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Date : 20140501


Dossier : IMM-1713-13

Référence : 2014 CF 408

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er mai 2014

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

OLABANJI AKANNI LADIPO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Monsieur Olabanji Akanni Ladipo vit ouvertement son homosexualité. Il a marié son conjoint au Canada le 30 décembre 2011. Il déclare qu’il est citoyen du Nigéria, un fait qui semble avoir été admis par Citoyenneté et Immigration Canada puisqu’il est indiqué sur la mesure d’interdiction de séjour que le ministère a prise contre lui le 15 septembre 2009 qu’il est un [traduction] « citoyen du Nigéria » et rien n’indique qu’il serait renvoyé du Canada. Cependant, M. Ladipo n’a pas réussi à démontrer à la Section de la protection des réfugiés [SPR] ou à l’agent d’immigration qui a effectué l’examen des risques avant renvoi [ERAR] qu’il était un Nigérian et, par conséquent, on n’a pas évalué le risque qu’il courait en tant qu’homme homosexuel marié s’il retournait au Nigéria.

[2]               Monsieur Ladipo prétend que le gérant et le personnel du motel où il séjournait au Nigéria l’ont surpris pendant qu’il avait des relations sexuelles avec son amant. Il dit que les policiers se sont d’abord rendus chez lui, au Nigéria, dans l’espoir de le trouver, mais qu’avec l’aide de sa sœur, il avait obtenu des documents de voyage. Il est donc entré au Canada quelques jours plus tard.

[3]               La SPR a rejeté sa demande d’asile le 30 mai 2011 pour des raisons de crédibilité liées à son identité en tant que ressortissant du Nigéria. Comme son identité n’a pas été établie, la SPR n’a pas évalué les risques auxquels il serait exposé en tant que personne homosexuelle. La demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision de la SPR a été refusée.

[4]               Monsieur Ladipo a produit une grande quantité de documents avec sa demande d’ERAR, y compris : une copie de l’attestation de la célébration de son mariage avec son conjoint datée du 30 décembre 2011, un affidavit original qui atteste la perte de son passeport international, un extrait tiré du journal de bord de la police nigériane à cet égard et une copie certifiée conforme d’un certificat de naissance délivré par le conseil d’administration de l’hôpital de l’État d’Oyo selon lequel il est né à la maison de repos de Jéricho, à Ibadan, au Nigéria, le 16 novembre 1978.

[5]               L’agent a conclu que M. Ladipo n’avait pas soumis de nouveaux éléments de preuve lui permettant d’arriver à une autre conclusion que celle tirée par la SPR. Par conséquent, l’agent n’était pas convaincu que M. Ladipo avait établi son identité en tant que Nigérian et a rejeté sa demande d’ERAR sans faire un examen des risques. Dans la lettre dans laquelle il informait M. Lapido de l’issue de la demande d’ERAR, l’agent indique, à tort, ce qui suit :

[traduction] Il a été établi que votre renvoi vers le pays dont vous avez la nationalité ou dans lequel vous aviez votre résidence habituelle ne vous expose pas au risque d’être soumis à la torture ou à la persécution, à une menace à votre vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

Cette déclaration est tout simplement fausse puisque rien de tel n’a été « établi ».

[6]               Il est bien établi en droit qu’un agent chargé de l’ERAR doit « évaluer le risque en fonction du pays où les appelants seraient renvoyés (Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385) » : Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CAF 177, [2012] 1 RCF 257, au paragraphe 25.

[7]               Je tiens compte de la décision rendue dans l’arrêt Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3 [Suresh], dans laquelle la Cour suprême a déclaré ce qui suit au paragraphe 6 :  M. Suresh a « établi prima facie qu’il court un risque sérieux de torture s’il est expulsé au Sri Lanka et qu’il n’a pas bénéficié, à l’audience tenue à son sujet, des garanties procédurales requises pour protéger son droit de ne pas être expulsé vers un pays où il risque la torture ou la mort. »

[8]               Je tiens également compte de l’affirmation du juge Barnes dans l’affaire Abioye c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 348, au paragraphe 11, selon laquelle « [c]ompte tenu de la situation actuelle au Nigéria, le Canada ne devrait pas expulser des homosexuels et bisexuels dans ce pays », et j’y souscris entièrement.

[9]               Le Nigéria a récemment adopté des lois relatives à certaines infractions commises contre des homosexuels et des bisexuels, lesquelles rendent notamment les unions homosexuelles punissables d’une peine maximale d’emprisonnement de 14 ans. Le dossier contient des rapports crédibles selon lesquels les policiers se rassemblaient et maltraitaient les homosexuels. Le dossier révèle également que les citoyens de ce pays auraient maintenant l’impression de pouvoir harceler et maltraiter les homosexuels et bisexuels en toute impunité. Par conséquent, j’estime que les homosexuels, comme M. Ladipo, qui sont actuellement renvoyés au Nigéria peuvent établir prima facie qu’ils courent un risque sérieux s’ils sont expulsés.

[10]           À mon avis, la décision faisant l’objet du contrôle est déraisonnable parce que l’agent chargé de l’ERAR était tenu d’évaluer le risque en fonction du pays où M. Ladipo serait renvoyé (Nigéria), malgré le fait que son identité pose toujours problème.

[11]           Comme l’identité n’avait pas été établie, la SPR n’était pas tenue d’effectuer une analyse du risque de persécution; cependant, il n’a jamais été conclu que le même raisonnement s’appliquait dans le cadre d’une analyse d’ERAR, de sorte qu’un agent ne serait pas tenu d’évaluer le risque si l’identité du demandeur n’était pas établie. Autrement, la situation s’apparenterait à celle dans l’arrêt Suresh, et des demandeurs d’asile déboutés seraient renvoyés dans d’autres pays sans qu’aucune évaluation du risque ne soit faite. Que l’identité du demandeur soit établie à la satisfaction de l’agent chargé de l’ERAR ou non, cet agent doit évaluer le risque en fonction du pays où le demandeur serait renvoyé. Comme cela n’a pas été fait en l’espèce, la demande d’ERAR doit être réexaminée par un autre agent conformément aux présents motifs.

[12]           Aucune des parties n’a exprimé le désir de proposer une question aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie, la décision de l’agent chargé de l’ERAR datée du 15 janvier 2013 est annulée, la demande d’ERAR du demandeur doit être évaluée par un autre agent conformément aux présents motifs et aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mylène Borduas

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-1713-13

 

INTITULÉ :

OLABANJI AKANNI LADIPO c MCI ET AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 17 avril 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

le juge ZINN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1er mai 2014

 

COMPARUTIONS :

Sina Ogunleye

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Kevin Doyle

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sina Ogunleye

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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