Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140505


Dossier : IMM-6699-13

Référence : 2014 CF 421

TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE

 

Ottawa (Ontario), le 5 mai 2014

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

ALUTHWALA DOMINGO V.R.K. KARUNARATNA ET

R.A.D.S. SARATH KUMARA KARUNARATNE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 25 septembre 2013 par un conseiller en immigration (l’agent) par laquelle ils se sont vu interdire de territoire pour fausses déclarations en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 (LIPR). La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs exposés ci‑après.

I.                   Faits

[2]               M. R.A.D.S. Sarath Kumara Karunaratne et Mme Aluthwala Domingo V.R.K. Karunaratna (les demandeurs) sont citoyens du Sri Lanka.

[3]               Ils ont déposé une demande de visa de résident temporaire (VRT) en juillet 2008, laquelle a été rejetée.

[4]               Ils ont ensuite déposé une demande de résidence permanente (RP) au titre de la catégorie du « regroupement familial » en février 2009 (le formulaire de demande a toutefois été signé le 18 décembre 2008). Dans cette demande, ils ont indiqué ne jamais s’être vu refuser une demande de VRT. M. Karunaratne a également déclaré qu’il était un pensionné depuis 2003. En décembre 2009, ils ont présenté un formulaire de renseignements supplémentaires dans lequel ils ont indiqué que M. Karunaratne occupait le poste de directeur adjoint chez Mahindra Construction & Engineering depuis mars 2009.

[5]               Les demandeurs ont déposé d’autres demandes de VRT en décembre 2009 et en mars 2010. Les deux ont été rejetées. Dans la demande de VRT de 2009, ils ont indiqué avoir fait deux demandes de visas canadiens dans le passé, soit une demande de visa de visiteur en juillet 2008 et une demande de visa de résident permanent parrainée par leur fille en janvier 2009. Ils ont également précisé que leur demande de visa présentée en juillet 2008 avait été rejetée. La demande déposée en mars 2010 ne figure pas au dossier, mais d’après l’affidavit de M. Karunaratne, cette dernière a également été rejetée.

[6]               Le 18 janvier 2012, les demandeurs ont déposé un formulaire « Antécédents/Déclaration » à jour dans le cadre de leur demande de RP datée de février 2009. Dans ce formulaire, ils n’ont pas précisé qu’on leur avait refusé des demandes de VRT dans le passé et ont déclaré que M. Karunaratne était un pensionné depuis 2003. Ils n’ont fait aucune mention de son emploi auprès de Mahindra Construction & Engineering.

[7]               Le 17 juin 2013, l’agent a envoyé une « lettre d’équité » aux demandeurs en vue de leur permettre d’expliquer ces deux divergences. Dans la réponse datée du 25 juin 2013, le conseiller a affirmé que le fait de ne pas avoir mentionné la demande de VRT déposée en juillet 2008 constituait un oubli et que, compte tenu du long délai de traitement et du fait que le conseiller n’avait pas reçu une copie de la demande, la répondante a eu l’impression qu’il lui incombait de mettre à jour elle-même le formulaire « Annexe A », en collaboration avec ses parents. La répondante a donc copié les renseignements qui se trouvaient dans la demande de RP datée de février 2009. L’agent n’a toutefois pas été convaincu par l’explication et a envoyé une lettre de refus aux demandeurs le 25 septembre 2013.

II.                Décision faisant l’objet du contrôle

[8]               Dans une lettre datée du 25 septembre 2013, les demandeurs ont été avisés que leur demande de résidence permanente au titre de la catégorie du « regroupement familial » avait été rejetée parce qu’ils avaient été interdits de territoire en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. Les motifs du rejet sont les suivants :

a)                  Dans le formulaire « Annexe A » de leur demande, les demandeurs ont déclaré ne jamais s’être vu refuser un visa pour le Canada ou tout autre pays, ce qui est faux puisque, selon les dossiers, leurs demandes de visa ont été rejetées en juillet 2008 et en décembre 2009.

b)                  Dans le formulaire « Annexe A » de leur demande, les demandeurs ont indiqué que M. Karunaratne était un pensionné depuis 2003. Or, dans la demande de VRT datée de décembre 2009, il a déclaré avoir occupé le poste de directeur adjoint chez Mahindra Construction & Engineering, de mars 2009 à décembre 2009.

