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Date : 20140502


Dossier :

IMM-6868-13

Référence : 2014 CF 419

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2014

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

CHARAN PREET SINGH SIDHU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphegraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], d’une décision de refus de délivrance d’un permis de travail au demandeur au motif qu’il a fait une présentation erronée quant à son emploi. 

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Aperçu

[3]               Monsieur Sidhu est un ressortissant  indien de 39 ans. Le 16 octobre 2012, il a présenté une demande de permis de travail en vertu du Programme des candidats des provinces. Le demandeur a écrit sur le formulaire de demande d’emploi qu’il était gérant d’une station-service appelée Khizrabad Hamara Pump depuis le 6 mai 2009. 

[4]               Le 26 avril 2013, un employé du consulat a effectué une visite à la station-service Khizrabad Hamara Pump, accompagné d’un collègue qui parle anglais, punjabi et hindi. Ils ont parlé à des employés de la station-service Khizrabad Hamara Pump et à ceux d’un garage voisin afin de vérifier l’emploi du demandeur. Des contradictions sont ressorties des informations recueillies auprès des employés de la station-service Khizrabad Hamara Pump. Les employés du consulat ont parlé tout de suite après au demandeur et d’autres contradictions furent relevées. Une déclaration solennelle décrivant brièvement l’information consignée, suite à la visite du site et à la conversation de suivi, fut souscrite. 

[5]               Le même jour, une lettre d’équité procédurale [LEP] résumant les interrogations soulevées quant à la véracité de l’information soumise en guise d’expérience de travail à la station-service Khizrabad Hamara Pump et l’invitant à formuler des observations sur cette question fut envoyée au demandeur. Le contenu de la lettre est similaire à l’information contenue au Système mondial de gestion des cas [SMGC].

[6]               Le 14 août 2013, le défendeur a reçu la réponse du demandeur. Une réponse fut apportée à chacune des interrogations soulevées dans la LEP.  

[7]               Le 4 septembre 2013, un agent a examiné les réponses du demandeur et conclut qu’un problème persistait quant à la crédibilité du demandeur et a entré les conclusions suivantes dans le SMGC :  

[TRADUCTION] « Je crois que, par prépondérance des probabilités, le demandeur a fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent qui aurait pu m’amener à commettre une erreur dans l’application de la LIPR. Plus particulièrement – en fournissant une fausse lettre d’emploi lettre [sic], je n’ai pas pu évaluer la véritable raison pour laquelle le demandeur veut entrer au Canada ni déterminer s’il quitterait le Canada avant la fin de son autorisation de séjour. La recommandation est de déclarer cette personne interdite de territoire en vertu du paragraphegraphe 40(1) de la LIPR ».

[8]               Le 20 septembre 2013, un autre agent a examiné le dossier et a conclu que [traduction] « dans l’ensemble, il y avait une montagne d’incohérences entre les affirmations que le demandeur a faites lorsqu’il fut joint par téléphone et ce que la vérification sur place a permis d’établir ».L’agent a conclu de plus qu’il n’était pas convaincu que le demandeur était véritablement à l’emploi de la station-service Khizrabad Hamara Pump et a recommandé de le déclarer interdit de territoire. 

[9]               Le 26 septembre 2013, un agent a noté qu’après un examen minutieux du dossier, il était convaincu que le demandeur avait fait une présentation erronée quant à ses antécédents de travail et a rejeté la demande au motif qu’il avait fait de fausses déclarations. Par la suite une lettre type fut envoyée à M. Sidhu pour l’aviser que sa demande de permis de travail avait été rejetée au motif que l’agent n’était pas convaincu que les renseignements concernant ses antécédents de travail étaient véridiques, emportant ainsi son interdiction de territoire au Canada, conformément à l’alinéa  40(1)a) de la LIPR, pour avoir fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent qui risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. 

Questions en litige

[10]           Les questions que nous devons examiner sont les suivantes :

a)         Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

b)        La décision d’interdire le demandeur de territoire pour fausses déclarations est-elle raisonnable?

c)         Les motifs avancés sont-ils suffisants?

Norme de contrôle

[12]      La norme de contrôle applicable à la décision de l’agent de déclarer le demandeur interdit de territoire en vertu du paragraphegraphe 40(1) de la LIPR pour avoir fait de fausses déclarations est celle de la raisonnabilité. La norme de contrôle applicable au manquement à l’équité procédurale  allégué par le demandeur est celle de la décision correcte. Voir Bhamra c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 239, aux paragraphes 15 et 16.

