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Date : 20140506

Dossier : IMM‑8164‑13

Référence : 2014 CF 429


[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2014

En présence de monsieur le juge Mosley

ENTRE :

ALAN NEIL KIPPAX

 

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, M. Kippax, citoyen du Royaume-Uni, est détenu depuis le mois de janvier 2013 en vertu d’un mandat de l’immigration. Il a fait l’objet d’une mesure d’expulsion pour grande criminalité en raison d’un rapport défavorable établi au titre de l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR). En vertu de l’alinéa 50a) de la LIPR, il a été sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion en attendant qu’il soit statué sur les accusations pénales portées contre lui, son procès devant avoir lieu en décembre 2014.

I.                   CONTEXTE DE L’AFFAIRE

[2]               Le contexte de l’affaire est exposé dans les motifs du jugement de ma collègue la juge Gleason dans Kippax c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 655 aux paragraphes 4 à 16, et il n’y a pas lieu d’en reprendre ici le détail.

[3]               Ce qui importe en l’espèce, c’est la décision par laquelle la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SI ou la Commission) a, le 30 avril 2012, prononcé la mise en liberté du demandeur à certaines conditions, dont un cautionnement en espèces de 10 000 $ et une garantie de bonne exécution de 20 000 $. À l’époque, la commissaire a estimé que le risque de fuite du demandeur était assez faible et que le principal danger était lié à l’utilisation d’un véhicule automobile, ce danger pouvant toutefois être atténué par les conditions de mise en liberté.

[4]               M. Kippax n’est pas resté longtemps en liberté, car, le 26 juin 2012, il a été accusé d’infractions criminelles en rapport avec une installation de culture de marihuana. Les accusations ont été suspendues en novembre 2012, et il semblerait, d’après le dossier, que les faits sur lesquels reposaient les accusations en question n’aient pas pu être confirmés. Par décision en date du 30 décembre 2012, la Commission des libérations conditionnelles du Canada a cependant conclu que le comportement du demandeur avait démontré [traduction] « la nature permanente de ses attitudes criminelles » et lui a donc imposé des conditions supplémentaires, dont celle de loger dans une maison de transition. Cette décision a été prise en l’absence du demandeur et de son conseil pour des raisons indépendantes de leur volonté. Étant donné le peu de temps qu’il lui restait à purger avant l’expiration du mandat, il n’a pas été donné suite aux démarches qu’il avait entamées en vue d’interjeter appel de la décision en question. Le demandeur n’a pas sollicité le contrôle judiciaire de cette décision de la Commission des libérations conditionnelles.

[5]               Lorsque, le 11 janvier 2013, le mandat décerné en raison de ses activités criminelles est venu à expiration, le demandeur a été placé dans un centre de détention de l’immigration. Par sa décision rendue le 14 juin 2013, la juge Gleason a confirmé une ordonnance, en date du 15 avril 2013, de mise en détention de M. Kippax au motif qu’il constituait un danger au sens de l’alinéa 58(1)a) de la LIPR et de l’article 246 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement], et qu’il présentait un risque de fuite au sens de l’alinéa 58(1)b) de la LIPR et de l’article 245 du Règlement.

[6]               Après la décision de la juge Gleason, la SI a prononcé une série d’ordonnances maintenant M. Kippax en détention. Une ordonnance datée du 8 août 2013 a fait l’objet d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. L’autorisation a été accordée, et la question a été réglée par un jugement sur consentement qui indiquait que [traduction] « la Section de l’immigration a erronément affirmé qu’elle n’avait pas compétence pour réexaminer la décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles ».

[7]               La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision du 19 décembre 2013 touchant le contrôle des motifs de détention. Depuis lors, il y a eu plusieurs autres contrôles des motifs de détention et ordonnances de maintien en détention. La question est par conséquent devenue purement théorique étant donné que la décision visée par la demande de contrôle judiciaire est désormais caduque. Les parties ont toutefois convenu que la Cour devrait, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, statuer sur la demande, puisqu’il est peu probable que le demandeur soit expulsé dans un proche avenir et que les questions soulevées dans le cadre de la présente demande continueront de se poser dans le cadre des prochains contrôles de détention. Pour parvenir à la conclusion que je devrais effectivement instruire la présente affaire malgré son caractère désormais théorique, je me suis référé aux principes dégagés dans l’arrêt Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 à la page 353.