[9]               L’agent a également précisé que les demandeurs ont eu l’occasion de s’expliquer, mais qu’il avait jugé non satisfaisante la réponse du conseiller, réponse qui n’a pas dissipé ses doutes

III.             Question à trancher

[10]           La présente demande soulève une seule question, à savoir celle de déterminer s’il était raisonnable que l’agent conclue que le fait que les demandeurs aient omis de divulguer des renseignements au sujet de l’expérience de travail récente de M. Karunaratne et des demandes de VRT rejetées constitue une fausse déclaration importante.

IV.             Analyse

[11]           Il est de droit constant que les décisions par lesquelles sont rejetées des demandes de résidence permanente pour fausses déclarations commandent l’application de la norme de la raisonnabilité : Mahmood c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 433, au paragraphe 11; Lu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 625, au paragraphe 12; Sinnathamby c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1421, au paragraphe 18 [Sinnathamby]; Sohrabi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 501, au paragraphe 14. Il s’agit de toute évidence de questions mixtes de droit et de fait qui relèvent de l’expertise de l’agent.

[12]           La raisonnabilité tient à la justification de la décision ainsi qu’à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.

[13]           Il ne fait aucun doute que l’article 40 vise à prévenir les fausses déclarations et à préserver l’intégrité du processus d’immigration. En ce sens, il a été déclaré à maintes reprises que le demandeur a une obligation de franchise et doit fournir des renseignements complets, honnêtes et véridiques en tout point lorsqu’il présente une demande d’entrée au Canada : Bodine c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 848, au paragraphe 41; Baro c Canada (Citoyenneté et Immigration) [Baro], 2007 CF 1299, au paragraphe 15; Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971, au paragraphe 30.

[14]           Cela dit, il existe une jurisprudence abondante à l’appui du principe que les malentendus ou les erreurs raisonnables commises de bonne foi peuvent échapper à l’application de l’article 40 de la LIPR : voir, par exemple, Berlin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1117, au paragraphe 17; Koo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 931, aux paragraphes 22 à 29; Baro; Merion-Borrego c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2010 CF 631; Ghasemzadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 716.

[15]           En effet, selon les lignes directrices de CIC (ENF 2 – Évaluation de l’interdiction de territoire), les dispositions concernant les fausses déclarations doivent être appliquées « avec discernement pour respecter les objectifs de la Loi et garantir un processus décisionnel juste et équitable » (section 10.1).

[16]           En l’espèce, l’agent avait sans aucun doute accès aux demandes de visas refusées antérieurement. Bien que les demandeurs aient omis de divulguer le rejet de leur demande de VRT datée de juillet 2008 dans leur formulaire « Annexe A » à jour déposé dans le cadre de leur demande de résidence permanente de 2012 ainsi que dans leur demande initiale de résidence permanente datée de 2009, ils en ont fait mention dans leur demande de VRT de 2009. Cela porte manifestement à croire qu’ils n’essayaient pas de cacher cette information. En effet, cette information figure dans les notes du STIDI (dossier certifié du tribunal, p. 6), et l’agent avait accès aux entrées en question lorsqu’il a envoyé sa lettre d’équité aux demandeurs. Par conséquent, il ne s’agit pas, de toute évidence, d’un cas où un demandeur a tenté de dissimuler un fait important ou de faire une fausse déclaration sur un tel fait.

[17]           Dans de telles circonstances, je ne crois pas que l’agent pouvait raisonnablement ignorer ou écarter l’explication fournie par le conseiller en réponse à la lettre d’équité. Il se peut bien que la répondante ait eu l’impression qu’elle devait elle-même mettre les formulaires à jour rapidement étant donné que le conseiller n’avait pas reçu une copie de cette requête. En examinant le dossier dans son ensemble, je ne vois pas comment on peut dire que les demandeurs ont fait une fausse déclaration importante relativement à leurs vaines tentatives d’obtenir un VRT.

