Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140513


Dossier : IMM-6959-13

Référence : 2014 CF 457

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 13 mai 2014

En présence de monsieur le juge Manson

 

ENTRE :

EVIS NEFTALI CARRANZA BENITEZ

LAZARO ISAI CARRANZA BENITEZ

ABEL JOSUE CRUZ MARTINEZ

EDA ABIGAIL CARRANZA BENITEZ

DIAN ABIGAIL CARRANZA BENITEZ

 

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision que Douglas Cryer, un membre de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission], a rendue conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi]. La Commission a rejeté la demande d’asile des demandeurs, ayant conclu qu’ils n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

I.                   Questions à trancher

[2]               La Commission a-t-elle pris une décision raisonnable au vu de la preuve qui lui a été présentée, de son appréciation de la protection de l’État au Salvador et au Mexique et de la possibilité de refuge intérieur [PRI] dont les demandeurs disposaient, ainsi que des motifs de chacun des demandeurs?

II.                Contexte

[3]               Les demandeurs sont Evis Neftali Carranza Benitez [demandeur principal, ou DP], son frère, Lazaro Isai Carranza Benitez [Lazaro], sa sœur, Eda Abigail Carranza Benitez [Eda], l’époux d’Eda, Abel Cruz Martinez [Abel], et sa fille, Diane Agibail Carranza Benitez [Diane]. Tous sont citoyens du Salvador sauf Diane, qui est citoyenne des États-Unis, et Abel, qui est citoyen du Mexique.

A.                Exposés circonstanciés des formulaires de renseignements personnels

[4]               Tous les demandeurs, sauf Abel, ont signé un exposé circonstancié conjoint accompagnant le Formulaire de renseignements personnels [FRP]. Leur exposé fait état de leur crainte d’être persécutés par les gangs rivaux code de champ Mara 13 et Mara 18.

[5]               Les demandeurs salvadoriens prétendent dans leur exposé circonstancié que des membres du gang Mara 13 ont pénétré par effraction dans leur domicile et leur ont aussi volé des articles à plusieurs occasions. Les dates de ces incidents ne sont pas précisées, mais ils se sont produits après que la mère des demandeurs salvadoriens eut quitté le Salvador, en 1988. Lazaro prétend aussi que, à partir de 1999, des membres du Mara 13 ont menacé de faire du mal au demandeur principal et à Eda si Lazaro ne se ralliait pas à eux.

[6]               En 1998, Lazaro a obtenu le statut de protection temporaire aux États-Unis. Il n’a pas pu obtenir la résidence permanente aux États-Unis, mais y est néanmoins resté illégalement.

[7]               En 1998, Eda a été harcelée par des membres du Mara 13 au Salvador qui se sont emparés de son collier et lui ont demandé de l’argent. En 1999, elle a été harcelée sexuellement par des membres du Mara 13.

[8]               En 2003, Eda est allée aux États-Unis, où elle est restée illégalement.

[9]               En 1992, le gang Mara 13 a battu le demandeur principal après que Lazaro eut refusé de devenir un des leurs. Par la suite, le Mara 13 s’est mis à exiger que le demandeur principal se joigne à eux, mais celui‑ci a refusé. En 2009, le demandeur principal se trouvait à Moncagua, au Salvador, et rentrait chez lui à pied avec un ami quand ils ont été interpellés par des membres du Mara 13 qui leur ont réclamé de l’argent et exigé qu’ils se joignent au Mara 13. Le demandeur principal et son ami ont refusé. Les membres du gang ont alors menacé de les tuer, mais le demandeur principal et son ami les ont avertis qu’ils appelleraient la police et se sont réfugiés dans un poste de police. D’après le demandeur principal, la police ne leur est pas venue en aide. Toutefois, craignant que la police ne soit alertée, les membres du Mara 13 se sont enfuis.

[10]           Dans un exposé circonstancié supplémentaire, le demandeur principal déclare qu’il a travaillé comme pasteur au Salvador de janvier 2003 à janvier 2009. Il déclare que ses fonctions consistaient à prêcher aux enfants de ne pas adhérer aux gangs Mara 13 et Mara 18. En raison de son travail, il a à plusieurs occasions été abordé par de membres de ces gangs dans sa congrégation qui l’ont menacé et cherché à le battre. Il n’a pas contacté la police.

[11]           En 2010, le demandeur principal a quitté son pays pour les États-Unis. Il n’y a pas demandé l’asile.

[12]           Le demandeur principal, Eda, Lazaro et Diane sont venus au Canada le 1er juin 2012, car ils n’avaient aucun statut juridique aux États-Unis et craignaient d’être renvoyés au Salvador.

