Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140506


Dossier : IMM-4184-13

Référence : 2014 CF 431

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2014

En présence de monsieur le juge Noël

ENTRE :

MARIE CHANTAL MADIKA BIOSA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

I.          Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] à l’encontre de la décision rendue le 12 juin 2013 par le délégué du ministre, Philippe Boucher Legault, agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC], par laquelle il déclarait irrecevable la demande d’asile de la demanderesse en vertu de l’Entente sur les tiers pays sûrs [l’Entente] et prenait une mesure d’exclusion à l’égard de la demanderesse.

II.        Faits

[2]               La demanderesse est citoyenne de la République démocratique du Congo [RDC].

[3]               Le 12 juin 2013, elle est entrée au Canada en compagnie de ses sept enfants en provenance des États-Unis et ils ont tous revendiqué l’asile au Canada à leur arrivée.

[4]               La demande d’asile de la demanderesse a été jugée irrecevable sous le régime de la LIRP, du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR] et de l’Entente, et un rapport circonstancié a été préparé en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR.

[5]               Le délégué du ministre a examiné le rapport circonstancié et l’a estimé bien fondé. Une mesure d’exclusion a ensuite été prise à l’égard de la demanderesse.

[6]               Les demandes d’asile des enfants de la demanderesse ont été accueillies puisqu’elles relevaient d’une des exceptions à l’Entente prévues par le RIPR.

[7]               La demanderesse et ses enfants avaient déjà présenté des demandes d’asile le 31 août 2012, mais toutes les demandes avaient été jugées irrecevables. Elle avait présenté une demande de contrôle judiciaire à l’égard de ce refus, et le défendeur avait consenti à ce que la demanderesse et ses enfants se présentent de nouveau à la frontière. La présente demande de contrôle judiciaire porte sur la décision rendue à l’issue de cette seconde tentative où, cette fois-ci, la demande de la demanderesse fut rejetée, mais pas celle des enfants. Elle décida alors de confier ses enfants à son beau-frère, résident du Canada, oncle des enfants.

III.       Décision contestée

[8]               La courte décision est accompagnée des observations saisies dans le système informatique. On y indique que la demande d’asile a été jugée irrecevable aux termes de l’alinéa 101(1)(e) de la LIPR puisque la demanderesse est « arrivée, directement ou indirectement, d’un pays désigné par règlement autre que celui dont [elle] a la nationalité ou dans lequel [elle] avait sa résidence habituelle ». La demanderesse est arrivée des États-Unis, État désigné comme pays sûr par le RIPR, et puisque sa demande ne relevait d’aucune des exceptions prévues à l’Entente par le RIPR, elle devait retourner aux États-Unis. Les enfants, pour leur part, avaient un lien familial au Canada par la présence de leur oncle paternel, et les demandes d’asile les concernant ont été jugées recevables puisque, contrairement à leur mère, ils relèvent d’une des exceptions à l’Entente. La demanderesse a été informée qu’elle pouvait amener ses enfants avec elle aux États-Unis et présenter une demande là-bas, ou laisser les enfants auprès de leur oncle au Canada et aller présenter sa propre demande aux États-Unis.

[9]               Une mesure d’exclusion a été prise contre la demanderesse en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR dans laquelle on indiquait que la demanderesse était interdite de territoire au titre de l’article 41 de la LIPR puisqu’elle a commis un manquement à la loi, plus précisément à l’alinéa 20(1)a) de la LIPR et à l’article 6 du RIPR, deux dispositions qui obligent un étranger à prouver qu’il détient le visa et les documents nécessaires pour demander de s’établir en permanence au Canada.

