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Date : 20140430


Dossier : IMM‑1060‑13

Référence : 2014 CF 401

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Toronto (Ontario), le 30 avril 2014

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

KELLY DANIELLE OCKHUIZEN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

 

[1]               Madame Kelly Danielle Ockhuizen demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rejetant sa demande d’asile pour des motifs liés à la crédibilité.

[2]               En dépit de la retenue dont il faut faire montre à l’égard des conclusions de fait de la Commission, j’ai conclu que la décision de la Commission n’était pas raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

I.                   Contexte

[3]               Mme Ockhuizen est une femme de 26 ans originaire du Botswana. Elle affirme qu’elle est lesbienne et que, lorsque ses parents ont découvert son orientation sexuelle, ils ont tenté de la forcer à épouser un homme beaucoup plus âgé qu’elle. Lorsqu’elle a repoussé les avances de son prétendant, Mme Ockhuizen affirme que celui‑ci l’a violée.

[4]               Mme Ockhuizen déclare qu’elle a voulu déclarer l’agression sexuelle à la police, mais que, lorsqu’elle leur a expliqué la situation, les policiers se sont moqué d’elle et l’ont renvoyée. Mme Ockhuizen et sa petite amie ont alors fui dans une autre ville.

[5]               Mme Ockhuizen allègue que, quelques mois plus tard, son père et cinq inconnus sont venus chez elle et l’ont battue. Avec l’aide de sa petite amie, elle a alors pris des dispositions pour s’enfuir en direction du Canada, où elle a immédiatement demandé l’asile.

II.                La décision de la Commission

[6]               La Commission n’a pas cru que Mme Ockhuizen était exposée à la menace d’un mariage forcé, qu’elle avait été violée ou qu’elle est vraiment lesbienne.

[7]               En ce qui concerne le prétendu mariage forcé, la Commission a souligné que Mme Ockhuizen avait déclaré que les préparatifs de son mariage n’étaient pas achevés lorsqu’elle a été violée. La Commission a conclu qu’il n’était pas plausible que les parents de Mme Ockhuizen n’aient pas veillé aux préparatifs du mariage après tout ce temps, puisque le marié avait été choisi quelque sept mois auparavant.

[8]               La Commission a aussi estimé qu’il était invraisemblable qu’une femme ayant fait des études universitaires, comme Mme Ockhuizen, et n’ayant pas été élevée dans un milieu rural ait été forcée à accepter un mariage arrangé.

[9]               Sur la foi des renseignements relatifs aux conditions dans le pays, la Commission a de plus conclu que la police au Botswana aurait traité la plainte de viol de Mme Ockhuizen si elle en avait fait une. Par conséquent, la Commission a conclu que celle‑ci n’avait pas tenté de porter plainte.

[10]           La Commission a aussi conclu que le défaut présumé de Mme Ockhuizen de demander des soins médicaux à la suite du viol était invraisemblable, étant donné la prévalence du VIH/sida au Botswana, et que cet élément jetait un doute supplémentaire sur son récit.

[11]           De plus, la Commission a conclu que Mme Ockhuizen n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve au sujet de sa prétendue relation de longue date avec sa petite amie, voire de l’existence de celle‑ci, concluant, en dernière analyse, que Mme Ockhuizen n’avait pas établi qu’elle était lesbienne.

[12]           Enfin, la Commission a décidé d’accorder peu de valeur probante aux rapports médicaux et autres documents produits par Mme Ockhuizen à l’appui de sa demande, après l’audition de sa demande d’asile.

III.             Analyse

[13]           La Commission a rejeté l’allégation de Mme Ockhuizen selon laquelle ses parents voulaient la forcer à se marier en partie à cause de la conclusion selon laquelle il était invraisemblable que les parents attendent sept mois afin « d’arranger un mariage », comme le marié avait été choisi quelque sept mois plus tôt.

[14]           Cependant, Mme Ockhuizen a affirmé que le mariage avait en fait été arrangé sept mois plus tôt. Prise au pied de la lettre, la conclusion de la Commission ne correspond pas à la preuve produite.

[15]           Il se peut que la Commission ait voulu dire qu’il était invraisemblable que les parents de Mme Ockhuizen attendent sept mois pour préparer la cérémonie du mariage. Si c’est le cas, la conclusion pose autant problème.

