 10 décembre 2007, la DRAS 205.45 a été refondue. Elle inclut maintenant un tableau qui énonce les secteurs de vie chère et les taux applicables. La ville de St-Hyacinthe apparaît comme un secteur de vie chère distinct qui a son propre taux.

 

II. La décision contestée

A. Le grief du demandeur

[15]           Le 25 avril 2008, le demandeur a contesté par grief son assujettissement à l’IDVC de St‑Hyacinthe à compter de février 2008. Dans son grief, il a allégué que le 5e GSS lui avait confirmé, lorsqu’il a été muté à St‑Hubert en 2004, que la ville de St-Hyacinthe était comprise dans la zone géographique de la Rive‑Sud de Montréal et qu’il a décidé de s’y installer et d’y acheter une maison sur la foi de cette information. Il soutient qu’il est injuste de lui imposer maintenant un changement de zone géographique et il a demandé d’être considéré comme demeurant dans la région de la Rive-Sud de Montréal aux fins de l’IDVC. Comme solution alternative, le demandeur a demandé à être autorisé à acheter une maison dans la région de la Rive-Sud de Montréal, et que les frais afférents au déménagement soient payés par les Forces canadiennes. Le demandeur soutient essentiellement qu’il ne devait pas être pénalisé par le changement apporté par les Forces canadiennes et qu’il devait bénéficier d’une mesure de type clause « grand‑père ».

 

[16]           Dans son grief, le demandeur a aussi allégué qu’il avait été induit en erreur par les représentants des Forces canadiennes et qu’il ne devait pas être pénalisé en raison des erreurs commises par les Forces canadiennes.

 

B. Les recommandations et décisions antérieures à la décision du Chef d’état-major

[17]           Le grief du demandeur a d’abord été examiné par le Directeur Rémunération et avantages sociaux – Administration (DRASA). Dans sa décision du 15 septembre 2008, le DRASA a indiqué que bien que St-Hyacinthe était incluse dans la zone géographique de la Rive-Sud de Montréal, un calcul distinct d’IDVC était fait pour la ville de St-Hyacinthe depuis 2001, et ce pour tenir compte du personnel militaire muté à St-Hyacinthe. Il a toutefois reconnu qu’un taux distinct d’IDVC pour St-Hyacinthe avait été publié pour la première fois en 2005 lorsqu’il est passé de 0 $ à 24 $. Le DRASA était d’avis que le demandeur aurait dû recevoir l’IDVC fixée pour St-Hyacinthe depuis son déménagement à St-Hyacinthe en 2004 et non celui du secteur de vie chère de la Rive-Sud de Montréal. Comme le demandeur avait reçu l’IDVC applicable à la Rive-Sud de Montréal il avait, entre le 1er août 2004 et le 31 janvier 2008, reçu un trop-payé d’un montant de 14 872 $. Le DRASA a par ailleurs indiqué que, comme le taux de l’IDVC pour la ville de St‑Hyacinthe n’avait pas été publié avant le CANFORGEN d’octobre 2005, avec prise d’effet le 1er janvier 2006, il y avait lieu de ne réclamer au demandeur que le trop-payé versé pour la période comprise entre le 1er janvier 2006 et le 31 janvier 2008, soit un montant de 9 500 $.

 

[18]           Le grief du demandeur a ensuite été acheminé au Directeur général Rémunération et avantages sociaux qui agissait comme autorité de première instance de la procédure de règlement des griefs. Il a sensiblement confirmé la position du DRASA.

 

[19]           Le grief a ensuite été acheminé au Comité des griefs des Forces canadiennes (CGFC).

 

[20]           Le CGFC a fait un historique des IDVC applicables pour la ville de St-Hyacinthe. Il a noté que le CANFORGEN du 21 octobre 2005 avait annoncé, pour la première fois, un taux d’IDVC pour la ville de St-Hyacinthe. Le CGFC a par ailleurs conclu que la ville de St‑Hyacinthe était devenue un secteur de vie chère distinct uniquement en avril 2008 lorsque, suite à la refonte de la DRAS 205.45, le taux d’IDVC pour St-Hyacinthe a été inclus directement dans la DRAS 205.45.