IV.       Arguments de la demanderesse

[10]           La demanderesse fait valoir que la décision contestée en l’espèce ne saurait tenir notamment parce que l’agent a mal appliqué les critères associés aux exceptions à l’Entente et parce que la décision a été prise sans égard à certains éléments de preuve importants. La demanderesse aurait dû être admise au Canada au titre de l’exception relative aux membres de la famille puisqu’elle a une nièce au Canada. En effet, le beau-frère de la demanderesse (le frère de son époux) vit au Canada avec sa fille, citoyenne canadienne, qui est forcément la nièce de la demanderesse pour l’application des dispositions de mise en œuvre de l’Entente. Lors de l’interrogatoire au port d’entrée, la demanderesse a répondu ne pas avoir de nièce au Canada en raison de la fatigue et du stress qu’elle éprouvait et des traumatismes dont elle se remettait. Sa demande aurait également dû être accueillie suivant l’exception de l’intérêt public et du meilleur intérêt des sept enfants. Le retour de la demanderesse et de ses enfants en RDC les expose à un risque immense d’atteinte à leur sécurité et à leur intégrité physique et psychologique notamment parce que l’époux de la demanderesse est député de l’opposition dans un gouvernement corrompu et répressif. Le meilleur intérêt des enfants dicte aussi que ceux-ci soient ni séparés de leur mère ni renvoyés en RDC.

[11]           De plus, la décision de l’agent de l’ASFC porte atteinte aux protections garanties sous le régime de la Charte canadienne des droits et libertés (Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11) [Charte canadienne] et contrevient aux obligations internationales qui incombent au Canada au titre de divers traités auxquels le Canada est partie puisque la RDC est un pays sous le coup d’un moratoire en raison des atrocités qui y sont commises, et le fait de renvoyer la demanderesse et ses enfants dans ce pays contreviendrait, entre autres, aux articles 7 et 12 de la Charte canadienne.

V.        Arguments du défendeur

[12]           Le demandeur rappelle que le fardeau en l’espèce revenait à la demanderesse. Puisque cette dernière est entrée au Canada à partir des États-Unis, il était tout à fait raisonnable pour l’agent de conclure à l’irrecevabilité de la demande et de prendre une mesure de renvoi à son égard.

[13]           La demanderesse allègue qu’elle a une nièce canadienne, mais elle a affirmé le contraire lors de son interrogatoire. En effet, elle n’a jamais fait part de l’existence de cette nièce à l’agent. Cette affirmation constitue, de l’aveu même de la demanderesse, de la nouvelle preuve, et elle ne peut être prise en considération par la Cour dans le cadre des présentes procédures. Par ailleurs, les allégations de la demanderesse ne sont aucunement corroborées par de la preuve.

[14]           En outre, relativement à l’intérêt public, à l’intérêt supérieur des enfants et aux arguments de la demanderesse concernant la Charte canadienne, il faut préciser que la demanderesse n’a pas été retournée en RDC, mais bien aux États-Unis. Les enfants non plus n’ont pas été renvoyés en RDC, ils sont demeurés au Canada conformément au souhait de leur mère. Si cette dernière craignait d’être séparée de ses enfants, elle aurait pu retourner aux États-Unis avec eux et présenter une demande pour toute la famille dans ce pays. De plus, le délégué du ministre n’avait pas la discrétion d’ignorer les dispositions applicables.

VI.       Réplique de la demanderesse

[15]           La demanderesse a été trompée par l’agent d’immigration aux douanes relativement à la question de savoir si elle a ou non un neveu ou une nièce. Selon les observations de l’agent d’immigration, on a indiqué à la demanderesse qu’elle devait avoir un lien de sang avec la personne lui permettant de se soustraire à l’application de l’Entente, en l’occurrence sa nièce. Or, la notion de lien de sang ne concerne pas la définition de « membre de la famille » énoncée à l’article 159.1 du RIPR, dont l’énumération comprend l’élément nièce.

VII.     Question en litige

[16]           L’agent d’immigration a-t-il commis une erreur en déclarant irrecevable la demande d’asile de la demanderesse au motif que cette dernière était assujettie à l’Entente?

VIII.    Norme de contrôle

[17]           La décision d’un agent d’immigration de déclarer une demande d’asile irrecevable parce que le demandeur est arrivé au Canada par un tiers État sûr est une question mixte de fait et de droit qui doit être examinée selon la norme de contrôle de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau Brunswick, 2008 CSC 9 au para 51, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]; voir par exemple Mutende c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1423, [2011] ACF no 1732). La Cour devra limiter son intervention aux seules situations où la décision de l’agent d’immigration n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au para 47).