[8]               Lors du contrôle des motifs de détention du 19 décembre 2013, le demandeur a proposé qu’on le mette en liberté sous certaines conditions, lesquelles comprenaient un dépôt de garantie et un cautionnement d’exécution versés par sa fiancée, Mme Marivic Protacio, et ses anciens tuteurs, M. et Mme Woollett, ainsi qu’une détention à domicile et une surveillance électronique.

[9]               M. Kippax n’a aucun statut au Canada. Il rentrerait en Grande-Bretagne si ce n’étaient des accusations pénales portées contre lui au Canada. À l’heure actuelle, à moins que la Commission prenne une décision qui lui est favorable, le demandeur demeurera en détention jusqu’à son procès.

II.                LA DÉCISION EN CAUSE

[10]           Sur la question du danger que constituerait le demandeur, la commissaire a estimé qu’il n’y avait eu aucun changement notable depuis les décisions ordonnant sa détention et que les préoccupations exprimées par la SI demeuraient d’actualité. Cela étant, elle a conclu qu’il n’y avait aucune raison de revenir sur les décisions ordonnant le maintien en détention du demandeur, faisant observer qu’à partir [traduction] « du moment où une telle décision est prise, elle demeure en vigueur à moins d’être annulée par la Cour fédérale ». La commissaire a ajouté que le temps qui s’était écoulé n’avait diminué en rien le danger que le demandeur constituait pour le public.

[11]           En ce qui concerne les mesures proposées à la place de la détention, la commissaire a fait observer que ni le conseil du demandeur ni aucune des personnes proposées en tant que caution n’avaient expliqué le fait que le demandeur avait envisagé de se procurer le passeport d’un autre pays. La commissaire avait avant cela décidé que Mme Protacio ne pouvait lui servir de caution, car on s’était aperçu qu’elle avait fait de fausses déclarations pour le compte du demandeur. La commissaire a également estimé que Mme Trudy Woollett, qui, avec son mari, M. Glen Woollett, s’était proposée comme caution, ne pouvait pas non plus servir de caution pour le demandeur, étant donné qu’elle n’entretenait pas de « liens étroits » avec lui; que ses rapports avec le demandeur étaient [traduction] « sporadiques »; qu’elle [traduction] « n’avait aucune idée du genre de personne qu’il était »; qu’elle s’était contredite à plusieurs reprises et avait reconnu qu’une grande partie des renseignements qu’elle possédait au sujet du demandeur ne lui avaient été que récemment transmis; qu’elle n’était pas au courant des graves délits à l’origine de l’incarcération du demandeur; que le couple n’était pas en mesure d’assurer une surveillance efficace du demandeur; et que ce n’était que récemment que le demandeur avait sollicité leur aide.

III.             LES QUESTIONS EN LITIGE

[12]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

1.                  La commissaire a‑t‑elle erronément conclu qu’elle n’avait pas compétence pour réexaminer le danger posé par le demandeur et le risque qu’il ne se soustraie aux demandes de comparution?

2.                  La commissaire a‑t‑elle erronément conclu qu’elle n’avait pas compétence pour réexaminer les conclusions de la Commission des libérations conditionnelles?

3.                  La commissaire a‑t‑elle erronément conclu que les conditions de mise en liberté proposées, notamment les importantes sommes versées à titre de cautionnement et les mesures de surveillance électronique, ne suffisaient pas à écarter les préoccupations au sujet du danger que le demandeur constitue pour le public et du risque qu’il se soustraie aux demandes de comparution?