[13]           Dans son exposé circonstancié, Abel prétend que son père est parti aux États-Unis lorsque lui‑même n’avait que cinq ans. En 2005, alors qu’il était âgé de 15 ans, Abel est allé rejoindre son père aux États-Unis. Son père n’avait pas de statut juridique. Abel déclare qu’il craint de retourner au Mexique et d’être la cible de criminels ou de cartels de la drogue. Il prétend qu’il est devenu impossible de vivre en sécurité au Mexique à cause de l’omniprésence des gangs.

B.                 Témoignage

[14]           Le demandeur principal a déclaré qu’il n’avait pas confiance en la police après l’incident de 2009 parce qu’il était convaincu que la police était de connivence avec les gangs, et il n’a pas fait appel à des autorités supérieures parce qu’il avait peur. Il a également prétendu que s’il retournait au Salvador, il ne serait en sûreté nulle part parce que les chefs de gangs ont des relations dans tout le pays.

[15]      Eda a déclaré qu’elle avait été victime de violence sexuelle de la part de son oncle lorsqu’elle avait sept ans, mais a ajouté qu’elle ne le craindrait pas si elle retournait au Salvador. Cependant, elle a aussi ajouté qu’elle ne serait en sûreté nulle part au Salvador parce que les membres des gangs étaient partout. Elle a de plus prétendu que la police ne la protégerait pas parce qu’elle est corrompue.

[15]           Lazaro a déclaré qu’il craignait de retourner au Salvador parce qu’il était convaincu que le Mara 13 ou le Mara 18 se mettrait à sa poursuite pour des motifs financiers. Il a aussi dit craindre que la police ne l’aide pas en raison de sa réussite financière.

[16]           Abel a déclaré que son père avait été attaqué au Mexique avant de se rendre aux États‑Unis. Il a signalé l’incident à la police, mais les coupables n’ont pas été appréhendés. Il a également déclaré que lorsque son père est retourné au Mexique il y a trois ans, il a été forcé par des membres d’un gang à vendre sa moto à très bas prix et que sa grand‑mère a été victime d’extorsion par des membres de gang.

[17]           La Commission a conclu que les demandeurs du Salvador n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État, et qu’ils auraient pu se prévaloir d’une PRI au Salvador. En outre, la Commission a rejeté la demande d’Abel au motif qu’il n’était pas crédible et qu’il n’avait pas établi qu’il avait qualité de personne à protéger. La Commission a signalé que Diane était une demanderesse mineure et qu’elle n’avait pas présenté de demande d’asile aux États‑Unis.

[18]           La Commission a conclu que les gangs Mara 13 ou Mara 18 ne harcelleraient pas les demandeurs salvadoriens s’ils retournaient dans leur pays natal. Elle a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir que des membres des gangs auraient des raisons de continuer à les persécuter. Plus particulièrement, la Commission a conclu que les craintes exprimées par Eda et Lazaro n’étaient fondées que sur des hypothèses et des théories. La Commission a également donné peu de poids à l’allégation d’Eda selon laquelle elle avait été agressée sexuellement par son oncle étant donné qu’elle ne l’avait pas mentionné dans l’exposé circonstancié de son FRP.

[19]           De plus, la Commission a conclu que le demandeur principal n’avait pas réfuté la présomption de protection de l’État. Plus précisément, elle a fait valoir que l’explication qu’avait donnée le demandeur principal des raisons pour lesquelles il n’avait fait appel à la police qu’une seule fois était insuffisante. La Commission a reconnu que la corruption existait au sein de la police au Salvador, mais elle a signalé que le gouvernement prenait diverses mesures pour réduire la corruption au niveau opérationnel. Plus particulièrement, la Commission a mentionné des preuves documentaires établissant que la police donnait suite aux plaintes et avait instauré un mécanisme disciplinaire. La Commission a également examiné les éléments de preuve selon lesquels les services policiers avaient effectué de nombreuses arrestations de membres de gangs à l’échelle du pays. Compte tenu de ces faits, la Commission a conclu que la protection de l’État était adéquate sur le plan opérationnel et que la réticence subjective des demandeurs de faire appel à la police ne suffisait pas à réfuter la présomption de protection de l’État. 

[20]           Pour ce qui est d’Abel, la Commission a jugé que la preuve n’était pas crédible, car il avait omis de mentionner de trop nombreux éléments dans son exposé circonstancié qu’il avait soulevés dans son témoignage, témoignage qui était d’ailleurs vague. Au nombre des omissions figuraient le fait que sa grand‑mère avait été victime d’extorsion et l’incident dont son père avait été victime après son retour au Mexique. La Commission n’a pas été satisfaite de l’explication de la raison pour laquelle il n’avait pas mentionné l’incident concernant sa grand‑mère dans son exposé circonstancié et a estimé qu’il était incapable de donner des détails sur l’agression subie par son père et de produire des preuves corroborantes. De plus, étant donné qu’il s’était absenté du Mexique assez longtemps, la Commission a conclu qu’aucune preuve convaincante ne permettait d’établir qu’il serait persécuté s’il y retournait.

