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Date : 20140428


Dossier :

T-2123-12

Référence : 2014 CF 393

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 avril 2014

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, CONSEIL DU TRÉSOR DU CANADA, SOCIÉTÉ DU MUSÉE DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE DU CANADA, CENTRE CANADIEN D’HYGIÈNE ET DE SÉCURITÉ AU TRAVAIL, SOCIÉTÉ DU MUSÉE CANADIEN DES CIVILISATIONS, MUSÉE DES BEAUX-ARTS DU CANADA, NAV CANADA et WEENEEBAYKO HEALTH AHTUSKAYWIN

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La demanderesse, l’Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC), sollicite le contrôle judiciaire de la décision en date du 23 octobre 2012 par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 41 de la Loi canadienne des droits de la personne, LRC 1985, c H-6 (LCDP) pour ne pas statuer sur certaines des allégations soulevées dans une plainte relative aux droits de la personne déposée par l’AFPC. On alléguait dans cette plainte, présentée en 2002, que les rajustements salariaux ordonnés en 1998 par le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) n’avaient pas été accordés aux employés de certains organismes régis par le Code canadien du travail et d’autres organismes de la fonction publique.

[2]               Bien que l’AFPC soutienne que la Commission a rejeté deux tiers de la plainte, la Commission a accepté que des volets importants de la plainte passent à l’étape de l’enquête.

[3]               Pour les motifs énoncés ci-dessous, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Contexte

[4]               L’historique de la plainte est long et important; elle tire ses origines dans les plaintes déposées au début des années 1980 concernant la discrimination salariale.

[5]               En 1984, l’AFPC a allégué que le Conseil du Trésor (CT) s’était livré et continuait de se livrer à la discrimination salariale en contravention de l’article 11 de la LCDP et a déposé une plainte auprès de la Commission. À la suite de cette plainte, une étude à l’échelle de la fonction publique a été réalisée dans le cadre de l’Initiative conjointe patronale-syndicale (l’étude ICPS). L’étude ICPS a porté sur l’équivalence des fonctions et les taux salariaux pour tous les groupes professionnels à prédominance féminine et tous les groupes professionnels à prédominance masculine dont le CT était l’employeur. En 1990, l’AFPC a déposé une autre plainte au nom de six groupes professionnels. Les plaintes de 1984 et de 1990 ont été renvoyées au Tribunal pour qu’il rende une décision. Le 29 juillet 1998, le Tribunal a conclu que le CT contrevenait à l’article 11 et lui a ordonné de verser des paiements à certains groupes professionnels de l’administration publique centrale (l’ordonnance de 1998).

[6]               Le 29 octobre 1999, l’AFPC et le CT ont conclu un règlement en matière de parité (le règlement de 1999). Le règlement de 1999 s’appliquait à certains groupes d’employés du CT et n’englobait pas les employés des organismes distincts, des sociétés d’État ou de toute autre organisation ne figurant pas à l’annexe I de la partie I de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (aujourd’hui les annexes I et IV de la Loi sur la gestion des finances publiques, LRC 1985, c F‑11 (LGFP)).

[7]               Exception faite du CT lui-même, le règlement de 1999 ne visait aucune des organisations défenderesses dans le cadre de la présente plainte, car ces organisations étaient devenues depuis, en vertu de lois adoptées au Parlement, des organismes distincts régis par le Code canadien du travail, LRC 1985, c L‑2. Ces organismes, soit la Société du Musée des sciences et de la technologie du Canada (MSTC), le Musée canadien des civilisations (MCC), le Musée des beaux-arts du Canada (Musée des beaux-arts), le Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail (CCHST), Weeneebayko Health Ahtuskaywin (WHA) et NAV Canada (NAV), seront ci‑après appelés les « organismes régis par le Code ». Une fois soustraits de l’administration publique centrale, les organismes régis par le Code sont devenus l’employeur de leurs propres employés; autrement dit, le CT n’était plus l’employeur. Des paiements rétroactifs ont été effectués pour la période durant laquelle les employés de ces organismes faisaient encore partie de l’administration publique centrale, autrement dit en tant qu’employés du CT, en vue de respecter l’ordonnance de 1998. Toutefois, l’AFPC soutient qu’il n’y a pas eu de rajustement des salaires par la suite.

La plainte de 2002

[8]               En 2002, l’AFPC a lancé la plainte dont il est question dans la présente demande de contrôle judiciaire. Elle y alléguait que l’omission de corriger les taux salariaux discriminatoires après l’établissement des organismes régis par le Code et après leur transfert de l’administration publique centrale constituait une pratique interdite en vertu des articles 7 et 10 de la LCDP. L’AFPC a aussi allégué que le CT et/ou les organismes régis par le Code ont maintenu des salaires discriminatoires en contravention de l’article 11 de la LCDP. La plainte principale (la principale allégation) a été formulée contre les organismes régis par le Code à titre de coemployeurs conjointement avec le CT (c’est-à-dire à titre de codéfendeurs) et la plainte subsidiaire (l’allégation subsidiaire) a été formulée contre les organismes régis par le Code à titre d’employeurs individuels (c’est-à-dire à titre de défendeurs individuels).

[9]               Dans la plainte originale, l’AFPC désignait 17 organismes, mais a ensuite retiré les noms de certains organismes, ne conservant que ceux des défendeurs actuels.

[10]           De 2004 à 2008, la Commission a laissé en suspens la plainte de 2002 en attendant l’issue d’une action fondée sur la Charte intentée par des employés de sept des organismes. L’action a été abandonnée et l’AFPC a alors demandé à la Commission de réactiver la plainte de 2002.

[11]           D’après la principale allégation, le CT emploie de nombreuses personnes par l’entremise de diverses sociétés d’État à titre d’employeurs distincts et a fait preuve de discrimination fondée sur le sexe en n’accordant pas des rajustements de parité salariale à son personnel, en contravention des articles 7 et 10 de la LCDP. L’AFPC a aussi allégué que le CT a exercé de la discrimination et continue d’exercer de la discrimination à l’encontre de son personnel en maintenant des disparités salariales entre les employés qui exécutent des fonctions dans les catégories d’emplois à prédominance féminine et ceux qui exécutent des fonctions équivalentes dans des catégories d’emplois à prédominance masculine dans le même établissement, en contravention de l’article 11 de la LCDP.

[12]           D’après l’allégation subsidiaire de l’AFPC, si le CT n’est pas l’employeur de ces personnes, les employeurs distincts, c’est-à-dire les organismes régis par le Code, sont chacun de leur côté l’employeur et ont exercé de la discrimination à l’égard des employés, et continuent de le faire de la même manière.

[13]           La Commission a demandé aux parties de lui soumettre des observations sur la question de savoir si elle devait refuser de statuer sur la plainte en vertu des alinéas 41(1)c) et d) de la LCDP. Elle a aussi communiqué aux parties une copie des conclusions du conseiller en règlement anticipé (le rapport visé à l’article 41).

Le rapport visé à l’article 41

[14]           Essentiellement, le rapport visé à l’article 41 recommandait à la Commission de ne pas statuer sur la plainte car elle ne relevait pas de sa compétence. D’après ce rapport :

         la plainte était essentiellement une plainte en matière de parité salariale et, à la lumière de la décision Harkin c Procureur général, 2010 TCDP 11 [Harkin], elle ne peut aller de l’avant en vertu des articles 7 et 10;

         il était évident et manifeste que le CT n’est pas l’employeur aux fins de l’article 11. Même si le CT avait été l’employeur, la plainte ne signalait pas de groupe de comparaison au sein du CT et n’avançait pas de motifs raisonnables à l’appui des allégations fondées sur l’article 11;

         l’AFPC n’a pas fourni de groupe de comparaison au sein de chacun des organismes régis par le Code et n’a pas avancé de motifs raisonnables à l’appui des allégations déposées contre eux à titre d’employeurs distincts en vertu de l’article 11.

[15]           D’autres conclusions formulées dans le rapport visé à l’article 41 ne sont pas visées par la présente demande de contrôle judiciaire.

[16]           Dans ses observations présentées en réponse au rapport visé à l’article 41, l’AFPC a noté que même si le CT n’était pas l’employeur aux fins des relations de travail et de la négociation collective, il est, directement ou indirectement, l’organisme directeur central aux fins de la classification et de la rémunération.

[17]           L’AFPC a fait valoir que la définition d’« employeur » aux fins des lois sur les droits de la personne n’est pas nécessairement la même que celle aux fins des relations de travail. Ainsi qu’il est signalé dans Reid c Vancouver Police Board, 2005 BCCA 418, 44 BCLR (4th) 49 (Reid), le facteur le plus important pour établir qui est l’employeur consiste à identifier qui est responsable des pratiques de rémunération et de l’évaluation du travail. L’AFPC soutient que le CT est responsable des pratiques de rémunération et de l’évaluation du travail des employés des organismes régis par le Code.

[18]           L’AFPC a soutenu que les employés ont conservé les classifications et les taux salariaux du CT (qui ont par la suite été jugés discriminatoires) au moment du passage aux organismes régis par le Code. Ces classifications ont été maintenues durant une grande partie des années 1990. L’AFPC a noté que le contrôle du CT s’est poursuivi comme l’atteste, par exemple, son pouvoir sur les finances dans les organismes assujettis à la LGFP. Elle a soutenu que, par conséquent, le CT était et est l’employeur pour cette période.

[19]           La Commission a pris en considération les observations des parties concernant le rapport visé à l’article 41 et a rendu sa décision le 23 octobre 2012.

La décision de la Commission

[20]           En exerçant son pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 41 de la LCDP, la Commission a appliqué le critère du caractère « évident et manifeste ». Elle a reconnu que, bien qu’il s’agisse d’un critère exigeant pour justifier l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le but ultime de l’article 41 est de retirer certaines plaintes du processus d’enquête. Selon la Commission, même des questions comportant des volets factuels importants peuvent être réglées à l’étape de l’article 41 s’il est évident et manifeste que la Commission ne doit pas statuer sur la plainte.

[21]           En résumé, la Commission a décidé, en vertu de l’alinéa 41(1)c) de la LCDP :

         de statuer sur les allégations fondées sur les articles 7, 10 et 11 contre le MSTC, le CCHST, le MCC et le Musée des beaux-arts, uniquement à titre de codéfendeurs avec le CT (mais pas à titre de défendeurs individuels);

         de ne pas statuer du tout sur les allégations fondées sur les articles 7, 10 et 11 contre NAV et WHA, c’est-à-dire ni à titre de codéfenderesses avec le CT, ni à titre de défenderesses individuelles.