IV.             ANALYSE

A.                Norme de contrôle

[13]           Le demandeur fait valoir en l’espèce que les questions relatives à la compétence de la SI pour réviser les décisions touchant le danger que constitue le demandeur et le risque qu’il s’enfuie sont des questions de droit qui devraient être contrôlées selon la norme de la décision correcte. Dans une décision récente, Tursunbayev c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2014 CF 9, portant sur une décision de la SI de modifier les conditions de mise en liberté, j’ai mentionné que cette thèse trouve appui dans certaines décisions. J’ai cependant conclu que de telles décisions reposent essentiellement sur les faits et que, de manière générale, elles appellent la déférence.

[14]           Comme il a été souligné dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2003 CF 1225 au paragraphe 42, [2003] ACF no 1548; conf. 2004 CAF 4, les commissaires de la SI possèdent de meilleures connaissances et une meilleure expertise que la Cour pour appliquer certains des critères énoncés dans le Règlement. Dans Bruzzese c Canada (Ministre de la Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 230 [Bruzzese] aux paragraphes 42 à 45, le juge de Montigny parvient à une conclusion similaire.

[15]           Selon moi, les questions soulevées en l’espèce sont des questions mixtes de fait et de droit. À mon avis, il ne s’agit pas à proprement parler de questions de compétence ou de questions qui échapperaient au domaine d’expertise du décideur administratif : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au paragraphe 55. Ainsi que le juge de Montigny l’explique au paragraphe 44 de la décision Bruzzese, précitée, lorsqu’ils interprètent les critères régissant le contrôle des motifs de détention, les commissaires de la SI sont des tribunaux spécialisés qui appliquent leur loi constitutive et son règlement d’application et leurs décisions appellent par conséquent la déférence. La norme de contrôle applicable est donc celle de la décision raisonnable.

(1)               La commissaire a-t-elle erronément conclu qu’elle n’avait pas compétence pour réexaminer le danger posé par le demandeur et le risque qu’il ne se soustraie aux demandes de comparution?

[16]           Je conviens avec le demandeur que la commissaire a erronément estimé ne pas avoir compétence pour réexaminer les conclusions sur le danger posé et le risque qu’il se soustraie aux demandes de comparution. Selon l’article 57 de la LIPR, la Section de l’immigration est, lors de chaque audience, tenue de « décider à nouveau si le maintien de la détention » est justifié : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Thanabalasingham, 2004 CAF 4 [Thanabalasingham CAF], au paragraphe 8. Cela ressort aussi du libellé de l’article 162 de la LIPR, qui confirme que chacune des sections de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a compétence pour connaître des « questions de droit et de fait ». Les commissaires de la SI ont par conséquent compétence pour réexaminer les conclusions menant à la détention ou au maintien en détention.

[17]           Bien qu’il ne soit pas lié par les décisions antérieures, le commissaire qui décide d’aller à l’encontre de décisions ordonnant la détention doit le faire pour « des motifs clairs et convaincants » : Thanabalasingham CAF, précité, au paragraphe 10. Cela ne veut toutefois pas dire, comme la commissaire semble l’avoir pensé en l’occurrence, que les décisions antérieures demeurent valables tant qu’elles ne sont pas infirmées par la Cour. Le réexamen des motifs de détention relève entièrement de la compétence de la Commission et non pas de la Cour fédérale. Le recours que constitue le contrôle judiciaire ne permet pas à la Commission de se soustraire à cette responsabilité. Précisons que, comme la Cour d’appel fédérale l’a rappelé au paragraphe 13 de l’arrêt Thanabalasingham, ce réexamen ne doit pas être fait hâtivement.

[18]           Je ne suis pas convaincu que l’argument avancé par le défendeur selon lequel le raisonnement tenu par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Thanabalasingham CAF, précité, ne s’applique qu’au cas où un commissaire de la SI décide de ne pas reconduire des décisions antérieures de maintien en détention et d’ordonner la mise en liberté de l’individu concerné. La LIPR doit certes être interprétée et appliquée à la lumière des objectifs énoncés dans la Loi, dont la volonté de faire primer la sécurité, mais cela ne veut pas dire que l’on puisse ne pas tenir compte des droits de l’individu en matière de liberté : Medovarski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51 [Medovarski]; Charkaoui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CSC 9 aux paragraphes 17 et 18.