III.             Norme de contrôle

[21]            La norme de contrôle applicable en l’espèce est la norme du caractère (Sandoval Mares c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 297, au paragraphe 29; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux paragraphes 4, 46 et 61; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53).

IV.             Analyse

[22]           La plupart des arguments des demandeurs visent à faire en sorte que la Cour réexamine la preuve qui a été présentée à la Commission. Ces arguments font valoir que les conclusions tirées par la Commission à la lecture de la preuve sont incorrectes. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, et mon examen de la décision de la Commission ne révèle pas que la Commission a tiré des conclusions déraisonnables de la preuve dont elle disposait. Je rejette les arguments des demandeurs en ce qui concerne la demande d’Abel, et je conclus que le Salvador constitue une PRI viable, que les allégations d’Eda et de Lazaro n’ont pas de lien avec leur demande d’asile et que les menaces proférées par les gangs contre le demandeur principal ne se sont pas traduites par des actes de violence.

[23]           Les demandeurs ont également soulevé d’autres points, à savoir que la Commission aurait dû mentionner certains éléments de preuve documentaire et que sa présomption de protection de l’État était erronée.

[24]           Je conclus qu’il n’a pas été déraisonnable que la Commission ne mentionne pas certains éléments de la preuve documentaire qui n’appuyaient pas ses conclusions relativement à la protection de l’État. La Commission a mentionné les éléments de preuve documentaire corroborant la corruption, les promotions arbitraires et l’insuffisance des fonds consacrés à la force policière du Salvador, ainsi que l’absence d’un code de preuve uniforme. Elle a également signalé certaines des initiatives qui témoignent des efforts déployés par le gouvernement pour résoudre ces problèmes. La Commission n’avait pas à analyser tous les éléments de preuve documentaire, et son appréciation de la preuve a été raisonnable.

[25]           Les demandeurs soutiennent également que la Commission a fait erreur dans son appréciation du risque d’être agressées sexuellement auquel sont exposées les femmes du Salvador étant donné qu’elle n’a pas examiné la preuve documentaire sur la violence généralisée contre les femmes, quoiqu’elle ait tout de même conclu qu’Eda ne courait pas un risque de préjudice individuel. Les demandeurs évoquent les décisions Dezameau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 559 [Dezameau] et Josiile c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 39 [Josiile] pour appuyer leur argument. Toutefois, dans ces deux affaires, il était question de la violence faite aux femmes en Haïti (décision Dezameau, précitée, au paragraphe 18). Vu les différences entre le Salvador et Haïti au chapitre de la violence contre les femmes, j’estime que ces précédents ne s’appliquent pas en l’espèce.

[26]           La conclusion de la Commission selon laquelle la présomption de protection de l’État n’a pas été réfutée était également raisonnable. En tout, les demandeurs ont déclaré avoir eu recours à la police une seule fois, à la suite de l’incident qui s’est produit à Moncagua en 2009. Dans son témoignage, le demandeur principal a été plutôt vague sur cet incident. Les circonstances qui l’ont poussé à demander de l’aide sont floues, tout comme la façon dont cette aide a été ou non obtenue. Mis à part cet incident, les demandeurs n’ont demandé l’aide de la police à aucune autre occasion. À part le scepticisme qu’ils ont manifesté quant à l’assistance qu’ils pourraient obtenir de la police, les demandeurs n’ont produit aucune preuve qu’ils avaient demandé de l’aide à la police ou à d’autres sources. N’ayant pas de raison valable de ne pas demander la protection de l’État, les demandeurs n’étaient pas dispensés de l’obligation de le faire (Castro c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 332, aux paragraphes 19 et 20). Une réticence subjective à faire appel à l’État ne constitue pas un motif suffisant pour réfuter la présomption de protection de l’État (Molnar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 530, au paragraphe 92; Ayala Alvarez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 703, au paragraphe 20).

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que :

1.                  La présente demande est rejetée;

2.                  Aucune question n’est à certifier.

« Michael D. Manson »

Juge

 

Traduction certifiée conforme,

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6959-13

 

INTITULÉ :

Benitez et al. c MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

EDMONTON (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 MAI 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 13 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Simon K. Yu

 

POUR LES DEMANDEURS

EVIS NEFTALI CARRANZA BENITEZ, LAZARO ISAI CARRANZA BENITEZ, ABEL JOSUE CRUZ MARTINEZ, EDA ABIGAIL CARRANZA BENITEZ, DIAN ABIGAIL CARRANZA BENITEZ

 

Ian Wiebe

 

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Simon K. Yu

Avocat

Edmonton (Alberta)

 

POUR LES DEMANDEURS

EVIS NEFTALI CARRANZA BENITEZ, LAZARO ISAI CARRANZA BENITEZ, ABEL JOSUE CRUZ MARTINEZ, EDA ABIGAIL CARRANZA BENITEZ, DIAN ABIGAIL CARRANZA BENITEZ

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.