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Date : 20140501


Dossier : IMM-6516-13

Référence : 2014 CF 406

[traduction FRANÇAISE certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 1er mai 2014

En présence de monsieur le juge Boivin

 

ENTRE :

JUAN ANDRES ALCIVAR LEON

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 24 juillet 2012, par laquelle la Commission a rejeté la demande d'asile du demandeur. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

1.                  Contexte factuel

[2]               Juan Andres Alcivar Leon (le demandeur) est un citoyen de l'Équateur. Il est homosexuel, transsexuel et séropositif.

[3]               Le demandeur est arrivé au Canada le 5 mai 2012. Il a demandé l'asile peu après son arrivée et a produit son Formulaire de renseignements personnels (FRP) le 19 juillet 2012. La Commission a rejeté sa demande d’asile le 24 juillet 2012.

[4]               La Commission a estimé que les faits relatés dans le récit du demandeur étaient crédibles. Elle a souligné que le demandeur alléguait qu'il craignait d’être persécuté par les membres de sa famille à Nobol et a conclu que celui-ci avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) dans la ville de Quito.

[5]               La Commission a relevé que certains des documents produits par le demandeur mentionnaient l'existence partout en Équateur de cliniques prétendant « soigner » l'homosexualité. Elle a toutefois conclu que les documents montraient que des interventions de l'État avaient entraîné la fermeture de plusieurs de ces cliniques. Elle a souligné que le dossier n’indiquait pas que quelqu’un avait tenté de faire soigner le demandeur dans une de ces cliniques. D'autres documents mentionnent que les droits des homosexuels divisent la population et que le président du pays a l’intention d’opposer son véto aux lois sur l'identité sexuelle. Toutefois, les mêmes documents soulignent que l'Équateur a été le premier pays des Amériques à accorder un statut de protection relativement à l’orientation sexuelle. D'autres confirment que la constitution de l'Équateur protège le droit de choisir son orientation sexuelle et interdit la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Malgré l’existence d’éléments de preuve selon lesquels les homosexuels, les lesbiennes et les transsexuels sont toujours victimes de discrimination dans ce pays, aucun ne fait état d’aucun problème d’actes de violence dirigés contre les personnes séropositives ou atteintes du sida. La Commission a par conséquent conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve convaincants pour établir que le risque de persécution couru par le demandeur à Quito lui permettrait « d’être visé par la définition » (décision de la Commission, à la page 5).

[6]               La Commission a aussi conclu que, malgré le fait que le demandeur prétend qu’on lui refuserait des médicaments à titre d’homosexuel ou de personne séropositive, les éléments de preuve documentaire montrent clairement qu’un tel refus serait considéré comme illégal en Équateur, et rien n’indique que cela se produirait.

[7]               Les questions soulevées dans la présente demande sont les suivantes :

A.    La Commission a‑t‑elle appliqué le bon critère en ce qui concerne la demande d’asile?

B.     La Commission a‑t‑elle raisonnablement conclu que le demandeur disposait d’une PRI à Quito?

2.                  Norme de contrôle

[8]               La norme de la décision correcte s’applique à la première question, et la Cour « n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle entreprend plutôt sa propre analyse » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 50, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]). La seconde question est une question mixte de faits et de droit qui est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (Kayumba c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 138, aux paragraphes 12 et 13, [2010] ACF no 163 (QL); Dunsmuir, précité, aux paragraphes 51 et 62).

[9]               Quand elle contrôle des décisions en fonction de la raisonnabilité, la Cour s’attache « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel » et « à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

3.                  Analyse

[10]           La Commission a examiné les documents qui ont été produits et a conclu que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour la convaincre, selon la prépondérance des probabilités, qu’il serait objectivement déraisonnable qu’il se réfugie à Quito. La Cour est convaincue que, en tirant cette conclusion, la Commission n’a pas imposé au demandeur un fardeau de la preuve plus lourd que celui qui est défini dans la jurisprudence établie concernant la PRI (dossier du tribunal, pages 4, 5 et 6; Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (CA), [1992] 1 CF 706, [1991] ACF no 1256, au paragraphe 6 (QL)).

