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Date : 20140507


Dossier :

IMM‑1499‑13

Référence : 2014 CF 434

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 7 mai 2014

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

RAJESH CHAWLA,

JYOTSNA RAJESH CHAWLA

DISHA RAJESH CHAWLA ET

DEV RAJESH CHAWLA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demandeurs sollicitent, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), le contrôle judiciaire d’une décision rendue par Catherine Marx (l’agente), de la Section de l’immigration du Haut‑Commissariat du Canada à New Delhi, qui a refusé leur demande de résidence permanente à cause de fausses déclarations au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.

[2]               La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie sur le fondement de l’analyse qui suit.

I.                   Les faits

[3]               Rajesh Chawla (le demandeur principal), de nationalité indienne, a présenté en mars 2010 une demande en vue de venir au Canada en tant que travailleur qualifié, affirmant qu’il avait travaillé depuis 2003 comme cuisinier au restaurant Sheetal Picnic Mini Dhaba, à Mumbai, qui appartient à Rajesh Mehra.

[4]               Comme le demandeur principal n’avait reçu aucune formation de cuisinier et que le talon de paie qu’il avait présenté ne correspondait pas à son relevé d’impôt, on s’est renseigné pour vérifier sa déclaration d’emploi. On a téléphoné au restaurant en composant le numéro qu’avait donné le conseiller des demandeurs. Un certain M. Naresh, qui affirmait travailler dans le restaurant depuis neuf ans, a répondu au téléphone et informé l’agente qu’aucun Rajesh Chawla n’y avait jamais travaillé. Selon le défendeur, M. Naresh a aussi expliqué que le restaurant avait déménagé environ trois ans plus tôt, que le nom du propriétaire était Rajesh Mehra et qu’il ne s’y trouvait pas, mais qu’il viendrait dans la soirée, qu’il y avait quatre autres cuisiniers travaillant à cet endroit, mais aucun du nom de Rajesh Chawla, et que l’établissement n’offrait que des plats végétariens.

[5]               On a donc informé le demandeur principal des renseignements contraires obtenus et on lui a donné la possibilité d’y réagir. La « lettre d’équité » qui lui a été envoyée ne donnait pas les détails de l’entretien mené avec M. Naresh, mais indiquait simplement ce qui suit : [traduction] « Notre personnel d’enquête a effectué une vérification concernant ce restaurant en janvier 2012 : selon les renseignements recueillis au cours de l’enquête, vous n’avez jamais travaillé dans ce restaurant. »

[6]               Le demandeur principal a répondu à cette lettre le 14 mars 2012. Dans sa réponse, il écrivait qu’il avait été en congé durant deux mois et demi à l’époque de l’enquête et que le personnel du restaurant avait été entièrement remplacé durant son absence. Il fournissait aussi une autre lettre de M. Mehra, dans laquelle celui‑ci confirmait à nouveau que le demandeur principal avait travaillé pour lui depuis 2003. Il joignait également des reçus portant sa signature afin de prouver qu’il avait travaillé pour le restaurant.

[7]               Le 1er décembre 2012, la demande de résidence permanente présentée par les demandeurs a été refusée.

II.                La décision contrôlée

[8]               Dans sa lettre adressée au demandeur principal, l’agente se limitait à dire que la demande de résidence permanente était rejetée pour cause d’interdiction de territoire en raison de fausses déclarations au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, parce qu’il n’avait pas dit la vérité sur son expérience de travail au restaurant.

[9]               Dans les notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI), il était écrit qu’on avait téléphoné au restaurant et qu’un certain M. Naresh avait informé l’agente de ce qui suit :

(1) Il travaille dans ce restaurant depuis environ neuf ans maintenant.

(2) Il s’agit d’un petit restaurant qui se trouvait auparavant dans une boutique de Gokul Galaxy, Thakur Complex, Kandivali (est), mais qui avait déménagé à Vasant Smruti, Thakur Complex, Kandivali (E) environ trois ans plus tôt.

(3) Le nom du propriétaire est M. Rajesh Mehra, il n’est pas actuellement dans le restaurant, mais il y viendra dans la soirée.