[16]           Il ressort clairement de la jurisprudence que les conclusions quant à la vraisemblance ne devraient être tirées « que dans les cas les plus évidents » : Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7, 2001 ACF no 1131.

[17]           Cela s’explique par le fait que les conclusions quant à la vraisemblance « peuvent être influencées par des présomptions culturelles ou des perceptions erronées », ce qui fait qu’elles « doivent être fondées sur une preuve claire et un raisonnement clair à l’appui des déductions de la Commission et devraient faire état des éléments de preuve pertinents qui pourraient réfuter lesdites conclusions » : Santos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 937, au paragraphe 15, 2004 ACF no 1149.

[18]           La Commission n’a pas renvoyé à des éléments de preuve concernant les coutumes se rapportant au mariage au Botswana pouvant étayer sa conclusion quant à l’invraisemblance du temps mis par les parents pour préparer une cérémonie de mariage. Elle n’a pas non plus pris en compte l’explication de Mme Ockhuizen selon laquelle son futur mari venait tout juste de payer la dot au moment où celui-ci l’avait violée.

[19]           La Commission a aussi rejeté l’affirmation de Mme Ockhuizen selon laquelle ses parents la forçaient à se marier, parce qu’elle avait fait des études universitaires et qu’elle n’avait pas été élevée dans un milieu rural. Cependant, les renseignements relatifs aux conditions dans le pays auxquels a renvoyé la Commission pour étayer sa conclusion n’indiquent pas que les mariages forcés sont l’apanage des femmes élevées en milieu rural. La Commission n’explique pas non plus en quoi le niveau d’instruction de Mme Ockhuizen pourrait influer sur la décision de ses parents de la forcer à se marier.

[20]           La Commission a fondé ses conclusions selon lesquelles Mme Ockhuizen n’avait pas été violée en partie sur le fait qu’elle n’avait pas consulté un médecin après l’agression. Selon la Commission, cela était invraisemblable, étant donné la prévalence du VIH/sida au Botswana. Cette conclusion pose problème en ce sens que Mme Ockhuizen a déclaré qu’elle avait consulté un médecin après le viol pour vérifier si elle n’avait pas été infectée par une maladie transmise sexuellement, ce qui fait que la Commission a tiré sa conclusion sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait.

[21]           En concluant que la police aurait traité sa plainte de viol si Mme Ockhuizen en avait véritablement fait une, la Commission s’est fondée sur les renseignements relatifs aux conditions dans le pays indiquant que les lois sur les agressions sexuelles sont appliquées au Botswana. La Commission ne s’est cependant pas penchée sur la question de savoir si c’est le cas lorsque la victime est une lesbienne. En négligeant de prendre en compte cette question, la Commission a omis d’aborder cet aspect du profil de Mme Ockhuizen et la façon dont celui‑ci aurait pu influer sur la réaction de la police à l’égard de sa plainte.

[22]           Il s’agit d’un problème concret car les renseignements relatifs aux conditions dans le pays indiquent que l’homosexualité est illégale au Botswana, est considérée comme taboue et est perçue par les tribunaux de ce pays comme [traduction] « une atteinte à la moralité publique ».

[23]           La conclusion de la Commission selon laquelle Mme Ockhuizen n’a pas établi qu’elle était lesbienne semble reposer, en partie, sur ses conclusions voulant que son récit de mariage forcé et de viol n’était pas crédible. Étant donné les préoccupations relevées plus haut en ce qui concerne ces conclusions, il s’ensuit que la conclusion de la Commission concernant l’orientation sexuelle de Mme Ockhuizen est aussi douteuse.

[24]           Compte tenu de ces erreurs, je suis convaincue que la décision de la Commission était déraisonnable. Vu ma conclusion à l’égard de ces questions, il n’est pas nécessaire d’aborder les arguments se rapportant à la façon dont la Commission a traité les éléments de preuve fournis après l’audience.

IV.             Conclusion

[25]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Je conviens avec les parties que l’affaire ne soulève pas de question à certifier.

 


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

 

« Anne L. Mactavish »

Juge

Traduction certifiée conforme

Line Niquet

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1060‑13

 

INTITULÉ :

KELLY DANIELLE OCKHUIZEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 AVRIL 2014

 

jugEment ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 30 AVRIL  2014

 

COMPARUTIONS :

Alyssa Manning

 

Pour la demanderesse

 

Nicole Paduraru

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Refugee Law Office

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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