[22]           Il découle de la décision que des éléments importants de la plainte feront l’objet d’une enquête, plus précisément, les allégations fondées sur les articles 7, 10 et 11 contre le MSTC, le CCHST, le MCC et le Musée des beaux-arts, à titre de codéfendeurs (c’est-à-dire, à titre de coemployeurs) avec le CT.

[23]           La Commission a également décidé, en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP, que la plainte n’était pas frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi.

[24]           Les paragraphes qui suivent décrivent de manière plus détaillée la décision de la Commission.

Les allégations fondées sur les articles 7 et 10

[25]           La Commission a conclu que la décision Harkin – dans laquelle le Tribunal a (entre autres) décidé que les allégations de discrimination salariale fondée sur le sexe devaient être examinées, du point du droit, en vertu de l’article 11 et non des articles 7 et 10 – n’excluait pas que la présente plainte soit examinée en vertu des articles 7 et 10. Elle a conclu que la plainte de l’AFPC semblait avoir une portée plus générale qu’une simple plainte relative à la parité salariale, car elle ne visait pas la discrimination salariale elle-même, mais plutôt l’omission par le CT et/ou les organismes régis par le Code de rajuster les taux salariaux qui avaient déjà été jugés discriminatoires.

La principale allégation : le CCHST, le MCC, le MSTC et le Musée des beaux-arts à titre de codéfendeurs avec le CT

[26]           La Commission a décidé de statuer sur les plaintes fondées sur les articles 7 et 10 visant ces organismes à titre de codéfendeurs, ayant conclu qu’il n’était pas évident et manifeste que le CCHST, le MCC, le MSTC et le Musée des beaux-arts n’étaient pas des coemployeurs avec le CT dans le contexte de la présente plainte. Elle a noté que le CCHST figure à l’annexe II de la LGFP et que le MCC, le MSTC et le Musée des beaux-arts figurent à l’annexe III. La Commission a conclu que la question de savoir si ces organisations sont des coemployeurs doit être revue à la suite d’un examen de la législation et de la jurisprudence applicables.

La principale allégation : NAV et WHA ne sont pas codéfenderesses avec le CT

[27]           Ayant conclu qu’il était évident et manifeste que NAV et WHA n’étaient pas coemployeurs avec le CT, la Commission a rejeté, sur le fondement de l’alinéa 41(1)c) de la LCDP, les plaintes déposées en vertu des articles 7 et 10 visant ces deux organismes à titre de codéfenderesses avec le CT. Elle a reconnu que NAV, créée au moyen d’une loi le 1er avril 1996, est une société sans capital-actions du secteur privé, n’est pas assujettie aux dispositions de contrôle et de reddition de comptes de la LGFP, et ne dépend pas des crédits parlementaires. Pour ce qui est de WHA, la Commission a reconnu que l’appareil gouvernemental n’avait joué aucun rôle dans l’administration des questions relatives au personnel après le 1er avril 1996, et que WHA est un organisme à but non lucratif constitué en société sous le régime fédéral, distinct de l’administration publique fédérale.

L’allégation subsidiaire : les organismes régis par le Code ne sont pas des défendeurs individuels

[28]           La Commission a décidé, sur le fondement de l’alinéa 41(1)c), de ne pas statuer sur les plaintes déposées en vertu des articles 7 et 10 contre ces organismes à titre de défendeurs individuels, ayant conclu qu’il n’y avait pas de base juridique permettant d’appliquer l’ordonnance de 1998 au CCHST, au MCC, au MSTC et au Musée des beaux‑arts, car l’ordonnance de 1998 pouvait seulement lier les parties à la procédure. Par conséquent, faute de toute autre justification ou obligation liant les organismes à l’ordonnance de 1998, la Commission a décidé que les plaintes contre ces organismes à titre de défendeurs individuels ne présentaient pas de motifs raisonnables.

Les allégations fondées sur l’article 11

[29]           La Commission a noté dès le départ que, pour qu’elle statue sur une plainte en vertu de l’article 11, il doit y avoir des motifs raisonnables de croire que les employés nommés dans la plainte travaillent pour le même employeur et dans le même établissement. De plus, il faut que la plainte désigne un groupe à prédominance féminine et un groupe de comparaison à prédominance masculine au sein de cet établissement, et fasse état de motifs permettant raisonnablement de croire que le groupe à prédominance féminine touche une rémunération inférieure pour l’exécution de fonctions équivalentes. La Commission a noté que [traduction] : « [l]’exigence de présenter des motifs raisonnables signifie que même si les allégations du plaignant sont tenues pour véridiques à l’étape de l’article 41 (soit la présentation de la plainte de l’AFPC), les allégations doivent avoir un fondement qui dépasse la simple affirmation ou supposition ».

La principale allégation : le CCHST, le MCC, le MSTC et le Musée des beaux-arts à titre de codéfendeurs avec le CT

[30]           La Commission a conclu qu’il n’était pas évident et manifeste que le CCHST, le MCC, le MSTC et le Musée des beaux-arts ne sont pas des coemployeurs avec le CT dans le contexte de la plainte fondée sur l’article 11. Sur la base du dossier, elle a aussi conclu qu’il n’était pas évident et manifeste que ces organismes constituaient le « même établissement ». La Commission a signalé en particulier qu’il fallait examiner l’impact de la Loi sur les musées, LC 1990, c 3 (Loi sur les musées) et de la Loi sur le Centre canadien d’hygiène et de sécurité au travail, LRC 1985, c C‑13 (Loi sur le CCHST) sur la question de savoir si ces organismes constituent le même employeur ou le même établissement que le CT. Par conséquent, la Commission a décidé de statuer sur les plaintes en vertu des articles 7 et 10 déposées contre ces organismes à titre de codéfendeurs.

La principale allégation : NAV et WHA ne sont pas codéfenderesses avec le CT

[31]           Pour les motifs exposés relativement aux principales allégations fondées sur les articles 7 et 10, la Commission a conclu qu’il était évident et manifeste que NAV et WHA n’étaient pas coemployeurs avec le CT.

L’allégation subsidiaire : les organismes régis par le Code ne sont pas des défendeurs individuels

[32]           La Commission a conclu que l’allégation subsidiaire déposée contre tous les organismes régis par le Code à titre d’employeurs individuels ne faisait pas état de motifs raisonnables et que, par conséquent, en vertu de l’alinéa 41(1)c) de la LCDP, elle ne devait pas statuer sur cette allégation :

[traduction]

[I]l est important de reconnaître que même si la parité salariale a un caractère systémique, il y a des limites à l’application du fondement de la décision du TCDP de 1998. Dans une allégation fondée sur l’article 11, il faut désigner des emplois à prédominance féminine et à prédominance masculine au sein du même établissement dont l’employeur désigné est responsable, et faire état de motifs permettant raisonnablement de croire qu’une comparaison des fonctions et des salaires tend à indiquer une discrimination salariale. Le critère n’est pas exigeant; toutefois, une simple affirmation, une supposition ou un renseignement qui ne répond pas aux exigences de l’article 11 et qui n’entre pas dans le cadre de l’analyse de la parité salariale prévue dans cet article ne peut pas servir de motif raisonnable. [Non souligné dans l’original.]

 

Pour que les allégations subsidiaires fondées sur l’article 11 aient du sens, elles doivent être examinées séparément, en tant qu’allégations portées contre chacune de ces organisations à titre d’employeur indépendant et distinct du CT.  […] Il est difficile de voir comment le fondement de la décision du TCDP de 1998 – plus précisément les emplois à prédominance féminine, les emplois de comparaison à prédominance masculine et l’analyse des salaires et de l’équivalence des fonctions au sein du même établissement dont l’employeur est le CT – pourrait servir à faire état de motifs raisonnables justifiant les allégations fondées sur l’article 11 déposées contre des employeurs différents et distincts.

[…] [D]es motifs raisonnables pour justifier une plainte fondée sur l’article 11 ne peuvent faire renvoi à un autre établissement sous le contrôle d’un autre employeur.  […]

[33]           Autrement dit, la Commission a conclu que les plaintes fondées sur l’article 11 déposées contre les organismes à titre d’employeurs individuels étaient dépourvues de fondement parce qu’elles reposaient uniquement sur des éléments de comparaison relevant d’un autre employeur (c’est-à-dire le CT). Le rôle des éléments de comparaison à l’article 11 est unique et la Commission a conclu que la jurisprudence se rapportant aux autres dispositions de la LCDP qui minimise l’importance des éléments de comparaison ne s’appliquait pas à l’article 11.

La norme de contrôle

[34]           L’AFPC soutient que la décision de la Commission de ne pas statuer sur certains éléments de la plainte est déraisonnable. Les défendeurs estiment que la décision est raisonnable, car la Commission a examiné attentivement la plainte et l’ensemble des observations, et a exercé de manière raisonnable son pouvoir discrétionnaire pour écarter des éléments de la plainte.

[35]           La demanderesse et les défendeurs conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Toutefois, l’AFPC se fonde sur deux arrêts récents du juge Stratas (Canada (Procureur général) c Abraham, 2012 CAF 266, aux paragraphes 42 et 43, 440 NR 201 [Abraham]; Canada (Procureur général) c Commission canadienne des droits de la personne et al, 2013 CAF 75, au paragraphe 14, 444 NR 120 (PG c CCDP)), pour faire valoir que l’éventail des issues possibles acceptables, c’est-à-dire raisonnables, est étroit dans les présentes circonstances.

[36]           Par conséquent, l’AFPC soutient qu’il y a deux raisons de faire preuve de moins de retenue envers la décision de la Commission dans le cadre du contrôle judiciaire. Premièrement, l’article 41 de la LCDP établit une présomption en faveur de la tenue d’une enquête, étant donné que « la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‑ci irrecevable » pour un des motifs d’exception énumérés. Deuxièmement, en raison de la nature préliminaire et sommaire de l’article 41, la décision de rejeter une plainte en vertu de cet article devrait faire l’objet d’un examen plus rigoureux que la décision de l’accepter, car un tel rejet constitue une décision définitive touchant les droits du plaignant (Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, aux paragraphes 79 et 80, 344 NR 257 (Sketchley); Hicks c Canada (Procureur général), 2008 FC 1059, au paragraphe 22, 86 Admin LR (4th) 255 (Hicks); Keith c Service correctionnel du Canada, 2012 CAF 117, au paragraphe 50, 431 NR 121).