 

[21]           Le CGFC a donc jugé que le demandeur avait droit à l’IDVC applicable à la Rive-Sud de Montréal jusqu’en avril 2008, date à laquelle la ville de St-Hyacinthe avait été identifiée comme secteur de vie chère dans la DRAS 205.45, et qu’il n’y avait pas de trop-perçu de 9 500 $ correspondant à la différence entre l’IDVCde la Rive-Sud de Montréal et celle de St-Hyacinthe pour la période entre janvier 2006 et février 2008. Il a par ailleurs conclu qu’à compter d’avril 2008, le demandeur était devenu assujetti à l’IDVC pour le secteur de vie chère de St‑Hyacinthe.

 

C. La décision du Chef d’état-major

[22]           Le Chef d’état-major a rejeté le grief du demandeur et il a déterminé que le demandeur avait droit à l’IDVC de la Rive-Sud de Montréal avant le 1er janvier 2006, mais qu’il aurait dû être assujetti à l’IDVC pour la ville de St-Hyacinthe à compter du 1er janvier 2006. Il n’a donc pas suivi la recommandation du CGFC.

 

[23]           Dans sa décision, le Chef d’état-major a indiqué qu’il n’était pas contesté que la ville de St‑Hyacinthe était, et est toujours, comprise dans la zone géographique de Montréal et qu’elle constitue donc un endroit où les militaires sont autorisés à établir leur résidence principale en fonction du lieu de service de St-Hubert.

 

[24]           Il a par ailleurs indiqué qu’avant décembre 2007, la DRAS 205.45 traitant des IDVC n’incluait pas la liste des endroits admissibles à l’IDVC. Les secteurs de vie chère et les taux d’IDVC étaient déterminés par des CANFORGEN émis et entérinés par le Conseil du Trésor, suite à une évaluation des conditions économiques. Il a cité le paragraphe 15 de la DRAS 205.45 qui prévoyait que « les endroits admissibles à l’IVC [indemnité de vie chère] et leurs montants vont varier tous les ans avec les variations des conditions économiques ». Il a expliqué que jusqu’en 2005, la ville de St-Hyacinthe n’était pas un secteur de vie chère distinct et faisait partie du secteur de vie chère de la Rive-Sud de Montréal. Ainsi, il a noté que dans les CANFORGEN émis en juin 2003 et en juillet 2004, qui annonçaient respectivement les taux pour les années 2003 et 2004, il n’y avait aucune mention d’un taux distinct pour la ville de St‑Hyacinthe. Toutefois, au terme du message CANFORGEN émis en octobre 2005 annonçant les taux pour l’année 2005, la ville de St‑Hyacinthe était devenue un secteur de vie chère distinct de celui de la Rive-Sud de Montréal avec un taux moins élevé que celui de la Rive-Sud de Montréal. Le CANFORGEN prévoyait par ailleurs que la réduction entrerait en vigueur le 1er janvier 2006. Le Chef d’état-major a également indiqué que depuis une refonte de la DRAS 205.45 en décembre 2007, les secteurs de vie chère, incluant celui de St-Hyacinthe, étaient maintenant énumérés dans un tableau inclus en annexe de la DRAS 205.45. Les secteurs et les taux n’étaient donc plus identifiés et publiés par le biais des CANFORGEN.

 

[25]           Dans sa décision, le Chef d’état-major a souligné que la DRAS 205.45 prévoit que les endroits admissibles à l’IDVC et les taux d’indemnité pouvaient varier et que le choix d’une résidence ne devrait pas être fait en fonction d’un secteur de vie chère et du taux respectif pour une année donnée. Comme St-Hyacinthe est devenu un secteur distinct de vie chère le 1er octobre 2005 par l’émission du CANFORGEN, le demandeur aurait dû être assujetti au nouveau taux d’IDVC pour la ville de St-Hyacinthe à compter du 1er janvier 2006, et non à compter de février 2008. Le Chef d’état‑major n’a donc pas accordé la réparation réclamée par le demandeur et sa décision a pour effet de maintenir le trop-payé de 9 500 $ que le demandeur doit rembourser.

 

III. La question en litige

[26]           La seule question en cause dans le présent dossier a trait à la raisonnabilité de la décision du Chef d’état-major.