IX.       Analyse

[18]           Pour les raisons qui suivent, la présente Cour conclut que l’agent d’immigration n’a commis aucune erreur en appliquant l’Entente à la demande d’asile de la demanderesse. Toutefois, avant d’analyser la demande en l’espèce, il serait à propos de présenter, à l’instar du mémoire du défendeur, un survol du cadre législatif qui y est applicable. Certaines dispositions sont citées en totalité ou en partie dans les motifs pour en faciliter la lecture, mais toutes les dispositions législatives pertinentes sont reproduites en annexe aux présentes.

[19]           Au titre de l’alinéa 101(1)e) de la LIPR, une demande d’asile est irrecevable si le demandeur est arrivé « directement ou indirectement, d’un pays désigné par règlement autre que celui dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle ». Selon l’alinéa 102(1)c) de la LIPR, « les cas et les critères d’application de l’alinéa 101(1)e) » sont définis par règlement.

[20]           C’est en vertu de cet alinéa que les articles 159.1 à 159.7 du RIPR ont été pris pour encadrer les demandes visées par l’alinéa 101(1)e) de la LIPR. L’article 159.3 du RIPR désigne explicitement les États-Unis comme pays sûr aux fins de l’application de l’Entente.

[21]           Cette Entente, comme l’affirme l’Agence des services frontaliers du Canada, est intervenue entre les gouvernements canadiens et américains dans le but de mieux gérer les déplacements des demandeurs d’asile à frontière commune de ces deux pays. Aux termes de l’Entente, et à moins d’être visé par l’une des exceptions, un demandeur d’asile doit présenter sa demande dans le premier pays sûr (Canada ou États-Unis) où il arrive. Dans le présent dossier, la demanderesse est arrivée aux États-Unis avant de transiter vers le Canada et c’est pour cette raison que le gouvernement exige son renvoi aux États-Unis.

[22]           À l’article 159.5 du RIPR, on prévoit les exceptions permettant à un demandeur d’asile de se soustraire de l’application de l’Entente, y compris l’exception rattachée à la présence au Canada d’un membre de la famille du demandeur qui est citoyen canadien à l’alinéa 159.5a) du RIPR. Cette exception est celle sur laquelle s’appuie la demanderesse en l’espèce en raison de la présence de la fille de son beau-frère, citoyenne canadienne, au Canada. La définition de « membre de la famille » – prise presque textuellement du texte de l’Entente – se trouve à l’article 159.1 du RIPR :

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

PARTIE 8

CATÉGORIES DE RÉFUGIÉS

Section 3

Examen de la recevabilité

[…]

Définitions

159.1 Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et aux articles 159.2 à 159.7

[...]

« membre de la famille » À l’égard du demandeur, son époux ou conjoint de fait, son tuteur légal, ou l’une ou l’autre des personnes suivantes : son enfant, son père, sa mère, son frère, sa sœur, son grand-père, sa grand-mère, son petit-fils, sa petite-fille, son oncle, sa tante, son neveu et sa nièce.

[Non souligné dans l’original.]

 

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

PART 8

REFUGEE CLASSES

Division 3

Determination of Eligibility of Claim

[…]

Definitions

159.1 The following definitions apply in this section and sections 159.2 to 159.7.

[…]

“family member”, in respect of a claimant, means their spouse or common-law partner, their legal guardian, and any of the following persons, namely, their child, father, mother, brother, sister, grandfather, grandmother, grandchild, uncle, aunt, nephew or niece.

[My emphasis.]

 

[23]           Ainsi, la demanderesse prétend qu’elle aurait dû pouvoir présenter sa demande d’asile au Canada puisque la présence au Canada de sa nièce canadienne la relève de l’obligation de retourner aux États-Unis. Pour sa part, le défendeur affirme que la demanderesse n’a jamais mentionné l’existence de cette nièce lors de l’entrevue du 12 juin 2013. Cette affirmation est vraie puisque, selon les observations de l’agent d’immigration, questionnée quant à la présence de « Nièces » au Canada, la demanderesse a répondu « Non ». La demanderesse prétend en revanche avoir été induite en erreur par la question lui ayant été posée. L’agent d’immigration aurait précisé que la demanderesse devait avoir un lien de sang avec tout « membre de la famille » invoqué aux fins d’exception à l’Entente. Toujours dans ses observations, l’agent d’immigration a noté ce qui suit : « Les membres de famille énuméré ci-haut doivent avoir un lien de sang (sic) ».