[37]           Les défendeurs soulignent la nature discrétionnaire de l’alinéa 41(1)c) et soutiennent que la Commission a droit à un degré élevé de retenue judiciaire (Valookaran c Banque Royale du Canada, 2011 CF 276, au paragraphe 10, 386 FTR 136 (Valookaran); Deschênes c Canada (Procureur général), 2009 CF 1126, aux paragraphes 8 et 9, [2009] ACF no 1374 (Deschênes)).

[38]           Les défendeurs signalent que dans la décision Canada (Procureur général) c Maracle, 2012 CF 105, 404 FTR 173 (Maracle), la Cour a mis en garde les cours de révision de ne pas s’ingérer dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission en vertu de l’article 41 pour la simple raison qu’elles auraient peut-être exercé ce pouvoir différemment. Ils font également valoir que les remarques du juge Stratas dans Abraham sont incidentes.

[39]           Étant donné que la demanderesse se fonde sur le jugement du juge Stratas dans Abraham, les extraits pertinents sont cités ci-dessous.

41     Comme on le sait, le caractère raisonnable tient « principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », mais aussi « à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Selon la notion des « issues possibles acceptables », il « est loisible [aux décideurs] d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables ». Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47.

42     Le caractère raisonnable constitue une norme de contrôle unique. Mais le fait d’affirmer qu’il existe différentes issues possibles acceptables élude le point de savoir dans quelle mesure cet éventail d’issues doit être large ou étroit dans une affaire donnée. Selon la majorité des juges de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 59, bien que « la raisonnabilité constitue une norme unique », elle « s’adapte au contexte ».

43     Ce contexte influe sur l’étendue de la gamme des solutions possibles acceptables. La Cour suprême a confirmé que cet éventail est tributaire de « l’ensemble des facteurs pertinents » au regard du processus décisionnel en cause : Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, aux paragraphes 17, 18 et 23; arrêt Halifax (Regional Municipality), précité, au paragraphe 44.

44     À titre d’exemple, lorsque le décideur doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour trancher une affaire qui soulève principalement des questions de fait et de politique ayant un aspect juridique négligeable, on peut s’attendre à ce que l’éventail des issues possibles acceptables dont il dispose soit très vaste. D’un point de vue pratique, l’étendue de l’éventail dans ce genre d’affaire signifie qu’il sera relativement difficile pour la partie qui demande le contrôle judiciaire de la décision d’établir que la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables.

45     Dans d’autres cas, toutefois, la situation pourrait être différente. Par exemple, lorsque le décideur doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour se prononcer sur une question qui comporte un aspect juridique plus important, il se peut que les issues possibles acceptables auxquelles le décideur pourra recourir soient moins nombreuses. Les questions d’ordre juridique, par opposition aux questions de fait ou de politique, permettent moins d’issues possibles acceptables.

[40]           À mon avis, le juge Stratas s’est fait l’écho de l’arrêt de la Cour suprême Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, et a expliqué le principe selon lequel le caractère raisonnable s’adapte au contexte.

[41]           En l’espèce, la décision repose sur une appréciation des faits et du droit; le contexte ne nous mène pas à la conclusion que l’éventail des issues devrait être étroit.

[42]           Il est également important de rappeler la formulation claire de l’alinéa 41(1)c) :

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 

[…]

 

c) la plainte n’est pas de sa compétence; […]

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

[…]

 

(c) the complaint is beyond the jurisdiction of the Commission; […]

 

 

[43]           Manifestement, la Commission dispose d’une certaine marge de manœuvre pour établir si elle « estime » que la plainte n’est pas de sa compétence.

[44]           Les observations du juge Rothstein (alors juge de la Cour fédérale) dans la décision Société canadienne des postes c Commission canadienne des droits de la personne (1997), 130 FTR 241, aux paragraphes 4 et 5, [1997] ACF no 578 (CF) (Société canadienne des postes), sur laquelle toutes les parties se fondent, sont claires elles aussi :

Je crois que la même façon de voir est justifiée dans le cas de l’article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La décision incombe à la Commission et elle est énoncée en des termes subjectifs, et non en des termes objectifs. La portée du contrôle judiciaire d’une telle décision est donc étroite. Seules des considérations comme la mauvaise foi de la Commission, l’erreur de droit ou le fait de se fonder sur des facteurs non pertinents s’appliquent.

[…]

Je crois qu’il s’ensuit que, si la Cour doit faire preuve d’une grande retenue judiciaire lorsque des questions de compétence sont en cause, au moins le même degré de retenue, sinon un degré plus élevé, s’appliquerait à d’autres types de décisions visées par l’article 41, par exemple les décisions discrétionnaires, factuelles ou même les décisions de fait et de droit. [Non souligné dans l’original.]

[45]           Dans Abraham, le juge Stratas a noté que lorsque la décision repose sur des questions ou un contenu de nature juridique, l’éventail d’issues raisonnables peut être étroit. Par exemple, dans PG c CCDP, la Cour d’appel fédérale a estimé que l’éventail des issues possibles acceptables était relativement étroit parce que la décision du Tribunal avait trait principalement à l’interprétation d’un texte législatif et au droit à l’égalité. L’éventail des issues raisonnables « s’adapte au contexte » et serait plus étroit à la lumière du contexte.

[46]           Toutefois, l’appréciation de la nature, de l’organisation et des relations et pratiques d’emploi des organismes régis par le Code nécessite des appréciations préliminaires des faits et du droit, qui relèvent nettement de l’expertise de la Commission. De plus, comme l’a signalé le juge Rothstein dans Société canadienne des postes, la portée du contrôle judiciaire de la décision rendue par la Commission en vertu de l’article 41 est étroite et la cour de révision doit faire preuve de retenue. Bien que la norme de contrôle du caractère raisonnable s’adapte au contexte et que l’éventail des issues possibles acceptables varierait selon ce contexte, dans les présentes circonstances, l’éventail ne serait pas étroit.

Autres principes pertinents tirés de la jurisprudence

[47]           L’AFPC soutient que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission pour refuser de statuer sur une plainte en vertu de l’article 41 est exceptionnel, que les plaintes doivent répondre au critère exigeant du caractère « évident et manifeste » avant d’être écartées à cette étape préliminaire et que les plaintes de l’AFPC ne répondent pas à ce critère.

[48]           Les défendeurs soutiennent que le critère du caractère « évident et manifeste » ne restreint pas indûment le pouvoir discrétionnaire de la Commission et que, pour que le rôle de gardien assigné à cette dernière en vertu de l’article 41 ait un sens, il faut faire preuve de retenue envers sa décision d’écarter les plaintes.

[49]           Il existe une jurisprudence considérable concernant l’exercice du pouvoir discrétionnaire en vertu de l’article 41.

[50]           Le mandat de la Commission est exposé par le juge Laforest dans Cooper c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854, au paragraphe 53, 140 DLR (4th) 193 :

53        La Commission n’est pas un organisme décisionnel; cette fonction est remplie par les tribunaux constitués en vertu de la Loi. Lorsqu’elle détermine si une plainte devrait être déférée à un tribunal, la Commission procède à un examen préalable assez semblable à celui qu’un juge effectue à une enquête préliminaire.  Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L’aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s’il existe une preuve suffisante.  […]

[51]           La jurisprudence subséquente continue de faire renvoi à cette analogie entre la fonction d’examen préalable et l’enquête préliminaire. 

[52]           Le critère du caractère « évident et manifeste » a d’abord été formulé par le juge Rothstein (alors juge de la Cour fédérale) dans la décision Société canadienne des postes, précitée, aux paragraphes 3 et 4 :

La décision que la Commission rend en vertu de l’article 41 intervient normalement dès les premières étapes, avant l’ouverture d’une enquête. Comme la décision de déclarer la plainte irrecevable clôt le dossier sommairement avant que la plainte ne fasse l’objet d’une enquête, la Commission ne devrait déclarer une plainte irrecevable à cette étape que dans les cas les plus évidents. Le traitement des plaintes en temps opportun justifie également cette façon de procéder. Une analyse fouillée de la plainte à cette étape fait, dans une certaine mesure du moins, double emploi avec l’enquête qui doit par la suite être menée. Une analyse qui prend beaucoup de temps retardera le traitement de la plainte lorsque la Commission décide de statuer sur la plainte. S’il n’est pas évident à ses yeux que la plainte relève d’un des motifs d’irrecevabilité énumérés à l’article 41, la Commission devrait promptement statuer sur elle.

[53]           Depuis la décision Société canadienne des postes, la Cour a continué d’examiner les deux facteurs pertinents : la formulation claire de l’article qui confère à la Commission le pouvoir discrétionnaire d’écarter les plaintes à l’étape préliminaire si elle estime qu’une des exceptions énumérées au paragraphe 41(1) s’applique; et la nature sommaire et définitive des décisions rendues en vertu de l’article 41.

[54]           La juge Bédard a bien exposé cette approche à la fois dans Conroy c Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2012 CF 887, 415 FTR 179 (Conroy) et dans la décision Maracle, précitée, aux paragraphes 40 à 46.

[55]           Dans la décision Maracle, précitée, aux paragraphes 40 à 43, la juge Bédard a formulé des observations sur l’approche exposée dans Société canadienne des postes :

[40]      La Cour a adhéré à ce point de vue dans plusieurs de ses jugements (Comstock, précitée, aux paragraphes 39, 40 et 43; Hartjes, précitée, au paragraphe 30, Hicks, précitée, au paragraphe 22; Michon-Hamelin c Canada (Procureur général), 2007 CF 1258, au paragraphe 16 (disponible dans CanLII) (Michon-Hamelin)), et j’y adhère également. La démarche est conforme au rôle premier que la Loi confère à la Commission, soit celui de gardien chargé d’évaluer les allégations faites dans une plainte et de décider s’il est justifié que le Tribunal examine la plainte. Pour décider si elle doit ou non statuer sur une plainte, la Commission dispose d’un certain pouvoir discrétionnaire, mais elle doit se garder de rejeter sommairement la plainte, car elle rend sa décision à un stade très peu avancé de la procédure et avant la tenue de quelque enquête. Pour répondre correctement à la question de savoir si une plainte est de la compétence de la Commission, il peut être nécessaire de procéder à quelque examen préalable. Il convient de souligner qu’à la fin du processus d’enquête, la Commission peut une fois de plus, au titre du sous-alinéa 44(3)(1)b)(ii) de la Loi, rejeter une plainte pour défaut de compétence.

[41]      À l’étape précédant l’ouverture de l’enquête, le plaignant n’est pas tenu de présenter des éléments de preuve, mais sa plainte doit néanmoins montrer qu’il existe un lien suffisant avec un motif de distinction illicite.