 

IV. La norme de contrôle

[27]           Le Chef d’état-major devait interpréter la DRAS 205.45 et l’appliquer au cas du demandeur. Sa décision en était donc une mixte de fait et de droit. Il est bien établi par la jurisprudence de notre Cour que les décisions du Chef d’état-major relatives à des questions mixtes de fait et de droit prises dans le cadre du processus de règlement des griefs sont assujetties à la norme de la décision raisonnable (Jones c Canada (Procureur général), 2009 CF 46 au para 23, 339 FTR 202; McIlroy c Canada (Procureur général), 2011 CF 149 para 29 (disponible sur CanLII); Birks c Canada (Procureur général), 2010 CF 1018 aux para 25-27, 375 FTR 83 [Birks]; Rompré c Canada (Procureur général), 2012 CF 101 au para 23 (disponible sur CanLII)). Il n’est donc pas nécessaire de procéder à une analyse de la norme de contrôle applicable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 62 [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

 

[28]           Dans Dunsmuir, précité, la Cour suprême a énoncé le cadre d’analyse que doit appliquer la Cour lorsqu’elle doit réviser une décision en appliquant la norme de contrôle de la décision raisonnable :

47        La norme déférente du caractère raisonnable procède du principe à l'origine des deux normes antérieures de raisonnabilité : certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n'appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Il est loisible au tribunal administratif d'opter pour l'une ou l'autre des différentes solutions rationnelles acceptables. La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l'intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu'à l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

                        [Je souligne]

 

[29]           Dans le récent arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 13 (disponible sur CanLII), la Cour suprême a rappelé et élaboré davantage les principes qui devaient guider l’application de la norme de la décision raisonnable. La Cour a énoncé comme suit la retenue dont les cours doivent faire preuve à l’égard des décisions relevant de l’expertise des tribunaux spécialisés :

13        C'est dans cette optique, selon moi, qu'il faut interpréter ce que la Cour voulait dire dans Dunsmuir lorsqu'elle a parlé de la "justification de la décision [et de] la transparence et [de] l'intelligibilité du processus décisionnel". À mon avis, ces propos témoignent d'une reconnaissance respectueuse du vaste éventail de décideurs spécialisés qui rendent couramment des décisions -- qui paraissent souvent contre-intuitives aux yeux d'un généraliste -- dans leurs sphères d'expertise, et ce en ayant recours à des concepts et des termes souvent propres à leurs champs d'activité. C'est sur ce fondement que notre Cour a changé d'orientation dans Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227, où le juge Dickson a insisté sur le fait qu'il y avait lieu de faire preuve de déférence en appréciant les décisions des tribunaux administratifs spécialisés. Cet arrêt a amené la Cour à faire preuve d'une déférence accrue envers les tribunaux, comme en témoigne la conclusion, tirée dans Dunsmuir, qu'il doit être "loisible au tribunal administratif d'opter pour l'une ou l'autre des différentes solutions rationnelles acceptables" (par. 47).

 

V. Analyse

A. La position du demandeur

[30]           Le demandeur soutient que la ville de St-Hyacinthe n’est véritablement devenue un secteur de vie chère distinct qu’en 2007 lors de la refonte de la DRAS 205.45 qui a inclus un tableau énonçant les secteurs de vie chère et les taux d’IDVC applicables à chaque secteur. Le demandeur soutient que le CANFORGEN d’octobre 2005 a bien annoncé un taux d’IDVC pour la ville de St‑Hyacinthe, mais que pour être valide, une telle annonce devait d’abord être précédée de la création en bonne et due forme d’un secteur de vie chère pour la ville de St-Hyacinthe, ce qui n’a pas été fait avant décembre 2007. Pour appuyer son argument, le demandeur a déposé un CANFORGEN datant de 2001 dans lequel des nouveaux secteurs de vie chère étaient créés et les taux d’IDVC applicables pour ces nouveaux secteurs étaient annoncés. Le demandeur a comparé ce CANFORGEN avec celui d’octobre 2005 qui, selon lui, s’est contenté d’annoncer un taux d’IDVC pour St-Hyacinthe, et il a soutenu que ce CANFORGEN n’avait pas créé un nouveau secteur de vie chère pour St‑Hyacinthe. Il prétend donc qu’il est injuste et déraisonnable de lui réclamer un trop-perçu pour la période comprise entre janvier 2006 et avril 2008 puisqu’aucun secteur de vie chère distinct n’avait valablement été créé pour St-Hyacinthe, qui faisait encore partie du secteur de vie chère de la Rive-Sud de Montréal.

[31]           Le demandeur soutient de plus qu’il a été induit en erreur par les représentants du 5e GSS en 2004 et qu’il y avait de la confusion entre l’interprétation de la DRAS 205.45 par le DRASA et les informations qui lui ont été transmises par le 5e GSS. De plus, comme un taux distinct d’IDVC était déjà calculé pour la ville de St-Hyacinthe depuis 2001, il aurait dû en être informé et, dès lors, il n’aurait pas décidé d’acheter une maison dans cette ville.