[19]           Comme l’a affirmé la Cour suprême dans l’arrêt Medovarski, précité, au paragraphe 10, l’objectif qui consiste à donner la priorité à la sécurité est notamment réalisé en insistant sur l’obligation des résidents de se conformer à la Loi pendant qu’ils sont au Canada. La détention au titre de la LIPR ne remplace pas une ordonnance de détention rendue par un tribunal pénal à l’encontre d’une personne accusée d’actes criminels au Canada. La détention en vertu de la LIPR vise à faire en sorte que l’individu concerné ne se soustraie pas aux procédures d’immigration et à protéger le public en attendant l’issue de ces procédures.

[20]           Les motifs clairs et convaincants de s’écarter de décisions antérieures ordonnant le maintien en détention peuvent notamment faire état des solutions de rechange acceptables à la détention proposées ainsi que des changements de circonstances qui pourraient amener la SI à estimer que les facteurs énoncés à l’article 58 ne sont plus présents. Ainsi que nous le verrons, bien que la commissaire ait commis une erreur à la première étape de son analyse, elle s’est penchée sur la question de savoir si les modalités de la mise en liberté permettraient de protéger le public et de faire en sorte que le demandeur continuerait de se conformer aux demandes de comparution des autorités de l’immigration.

(2)               La commissaire a‑t‑elle erronément conclu qu’elle n’avait pas compétence pour réexaminer les conclusions de la Commission des libérations conditionnelles?

[21]           Cet argument découle des déclarations mêmes de la commissaire qui a dit que, pour ordonner le maintien en détention, elle s’en tenait aux motifs qu’elle avait déjà donnés. Pris littéralement, cela engloberait la conclusion à laquelle la commissaire est parvenue le 8 août 2013 lorsqu’elle a décidé qu’elle ne pouvait pas examiner le bien‑fondé de la décision de la Commission des libérations conditionnelles. Or, cette décision touchait la question de savoir si, et dans quelle mesure, le demandeur avait enfreint les conditions de sa mise en liberté d’office, conditions qui avaient été incorporées aux conditions régissant sa mise en liberté par les autorités de l’immigration en avril 2012. La violation présumée de ces conditions était le motif invoqué pour le maintenir en détention. La question a été soulevée devant la juge Gleason, mais elle n’a pas été tranchée dans sa décision du 14 juin 2013. Au paragraphe 30 de ses motifs, la juge précise toutefois que l’enquête nécessaire à cet égard doit prendre en compte les intérêts concurrents qui sont, d’une part, le caractère définitif des décisions du tribunal administratif en cause et, d’autre part, le devoir d’équité envers le demandeur.

[22]           Il était loisible à la Commission de conclure que le demandeur avait eu pleinement l’occasion de contester les motifs sur lesquels reposaient les conclusions de fait auxquelles était parvenue la Commission des libérations conditionnelles, et que la SI ne devait par conséquent pas réexaminer la question. La Commission est notamment souvent justifiée de le faire dans les cas où la décision de l’autre tribunal administratif n’a pas fait l’objet d’un appel et (ou) d’une demande de contrôle judiciaire. Ce n’est que rarement que la Commission pourrait être justifiée de mettre en doute l’issue d’une procédure devant un autre tribunal administratif agissant dans les limites de sa compétence. En l’occurrence, cependant, la décision de la Commission des libérations conditionnelles a été prise alors que tant le demandeur que son conseil étaient absents pour des raisons valables. Ajoutons que lors du contrôle des motifs de détention en août 2013, le demandeur a pu faire valoir ses arguments et produire des preuves démontrant que les conclusions auxquelles était parvenue la Commission des libérations conditionnelles reposaient, du moins en partie, sur des accusations pénales qui n’étaient pas fondées et que le ministère public avait fini par retirer. Je relève par ailleurs que la décision de la Commission des libérations conditionnelles découle en partie du fait qu’elle semblait se préoccuper du maintien des liens entre le demandeur et les milieux criminels.