[42]      Ainsi que l’affirment les défendeurs, le critère du caractère « évident » proposé par le juge Rothstein est très semblable au critère servant à déterminer s’il y a lieu de radier un acte de procédure au motif qu’il ne révèle aucune cause d’action valable. La Commission peut s’inspirer de la démarche proposée par la Cour suprême du Canada dans Hunt c Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959, au paragraphe 33, 74 DLR (4th) 321, à l’égard des requêtes de cette nature lorsqu’elle décide si une plainte doit être rejetée sommairement sans tenir d’enquête :

Ainsi, au Canada, le critère […] est […] dans l’hypothèse où les faits mentionnés dans la déclaration peuvent être prouvés, est‑il "évident et manifeste" que la déclaration du demandeur ne révèle aucune cause d’action raisonnable?  Comme en Angleterre, s’il y a une chance que le demandeur ait gain de cause, alors il ne devrait pas être "privé d’un jugement".  La longueur et la complexité des questions, la nouveauté de la cause d’action ou la possibilité que les défendeurs présentent une défense solide ne devraient pas empêcher le demandeur d’intenter son action. […]

[Non souligné dans l’original.]

[43]      La Cour a adopté une approche semblable dans la décision Michon-Hamelin, précitée. Au paragraphe 23 de cette décision, la juge Mactavish a statué qu’à l’étape précédant l’ouverture de l’enquête, les allégations de faits figurant dans une plainte devaient être tenues pour avérées. À mon sens, il s’agit d’une interprétation correcte. Les décisions de la Commission ont un caractère préliminaire et reposent sur les arguments présentés par les parties sans que la preuve soit examinée. Une analyse fouillée des allégations du plaignant et des arguments de la partie adverse à l’étape précédant l’ouverture de l’enquête ferait, « dans une certaine mesure du moins, double emploi avec l’enquête qui doit par la suite être menée » (Société canadienne des postes, précité, au paragraphe 3). De plus, si la partie invoquant le défaut de compétence de la Commission soulève à la fois des moyens de fait et de droit, c’est, selon moi, le signe que la Commission doit procéder à quelque forme d’enquête pour décider si les allégations révèlent l’existence d’un lien suffisant avec un motif de distinction illicite.

[56]           À l’étape de l’examen préliminaire, un demandeur doit exposer les allégations, mais n’est pas tenu de produire des éléments de preuve pour prouver ces allégations. Il n’est pas nécessaire de soumettre de la documentation ou de la preuve à l’appui, car de tels éléments de preuve ne deviennent nécessaires que si la plainte passe à l’étape de l’enquête (décision Valookaran, précitée, au paragraphe 22; Michon-Hamelin c Canada (Procureur général), 2007 CF 1258, [2007] ACF no 1607 (Michon-Hamelin)).

[57]           Bien que de nombreuses causes se fondent sur la prémisse exposée dans Michon-Hamelin selon laquelle les allégations d’un plaignant doivent être tenues pour avérées à l’étape de l’examen initial, dans un extrait souvent cité du jugement de la juge Mactavish, le paragraphe 23, il est précisé qu’il n’y avait aucune information autre que les renseignements liés à la plainte et qu’aucune enquête n’avait été menée :

23        Puisqu’aucune enquête n’a été menée sur le fond de la plainte de Mme Michon-Hamelin, les allégations contenues dans son formulaire de plainte doivent être tenues pour avérées. L’enquêteuse n’avait d’ailleurs devant elle aucune preuve ou information venant du défendeur et de nature à réfuter la version des faits donnée par Mme Michon-Hamelin.

[58]           Récemment, dans McIlvenna c Banque de Nouvelle-Écosse, 2013 CF 678, aux paragraphes 5, 6, 18 et 19, [2013] ACF no 743 (McIlvenna), le juge Hughes a nuancé le principe selon lequel les allégations doivent être tenues pour avérées à l’étape préliminaire :

5          […] La Commission a statué à partir d’un rapport d’un membre de la Division des services de règlement qui résumait les observations antérieures des parties et formulait une recommandation. Une copie de ce rapport a été envoyée à l’avocat du demandeur et à l’avocat de la Banque Scotia et chacun d’eux a formulé des observations à la suite du rapport. La Commission avait aussi en main ces observations lorsqu’elle a rendu sa décision.

6          Il importe de préciser que des enquêtes initiales ont été effectuées relativement à l’affaire. Le résultat de ces enquêtes a été pris en compte et résumé dans le rapport et chacune des parties a formulé des observations relatives au rapport. La Commission n’a donc pas rendu sa décision uniquement sur la foi de la plainte; elle disposait du rapport de même que des observations des parties concernant le rapport.

[…]

18        Les tribunaux ont établi que, règle générale, la Commission aborderait ces questions dès le début de l’instruction et qu’elle éliminerait celles qui peuvent l’être de façon « claire et évidente » et que, lorsqu’aucune enquête n’a eu lieu, les allégations formulées dans la plainte doivent être considérées comme véridiques [extraits de la décision Michon-Hamelin cités].

19        La situation en l’espèce est différente. Les parties ont eu l’occasion dès le départ de présenter leur thèse de façon détaillée, ce qu’elles ont fait. Un rapport a été rédigé. Les parties ont eu tout le loisir de présenter des observations relatives au rapport et elles l’ont fait. C’est uniquement à la fin de ce processus qu’une décision a été rendue.

[59]           Comme dans l’affaire McIlvenna, la décision de la Commission reposait en l’espèce sur le rapport visé à l’article 41 qu’a rédigé le conseiller en règlement anticipé, à qui les parties avaient soumis des observations en réponse.

[60]           Les observations des défendeurs mettaient de l’avant de l’information visant à mettre en contexte les allégations de l’AFPC et la Commission a pris en considération toutes les observations.

[61]           Bien que l’exclusion d’une plainte à l’étape de l’examen initial soit perçue comme une mesure exceptionnelle parce qu’elle constitue un rejet définitif de la plainte sans la tenue d’une enquête, il faut aussi tenir compte du but de l’article 41, qui est de permettre l’exclusion des plaintes dans des cas évidents et manifestes, notamment lorsque la plainte ne dévoile pas de lien suffisant avec un motif de discrimination ou que le plaignant ne fournit pas suffisamment de renseignements pour établir le lien.

[62]           La Commission a rejeté les allégations subsidiaires de l’AFPC contre tous les organismes régis par le Code ainsi que les principales allégations contre NAV et WHA; toutefois, elle a accepté que des éléments importants de la plainte fassent l’objet d’une enquête, soit les allégations contre les organismes (sauf NAV et WHA) à titre de codéfendeurs avec le CT. D’après la décision Société canadienne des postes, un tel resserrement constitue le but même de l’article 41.

La décision de la Commission était-elle raisonnable?

Aperçu de la thèse de l’AFPC

[63]           En ce qui a trait à la décision de ne statuer sur aucune des plaintes contre NAV et WHA, l’AFPC soutient que la Commission a commis une erreur en concluant que ces organismes n’étaient pas codéfendeurs avec le CT. Elle ajoute que la Commission a omis d’exposer ou d’appliquer le critère juridique servant à déterminer qui est l’employeur dans une plainte relative à la parité salariale et qu’elle n’a pas tenu compte d’éléments de preuve établissant que le CT avait maintenu le contrôle sur les salaires dans ces organismes.

[64]           Pour ce qui est la décision de ne pas statuer sur les plaintes fondées sur les articles 7 et 10 contre le CCHST, le MCC, le MSTC et le Musée des beaux‑arts à titre de défendeurs individuels, il est illogique, selon l’AFPC, de la part de la Commission de conclure que le non‑rajustement des taux salariaux discriminatoires pouvait constituer une pratique interdite pour le CT et ces organismes à titre de coemployeurs, mais pas à titre d’employeurs individuels. L’AFPC soutient que la Commission a mal saisi le fondement de la plainte, qui est que l’omission de corriger la structure de salaires et de classification discriminatoire signalée dans l’ordonnance de 1998 constituait une violation de la LCDP.

[65]           Pour ce qui est de la décision de la Commission de ne pas statuer sur la plainte fondée sur l’article 11 contre les organismes régis par le Code à titre de défendeurs individuels, l’AFPC soutient qu’elle avait désigné des groupes de comparaison au sein de chaque organisme et que la Commission n’avait pas tenu compte du fait que les employés en question faisaient partie de la population échantillonnée dans l’étude ICPS originale. L’AFPC note que la seule raison pour laquelle l’ordonnance de 1998 ne s’appliquait pas à ces employés était que leurs employeurs, qui sont devenus les organismes régis par le Code, ont été soustraits de l’administration publique centrale avant que soit rendue l’ordonnance de 1998. Selon l’AFPC, il ne s’agit pas d’un motif valable pour rejeter la plainte sans tenir d’enquête.

Aperçu de la thèse des défendeurs

[66]           Même si les défendeurs, en raison de leur statut d’organismes distincts, ont présenté des observations individuelles pour exposer leurs positions particulières sur chaque volet de la décision, ils ont tous soutenu que la décision de la Commission était raisonnable. La Commission a entrepris une analyse approfondie de toutes les observations ainsi que du rapport visé à l’article 41. Bien que le CT, le CCHST, le MCC, le MSTC et le Musée des beaux‑arts maintiennent qu’ils sont des employeurs distincts, ils notent que cette question fera l’objet d’un examen exhaustif à l’étape de l’enquête.

La décision de la Commission selon laquelle NAV et WHA ne sont pas codéfenderesses avec le CT était-elle raisonnable?

Les observations de l’AFPC

[67]           L’AFPC soutient que la Commission a commis une erreur en concluant qu’elle pouvait, à l’étape de l’article 41, décider que le CT n’était pas un coemployeur avec NAV et WHA. Se fondant sur la décision Maracle, précitée, au paragraphe 43, l’AFPC soutient que lorsqu’une partie invoquant le défaut de compétence de la Commission soulève à la fois des moyens de fait et de droit, c’est le signe que la Commission doit procéder à une certaine forme d’enquête pour décider si les allégations révèlent l’existence d’un lien suffisant avec un motif de distinction illicite. L’AFPC fait valoir que NAV a présenté des arguments de droit concernant l’employeur et des arguments de fait concernant la relation entre NAV et le CT; par conséquent, il aurait fallu que la Commission passe à l’étape de l’enquête au lieu de rejeter la plainte à l’étape de l’article 41.