[24]           N’eut été de cette affirmation par l’agent d’immigration, la décision de déclarer irrecevable la demande d’asile aurait été indéniablement raisonnable puisqu’à la demanderesse aurait répondu par la négative à la question de savoir si elle a une nièce canadienne qui réside au Canada. En effet, la validité devant s’évaluer en fonction de la preuve dont disposait le décideur au moment de la prise de décision, la présente Cour agissant en contrôle judiciaire n’aurait pas pu s’appuyer sur de la nouvelle preuve, soit l’existence d’une prétendue nièce, pour invalider la décision contestée. Or, l’agent d’immigration a insisté, dans son raisonnement, sur la nécessité d’un lien de sang entre ladite nièce et la demanderesse, et cette réalité nécessite un examen plus approfondi par la Cour.

[25]           Ainsi, la question devient donc celle de savoir si l’agent d’immigration a commis une erreur en exigeant l’existence d’un lien de sang entre la demanderesse. Compte tenu du sens qu’il faut accorder aux termes oncle, tante, neveu et nièce à l’article 159.1 du RIPR, je conclus que non.

[26]           Selon leur sens le plus strict, les termes neveu et nièce désignent les enfants des frères et des sœurs d’une personne, au même titre que les termes oncle et tante renvoient aux frères et sœurs des parents d’une personne. Par habitude ou par commodité, nous élargissons la portée de ces termes pour y inclure les personnes qui occupent ces rangs dans la famille par alliance. Ainsi, le conjoint de la tante devient l’oncle, la conjointe de l’oncle devient la tante, et les enfants des beaux-frères et des belles-sœurs d’une personne deviennent, par extension, ses neveux et ses nièces.

[27]           Quoiqu’utiles au quotidien pour simplifier une structure familiale, ces raccourcis ne doivent toutefois pas se transposer dans le contexte juridique, et ce, principalement en raison du flou qui les entoure. Par exemple, à partir de quel moment une « tante par alliance » devient-elle la « tante » de sa nièce? Est-ce lorsqu’elle se marie avec l’oncle de ladite nièce, lorsqu’elle devient la conjointe de fait de l’oncle ou, encore, dès le début des fréquentations? C’est une chose de répondre à cette question sur le plan personnel à l’arrivée d’un nouveau conjoint ou d’une nouvelle conjointe au sein d’une famille, comme pour définir les rôles de chacun – la réponse pourra certes varier d’une famille à l’autre –, mais c’en est une autre d’y répondre dans un contexte juridique où stabilité et prévisibilité doivent prévaloir afin d’assurer à tous un traitement égal de leur demande.

[28]           Rares sont les lois fédérales qui font référence à la notion de neveu ou de nièce. L’une d’entre elles est la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985), ch 1 (5e suppl), dont l’alinéa 252(2)g) prévoit que dans cette loi les mots se rapportant à « la nièce ou au neveu d’un contribuable visent également la nièce ou le neveu de l’époux ou conjoint de fait du contribuable.» En outre, cette loi définit la notion de conjoint de fait de telle sorte qu’il est facile de circonscrire, dans chacun des cas, les personnes susceptibles d’être assimilées à la notion de neveu ou de nièce. En l’espèce, bien que la LIPR et le RIPR définissent la notion de conjoint de fait, ils ne contiennent aucune disposition précisant la définition de nièce ou de neveu. De plus, l’article 2 du RIPR prévoit qu’un « membre de la parenté » d’un demandeur est une « personne unie à l’intéressé par les liens du sang ou de l’adoption » tandis que l’alinéa 83(5)a) élargie le sens accordé à la notion de parenté aux personnes unies à l’intéressé par mariage ou union de fait.

[29]           La Cour ne peut faire autrement que constater que, si l’intention du législateur avait été d’inclure les membres de la famille unie par alliance, c’est-à-dire les membres de la famille avec lesquels un demandeur n’a aucun lien de sang, pourquoi aurait-on inclus les neveux, nièces, oncles et tantes par alliance, mais pas les beaux-frères, belles-sœurs, beaux-pères et belles-mères? L’énumération qui se trouve à la définition de « membre de la famille » à l’article 159.1 semble comprendre des personnes qui sont directement liées au demandeur. Ainsi, je ne saurais donner un sens large à la notion de neveu et de nièce puisque, en l’absence d’une disposition plus précise, n’importe qui pourrait prétendre qu’il a un conjoint (sans qu’il s’agisse nécessairement d’un conjoint de fait) ayant une nièce ou un neveu canadien au Canada, ce qui en ferait automatiquement leur propre neveu ou nièce, et que, de ce fait, ils peuvent se prévaloir d’une exception à l’Entente.