 

[32]           Le demandeur prétend au surplus que compte tenu des informations erronées qui lui ont été transmises en 2004, le Chef d’état-major aurait dû lui faire bénéficier d’une clause grand-père et le considérer, aux fins de l’IDVC, comme étant toujours résident du secteur de vie chère de la Rive‑Sud de Montréal.

 

B. La position du défendeur

[33]           Le défendeur, pour sa part, soutient que la décision du Chef d’état-major est raisonnable compte tenu de la preuve au dossier et de l’encadrement administratif applicable aux IDVC. Il soumet que la décision du Chef d’état-major fait partie des issues possibles acceptables au regard de la preuve et des directives applicables et que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

 

[34]           Le défendeur soutient que le CANFORGEN de 2001 déposé par le demandeur n’était pas devant le Chef d’état-major lorsqu’il a pris sa décision et qu’il était raisonnable de sa part de conclure que c’est en 2005 que la ville de St-Hyacinthe est devenue un secteur de vie chère distinct. Il soutient également que même si l’on devait considérer le CANFORGEN de 2001, rien ne permet de conclure que les Forces canadiennes ne pouvaient valablement créer un secteur de vie chère simplement en publiant un taux distinct pour ce secteur à compter de 2005. Les Forces canadiennes ne sont pas liées par un processus donné pour exercer leur pouvoir discrétionnaire.

 

[35]           Le défendeur invoque également que le pouvoir du Chef d’état-major était limité à déterminer à partir de quel moment le demandeur devait être assujetti à l’IDVC pour la ville de St‑Hyacinthe et qu’il n’avait pas la compétence d’accorder au demandeur une quelconque compensation financière en raison d’une information incomplète qui lui aurait été transmise en 2004. Il soutient de plus que la DRAS 205.45 était accessible et s’appliquait à tous les militaires et indiquait clairement que les secteurs de vie chère et les taux pouvaient varier. Il insiste que c’est d’ailleurs le propre d’une IDVC, puisqu’elle est tributaire des conditions économiques qui peuvent changer.

 

[36]           Le défendeur ajoute, en réponse aux arguments du demandeur qui invoque avoir été mal informé en 2004, que la théorie des attentes légitimes ne peut trouver application en l’espèce. D’abord, il n’y a pas eu de promesse faite au demandeur que l’IDVC à laquelle il avait droit en 2004 serait immuable et indéfinie. D’autre part, il n’y a pas eu de représentations claires et précises d’un résultat donné en 2004. Dans tous les cas, le défendeur soutient que la théorie des attentes légitimes, si elle s’appliquait, donnerait au demandeur le droit à des garanties procédurales additionnelles, lesquelles lui ont été largement données tout au long du processus de traitement de son grief.

 

C. Discussion

[37]           Il semble y avoir eu une certaine confusion dans l’application des concepts en cause entre les différents acteurs impliqués dans le processus de traitement du grief du demandeur, et plus particulièrement entre les concepts de zones géographiques et de secteurs de vie chère.

 

[38]           Toutefois, c’est uniquement la décision du Chef d’état-major, qui agissait comme autorité de dernière instance, qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire. Pour les motifs qui suivent, je considère que sa décision est raisonnable.

 

[39]           D’abord, il est important de ne pas confondre les concepts de zones géographiques d’un lieu de service et de secteurs de vie chère. La zone géographique liée à un lieu de service délimite le périmètre à l’intérieur duquel les militaires qui sont postés dans ce lieu de service sont autorisés à établir leur résidence. L’ordonnance qui définit la zone géographique pour le Québec relève du 5e GSS et ne traite aucunement des secteurs de vie chère. Des secteurs de vie chère, pour leur part, peuvent être créés au sein des zones géographiques de certains lieux de service lorsque le coût de la vie y est plus élevé que celui de la moyenne canadienne. Les secteurs de vie chère sont encadrés par la DRAS 205.45.

 

[40]           D’autre part, rien dans la preuve ne permet de croire que la DRAS 205.45 n’est pas valide ou qu’elle n’est pas accessible à l’ensemble des militaires. Or, la version de la DRAS 205.45 qui s’appliquait en 2004, prévoyait clairement que les secteurs de vie chère et les taux applicables n’étaient pas immuables et pouvaient être modifiés en fonction des conditions économiques. Il est malheureux que le demandeur n’ait pas été informé de cet aléa, mais cette situation ne crée pas pour lui des droits additionnels. De plus, la preuve ne démontre pas que des promesses quelconques ont été faites au demandeur. La preuve démontre que le demandeur a été informé que la ville de St-Hyacinthe faisait partie du secteur de vie chère de la Rive-Sud de Montréal et qu’il bénéficierait de l’IDVC applicable pour ce secteur. Or, en 2004, cette information était exacte.  