[68]           L’AFPC soutient que même en supposant que la Commission pouvait décider que le CT n’était pas un coemployeur à l’étape de l’article 41, la Commission n’a pas appliqué le critère juridique approprié pour déterminer qui est l’employeur dans le contexte de la parité salariale. L’AFPC réitère que dans le contexte d’une plainte de discrimination salariale, on détermine qui est l’employeur en examinant plusieurs facteurs, en mettant l’accent sur qui est responsable des pratiques de rémunération et de l’évaluation des fonctions (arrêt Reid, précité). Elle soutient que l’employeur dans le cadre d’une plainte relative aux droits de la personne n’est pas nécessairement le même que l’employeur dans le contexte des relations de travail, et que la Commission a commis une erreur en omettant d’exposer le critère.

[69]           De plus, l’AFPC soutient que la Commission a fait fi d’allégations factuelles pertinentes, notamment les suivantes : que le CT est demeuré un coemployeur aux fins de la parité salariale parce qu’il exerçait un degré significatif de contrôle sur les taux salariaux; le CT a élaboré le système de classification et les taux salariaux applicables à tous les employés concernés; NAV était partie à l’entente tripartite dans laquelle l’organisme a convenu que le système de classification existant serait maintenu après une période de transition suivant son transfert à l’extérieur de l’administration publique centrale, et que cette entente était sous réserve de l’approbation du CT; enfin, le CT et NAV s’étaient penchés sur leurs obligations conjointes continues découlant d’une plainte relative à la parité salariale qui était en instance au moment du transfert.

[70]           L’AFPC soutient que les circonstances étaient similaires à celles des affaires Michon‑Hamelin et Conroy, où la décision de la Commission de ne pas statuer sur une plainte en vertu de l’article 41 a été annulée dans le cadre du contrôle judiciaire parce qu’elle reposait sur une conclusion de fait qui contredisait les allégations de fait formulées par le plaignant, lesquelles devaient être tenues pour avérées.

[71]           En résumé, l’AFPC soutient que la Commission a rendu une décision définitive concernant les employés chez NAV et WHA sans exposer le critère juridique et sans tenir compte des faits et de la preuve.

Les observations des défendeurs PGC, CT et CCHST

[72]           Ces défendeurs soutiennent que la décision de la Commission au sujet de NAV et de WHA est raisonnable. Lorsqu’un texte législatif définit l’identité de l’employeur, ce texte législatif s’avère très pertinent, sinon déterminant (arrêt Reid, précité, au paragraphe 49). En l’espèce, il est très clair à la lumière du texte législatif que WHA et NAV ne font pas partie de l’« administration publique centrale », selon la définition à l’article 2 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22 (LRTFP) et selon les annexes de la LGFP. De plus, par l’édiction de la Loi sur la commercialisation des services de navigation aérienne civile, LC 1996, c 20 (LCSNAC), notamment les articles 58 et 68, et au moyen de l’entente de transfert, le Parlement a clairement énoncé que la Couronne ne pourrait être tenue responsable de paiements découlant de réclamations relatives à l’emploi déposées contre NAV.

Observations de la défenderesse NAV

[73]           NAV soutient que la Commission était en droit de se fonder principalement sur le cadre législatif pour déterminer qui est l’employeur. NAV signale l’arrêt Canada (Procureur général) c Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 RCS 614, aux pages 623, 624 et 633, 80 DLR (4th) 520, dans lequel la CSC a conclu que le statut d’employé dans le régime de la fonction publique fédérale ne peut être déduit des faits ou par l’application des critères traditionnels de la common law. NAV fait valoir que cet argument s’étend à l’identification de l’employeur dans la fonction publique fédérale, c’est-à-dire que le statut d’employeur ne peut reposer sur des critères de la common law, mais doit plutôt être déterminé sur la base du régime législatif qui établit l’identité et la compétence de l’organisme. En l’espèce, le CT n’est pas désigné comme étant l’employeur de NAV dans la LRTFP et la LGFP.

[74]           NAV signale aussi que l’article 68 de la LCSNAC indique clairement que le CT ne pouvait plus être tenu responsable des conditions de travail des employés de NAV qui avaient accepté les offres en 1996, et que l’entente de transfert régissait la transition de NAV hors de l’administration publique centrale. NAV souligne que les employés de Transports Canada ont été mis à pied et ensuite embauchés par elle, que la relation des employés avec le CT a pris fin le jour du transfert et que le CT n’a conservé aucun contrôle dans le domaine de l’emploi.

[75]           NAV a également souligné que l’entente tripartite avait été conclue en 1995 et que, par conséquent, la Commission avait raisonnablement conclu que l’entente tripartite n’était plus pertinente après 1996, une fois achevé le transfert de NAV hors de l’administration publique centrale.

[76]           NAV soutient qu’il n’était pas nécessaire de faire renvoi au critère de la common law servant à déterminer s’il était un coemployeur avec le CT, compte tenu de la formulation claire du texte législatif qui établit l’identité de l’employeur.

[77]           Subsidiairement, NAV affirme que l’omission d’exposer le critère juridique ne porte pas de coup fatal à la décision parce que les motifs de la décision englobent le rapport visé à l’article 41, qui a abordé la question du critère applicable (arrêt Sketchley, précité, aux paragraphes 37 et 38; voir aussi Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708 [Newfoundland Nurses]).

Observations de la défenderesse WHA

[78]           WHA soutient que la Commission a appliqué le critère approprié pour décider que WHA et le CT ne sont pas des coemployeurs ou le même « établissement ». Selon WHA, l’AFPC ne peut tout simplement pas prétendre que WHA et d’autres organismes sont des coemployeurs avec le CT et affirmer ensuite que cela exige une analyse complexe.

[79]           WHA signale aussi que les motifs de la Commission comprennent la lettre de décision ainsi que le rapport visé à l’article 41 (arrêt Sketchley, précité, au paragraphe 37.) Ce rapport consacrait 10 pages à l’examen et à l’application des critères appropriés pour déterminer qui est (ou sont) l’employeur (ou les employeurs) et la Commission a affirmé avoir lu toutes les observations des parties, y compris les décisions citées.

[80]           Selon WHA, la Commission a raisonnablement conclu que WHA et le CT n’étaient pas le même établissement parce qu’ils œuvrent dans des secteurs différents et ont des régimes de relations de travail distincts. WHA est exclusivement un intervenant en matière de santé pour les communautés autochtones du Nord de l’Ontario.

La décision de la Commission selon laquelle NAV et WHA ne sont pas codéfenderesses avec le CT est raisonnable

[81]           La Commission a raisonnablement conclu qu’il était évident et manifeste que NAV et WHA n’étaient pas des coemployeurs avec le CT.

[82]           Dans la décision Maracle, précitée, au paragraphe 43, la juge Bédard a affirmé qu’une objection de nature factuelle formulée à l’étape de l’article 41 est « le signe » que la Commission doit procéder à une certaine forme d’enquête. Selon mon interprétation, la décision Maracle ne veut pas dire que la Commission est tenue de statuer sur une plainte lorsqu’il y a un désaccord sur les faits entre le plaignant et le défendeur. Ainsi que je l’ai déjà signalé, adopter une telle approche aurait pour conséquence que la Commission ne pourrait jamais rejeter une plainte comportant un différend factuel à l’étape de l’article 41, peu importe l’appréciation faite par la Commission des observations du défendeur. Ainsi que je l’ai noté ci‑dessus, un tel résultat semble incompatible avec le pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission en vertu de l’article 41 et avec le rôle fondamental de gardien qui sous‑tend cet article.

[83]           Comme le défendeur, j’estime également que la Commission n’était pas tenue d’exposer le critère juridique qu’elle avait appliqué dans sa décision. Le critère avait été examiné dans le rapport visé à l’article 41.

[84]           Le rapport visé à l’article 41 était un reflet de l’examen des observations de toutes les parties sur la question de l’identité de l’employeur et d’une analyse de la jurisprudence. Il citait l’arrêt Reid à l’appui de la proposition selon laquelle les facteurs les plus importants pour déterminer l’identité de l’employeur sont la responsabilité pour les pratiques de rémunération et pour l’évaluation des fonctions. De plus, la Commission était en droit de se reporter aux textes législatifs régissant NAV et WHA pour déterminer l’identité de l’employeur. Ainsi qu’il est énoncé dans l’arrêt Reid, précité, au paragraphe 49, l’existence de dispositions législatives sans ambiguïté est [traduction] « un fait important ».

[85]           L’AFPC soutient que le rapport visé à l’article 41 ne fait pas partie des motifs parce que la Commission n’a pas fait siennes les conclusions de ce rapport et que la Commission a exposé ses propres motifs, contrairement à l’arrêt Sketchley, où les motifs de la Commission étaient brefs et la Commission a fait siennes les recommandations liées à l’article 41.

[86]           Même si la Commission a exposé les motifs de sa décision et n’a pas entièrement fait sienne la conclusion du rapport visé à l’article 41, soit que le CT n’était pas l’employeur, la Commission a clairement indiqué dans ses motifs qu’elle avait examiné les observations des parties, la jurisprudence citée dans les observations et le rapport visé à l’article 41. La jurisprudence citée englobe celle qui porte sur le sens du terme « employeur » dans le contexte des droits de la personne et dans celui des relations de travail. De plus, la Commission est présumée avoir examiné l’ensemble de la preuve, même si elle ne fait pas renvoi à chaque document ou à chaque cause.

[87]           L’AFPC se fonde largement sur la décision Hicks et sur l’arrêt Canada (Procureur général) c Johnstone, 2008 CAF 101, 377 NR 235 (Johnstone) pour affirmer que la Commission est tenue d’exposer le critère juridique sur lequel elle se fonde.

[88]           Dans l’arrêt Johnstone, précité, au paragraphe 2, la Cour d’appel a noté :

Les motifs donnés par la Commission pour rejeter la plainte indiquent que la Commission a appliqué un critère juridique en matière de discrimination à première vue qui est apparemment compatible avec la décision Health Sciences Association of British Columbia c. Campbell River & North Island Transition Society, 2004 BCCA 260, mais incompatible avec la décision subséquente rendue par le Tribunal canadien des droits de la personne dans Hoyt c. la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [2006] D.C.D.P. No 33. Nous ne formulons aucune opinion pour indiquer en quoi consiste le critère juridique approprié. Nous disons simplement que les motifs de la Commission ne permettent franchement pas de savoir quel critère juridique elle a appliqué pour décider comme elle l’a fait. À notre avis, cela constitue un fondement suffisant pour conclure que la décision rendue par la Commission était déraisonnable et justifie l’ordonnance du juge Barnes de renvoyer l’affaire à la Commission pour réexamen.

