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Date : 20140505


Dossier :

IMM-6522-13

Référence : 2014 CF 422

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 mai 2014

En présence de monsieur le juge Annis

 

ENTRE :

MIN JIA

ZHIHAI WANG

demandeurs

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) vise la décision portant que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

I.                   Résumé des faits

[3]               Mme Jia et M. Wang sont Chinois. Ils ont témoigné avoir déjà été mariés et avoir chacun un enfant né du mariage précédent. Après la naissance de son fils en 1994, Mme Jia a utilisé un stérilet comme moyen de contraception. Mme Jia et M. Wang se sont rencontrés en 2006 et ont commencé à cohabiter en janvier 2009. En mai 2012, Mme Jia, alors à la fin de la trentaine, s’est rendu compte qu’elle était tombée enceinte accidentellement. Le couple s’est marié en juin 2012 et a présenté une demande de permis de naissance, lequel n’a pas été délivré du fait qu’ils avaient déjà chacun un enfant. Mme Jia est entrée dans la clandestinité.

[4]               En juillet 2012, comme Mme Jia ne se présentait ni au travail ni à ses rendez‑vous de planification familiale, des fonctionnaires responsables de la planification familiale se sont présentés au domicile du couple, ont interrogé les parents de M. Wang et les ont agressés. Les fonctionnaires se sont encore rendus au domicile du couple en août et ont dit aux parents de M. Wang qu’ils trouveraient le couple tôt ou tard et qu’ils s’occuperaient de son cas.

[5]               En août 2012, le couple a demandé des visas de visiteur et au mois d’octobre suivant, les deux sont venus au Canada. Le 4 janvier 2013, les fonctionnaires responsables de la planification familiale se sont de nouveau présentés au domicile familial en Chine, ont arrêté les parents de M. Wang, les ont placés en détention et les ont interrogés au sujet de la grossesse de Mme Jia. Mme Jia a donné naissance à une fille le 16 janvier 2013. Le couple a demandé l’asile à peu près une semaine plus tard. Il a expliqué à la Section de la protection des réfugiés (SPR) qu’il craignait d’être durement persécuté pour avoir enfreint la politique de l’enfant unique s’il retournait en Chine.

II.                Décision attaquée

[6]               La SPR a instruit l’affaire concernant les demandeurs le 13 septembre 2013 et rendu une décision le 18 septembre 2013. Elle a reconnu qu’ils avaient la citoyenneté chinoise, mais a conclu qu’ils n’étaient pas des réfugiés ni des personnes à protéger. La commissaire a souligné qu’elle avait pris en compte les Directives no 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [Directives concernant la persécution fondée sur le sexe] avant de rendre sa décision.

[7]               La commissaire a relevé un certain nombre de problèmes de crédibilité dans les documents et le témoignage des demandeurs d’asile, et a indiqué avoir, dans son évaluation, porté principalement son attention sur l’authenticité des documents présentés.

[8]               Premièrement, les demandeurs d’asile avaient présenté des avis de détention selon lesquels les parents de M. Wang ont été placés en détention le 2 janvier 2013 parce que Mme Jia avait donné naissance à [traduction] « deux enfants, ce qui dépasse la limite fixée par la loi ». Mme Jia a expliqué que cela signifiait un total de deux enfants, le deuxième dépassant la limite permise, et que les avis renvoyaient à sa grossesse du fait que son deuxième enfant n’a vu le jour que le 16 janvier. Elle avait auparavant témoigné que ses beaux‑parents n’avaient pas révélé sa grossesse, mais lorsqu’elle a été priée d’expliquer la contradiction avec l’information contenue dans le document, elle a dit s’être trompée, qu’ils avaient révélé la grossesse en janvier 2013 pendant leur interrogatoire. La commissaire n’a pas jugé ces explications satisfaisantes. Après avoir soupesé le témoignage alambiqué et contradictoire et également examiné la preuve documentaire selon laquelle le marché des faux documents connaît une croissance rapide en Chine, elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que les avis de détention avaient été fabriqués pour appuyer la demande d’asile.