[30]           Par ailleurs, le RIPR définit qu’un conjoint de fait est une « personne qui vit avec la personne en cause dans une relation conjugale depuis au moins un an ». Cette définition s’applique à l’article 159.1 du RIPR et, par conséquent, un intéressé ne pourrait se prévaloir d’une exception à l’Entente fondée sur la présence au Canada de son conjoint canadien des trois derniers mois. Alors, un intéressé devrait-il avoir le droit de se prévaloir de cette même exception au motif qu’il a au Canada une nièce ou un neveu canadien en la personne du neveu ou de la nièce de son conjoint des trois derniers mois? La réponse est évidemment non. Faute de précision de la part du législateur, c’est le genre d’absurdité qu’une interprétation large de  « neveu » et de « nièce » pourrait entraîner.

[31]           Compte tenu de ce qui précède, de l’objectif général de l’Entente, et du principe selon lequel il faut éviter d’entériner le magasinage de pays pour les demandes d’asile, il convient de limiter l’interprétation de « neveu » et de « nièce », pour l’application du RIPR et la LIPR, aux enfants des frères et des sœurs d’un intéressé. Par conséquent, je conclus qu’il était raisonnable pour l’agent d’immigration d’exiger un lien de sang entre la demanderesse et l’éventuelle personne justifiant qu’elle soit soustraite à l’application de l’Entente (à l’exception, il va sans dire, de son époux ou conjoint de fait et de son tuteur légal).

[32]           Ainsi, dans les circonstances où elle a été prise et compte tenu de l’information alors disponible, la décision de l’agent d’immigration de déclarer la demande d’asile irrecevable était raisonnable. En effet, la demanderesse ne satisfaisait à aucune des exceptions des articles 159.1 à 159.7 du RIPR pour être soustraite à l’application de l’Entente.

[33]           Comme la demande d’asile était irrecevable et que la demanderesse était au Canada sans statut et sans visa, la présente Cour se doit de conclure que la mesure de renvoi prise à l’endroit de la demanderesse en vertu de l’article 44 de la LIPR était raisonnable.

[34]           Enfin, pour ce qui est des arguments soulevés par la demanderesse invoquant l’intérêt supérieur des enfants, la Charte canadienne et les obligations internationales qui incombent au Canada au titre de divers traités auxquels le Canada est partie, la Cour rappelle à la demanderesse, comme l’a si justement souligné le défendeur, qu’elle n’est pas renvoyée en RDC, mais bien aux États-Unis, où elle pourra présenter une demande d’asile en toute sécurité. De plus, les enfants de la demanderesse sont au Canada, et ce, parce qu’elle y a consenti. Elle avait la possibilité de retourner aux États-Unis avec ses enfants, mais elle a préféré qu’ils restent ici. La demanderesse ne peut donc pas plaider que le Canada enfreint le principe de l’unité familiale ou qu’elle et ses enfants sont exposés à un risque de violence ou de discrimination en RDC puisqu’il n’en est rien.

[35]           Les parties ont été invitées à présenter une question aux fins de certification, mais aucune ne fut proposée.


ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

                                                                                              « Simon Noël »

                                                                                    _______________________

                                                                                                       Juge


ANNEXE 1 – DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27

PARTIE 1

IMMIGRATION AU CANADA

Section 3

Entrée et séjour au Canada

Entrée et séjour

[…]

Obligation à l’entrée au Canada

20. (1) L’étranger non visé à l’article 19 qui cherche à entrer au Canada ou à y séjourner est tenu de prouver :

a) pour devenir un résident permanent, qu’il détient les visa ou autres documents réglementaires et vient s’y établir en permanence;

b) pour devenir un résident temporaire, qu’il détient les visa ou autres documents requis par règlement et aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

[…]

Section 4

Interdictions de territoire

Manquement à la loi

41. S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

[…]

Section 5

Perte de statut et renvoi

Constat de l’interdiction de territoire

Rapport d’interdiction de territoire

44. (1) S’il estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire, l’agent peut établir un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

Suivi

(2) S’il estime le rapport bien fondé, le ministre peut déférer l’affaire à la Section de l’immigration pour enquête, sauf s’il s’agit d’un résident permanent interdit de territoire pour le seul motif qu’il n’a pas respecté l’obligation de résidence ou, dans les circonstances visées par les règlements, d’un étranger; il peut alors prendre une mesure de renvoi.