[89]           Dans la décision Hicks, précitée, au paragraphe 23, la juge Snider a cité le même extrait de l’arrêt Johnstone, notant « [q]uelle que soit la norme de contrôle applicable, la Cour fédérale prend les mesures prévues si elle est convaincue que le tribunal a rendu sa décision sans tenir compte des éléments dont il disposait (Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, au paragraphe 18.1(4) ». Toutefois, cette cause avait trait aux lacunes des motifs et la juge Snider a conclu qu’elle n’était pas en mesure de vérifier si les arguments présentés par le demandeur avaient été pris en compte; l’omission de la part du décideur d’exposer le critère juridique sur lequel il s’était fondé n’était pas la question en litige.

[90]           Selon mon interprétation, l’arrêt Johnstone n’impose pas au décideur le devoir de signaler explicitement le critère juridique qu’il a appliqué; l’arrêt établit plutôt que les motifs exposés doivent permettre de relever l’analyse juridique effectuée par le décideur pour arriver à sa conclusion.

[91]           De plus, dans l’arrêt Newfoundland Nurses, la Cour suprême du Canada a établi que les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat afin de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables. La juge Abella a noté ce qui suit, au paragraphe 16 :

[16]      Il se peut que les motifs ne fassent pas référence à tous les arguments, dispositions législatives, précédents ou autres détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire, mais cela ne met pas en doute leur validité ni celle du résultat au terme de l’analyse du caractère raisonnable de la décision.  Le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale (Union internationale des employés des services, local no 333 c. Nipawin District Staff Nurses Assn., [1975] 1 R.C.S. 382, p. 391). En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

[92]           La question est de savoir si les motifs de la Commission permettent à la cour de révision de comprendre pourquoi la Commission a rendu la décision qu’elle a rendue. À mon avis, les motifs le permettent et le rapport visé à l’article 41 fait partie de ces motifs étant donné que la Commission a expressément indiqué avoir pris en considération le rapport visé à l’article 41 et la jurisprudence citée.

[93]           Même si la Commission n’a pas souscrit à la conclusion du rapport visé à l’article 41, elle a appliqué essentiellement le même « critère » et la même analyse ayant servi à identifier l’employeur, y compris l’examen du cadre juridique. La Commission est arrivée à une conclusion différente, en signalant qu’il aurait fallu examiner l’ensemble du cadre juridique à l’étape de l’article 41. Par exemple, la Commission s’est reportée à la LGFP et a constaté que le CCHST, le MCCC, le CMST et le Musée des beaux-arts figurent aux annexes II et III, si bien qu’il fallait pousser plus loin l’examen de l’impact sur la Loi sur les Musées et la Loi sur le CCHST.

[94]           De plus, la Commission n’a pas commis l’erreur d’ignorer des faits pertinents. Elle n’a pas fait renvoi à chaque élément de preuve; au contraire, il est présumé qu’elle a apprécié et pris en considération la totalité de la preuve qui lui a été présentée à moins que le contraire ne soit démontré (Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF)).

[95]           Quoi qu’il en soit, les autres documents, y compris l’entente tripartite entre NAV, Transports Canada et les agents négociateurs, ne suffisent pas pour tirer la conclusion que le CT a continué d’exercer un contrôle sur les politiques en matière de salaires et de personnel chez NAV. Ces documents, qui font partie du dossier, indiquent le contraire : les employés de NAV avaient coupé leurs liens avec Transports Canada et le CT, et l’entente tripartite et l’entente de transfert étaient des documents de transition qui n’étaient en vigueur que pour une période déterminée. Le fait que la Commission n’a pas fait expressément renvoi à ces documents dans sa décision n’était pas déraisonnable.

[96]           Contrairement à la situation dans les affaires Michon‑Hamelin et Conroy, la Commission n’a pas tiré de conclusion de fait allant à l’encontre de la preuve. Une appréciation du caractère suffisant de la preuve présentée à l’appui des allégations formulées dans une plainte est un élément essentiel de l’examen préalable effectué par la Commission à l’étape de l’article 41 (Exeter c Canada (Procureur général), 2011 CF 86, au paragraphe 13, 383 FTR 106, confirmée par 2012 CAF 119, 433 NR 286; Boshra c Canada (Procureur général), 2011 CF 1128, au paragraphe 57, 398 FTR 60). Il était loisible à la Commission de conclure que la preuve était insuffisante pour démontrer un lien avec un motif de discrimination interdit.

La décision de la Commission de ne pas statuer sur les plaintes fondées sur les articles 7 et 10 visant les organismes régis par le Code à titre de défendeurs individuels était‑elle raisonnable?

Les observations de l’AFPC

[97]           L’AFPC soutient que la Commission a commis une erreur en mettant l’accent sur le fait que l’ordonnance de 1998 ne liait que les parties à la procédure en question et que, par conséquent, l’ordonnance ne liait pas les employeurs des employés dans la présente plainte. L’AFPC soutient que la Commission a fait preuve d’un formalisme excessif et a ignoré ou mal compris son argument selon lequel le fondement factuel de l’ordonnance de 1998 était en fait l’étude ICPS, qui comportait une enquête auprès des employés qui sont aujourd’hui concernés par la présente plainte.

[98]           L’AFPC soutient aussi que la décision de la Commission était illogique. Les organismes régis par le Code avaient l’obligation de remédier à ce genre de discrimination pendant la période où ces personnes étaient à leur emploi (Canada (Procureur général) c Walden, 2010 CF 490, aux paragraphes 188 et 189, 368 FTR 85 (Walden)). Selon l’AFPC, il est donc illogique et déraisonnable de la part de la Commission de conclure que l’omission de remédier aux taux salariaux discriminatoires pourrait constituer une pratique interdite de la part des organismes régis par le Code et le CT à titre de coemployeurs, mais de tirer la conclusion opposée concernant l’allégation selon laquelle la même pratique était appliquée par les organismes régis par le Code à titre d’employeurs distincts.

Les observations des défendeurs PGC, CT et CCHST

[99]           Ces défendeurs ont signalé qu’il était essentiellement allégué dans la plainte de l’AFPC que les organismes régis par le Code n’avaient pas accordé à leurs employés les mesures de réparation prévues dans l’ordonnance de 1998. Ils soutiennent qu’une telle allégation suppose l’existence d’une obligation juridique liant les organismes régis par le Code à l’ordonnance de 1998; toutefois, l’ordonnance de 1998 ne liait que les parties à la procédure en question. Ayant conclu qu’il n’y avait pas de telle obligation, la Commission a raisonnablement conclu qu’il n’était pas évident et manifeste que l’allégation était fondée.

[100]       De plus, selon ces défendeurs, il n’était pas illogique de la part de la Commission d’accepter les allégations principales au titre des articles 7 et 10 formulées contre eux à titre de coemployeurs, tout en rejetant les allégations subsidiaires. La Commission a tout simplement décidé de ne pas statuer sur l’allégation lorsqu’elle était formulée uniquement contre des organismes qui n’étaient pas visés par l’ordonnance de 1998, étant donné qu’elle avait choisi d’enquêter sur une allégation similaire formulée contre les organismes à titre de codéfendeurs avec le CT; de plus, la Commission a le pouvoir discrétionnaire d’accepter qu’une partie de la plainte aille de l’avant, tout en rejetant les éléments les plus manifestement dépourvus de fondement.

Les observations du défendeur MCC

[101]       Selon le MCC, il était évident et manifeste qu’aucune cause d’action fondée sur les articles 7 et 10 ne pourrait être recevable contre lui du fait qu’une ordonnance prise à l’encontre de son ancien employeur, soit le CT, visait des pratiques de rémunération discriminatoires relevées dans cet ancien établissement. Le MCC soutient que l’argument de l’AFPC est le suivant : si les employés du MCC étaient restés des employés du CT, leurs salaires auraient augmenté. Le MCC signale que ces employés n’étaient toutefois pas des employés du CT au moment de l’ordonnance de 1998 étant donné que le MCC a été créé au moyen d’une loi en 1990. De plus, le MCC a noté que, en 1997, il avait adopté son propre système de classification et de rémunération.

Les observations de la défenderesse NAV

[102]       NAV signale que la Commission a répondu aux préoccupations de l’AFPC selon lesquelles les employeurs ont l’obligation légale de corriger toute discrimination systémique salariale ou autre dans leur milieu de travail; toutefois, elle a conclu que cette obligation n’englobe pas l’application de conclusions concernant la parité salariale se rapportant à un autre établissement. Selon NAV, même si l’analyse était exposée dans la partie de la décision consacrée à l’article 11, la conclusion s’applique également à l’allégation de discrimination salariale déposée en vertu des articles 7 et 10.

Les observations de la défenderesse WHA

[103]       Selon WHA, dans ses plaintes en vertu des articles 7 et 10, l’AFPC demande essentiellement l’application des rajustements de parité salariale exposés dans l’ordonnance de 1998 qui, comme la Commission a raisonnablement conclu, ne peuvent s’appliquer à WHA du fait que ce dernier n’est pas un coemployeur avec le CT. WHA soutient que l’ordonnance de 1998 ne crée pas d’obligations distinctes contraignant WHA à remédier à la discrimination exposée dans l’ordonnance.

La décision de la Commission de ne pas statuer sur les plaintes fondées sur les articles 7 et 10 visant les organismes régis par le Code à titre de défendeurs individuels était raisonnable

[104]       La Commission a décidé raisonnablement qu’il était évident et manifeste que les allégations subsidiaires de l’AFPC au titre des articles 7 et 10 déposées contre les organismes régis par le Code ne présentaient pas de motifs raisonnables.

[105]       Il est essentiellement allégué dans la plainte de l’AFPC que les organismes régis par le Code ont omis d’appliquer les rajustements de parité salariale exposés dans l’ordonnance de 1998. Il était raisonnable de la part de la Commission d’examiner les termes et la portée juridique de l’ordonnance de 1998 et de conclure que l’absence de fondement juridique ou d’obligation légale établissant un lien entre l’ordonnance de 1998 et les organismes régis par le Code est un facteur déterminant qui entraîne le rejet des allégations subsidiaires de l’AFPC déposées en vertu des articles 7 et 10.