[23]           La commissaire de la SI avait déjà refusé à prendre en compte les preuves et arguments présentés par le demandeur pour contester les conclusions auxquelles la Commission des libérations conditionnelles était parvenue à l’issue de l’audience d’août 2013, estimant que le réexamen de ces conclusions échappait à sa compétence. Dans le cadre de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, le défendeur a admis que ce refus constituait effectivement une erreur de droit et a accepté que la décision en cause soit infirmée par un jugement rendu sur consentement.

[24]           Le défendeur reconnaît que si la commissaire voulait maintenir la conclusion qu’elle a tirée en août 2013 sur la question de sa compétence, elle commettrait à nouveau une erreur susceptible de contrôle judiciaire. Le défendeur fait cependant valoir qu’en renvoyant aux motifs qu’elle avait précédemment exposés, la commissaire s’est tout simplement mal exprimée, car elle n’entendait pas inclure son erreur.

[25]           Je conviens qu’il n’y a, dans la décision de la commissaire, outre son renvoi trop global à ses motifs précédents, rien qui indique qu’elle estimait toujours qu’elle n’avait pas compétence pour réexaminer les conclusions de la Commission des libérations conditionnelles. En l’absence d’indication claire à l’effet contraire, je ne saurais conclure qu’elle a omis de prendre en compte les preuves et arguments présentés à cet égard par le demandeur.

(3)               La commissaire a‑t‑elle erronément conclu que les conditions de mise en liberté proposées, notamment les importantes sommes versées à titre de cautionnement et les mesures de surveillance électronique, ne suffisaient pas à écarter les préoccupations au sujet du danger que le demandeur constitue pour le public et du risque qu’il se soustraie aux demandes de comparution?

[26]           Selon l’alinéa 248e) du Règlement, lorsque la SI constate qu’il existe des motifs de détention, elle est tenue de prendre en compte un certain nombre de facteurs, dont la durée de la détention et l’existence de solutions de rechange :

[…]

[…]

b) la durée de la détention;

(b) the length of time in detention;

c) l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, cette période de temps;

(c) whether there are any elements that can assist in determining the length of time that detention is likely to continue and, if so, that length of time;

[…]

[…]

e) l’existence de solutions de rechange à la détention.

(e) the existence of alternatives to detention.

[27]           Dans le cadre de la procédure en cause, le demandeur avait proposé qu’on le mette en liberté et que des cautionnements soient versés par le couple Woollett, avec qui il avait été proche dans sa jeunesse, et par sa fiancée, Mme Protacio. Il a également proposé de se soumettre, à ses frais, à des mesures de surveillance électronique avec assignation à résidence assortie d’un couvre-feu.

[28]           Le demandeur soutient que la commissaire a commis une erreur en ne considérant pas que ces conditions de mise en liberté fournissaient des motifs clairs et convaincants de s’écarter des décisions précédentes en matière de détention, eu égard notamment à la durée de son maintien en détention. Il invoque à cet égard la décision d’un autre commissaire qui, en avril 2012, a conclu à l’existence d’une solution de rechange raisonnable à la détention et ordonné que le demandeur soit mis en liberté sous caution. Ainsi que nous l’avons vu, le commissaire avait à l’époque jugé assez faible l’argument que le demandeur chercherait à se soustraire aux demandes de comparution et estimé que le danger que le demandeur pouvait constituer pour le public serait atténué si on lui interdisait de conduire un véhicule automobile.

[29]           Le changement de circonstances le plus important qui est intervenu depuis la décision d’avril 2012 était la violation présumée des conditions de sa libération d’office, constatée par la Commission des libérations conditionnelles et acceptée par la SI. Comme nous l’avons vu, cette conclusion était sujette à débat compte tenu des preuves et des arguments avancés par le demandeur. Selon celui-ci, il n’y avait aucune raison claire et convaincante de s’écarter de la décision d’avril 2012 autorisant sa mise en liberté conditionnelle.