[…]

PARTIE 2

PROTECTION DES RÉFUGIÉS

Section 2

Réfugiés et personnes à protéger

Examen de la recevabilité par l’agent

[…]

Irrecevabilité

101. (1) La demande est irrecevable dans les cas suivants :

[…]

e) arrivée, directement ou indirectement, d’un pays désigné par règlement autre que celui dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

[…]

Règlements

102. (1) Les règlements régissent l’application des articles 100 et 101, définissent, pour l’application de la présente loi, les termes qui y sont employés et, en vue du partage avec d’autres pays de la responsabilité de l’examen des demandes d’asile, prévoient notamment :

a) la désignation des pays qui se conforment à l’article 33 de la Convention sur les réfugiés et à l’article 3 de la Convention contre la torture;

b) l’établissement de la liste de ces pays, laquelle est renouvelée en tant que de besoin;

c) les cas et les critères d’application de l’alinéa 101(1)e).

[…]

 

Immigration and Refugee Protection Act, SC 2001, c 27

PART 1

IMMIGRATION TO CANADA

Division 3

Entering and Remaining in Canada

Entering and Remaining

[…]

Obligation on entry

20. (1) Every foreign national, other than a foreign national referred to in section 19, who seeks to enter or remain in Canada must establish,

(a) to become a permanent resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and have come to Canada in order to establish permanent residence; and

(b) to become a temporary resident, that they hold the visa or other document required under the regulations and will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

[…]

Division 4

Inadmissibility

Non-compliance with Act

41. A person is inadmissible for failing to comply with this Act

(a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act; and

(b) in the case of a permanent resident, through failing to comply with subsection 27(2) or section 28.

[…]

Division 5

Loss of Status and Removal

Report on Inadmissibility

Preparation of report

44. (1) An officer who is of the opinion that a permanent resident or a foreign national who is in Canada is inadmissible may prepare a report setting out the relevant facts, which report shall be transmitted to the Minister.

Referral or removal order

(2) If the Minister is of the opinion that the report is well-founded, the Minister may refer the report to the Immigration Division for an admissibility hearing, except in the case of a permanent resident who is inadmissible solely on the grounds that they have failed to comply with the residency obligation under section 28 and except, in the circumstances prescribed by the regulations, in the case of a foreign national. In those cases, the Minister may make a removal order.

[…]

PART 2

REFUGEE PROTECTION

Division 2

Convention Refugees and Persons in Need of Protection

Examination of Eligibility to Refer Claim

[…]

Ineligibility

101. (1) A claim is ineligible to be referred to the Refugee Protection Division if

[…]

(e) the claimant came directly or indirectly to Canada from a country designated by the regulations, other than a country of their nationality or their former habitual residence; or

[…]

Regulations

102. (1) The regulations may govern matters relating to the application of sections 100 and 101, may, for the purposes of this Act, define the terms used in those sections and, for the purpose of sharing responsibility with governments of foreign states for the consideration of refugee claims, may include provisions

(a) designating countries that comply with Article 33 of the Refugee Convention and Article 3 of the Convention Against Torture;

(b) making a list of those countries and amending it as necessary; and

(c) respecting the circumstances and criteria for the application of paragraph 101(1)(e).

[…]

 

 


Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

PARTIE 2

RÈGLES D’APPLICATION GÉNÉRALE

Section 1

 

Formalités préalables à l’entrée

Résident permanent

6. L’étranger ne peut entrer au Canada pour s’y établir en permanence que s’il a préalablement obtenu un visa de résident permanent.

PARTIE 8

CATÉGORIES DE RÉFUGIÉS

Section 3

Examen de la recevabilité

[…]

Définitions

 

159.1 Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et aux articles 159.2 à 159.7.

[...]