[106]       La Commission n’a pas mal saisi la nature factuelle des allégations de l’AFPC. Selon l’AFPC, son allégation concernant la discrimination salariale qui a persisté dans les structures de rémunération des organismes régis par le Code est une allégation factuelle documentée par l’étude ICPS. Toutefois, la Commission a examiné cette observation dans le contexte de son analyse des allégations subsidiaires de l’AFPC en vertu de l’article 11. La Commission a conclu que l’étude ICPS ne peut servir de fondement à une plainte contre les organismes régis par le Code à titre d’employeurs individuels parce qu’elle a été réalisée au moment où les organismes régis par le Code faisaient encore partie du même établissement que le CT.

[107]       Je ne suis pas d’accord pour dire que la décision de la Commission est illogique. Cette dernière a décidé de ne pas statuer sur l’allégation lorsqu’elle était formulée uniquement contre des organismes qui n’étaient pas visés par l’ordonnance de 1998, mais a décidé d’enquêter sur les mêmes allégations formulées contre les organismes à titre de codéfendeurs avec le CT. Cela est logique parce que l’étude ICPS, qui est le fondement factuel de l’ordonnance de 1998 et de la présente plainte, vise le CT et les organismes régis par le Code à titre de coemployeurs, mais elle ne vise pas les organismes régis par le Code à titre d’employeurs individuels.

[108]       Je note également que dans ses observations en date d’avril 2011 adressées à la Commission, l’AFPC a affirmé avoir toujours maintenu que le CT était le défendeur principal approprié dans le cadre de la présente plainte.

[109]       De plus, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Commission est en droit d’accepter qu’une partie de la plainte soit traitée, tout en rejetant d’autres éléments si elle estime qu’il est évident et manifeste qu’ils ne relèvent pas de sa compétence.

[110]       Même si l’AFPC s’est fondée sur la décision Walden pour étayer son argument selon lequel les organismes régis par le Code étaient au courant des écarts salariaux et avaient l’obligation de remédier à la discrimination salariale durant la période où ces personnes étaient à leur emploi, à mon avis, cette décision renvoie à un principe plus général, à savoir que les employeurs ont l’obligation formelle d’offrir un milieu de travail exempt de discrimination (décision Walden, précitée, au paragraphe 188). L’AFPC ne présente aucune preuve pour démontrer que les organismes régis par le Code n’ont pas, à titre d’employeurs individuels, respecté cette obligation formelle, car là n’est pas la nature de la plainte de 2002.

La décision de la Commission de ne pas statuer sur les plaintes fondées sur l’article 11 visant les organismes régis par le Code à titre de défendeurs individuels était‑elle raisonnable?

Les observations de l’AFPC

[111]       L’AFPC soutient que, contrairement à la conclusion de la Commission, elle a en fait désigné des groupes professionnels à prédominance masculine et à prédominance féminine dans chacun des organismes régis par le Code. Elle renvoie à ses observations en date du 17 avril 2012, qui relevaient des groupes à prédominance masculine et à prédominance féminine chez NAV. L’AFPC soutient que la Commission ne peut pas rejeter sa plainte uniquement parce que NAV a contesté ces faits (c’est-à-dire, en notant que seulement deux de ces groupes étaient à prédominance féminine), car un différend factuel doit faire l’objet d’une enquête.

[112]       De plus, selon l’AFPC, la Commission a commis une erreur en concluant qu’elle n’avait pas présenté de fondement raisonnable pour étayer sa demande en vertu de l’article 11 contre les organismes régis par le Code. L’AFPC renvoie à l’étude ICPS, qui a permis de recueillir des données auprès d’environ 3 200 employés, y compris des employés de partout dans l’administration publique centrale (certains sont par la suite devenus des employés des organismes régis par le Code), et de démontrer que la structure de classification et de rémunération du gouvernement fédéral n’assurait pas aux groupes à prédominance féminine et à prédominance masculine un salaire égal pour un travail égal.

[113]       L’AFPC soutient que, dans ces circonstances, rien ne permettait à la Commission de décider raisonnablement de ne pas statuer sur les plaintes fondées sur l’article 11 visant les organismes régis par le Code à titre de défendeurs individuels.

[114]       Après la collecte des données au moyen de l’étude ICPS, mais avant la prise de l’ordonnance de 1998, les organismes régis par le Code ont été créés et soustraits de l’administration publique centrale. L’AFPC signale que les organismes régis par le Code ont maintenu la structure de classification et de rémunération héritée du CT qui, d’après l’ordonnance de 1998, était discriminatoire. L’AFPC soutient qu’il s’agit d’un cas apparemment fondé de discrimination salariale et que ses allégations ne constituent pas de simples conjectures.

[115]       Selon l’AFPC, la création d’employeurs distincts ne peut servir de moyen d’éviter de remédier à la discrimination persistante sur le plan salarial. 

[116]       L’AFPC soutient que plusieurs des organismes régis par le Code ont continué de se reporter au même système de classification et de rémunération pendant de nombreuses années et que, par conséquent, les salaires discriminatoires ont persisté. Les employeurs étaient au courant des écarts salariaux, mais n’ont pas pris de mesures pour y remédier.

Les observations des défendeurs PGC, CT et CCHST

[117]       Selon ces défendeurs, l’article 11 exige que les groupes de comparaison à prédominance masculine et à prédominance féminine relèvent du même employeur et du même établissement. Ces défendeurs signalent que, dans sa plainte, l’AFPC n’a pas désigné de groupe de comparaison particulier dans les organismes régis par le Code, bien que le rapport visé à l’article 41 ait avisé l’AFPC des éléments requis; ainsi, il incombait ensuite à l’AFPC de remédier à la situation ou de s’exposer au risque que la plainte soit rejetée en vertu de l’article 41 (voir les décisions Valookaran, au paragraphe 18, et Deschênes, au paragraphe 16, précitées).

[118]       Ces défendeurs contestent l’allégation de l’AFPC selon laquelle l’échantillon de l’étude ICPS comprenait des employés des sections de l’administration publique centrale qui sont par la suite devenues les organismes régis par le Code. Une fois que les employés ont été transférés à leurs nouvelles organisations, le contexte dans lequel l’équivalence des fonctions est évaluée n’était plus le même et il n’est pas possible de présumer que la relativité interne de ces fonctions au sein des nouvelles organisations est pareille à celle qui existait dans l’administration publique centrale; de même, on ne peut présumer que la répartition hommes-femmes est pareille (voir la décision Harkin, précitée, aux paragraphes 77 à 79). Bref, ces défendeurs soutiennent que l’article 11 exige des allégations précises visant un employeur et un établissement précis.

[119]       Ces défendeurs signalent que l’AFPC était consciente qu’elle devait fournir des renseignements sur l’employeur propres à chacun des organismes régis par le Code pour permettre des comparaisons adéquates; le fait que de telles données n’existent pas n’autorise pas l’AFPC à se fonder sur l’étude ICPS.

Les observations des défendeurs MSTC et Musée des beaux-arts

[120]       Selon le MSTC et le Musée des beaux-arts, l’AFPC n’a pas produit d’éléments de preuve qui, si on leur portait foi, suffiraient à établir prima facie une allégation de discrimination (décision Deschênes, précitée, au paragraphe 28). Ces défendeurs notent que l’AFPC n’a pas formulé d’allégations spécifiques contre eux.

[121]       Ces défendeurs font écho aux observations du PGC, du CT et du CCHST et font valoir que, pour appuyer sa plainte en matière de parité salariale, l’AFPC doit démontrer qu’il y a un groupe composé majoritairement de membres d’un sexe, qu’il y a un autre groupe qui exécute des fonctions équivalentes, que l’autre groupe est composé majoritairement de membres de l’autre sexe et que les deux groupes font partie du même établissement (décision Deschênes, précitée, au paragraphe 16).

[122]       Ces défendeurs signalent aussi que le rapport visé à l’article 41 avisait l’AFPC de manière précise des éléments requis :

[traduction]

Pour répondre au critère des motifs raisonnables, l’AFPC doit indiquer quel groupe de comparaison elle utilise, sur quelle base elle se fonde pour affirmer que ce groupe est à prédominance masculine, sur quelle base elle se fonde pour affirmer que les groupes exécutent des fonctions équivalentes, et sur quelle base elle se fonde pour affirmer qu’il existe un écart salarial.

[123]       Ces défendeurs soutiennent que, malgré la mise en garde, l’AFPC n’a pas présenté le fondement factuel requis, bien qu’elle aurait vraisemblablement pu le faire puisqu’elle demeure l’unité de négociation des employés. Ainsi, ces défendeurs font valoir qu’il n’incombe pas à la Commission ou à l’enquêteur d’améliorer la plainte de l’AFPC (Syndicat des communications de Radio-Canada c Canada (Procureur général), 2011 CF 314, aux paragraphes 33 et 34, 392 FTR 18 [Syndicat Radio‑Canada]).

[124]       Selon ces défendeurs, il n’est pas possible de comparer les emplois à prédominance féminine au Musée des beaux-arts ou au CMST avec ceux à l’administration publique centrale. La présente affaire est similaire à l’affaire Harkin, où le Tribunal a rejeté une plainte fondée sur l’article 11 au motif qu’aucune étude comparative des groupes à prédominance féminine et à prédominance masculine au sein de la CRTFP n’avait été réalisée pour vérifier l’équivalence des fonctions exécutées (décision Harkin, précitée, aux paragraphes 75 à 78); de plus, le Tribunal a noté qu’il n’est pas possible de recourir à des éléments de comparaison de substitution.

Les observations du défendeur MCC

[125]       Le MCC fait valoir que l’Ordonnance de 1986 sur la parité salariale, DORS/86-1082 (Ordonnance sur la parité salariale) établit des critères précis pour les plaintes en matière de parité salariale et que l’AFPC est bien au courant de ces critères. Selon le MCC, la Commission a raisonnablement conclu que l’AFPC ne peut contourner les exigences de l’article 11 en prétendant qu’il s’agit d’une plainte fondée sur l’article 7 ou 10 ou en se fondant sur l’ordonnance de 1998 ou l’entente de 1999 qui visent un autre employeur et un autre établissement.

Les observations de la défenderesse NAV

[126]       NAV soutient que la Commission a examiné les renseignements fournis par l’AFPC et a décidé raisonnablement de ne pas statuer sur l’allégation fondée sur l’article 11 que l’AFPC avait déposée contre elle à titre de défenderesse individuelle. De plus, NAV note qu’il était raisonnable de la part de la Commission de prendre en considération ses objections à l’étude ICPS, à savoir que seulement deux des quatre groupes professionnels identifiés dans l’étude étaient à prédominance féminine et qu’un de ces deux groupes n’existait plus à NAV.

[127]       NAV a souligné qu’un salaire ne peut pas être intrinsèquement discriminatoire, car il doit y avoir une analyse de la parité salariale à l’intérieur du même établissement.