[9]               La commissaire a alors examiné un certificat de planification familiale présenté par Mme Jia. Il y est indiqué qu’il a été délivré le 1er janvier 2010, que la date de naissance de Mme Jia est le 21 juillet 1973 et qu’elle a 39 ans. Mme Jia a expliqué qu’en Chine, les enfants sont considérés avoir un an à la naissance et que, selon le moment où tombe le Nouvel An chinois, ils peuvent avoir deux ans de plus que leur âge calculé en fonction du calendrier grégorien. La commissaire a toutefois accordé peu de poids à cette explication, car au 1er janvier 2010, la demandeure avait 36 ans, pas 37 ans ou 38 ans, alors la différence d’âge demeure injustifiée. En outre, le certificat de planification familiale n’indiquait pas le moyen de contraception utilisé ni de vérifications à cet égard au cours de la période de validité du document; seule la vérification régulière de l’adresse de Mme Jia y était consignée. Mme Jia a affirmé que l’information concernant son moyen de contraception figurait dans un livret antérieur dont elle s’est débarrassée, et qu’après les vérifications, aucune information particulière n’est inscrite à ce sujet. La commissaire n’a pas toutefois trouvé cette explication très convaincante. Elle a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que le document montrait seulement les vérifications de l’adresse et non la vérification régulière du moyen de contraception, ce qui ne corroborait pas le récit de Mme Jia à propos des vérifications régulières des autorités chinoises. Elle a conclu que le document avait lui aussi, selon la prépondérance des probabilités, été fabriqué pour appuyer la demande d’asile.

[10]           Les conclusions de la commissaire à l’égard des deux documents l’ont menée à conclure qu’aucun des documents des demandeurs qui portaient sur le risque que poseraient les autorités chargées de la planification familiale n’était fiable. Elle a donc accordé peu de poids au document censé refuser la délivrance d’un permis de naissance pour la fille du couple.

[11]           Selon la commissaire, les faux documents présentés comme éléments de preuve ont aussi miné la preuve déposée pour confirmer que les demandeurs avaient déjà chacun un enfant d’un mariage précédent. Un acte de naissance a été présenté pour le fils de Mme Jia, mais seul un acte de naissance notarié a été présenté pour le fils de M. Wang. Selon une source documentaire figurant dans le cartable national de documentation, un tel acte, [traduction] « en principe, [constitue] un jugement expert de la part du notaire sur les faits documentés » et pourrait être fondé sur le témoignage du demandeur. La commissaire a reconnu que les livrets d’enregistrement des ménages présentés par les deux demandeurs montrent qu’ils ont chacun un fils, mais elle a fait remarquer que ces documents font souvent l’objet de fraude. Elle a aussi reconnu que Mme Jia avait déclaré avoir un fils et un beau‑fils dans sa demande de visa canadien.

[12]           La commissaire a estimé peu fiables les témoignages et les documents à propos de la composition du ménage des demandeurs. Elle a conclu que les éléments de preuve dignes de foi étaient insuffisants pour établir, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs avaient violé les lois chinoises sur la planification familiale et qu’ils risquaient par conséquent d’être persécutés. Elle a fait remarquer qu’elle avait examiné l’affirmation de M. Wang selon laquelle le couple souhaitait avoir d’autres enfants, mais que cette possibilité était hypothétique puisqu’ils avaient maintenant 43 ans et 40 ans. Elle dit aussi avoir examiné la jurisprudence invoquée par les demandeurs où il est question qu’une forte opposition à la contraception obligatoire avait mené à des persécutions, mais elle a conclu que les demandeurs ne se trouvaient pas dans cette situation. Mme Jia a affirmé s’être conformée au règlement sur la planification familiale pendant environ 18 ans, même si elle n’aimait pas les vérifications, et être tombée enceinte accidentellement. Ce comportement ne révèle pas une conviction profonde permettant de conclure que Mme Jia se sentirait persécutée si on l’obligeait à se conformer aux vérifications des fonctionnaires responsables de la planification familiale.

[13]           La commissaire a conclu que les demandeurs n’avaient pas fourni suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables pour qu’elle puisse conclure qu’ils seraient exposés à plus qu’une simple possibilité de persécution s’ils retournaient en Chine ou que, selon la prépondérance des probabilités, leur vie serait menacée ou ils risqueraient d’être torturés ou de subir des traitements ou des peines cruels et inusités. Elle a rejeté les demandes d’asile.

III.             Question en litige

[14]           La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandeurs n’avaient pas établi une crainte fondée de persécution s’ils retournaient en Chine?