« membre de la famille » À l’égard du demandeur, son époux ou conjoint de fait, son tuteur légal, ou l’une ou l’autre des personnes suivantes : son enfant, son père, sa mère, son frère, sa sœur, son grand-père, sa grand-mère, son petit-fils, sa petite-fille, son oncle, sa tante, son neveu et sa nièce.

[…]

Désignation — États-Unis

159.3 Les États-Unis sont un pays désigné au titre de l’alinéa 102(1)a) de la Loi à titre de pays qui se conforme à l’article 33 de la Convention sur les réfugiés et à l’article 3 de la Convention contre la torture et sont un pays désigné pour l’application de l’alinéa 101(1)e) de la Loi.

[…]

Non-application — demandeurs aux points d’entrée par route

159.5 L’alinéa 101(1)e) de la Loi ne s’applique pas si le demandeur qui cherche à entrer au Canada à un endroit autre que l’un de ceux visés aux alinéas 159.4(1)a) à c) démontre, conformément au paragraphe 100(4) de la Loi, qu’il se trouve dans l’une ou l’autre des situations suivantes:

a) un membre de sa famille qui est un citoyen canadien est au Canada;

b) un membre de sa famille est au Canada et est, selon le cas :

(i) une personne protégée au sens du paragraphe 95(2) de la Loi,

(ii) un résident permanent sous le régime de la Loi,

(iii) une personne à l’égard de laquelle la décision du ministre emporte sursis de la mesure de renvoi la visant conformément à l’article 233;

c) un membre de sa famille âgé d’au moins dix-huit ans est au Canada et a fait une demande d’asile qui a été déférée à la Commission sauf si, selon le cas :

(i) celui-ci a retiré sa demande,

(ii) celui-ci s’est désisté de sa demande,

(iii) sa demande a été rejetée,

(iv) il a été mis fin à l’affaire en cours ou la décision a été annulée aux termes du paragraphe 104(2) de la Loi;

 

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

PART 2

GENERAL REQUIREMENTS

Division 1

Documents Required Before Entry

Permanent resident

6. A foreign national may not enter Canada to remain on a permanent basis without first obtaining a permanent resident visa.

PART 8

REFUGEE CLASSES

Division 3

Determination of Eligibility of Claim

[…]

Definitions

159.1 The following definitions apply in this section and sections 159.2 to 159.7.

[…]

“family member”, in respect of a claimant, means their spouse or common-law partner, their legal guardian, and any of the following persons, namely, their child, father, mother, brother, sister, grandfather, grandmother, grandchild, uncle, aunt, nephew or niece.

[…]

Designation — United States

159.3 The United States is designated under paragraph 102(1)(a) of the Act as a country that complies with Article 33 of the Refugee Convention and Article 3 of the Convention Against Torture, and is a designated country for the purpose of the application of paragraph 101(1)(e) of the Act.

[…]

Non-application — claimants at land ports of entry

159.5 Paragraph 101(1)(e) of the Act does not apply if a claimant who seeks to enter Canada at a location other than one identified in paragraphs 159.4(1)(a) to (c) establishes, in accordance with subsection 100(4) of the Act, that

(a) a family member of the claimant is in Canada and is a Canadian citizen;

(b) a family member of the claimant is in Canada and is

(i) a protected person within the meaning of subsection 95(2) of the Act,

(ii) a permanent resident under the Act, or

(iii) a person in favour of whom a removal order has been stayed in accordance with section 233;

(c) a family member of the claimant who has attained the age of 18 years is in Canada and has made a claim for refugee protection that has been referred to the Board for determination, unless

(i) the claim has been withdrawn by the family member,

(ii) the claim has been abandonned by the family member,

(iii) the claim has been rejected, or

(iv) any pending proceedings or proceedings respecting the claim have been terminated under subsection 104(2) of the Act or any decision respecting the claim has been nullified under that subsection;

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

imm-4184-13

 

INTITULÉ :

BIOSA c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (quÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1er MAI 2014

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE JUGE simon NOËL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 6 mai 2014

 

COMPARUTIONS :

Me Stewart Istvanffy

 

pour lA demanderESSE

 

 

Me Charles Junior Jean

 

pour le défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Stewart Istvanffy

Avocat

Montréal (Québec)

 

pour lA demanderESSE

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.