 

[41]           De plus, à la lumière de la preuve, j’estime qu’il n’est pas raisonnable de penser que St‑Hyacinthe est devenue un secteur de vie chère dès 2001 et je rejette l’argument du demandeur selon lequel il aurait dû être informé de ce fait dès 2004. À tout événement, le Chef d’état-major a réfuté cette affirmation puisqu’il n’a pas conclu que le demandeur aurait dû être assujetti à une indemnité de vie chère pour St-Hyacinthe dès 2004.

 

[42]           J’estime également qu’il était également raisonnable pour le Chef d’état-major de conclure, à la lumière de la preuve, que la ville de St-Hyacinthe était devenue un secteur de vie chère au terme du CANFORGEN émis en octobre 2005, avec prise d’effet le 1er janvier 2006. À partie d’octobre 2005, la zone géographique de Montréal n’avait plus deux, mais trois secteurs distincts de vie chère. Le fait que des nouveaux secteurs de vie chère aient auparavant été annoncés dans des CANFORGEN formulés différemment ne change rien à mon avis. Les Forces canadiennes ne sont pas assujetties à un processus d’expression stricte de leurs directives et le CANFORGEN d’octobre 2005 fixe clairement une IDVC distincte pour St-Hyacinthe. Rien dans la preuve ne permet de conclure que les secteurs de vie chère et les taux d’indemnité doivent être annoncés d’une façon particulière. Il était donc raisonnable pour le Chef d’état-major de conclure qu’un secteur de vie chère distinct pour la ville de St-Hyacinthe avait été créé par le biais du CANFORGEN d’octobre 2005 et que le demandeur aurait dû y être assujetti à compter du 1er janvier 2006.

 

[43]           Je trouve par ailleurs regrettable que le demandeur n’ait pas été informé dès 2005 qu’il serait assujetti au taux de St-Hyacinthe dès le 1er janvier 2006. Cette situation démontre une certaine confusion et un manque de communication entre le DRASA et les représentants du 5e GSS. Cette situation, ou cette erreur, bien que malheureuse, n’a pas comme effet de créer pour le demandeur le droit de recevoir une IDVC autre que celle qui était applicable dans le secteur où il habitait. Les DRAS ne prévoient pas de clause grand-père ou de droits acquis pour une situation comme celle du demandeur et, ni le Chef d’état-major, ni la Cour ne peuvent modifier la DRAS 205.45 (Birks précité).

 

[44]           De plus, rien dans la preuve et dans l’encadrement législatif applicable permet de penser que le Chef d’état-major avait le pouvoir discrétionnaire d’accorder au demandeur un taux d’IDVC autre que celui découlant de l’application du CANFORGEN d’octobre 2005 ou qu’il avait la compétence, dans le cadre d’un grief, pour lui accorder une quelconque compensation en raison d’informations incomplètes qui lui auraient été transmises en 2004 (Codrin c Canada (Procureur général), 2011 CF 100 aux para 55 et 56 (disponible sur CanLII) ; Canada c Bernath, 2007 CAF 400 aux para 16-19 et 22, 164 ACWS (3d) 247.

 

[45]           La décision du Chef d’état-major est donc raisonnable parce qu’elle appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit et l’intervention de la Cour n’est pas justifiée. Sa décision est intelligible, appuyée sur la preuve et bien articulée. Une conclusion autre aurait aussi pu être considérée comme étant raisonnable. Comme le rappelait la Cour suprême du Canada dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59, [2009] 1 RCS 339 : « Il peut exister plus d'une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l'issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d'intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l'issue qui serait à son avis préférable. » C’est principes sont applicables en l’espèce.

 

[46]           Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Compte tenu des circonstances particulières de ce dossier et de la confusion créée par les diverses instances des Forces canadiennes, aucuns dépens n’est accordé.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle soit rejetée. Le tout sans dépens.

 

 

« Marie-Josée Bédard »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-161-11

 

INTITULÉ :                                      MARTIN LAMPRON c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 19 juin 2012

                                                                                               

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE BÉDARD

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 28 juin 2012

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Martin Lampron

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Sara Gauthier

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

POUR LE DEMANDEUR

Myles J. Kirvan

Sous-procureur général du Canada

Montréal, Québec

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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