[11]           À l’audience devant la Cour, le demandeur a souligné que la Commission n’avait pas pris en compte comme il se devait les rapports psychologiques, plus particulièrement celui du Dr Pilowsky. Il a soutenu que les faits en l’espèce sont identiques à ceux dans Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, 157 FTR 35 [Cepeda-Gutierrez]). Toutefois, la Cour ne croit pas que l’arrêt Cepeda-Gutierrez étaye la thèse selon laquelle la Commission doive toujours analyser dans ses motifs un rapport psychologique en entier, comme semble le soutenir le demandeur. Le juge Evans (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) a plutôt conclu dans Cepeda-Gutierrez, précité, que la Commission avait omis de mentionner des éléments de preuve et que l’on pouvait inférer que la décision avait été rendue « sans tenir compte de cet élément ». Ce n’est pas le cas en l’espèce. La Commission n’a pas commis d’erreur dans son traitement des rapports psychologiques, et la Cour ne peut pas accepter l’argument du demandeur selon qui la Commission n’a pas [traduction] « saisi l’importance des rapports psychologiques ».

[12]           En fait, la Commission fait expressément mention sa décision des deux (2) rapports psychologiques auxquels renvoie le demandeur et, malgré le fait qu’elle ne reconnaisse pas leur contenu explicitement, elle l’a accepté et a jugé crédibles le récit et les craintes du demandeur. La Cour est convaincue que la Commission n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle à cet égard.

[13]           Enfin, la Cour doit examiner la question de savoir si la Commission a commis une erreur dans son traitement d’un autre élément de preuve essentiel.

[14]           Cet élément de preuve concerne des extraits, auxquels a renvoyés la Commission, de rapports du Département d’État des États-Unis sur la situation des droits de la personne en 2012 (dossier du demandeur, pages 200 à 202; aussi disponibles en ligne à l’adresse : <http://www.state.gov/j/drl/rls/hrrpt/2012humanrightsreport/index.htm>), indiquant que la constitution de l’Équateur protège les homosexuels et les personnes séropositives et atteintes du sida contre la discrimination. Cependant, la Commission n’a pas mentionné l’extrait suivant : [traduction] « […] des ONG ont signalé que des personnes séropositives et atteintes du sida croyaient faire l’objet de distinctions, notamment dans des domaines comme l’égalité des chances dans l’emploi et l’accès à des soins médicaux adéquats » (dossier du demandeur, page 202) [Non souligné dans l’original].

[15]           Le défaut d’aborder le reste du paragraphe est exacerbé par le fait que la Commission a considéré la question de l’accès aux soins de santé comme un aspect important de la PRI : « si vous n’étiez pas en mesure de recevoir des soins médicaux en raison de votre identité en tant qu’homosexuel, transsexuel ou personne séropositive pour le VIH, vous pourriez sans doute être visé par la définition, car vous seriez exposé à un risque particulier en raison de votre appartenance à ce groupe social » (décision de la Commission, page 5).

[16]           La question de l’accès du demandeur à des médicaments, à titre de personne séropositive, rend sa situation particulièrement précaire. Pourtant, la Commission a omis d’analyser un extrait du rapport du Département d’État des États-Unis apportant des renseignements contradictoires et signalant que des ONG avaient rapporté que les homosexuels et les personnes séropositives estimaient faire l’objet de distinctions dans l’accès à des soins de santé adéquats.

[17]           Étant donné le défaut de la Commission d’examiner l’extrait entier des éléments de preuve documentaire concernant la question des soins de santé qu’elle considérait pourtant comme essentielle, la Cour est disposée, dans les circonstances, « à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée "sans tenir compte des éléments dont il [disposait]" ». L’argument du demandeur fondé sur l’arrêt Cepeda-Gutierrez, précité, concernant le défaut de la Commission d’examiner dans son ensemble un élément clé de la preuve s’applique en l’espèce.

[18]           Pour ces motifs, l’intervention de la Cour est justifiée, et la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.         L’affaire est renvoyée à un autre commissaire de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour nouvel examen;

3.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

« Richard Boivin »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIeR :

IMM-6516-13

 

 

 

INTITULÉ :

JUAN ANDRES ALCIVAR LEON

c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 AVRIL 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT:

LE JUGE BOIVIN

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 1ER MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Jack C. Martin

 

pour le demandeur

 

Jelena Urosevic

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jack C. Martin

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

pour le défendeur

 

 

 

 

 

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