[18]           Pour ce qui est de l’omission de mentionner l’emploi qu’a occupé M. Karunaratne en 2009 dans le formulaire « Antécédents/Déclaration » présenté en janvier 2012, je ne crois pas qu’elle entraîne des conséquences importantes. Je suis d’accord avec le défendeur que cette omission ne peut être excusée en laissant entendre, comme l’ont fait les demandeurs, que les renseignements du formulaire « Antécédents/Déclaration » mis à jour ont été copiés du formulaire de 2008. La question 11 du formulaire de 2008 révèle que M. Karunaratne était un « pensionné » de juin 2003 jusqu’à la date où le formulaire a été signé. La question 8 du formulaire de 2012 affiche la même date de début, mais la réponse sous‑entend qu’il a été un « pensionné » de façon continue jusqu’en janvier 2012. Il semble donc que les demandeurs ou la répondante aient porté leur attention sur cette question et aient précisément mis à jour le formulaire pour fournir une réponse à jour à cette question en particulier. Il n’en demeure pas moins que l’agent avait accès à cette information puisqu’elle était divulguée de façon explicite dans la demande de VRT de 2009.

[19]           Même en supposant que l’omission de mentionner l’emploi occupé par M. Karunaratne en 2009 constitue une fausse déclaration, l’affaire ne s’arrête pas là. Pour qu’une conclusion d’interdiction de territoire soit tirée en application de l’article 40 de la LIPR, l’existence d’une fausse déclaration ne suffit pas en soi : il faut que cette dernière soit importante. Autrement dit, la fausse déclaration doit être telle qu’elle a entraîné ou aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la Loi. L’agent mentionne brièvement dans les notes du STIDI que l’expérience professionnelle antérieure de M. Karunaratne est importante [traduction] « parce que de tels renseignements servent à examiner les activités d’une personne dans le contexte d’éventuelles questions concernant l’admissibilité. Cela est particulièrement vrai compte tenu du fait qu’une guerre civile de longue date a récemment pris fin dans ce pays ». En toute déférence, cet argument est loin d’être convaincant.

[20]           Tout d’abord, je constate que l’emploi qu’occupait M. Karunaratne en 2009 était temporaire, qu’il ne s’agissait pas d’un emploi pour le gouvernement ni dans le cadre d’un projet lié au gouvernement et qu’il a débuté très peu de temps avant la fin de la guerre civile. Fait plus important encore, il ne s’agit pas d’un cas où abondent les fausses déclarations et où les contradictions dans le dossier d’emploi ne font qu’ajouter à la confusion générale qui plane sur les antécédents et l’histoire des demandeurs, comme ce fut le cas dans l’affaire Sinnathamby précitée. Je suis conscient que les questions concernant l’admissibilité constituent toujours une source de préoccupation dans l’évaluation des demandes de visa ou de résidence permanente. Toutefois, en l’espèce, je n’arrive pas à voir en quoi les neuf mois d’emploi de M. Karunaratne, qui autrement était retraité depuis 2003, auraient pu entraîner une erreur dans l’évaluation de la demande de résidence permanente présentée par les demandeurs au titre de la catégorie « regroupement familial ». L’agent n’a certainement pas fourni d’explication à cet égard, et je n’ai donc d’autre choix que de conclure qu’il était déraisonnable de rejeter la demande de résidence permanente et d’interdire de territoire au Canada les demandeurs pour une période de deux ans pour fausses déclarations.

V.                Conclusion

[21]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, je conclus qu’il était déraisonnable pour l’agent de conclure que les demandeurs ont fait de fausses déclarations. En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et aucune question ne sera certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. Le dossier doit donc être renvoyé à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur l’affaire.

« Yves de Montigny »

Juge

Traduction certifiée conforme

Stéphanie Pagé, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-6699-13

 

INTITULÉ :

ALUTHWALA DOMINGO V.R.K. KARUNARATNA ET R.A.D.S. SARATH KUMARA KARUNARATNE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 AVril 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Max Chaudhary

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Christopher Ezrin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Max Chaudhary

Avocat

North York (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.