Analyse

a)         Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[13]      Sur cette question, l’ironie du sort veut que, tel que le reconnaît le défendeur, si le demandeur n’avait pas fait preuve de diligence raisonnable et n’avait pas obtenu les notes du SMGC par le biais d’une demande d’accès à l’information pour découvrir les faits à l’origine de la LEP, la décision aurait probablement été annulée pour manquement à l’équité procédurale. Il en est ainsi parce que la LEP ne contenait aucune explication quant aux interrogations relatives aux fausses déclarations et parce que les motifs avancés n’étaient pas suffisants pour permettre au demandeur de connaître les faits à l’origine de l’allégation de présentation erronée quant à son emploi, ce qui ne lui permettait pas d’y répondre adéquatement. 

[14]      Je suis d’accord avec le défendeur pour affirmer que le fait que le demandeur ait pris l’initiative de découvrir les faits à l’origine de la LEP fait en sorte que l’allégation de manquement à l’équité procédurale doit être rejetée. Tout comme cela est le cas lorsque la Cour conclut qu’un manquement à la justice naturelle n’a pas eu d’incidence sur l’issue d’une affaire, en l’espèce le demandeur a fait des démarches pour connaître les faits à l’origine de l’allégation de fausses déclarations et a soumis une réponse exhaustive à son encontre, il ne peut donc soutenir que si cette information lui avait été communiquée dès le début, le résultat aurait été différent.  

[15]      Le demandeur a également prétendu qu’il n’avait pas été traité de façon équitable étant donné qu’il n’avait pas reçu copie de la déclaration solennelle sur laquelle la LEP se fondait. Je ne souscris pas à cette affirmation. Le sommaire des questions qu’on retrouve au SMGC reflétait la nature des interrogations soulevées dans la déclaration solennelle. En outre, le demandeur n’a signalé aucun élément d’information contenu à la déclaration solennelle qui, s’il avait été divulgué, aurait pu avoir une incidence sur ses observations. Je suis également convaincu que le demandeur était en mesure d’obtenir un compte rendu complet des éléments d’information que les enquêteurs avaient recueillis auprès des employés de la station-service Khizrabad Hamara Pump lors de leur visite sur place, ce qui lui permettait de connaître et de comprendre la preuve sur laquelle le défendeur se fondait pour soulever des questions quant à la véracité de ses déclarations concernant son emploi à la station-service Khizrabad Hamara Pump.

[16]      En dernière analyse, le demandeur s’est vu offrir une possibilité raisonnable de répondre, ce dont il s’est prévalu en traitant exhaustivement des questions soulevées dans une lettre de huit pages et en soumettant une documentation additionnelle volumineuse. Je conclus qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale. 

b)         La décision de déclarer le demandeur interdit de territoire pour fausses déclarations est-elle raisonnable? 

[17]      Pour conclure à une fausse déclaration aux termes du paragraphe 40(1) de la LIPR, le demandeur doit avoir fait une présentation erronée sur un fait important qui a entraîné ou risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Il n’est pas nécessaire que les fausses déclarations aient été intentionnelles, délibérées ou qu’elles résultent de la négligence. Voir Bellido c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 452, aux paragraphes 27 et 28.

[18]      En premier lieu, le défendeur a démontré qu’il y avait de sérieuses incohérences dans l’information obtenue auprès du demandeur et des employés de la station-service Khizrabad Hamara Pump relativement à la façon dont la station-service était exploitée, aux fonctions du demandeur et à la procédure de travail. Ces incohérences étaient suffisantes pour soulever de sérieux doutes quant à savoir si le demandeur était le gérant de l’établissement tel qu’il le prétendait. Je cite certaines des principales interrogations soulevées par le défendeur : 

a.         Le nombre et les noms des membres du personnel de la station-service, y compris l’incapacité du demandeur de nommer deux des employés qui y travaillaient tout en citant d’autres noms que Jabarjang n’avait pas notés;

b.         L’ancienneté du demandeur à la station-service;   

c.         L’heure à laquelle il arrivait au travail quotidiennement;

d.         La fréquence à laquelle l’essence était livrée, celle-ci étant liée à la fréquence des dépôts bancaires; 

e.         L’explication de la présence du demandeur à la banque; 

f.          Le nombre de réservoirs d’essence et les produits vendus à la station-service; 

g.         L’ignorance quant aux prix de l’essence bien qu’ils figuraient dans le grand livre et qu’aucune modification n’y avait été apportée au cours du mois d’avril, si ce n’est une modification apportée neuf jours avant l’entrevue; 

h.         À quelle fréquence le propriétaire de la station-service Khizrabad Hamara Pump s’en occupait-il et le demandeur et le propriétaire arrivaient-ils toujours ensemble.