[30]           En ce qui concerne maintenant les aptitudes des personnes proposées à titre de cautions, le demandeur fait valoir qu’il était, de la part de la commissaire, déraisonnable d’écarter Mme Protacio au motif qu’elle était [traduction] « trop liée » au demandeur et à ses activités, alors qu’elle écartait les Woollett, personnes irréprochables, au motif qu’ils n’avaient pas entretenu de relations étroites avec le demandeur depuis son adolescence, c’est-à-dire depuis qu’ils avaient été, 20 ans plus tôt, ses tuteurs. Ces personnes avaient par ailleurs prévu un plan précis pour assurer la surveillance du demandeur. En les écartant en tant que cautions, la commissaire était revenue sur sa décision de novembre 2013 selon laquelle le demandeur pouvait être mis en liberté à condition de trouver une caution acceptable.

[31]           Le défendeur fait remarquer que, depuis avril 2012, de nombreuses décisions prises à l’issue de contrôles des motifs de détention ont abouti au maintien en détention du demandeur. Au contrôle d’avril 2012, la SI n’était pas au courant de l’incident qui s’était produit en mars 2011 et à la suite duquel, en raison d’une altercation avec la police, le demandeur avait été déclaré coupable de plusieurs infractions. Au moment de son arrestation, le demandeur était en possession d’un faux passeport d’un État africain. En janvier 2013, le demandeur a été interdit de territoire pour criminalité, a perdu son statut de résident permanent et a fait l’objet d’une mesure d’expulsion. En mars 2013, les cautionnements versés en avril 2012 ont été confisqués. Les demandes de contrôle judiciaire présentées par les cautions ont été toutes les deux rejetées.

[32]           Selon le défendeur, la question de l’aptitude à servir de caution relève de la compétence et de l’expertise de la Section de l’immigration. La Cour aurait pu parvenir à une conclusion différente en ce qui concerne les aptitudes des Woollett, mais elle ne saurait pour autant substituer son opinion à celle de la SI. La commissaire pouvait à bon droit conclure que les liens que les Woollett entretenaient avec le demandeur avaient été sporadiques et qu’ils ne seraient pas en mesure de le surveiller efficacement. En ce qui concerne Mme Protacio, on lui reprochait les fausses déclarations qu’elle aurait faites à l’audience du 28 novembre 2013. L’audience du 19 décembre 2013 n’a rien fait pour atténuer les inquiétudes éprouvées à cet égard.

[33]           Il était également loisible à la commissaire de conclure que, faute d’une personne apte à servir de caution, la mesure de surveillance électronique ne constituait pas une solution de rechange satisfaisante à la détention. Voir, par exemple, la décision Bruzzese, précitée, au paragraphe 78, et Muhammad c Canada (Ministre de la Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 98 au paragraphe 33.

V.                CONCLUSION

[34]           Les conclusions auxquelles est parvenue la commissaire au sujet des solutions de rechange à la détention proposées étaient raisonnables, c’est-à-dire qu’elles étaient justifiées, transparentes et intelligibles et faisaient partie des issues possibles acceptables. Toutefois, avant de se pencher sur les solutions de rechange possibles, la commissaire devait d’abord se prononcer sur les motifs de la détention. Comme nous l’avons vu, la commissaire a erronément conclu qu’elle n’avait pas compétence pour réexaminer les conclusions précédemment tirées au sujet du danger que le demandeur pouvait constituer et du risque qu’il se soustraie aux demandes de comparution. La demande est par conséquent accueillie et l’affaire est renvoyée à la Section de l’immigration pour qu’elle effectue un nouvel examen conformément aux présents motifs.

[35]           Aucune question grave n’a été proposée et aucune ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire et RENVOIE l’affaire à la Section de l’immigration afin qu’elle soit réexaminée par un autre commissaire conformément aux présents motifs. Aucune question n’est certifiée.

« Richard G. Mosley »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM‑8164‑13

 

INTITULÉ :

ALAN NEIL KIPPAX

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 19 MARS 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE MOSLEY

 

DATE :

LE 6 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Brad Gotkin

Meva Motwani

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Daniel Kingwell

Avocats

Mamann, Sandaluk

& Kingwell LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 

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