(4) Il y a quatre autres cuisiniers/« garçons » qui travaillent dans ce restaurant, mais PERSONNE du nom de RAJESH CHAWLA (le demandeur principal) ne travaille ou ne travaillait avec eux dans la cuisine comme cuisinier.

(5) Le restaurant n’offre que des aliments végétariens, et aucun plat non végétarien n’y est servi.

[10]           Les notes du STIDI mentionnent aussi que [traduction] « les renseignements fournis par M. Naresh correspondent à ceux figurant dans la télécopie de l’employeur/du conseiller et à ceux trouvés sur les répertoires en ligne ». Les notes précisent aussi que la signature du demandeur principal apparaissant sur les reçus produits ne ressemble pas à celle qui figure sur sa demande de résidence permanente. L’agente a donc décidé d’accorder davantage de crédit aux affirmations de M. Naresh car celui‑ci n’avait aucune raison de ne pas dire la vérité.

III.             Points litigieux

[11]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions :

a)                  L’agente des visas a‑t‑elle manqué aux principes d’équité en ayant donné trop peu de détails dans la lettre d’équité à propos des renseignements recueillis durant l’enquête complémentaire, privant de ce fait le demandeur principal d’une occasion de réagir auxdits renseignements?

b)                  La décision de l’agente est‑elle raisonnable?

IV.             Analyse

[12]           Il est bien établi que la norme de contrôle applicable à une question d’équité procédurale est la norme de la décision correcte : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Ghasemzadeh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 716, au paragraphe 16; Karami c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 788, au paragraphe 18.

[13]           Quant à la deuxième question, elle doit être contrôlée selon la norme de la décision raisonnable. Il s’agit en effet d’une question mixte de droit et de fait, et du pouvoir discrétionnaire de l’agente d’évaluer la preuve qui lui a été soumise. La Cour n’interviendra donc que si la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

[14]           Il est bien établi que l’équité procédurale requiert qu’un candidat à la résidence permanente bénéficie d’une réelle occasion de réagir aux contradictions matérielles qui apparaissent dans son dossier, ou de dissiper les doutes touchant sa crédibilité : Qin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 147, au paragraphe 38; Abdi c Canada (Procureur général), 2012 CF 642, au paragraphe 21; Zaib c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 769, au paragraphe 17; Baybazarov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 665, au paragraphe 17; Hussaini c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 289, au paragraphe 5 [la décision Hussaini]). Ainsi, il y aura manquement à l’équité procédurale si un agent se fonde sur une preuve extrinsèque sans donner au demandeur l’occasion de prendre connaissance de cette preuve et d’y réagir : Amin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 206.

[15]           Les propres lignes directrices du défendeur contiennent d’ailleurs ce qui suit concernant la preuve extrinsèque :

Le demandeur doit connaître l’affaire, c.‑à‑d. que l’information détenue par l’agent doit être révélée au demandeur avant que la décision soit prise. Par exemple, si un agent se fie à des preuves extrinsèques (p. ex. des preuves provenant d’autres sources que du demandeur), il doit donner au demandeur la possibilité de s’expliquer.

Guide du traitement des demandes à l’étranger, chapitre OP‑1 : Procédures, section 8 « Équité procédurale »

[16]           En l’espèce, les demandeurs ont reçu très peu d’indications sur les doutes qu’avait l’agente. La lettre d’équité mentionne qu’une enquête a été menée et qu’elle a semé le doute sur de possibles fausses déclarations, mais elle ne contient rien d’autre. Elle ne dit pas quelles raisons ont poussé l’agente à faire enquête, comment l’enquête a été menée, ni quels renseignements recueillis durant l’enquête ont conduit à la conclusion que le demandeur principal avait fait une fausse déclaration concernant son emploi.

[17]           L’avocate du défendeur a fait valoir que les demandeurs en savaient suffisamment pour participer d’une manière utile au processus décisionnel et présenter pleinement et équitablement leurs arguments. Je ne suis pas de cet avis. Si l’agente avait dit au demandeur principal non seulement qu’elle doutait qu’il eût jamais travaillé dans le restaurant, mais aussi que les doutes qu’elle avait résultaient de renseignements qu’elle avait recueillis après avoir téléphoné au restaurant, le demandeur principal aurait été mieux placé pour dissiper les doutes en question.