[19]      Le SMGC indique que les agents du demandeur ont soigneusement examiné les tentatives du demandeur d’expliquer les incohérences. Même s’ils ont donné raison au demandeur sur certains points et tenu compte de ses observations et documents additionnels, ils n’ont dans l’ensemble pas été convaincus que le demandeur n’avait pas fait une présentation erronée quant à son emploi à la station-service Khizrabad Hamara Pump. Le juge de Montigny a récemment été saisi (dans He c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 33, au paragraphe 27) d’une affaire qui présentait une trame factuelle similaire portant sur de fausses déclarations faites par un candidat d’une province. Pour les besoins des présentes je fais mienne ladite décision en citant : 

En concluant qu’il fallait accorder plus de poids au rapport de vérification téléphonique qu’aux renseignements fournis consécutivement à la lettre d’équité, l’agent ne s’est pas fermé aux explications données : il ne les a tout simplement pas trouvées vraisemblables. L’argument avancé par la demanderesse équivaut en réalité à un simple désaccord concernant le poids qu’a accordé le décideur aux explications offertes. Le fait qu’un décideur différent ou que la Cour aurait pu juger ces explications raisonnables n’est pas le critère à appliquer lors d’un contrôle judiciaire.

[20]      Les agents avaient, dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire, le loisir de préférer les versions obtenues auprès des employés interrogés à la station-service à la date en question à celles obtenues, après coup, auprès du demandeur et d’autres personnes et qui semblaient contredire celles de leurs propres employés.  

[21]      Selon moi, la décision concluant que le demandeur a fait une présentation erronée sur un fait important quant à son emploi, ce qui risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR, fait partie des issues possibles acceptables.  

c)    Les motifs avancés sont-ils suffisants?

 

[22]      Le demandeur prétend que la décision devrait être annulée au motif que le défendeur n’a pas tenté de se pencher sur les observations particulières soumises en réponse au rapport circonstancié de l’agent. Ce n’est pas le cas dans la mesure où les notes du SMGC démontrent que les observations du demandeur ont été soigneusement examinées. 

[23]      Il existe une règle de droit bien connue suivant laquelle « [l]e décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soitil, qui a mené à sa conclusion finale […] »; voir Newfoundland and Labrador Nurses' Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], au paragraphe 16.

[24]      En outre, le juge de Montigny souligne, toujours dans He, précitée, au paragraphe 39, que les agents de visas disposent d’une grande latitude en ce qui a trait à leur obligation de motiver leurs décisions en détail, en s’exprimant comme suit :

Enfin, la Cour a aussi statué qu’il ne serait pas approprié d’obliger les agents administratifs à motiver leurs décisions de façon aussi détaillée que doit le faire un tribunal administratif qui rend ses décisions après une audience. En outre, la Cour a jugé que lorsque les notes servent à motiver une décision, le caractère suffisant des motifs est apprécié à la lumière d’un critère relativement peu élevé (Ozdemir c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 331, aux paragraphes 8 à 11, 110 ACWS (3d) 152; Jeffrey c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 605, au paragraphe 15, 148 ACWS (3d) 975).

[25]      Je suis convaincu que plusieurs des contradictions relevées par le défendeur, en fait la plupart d’entre elles, sont irréconciliables, ce qui lui impose de décider quelle est la source la plus crédible. Dans une situation où il existe des contradictions irréconciliables entre les versions recueillies auprès des différentes sources, les motifs sont suffisants s’ils sont formulés de façon concluante et lorsqu’il ressort que le demandeur sait que ses explications n’ont pas pu réfuter les conclusions du demandeur voulant qu’une présentation erronée ait été faite sur un fait important.  

Conclusion

[26]      Pour tous ces motifs, la demande est rejetée. 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

« Peter Annis »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-6868-13

 

INTITULÉ :

CHARAN PREET SINGH SIDHU c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (ColOmbiE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 AVRIL 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

LE 2 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Jasdeep S. Mattoo

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Edward Burnett

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kang & Company

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique) 

 

POURLE DÉFENDEUR

 

 

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