IV.             Norme de contrôle

[15]           Les demandeurs n’ont pas présenté d’arguments sur la norme de contrôle. Le défendeur a fait valoir que la cause des demandeurs repose sur l’évaluation de leur crédibilité et l’appréciation de la preuve faites par la Commission, pour lesquelles la norme de contrôle est celle du caractère raisonnable.

[16]           Il a été établi que la norme de contrôle applicable à l’appréciation de la preuve par la Commission est celle du caractère raisonnable : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], au paragraphe 53. Cependant, la norme pour le choix du critère juridique applicable est généralement celle de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa], au paragraphe 44.

V.                Analyse

La Commission a‑t‑elle commis une erreur dans son examen de la preuve lorsqu’elle a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi une crainte fondée de persécution s’ils retournaient en Chine?

[17]           Les demandeurs avancent que si la Commission a fait référence aux Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, elle ne les a toutefois pas appliquées, car elle n’a pas tenu compte de la véritable crainte subjective de Mme Jia d’être persécutée en raison de sa grossesse, crainte confirmée par la preuve documentaire objective à propos de la politique chinoise de l’enfant unique. La Commission a plutôt rejeté le témoignage des demandeurs pour des questions d’authenticité des documents qu’ils ont présentés. Selon les demandeurs, les incohérences dans leur récit n’invalidaient pas les faits relatifs au traitement cruel et inhumain réservé à ceux qui contreviennent à la politique de l’enfant unique.

[18]            La principale question dont était saisie la Commission était celle de la crédibilité. Elle a conclu que, compte tenu des irrégularités constatées dans le témoignage et les documents qui lui ont été présentés, il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve fiables pour conclure que les demandeurs risquaient la persécution au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [LIPR] ou qu’ils seraient exposés à des risques inacceptables au sens de l’article 97 de la LIPR s’ils retournaient en Chine. Les demandeurs n’ont précisé aucun élément de preuve particulier qu’aurait ignoré la Commission ni n’établissent comment les instruments internationaux cités auraient pu changer le sens de la décision.

[19]           Les conclusions quant à la crédibilité sont au cœur de l’expertise de la Commission, qui doit apprécier les témoignages et tirer des conclusions à partir de la preuve. Il est bien établi que la crédibilité du demandeur en général peut influer sur le poids accordé à la preuve documentaire (Granada c Canada (MCI), 2004 CF 1766, au paragraphe 13; Hamid c Canada (MCI), [1995] ACF no 1293 (QL) (1re inst.), au paragraphe 21; Huang c Canada (MCI), 2011 CF 288, au paragraphe 21).

[20]           Une commission n’est pas tenue d’énumérer chaque élément de preuve et chaque argument pour que sa décision soit raisonnable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], au paragraphe 16). Il ressort de l’ensemble du dossier qu’il était loisible à la Commission de trancher comme elle l’a fait. Je suis d’accord avec le défendeur. Par leurs arguments, les demandeurs invitent en fait la Cour à apprécier de nouveau la preuve. La décision de la Commission était une issue possible et acceptable respectant les limites de la raisonnabilité.

[21]           Compte tenu du fait que les demandeurs n’ont pas été jugés crédibles et que leurs documents étaient suspects en raison de leurs nombreuses irrégularités, la SPR ne disposait d’aucun élément de preuve lui permettant de conclure que la crainte de persécution des demandeurs était fondée, subjectivement ou objectivement, ou qu’ils seraient persécutés s’ils retournaient en Chine. Dans les affaires invoquées par les demandeurs, comme la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Ye, 2013 CF 634, il y avait des éléments de preuve fiables en appui aux éléments essentiels pour établir une crainte fondée de persécution.

[22]           La SPR était fondée à conclure que le récit des demandeurs était dépourvu des facteurs essentiels à un compte rendu véridique des faits. La décision de la Commission était une issue raisonnable et acceptable respectant les limites de la raisonnabilité.

[23]           Pour les motifs susmentionnés, la demande est rejetée.

 

JUGEMENT

LA COUR rejette la demande.

« Peter Annis »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Yves Labrecque

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-11479-12

 

INTITULÉ :

MIN JIA, ZHIHAI WANG c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 AVRIL 2014

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 5 MAI 2014

 

COMPARUTIONS :

Mark B. Thompson

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Sarah-Dawn Norris

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mark B. Thompson

Avocat

Richmond (Colombie‑Britannique)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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