[18]           Tout aussi importantes pour le demandeur principal étaient les diverses informations fournies par M. Naresh au téléphone (par exemple, le fait que le restaurant avait déménagé trois ans auparavant, le fait que le nom du propriétaire est M. Rajesh Mehra, le fait qu’il y a quatre autres cuisiniers travaillant dans ce restaurant, et le fait que le restaurant n’offre que des aliments végétariens). Si le demandeur principal avait eu connaissance de ces preuves extrinsèques, il aurait pu contester ces faits, amoindrissant ainsi la crédibilité de M. Naresh. L’affidavit complémentaire produit par les demandeurs aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire mentionne d’ailleurs que M. Naresh n’avait pas indiqué le nombre exact d’employés, ni la date exacte à laquelle le restaurant avait déménagé, et qu’il avait erronément désigné le restaurant comme un restaurant végétarien. Il n’appartient pas à la Cour de déterminer qui dit la vérité, ni de chercher à savoir si M. Naresh a fourni ou non des renseignements exacts. L’agente pouvait fort bien décider de donner la préférence aux renseignements fournis par M. Naresh plutôt qu’aux affirmations des demandeurs, et cela même après avoir pris en compte les réactions des demandeurs auxdits renseignements. Cependant, ce ne sont là que des conjectures, et il n’y a aucun moyen de savoir quel sort aurait subi la demande de résidence permanente si les demandeurs avaient été informés de toutes les preuves extrinsèques recueillies par l’agente.

[19]           Pour tous les motifs qui précèdent, je suis d’avis que les demandeurs n’ont pas été en mesure de participer véritablement au processus décisionnel, ni même de dissiper les doutes de l’agente puisqu’ils ont été laissés dans l’ignorance d’une bonne partie des renseignements sur lesquels l’agente s’est fondée pour rendre sa décision. La présente affaire est similaire à la situation dans des décisions antérieures de la Cour, notamment Moiseev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 88, et Hussaini, précitée. Je suis donc d’avis qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale et que le dossier devrait être renvoyé à un autre agent.

[20]           Eu égard à cette conclusion, il n’est pas nécessaire de répondre à la deuxième question. La décision aurait fort bien pu être raisonnable si les demandeurs avaient été en mesure d’exposer pleinement leurs arguments, mais ce n’est pas ce qui est arrivé ici. La Cour s’abstient donc de se prononcer sur cette question.

[21]           Un autre argument avancé par les demandeurs mérite d’être examiné. L’avocat des demandeurs a prétendu que l’agente aurait dû, après sa conversation téléphonique avec M. Naresh, s’entretenir avec le demandeur principal sur les doutes qu’elle avait concernant la crédibilité de celui‑ci. Il n’existe aucun droit à un entretien dans un tel cas, et les précédents invoqués par les demandeurs au soutien de leur position à ce chapitre se limitent simplement à dire qu’une telle obligation peut naître lorsque la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements produits par le demandeur est à l’origine des doutes d’un agent des visas : voir Ismailzada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 67, au paragraphe 20, citant Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, au paragraphe 24. L’obligation d’équité est de caractère variable, et il est reconnu qu’une participation utile peut prendre diverses formes dans diverses situations. Dans la mesure où un demandeur se voit offrir l’occasion de réagir et de présenter ses arguments, la justice naturelle sera respectée : Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 33.

V.                Conclusion

[22]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune des parties n’a proposé que soit certifiée une question grave de portée générale, et aucune n’est certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire, ANNULE la décision de l’agente et RENVOIE l’affaire à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM‑1499‑13

 

INTITULÉ :

RAJESH CHAWLA, JYOTSNA RAJESH CHAWLA DISHA RAJESH CHAWLA ET DEV RAJESH CHAWLA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 AVril 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 7 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Jeremiah Eastman

 

POUR LES demandeurs

 

Catherine Vasilaros

 

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cabinet Eastman, société professionnelle

Avocat

Brampton (Ontario)

 

pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

 

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