[128]       Selon NAV, il ressort de la formulation de l’article 11 et de la jurisprudence qu’un employeur n’a aucune obligation légale de remédier à des taux salariaux qui ont été jugés discriminatoires dans un autre établissement, sauf si l’employeur en question est coemployeur de l’employeur de cet autre établissement (décision Harkin, précitée, aux paragraphes 97 à 99). NAV signale qu’une analyse propre à l’établissement est importante en raison du caractère essentiel des éléments de comparaison dans une analyse de la discrimination salariale (Canada (Commission des droits de la personne) c Lignes aériennes Canadian International ltée, 2006 CSC 1, au paragraphe 14, [2006] 1 RCS 3 (Lignes aériennes Canadian International)).

[129]       NAV soutient, conformément aux paragraphes 28 et 29 de la décision Deschênes, précitée, qu’il n’incombe pas à la Commission d’améliorer une plainte qui comporte à première vue des lacunes. Selon NAV, si l’AFPC estimait qu’il y avait des disparités salariales chez NAV, elle aurait dû déposer une plainte en 1996, au moment où NAV a cessé de faire partie du CT.

Les observations de la défenderesse WHA

[130]       Selon WHA, la décision de la Commission était exhaustive et raisonnable, ayant pris en considération, par le truchement de son rapport visé à l’article 41, l’Ordonnance sur la parité salariale, la jurisprudence et les observations des parties pour arriver à la conclusion que WHA ne fait pas partie du même établissement que le CT.

[131]       De plus, selon WHA, en maintenant que le fondement de sa plainte était l’étude ICPS, l’AFPC tente de se servir de l’administration publique centrale comme « point de comparaison témoin ou de substitution » avec WHA, approche que le Tribunal a rejetée dans la décision Harkin, précitée, au paragraphe 103. WHA soutient que, même si l’étude ICPS pouvait servir de fondement aux allégations en vertu de l’article 11 de l’AFPC, cette étude est désuète, car elle portait sur les taux salariaux entre 1985 et 1999; selon WHA, l’AFPC suppose que de telles disparités salariales ont persisté à WHA.

La décision de la Commission de ne pas statuer sur les plaintes fondées sur l’article 11 visant les organismes régis par le Code à titre de défendeurs individuels est raisonnable

[132]       La Commission a signalé l’importance des éléments de comparaison dans une analyse de la discrimination salariale. Cette importance est mise en évidence par la Cour suprême dans l’arrêt Lignes aériennes Canadian International, précité, au paragraphe 14 :

14        La validité de l’art. 10 de l’Ordonnance n’est aucunement contestée devant la Cour.  La question en litige devient donc une question d’interprétation législative dans le contexte de la législation sur les droits de la personne.  Il s’agit plus particulièrement de l’interprétation du mot « établissement » à l’art. 11 de la Loi et à l’art. 10 de l’Ordonnance.  Une interprétation correcte permettra de dégager les éléments de comparaison appropriés.  Étant donné la nature de ses principes et objectifs, la parité salariale ne peut être réalisée sans éléments de comparaison appropriés.  La notion d’établissement est essentielle pour l’analyse parce que la Loi exige que l’on trouve dans l’« établissement » les éléments de comparaison applicables.  Nous devons donc déterminer la signification ou la portée de ce mot selon les règles d’interprétation législative pertinentes, lorsqu’on lit l’art. 11 de la Loi en corrélation avec l’art. 10 de l’Ordonnance. [Non souligné dans l’original.]

[133]       La Commission n’a pas commis d’erreur en concluant que les éléments de comparaison utilisés doivent provenir du même établissement. Cette conclusion découle de l’article 11, de l’Ordonnance sur la parité salariale et de la décision Harkin, précitée, aux paragraphes 77 à 79, du Tribunal.

[134]       Comme le soulignent les défendeurs PGC, CT et CCHST, une fois que les employés ont été transférés à leurs nouvelles organisations, le contexte dans lequel l’équivalence de leurs fonctions devait être évaluée n’était plus le même. On ne peut présumer que la relativité interne au sein des nouvelles organisations est pareille à celle qui existait dans l’administration publique centrale; par conséquent, on ne peut présumer que la répartition hommes-femmes est pareille. Cela a été reconnu par la Commission dans sa décision, qui signale qu’il est illogique de présenter une plainte fondée sur l’article 11 contre les organismes régis par le Code à titre d’employeurs individuels en utilisant des éléments de comparaison provenant d’un établissement où l’employeur est le CT :

[traduction]

Pour que les allégations subsidiaires au titre de l’article 11 soient logiques, il faut les examiner séparément en tant qu’allégations formulées contre chacune des organisations à titre d’employeur indépendant, distinct du CT. De ce point de vue, il est difficile de voir comment le fondement de la décision de 1998 du TCDP – plus précisément les postes à prédominance féminine, les groupes de comparaison à prédominance masculine et l’analyse des salaires et de l’équivalence des fonctions qui proviennent tous du même établissement dont l’employeur est le CT – puisse servir à avancer des motifs raisonnables pour les allégations en vertu de l’article 11 formulées contre des employeurs différents et distincts.

[135]       Bien que l’AFPC soutienne qu’elle a relevé des groupes professionnels à prédominance masculine et à prédominance féminine au sein de chacun des organismes régis par le Code, la Commission a examiné cet argument en particulier et l’a rejeté. Par exemple, la Commission a noté que, selon NAV, seulement deux des sept groupes signalés par l’AFPC chez NAV étaient encore majoritairement féminins et qu’un groupe n’existe plus :

[traduction]

[…] Ces divergences s’avèrent peut-être significatives aux fins de la parité salariale et démontrent pourquoi, peu importe le caractère « systémique » de la discrimination salariale alléguée, il faut que les motifs raisonnables justifiant le dépôt d’une plainte au titre de l’article 11 soient fondés sur la situation d’un employeur à l’intérieur d’un établissement.  […]

Contrairement à l’affirmation de l’AFPC selon laquelle ces divergences dans les renseignements démontrent pourquoi il faut tenir une enquête, ces divergences démontrent pourquoi une plainte doit viser une situation à l’intérieur de l’établissement de l’employeur et pourquoi les motifs raisonnables doivent reposer sur davantage que de simples affirmations ou conjectures sur la question de savoir si des éléments fondamentaux de l’analyse de la parité salariale (p.ex., la prédominance d’un sexe) ont changé ou pas avec le temps ou durant le passage d’un milieu de travail à un autre. Voilà l’analyse que l’article 11 exige. Faute d’une telle analyse, il n’y a pas de motifs raisonnables et, malgré la complexité potentielle des allégations de discrimination salariale, il n’y a pas lieu de statuer sur la plainte.  […]

[136]       Il incombe à la plaignante d’établir l’existence à première vue d’une situation de discrimination ou de disparité salariale (décision Deschênes, précitée, au paragraphe 28), à défaut de quoi, l’AFPC ne peut s’attendre à ce que la Commission améliore sa plainte en permettant qu’elle passe à l’étape de l’enquête (décision Syndicat Radio‑Canada, précitée, au paragraphe 33).

[137]       Je reconnais que les seules données disponibles, soit l’étude ICPS, sont antérieures à la soustraction des organismes régis par le Code de l’administration publique centrale. Toutefois, étant donné que l’administration publique centrale a fait l’objet d’une réorganisation importante depuis l’étude ICPS, il faudrait disposer de nouvelles données salariales propres à chaque employeur.

[138]       Pour conclure, des sections importantes de la plainte seront traitées et il faut s’attendre à ce que les défendeurs, à l’exception de NAV et de WHA, continuent de faire valoir qu’ils ne sont pas des coemployeurs avec le CT, mais plutôt des employeurs distincts. La décision de la Commission de rejeter entièrement les plaintes déposées contre NAV et WHA et de rejeter les plaintes déposées contre les défendeurs à titre d’employeurs individuels est raisonnable.

[139]       À la demande des parties, les observations sur les dépens seront examinées après que le jugement sera rendu.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.                  la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  les dépens seront adjugés aux défendeurs. Ces derniers disposeront d’un délai de 45 jours après la date du présent jugement pour présenter leurs observations au sujet des dépens. La demanderesse disposera ensuite de 15 jours pour répondre aux observations des défendeurs.

« Catherine M. Kane »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

T-2123-12

 

INTITULÉ :

ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, CONSEIL DU TRÉSOR DU CANADA, SOCIÉTÉ DU MUSÉE DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE DU CANADA, CENTRE CANADIEN D’HYGIÈNE ET DE SÉCURITÉ AU TRAVAIL, SOCIÉTÉ DU MUSÉE CANADIEN DES CIVILISATIONS, MUSÉE DES BEAUX-ARTS DU CANADA, NAV CANADA, et WEENEEBAYKO HEALTH AHTUSKAYWIN

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 OCTOBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 AVRIL 2014

 

COMPARUTIONS :

Andrew Raven

Amanda Montague-Reinholdt

 

pour La demanderesse

(ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA)

 

Zoe Oxaal

 

pour Les défendeurs

(PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, CONSEIL DU TRÉSOR DU CANADA et CENTRE CANADIEN D’HYGIÈNE ET DE SÉCURITÉ AU TRAVAIL)

 

Kirsten Crain

POUR LA DÉFENDERESSE

(SOCIÉTÉ DU MUSÉE CANADIEN DES CIVILISATIONS)

 

Raquel Chisholm

POUR LES DÉFENDEURS

(MUSÉE DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE DU CANADA et MUSÉE DES BEAUX-ARTS DU CANADA)

Karen Jensen

POUR LA DÉFENDERESSE

(NAV CANADA)

Frank Cesario

Jacqueline Luksha

POUR LA DÉFENDERESSE

(WEENEEBAYKO HEALTH AHTUSKAYWIN)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/srl

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

(ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA)

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR Les défendeurs

(PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, CONSEIL DU TRÉSOR DU CANADA, CENTRE CANADIEN D’HYGIÈNE ET DE SÉCURITÉ AU TRAVAIL)

 

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA défenderESSE

(SOCIÉTÉ DU MUSÉE CANADIEN DES CIVILISATIONS)

Emond Harnden LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

(MUSÉE DES SCIENCES ET DE LA TECHNOLOGIE DU CANADA et MUSÉE DES BEAUX-ARTS DU CANADA)

 

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

(NAV CANADA)

 

Hicks Morley Hamilton Stewart Storie LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

(WEENEEBAYKO HEALTH AHTUSKAYWIN)

 

 

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