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Date : 20140430


Dossier : IMM‑1579‑13

Référence : 2014 CF 389

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2014

En présence de monsieur le juge Zinn

ENTRE :

ROBERTO ROMAN G DIAZ

 (alias ROBERTO ROMAN GUEVARRA DIAZ) ZENIROSE APPLE DIAZ

 (alias ZENIROSE APPLE ESTEBAN DIAZ) CAMERON ESTEBAN DIAZ

BARON CROSS EST DIAZ

 (alias BARON CROSS ESTEBAN DIAZ)

demandeurs

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Pour les motifs qui suivent, la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté les demandes d’asile des demandeurs au motif qu’ils n’étaient pas crédibles doit être annulée.

[2]               Les demandeurs, Roberto Roman G Diaz, son épouse, Zenirose Apple Diaz, et leurs deux enfants mineurs, Cameron Esteban Diaz et Baron Cross Est Diaz, sont citoyens des Philippines. La famille possède deux entreprises à San José, dans la province de Nueva Ecija (une entreprise de verrerie et un café Internet).

[3]               En tant que propriétaire d’entreprises, la famille a été approchée par la Nouvelle armée du peuple [NAP] pour payer une « taxe pour la révolution ». Elle s’est exécutée pendant un certain temps (2007‑2011), lorsque le montant exigé n’était que de 10 $ par jour férié. En 2011, la taxe est passée à 150 $, que la famille devait payer deux fois, en plus des montants de 10 $ par jour férié.

[4]               Un incident s’est produit lorsque trois hommes ivres sont venus au café Internet de la famille, ont détruit quelques-uns de ses ordinateurs et ont attaqué M. Diaz et son frère. C’est cet incident qui a incité la famille à s’enfuir au Canada. Elle a quitté les Philippines par crainte de la NAP et des militaires et est arrivée au Canada en 2012.

[5]               Les membres de la famille n’ont jamais signalé l’extorsion à la police parce qu’il était entendu que ce genre d’extorsion se produisait partout dans le pays et, comme la NAP était puissante, les autorités étatiques seraient incapables de les protéger. Ils craignaient aussi d’être perçus par les militaires comme étant des partisans de la NAP et d’être considérés comme des ennemis de l’État. Les oncles de Mme Diaz, qui étaient aussi des hommes d’affaires, avaient été battus et torturés par les militaires philippins, qui les soupçonnaient d’être des sympathisants de la NAP.

[6]               La Commission a rejeté leurs demandes d’asile pour des raisons de crédibilité, et plus précisément parce que :

i.                    l’incident avec les trois hommes ivres n’était pas mentionné dans le formulaire de renseignements personnels [FRP] des demandeurs;

ii.                  il n’était pas vraisemblable que la famille se soit enfuie simplement en raison de l’augmentation du montant payable à la NAP;

iii.                les affidavits de la sœur de Mme Diaz ne faisaient aucune mention de l’augmentation du montant de l’extorsion.

La Commission a estimé que les affidavits ont été « rédigés uniquement en vue de l’audience sur la demande d’asile et pour aucune autre raison. En fait, cette question est si importante dans l’examen de la demande d’asile que le Tribunal doute de la véracité de toute la preuve de la demandeure d’asile, y compris l’identité des agents de persécution ».

[7]               Premièrement, la Commission a affirmé à tort que, dans leur FRP, les demandeurs n’avaient ni relaté l’incident des trois hommes ivres vandalisant leur café Internet, ni mentionné le signalement de l’incident à la police, alors que ces éléments y sont explicitement consignés.

[8]               L’avocate du défendeur a peut-être raison de faire remarquer que la Commission voulait dire que même si l’incident des hommes ivres était mentionné dans le FRP, d’autres incidents de vandalisme (des briques lancées aux fenêtres), que les demandeurs ont décrits à l’audition, ne l’étaient pas. Cependant, ce n’est pas ce qu’a déclaré la Commission dans ses motifs, et ce ne serait que pure conjecture que d’évoquer des motifs autres que ceux que la Commission a fournis.

[9]               Deuxièmement, la Commission a estimé qu’il n’était pas vraisemblable que les demandeurs aient quitté les Philippines uniquement en raison du montant de l’extorsion. Pourtant, ce n’est pas là le seul motif du départ de la famille. Mme Diaz a témoigné ce qui suit :

[traduction]

Q. Et vous en êtes venue à cette décision pourquoi? À cause de l’exigence des 150 dollars, des 5 000 pesos?

R. Non, c’est surtout à cause des problèmes qu’ils nous ont causés à répétition.

[10]           Le témoignage de Mme Diaz était que c’étaient les problèmes, dont le premier était l’incident impliquant les hommes ivres, qui avaient précipité la fuite des demandeurs vers le Canada. Dans ses motifs, la Commission fait abstraction du témoignage de Mme Diaz et attribue de façon inéquitable la fuite de la famille à l’augmentation du montant de l’extorsion, concluant du même coup que ce n’est pas là une raison vraisemblable de s’enfuir. Qui plus est, même si c’était l’augmentation de l’extorsion qui avait causé la fuite des demandeurs, la Commission n’étaye aucunement sa conclusion selon laquelle ces actes étaient peu plausibles. À maintes reprises, notre Cour a fait des mises en garde contre de telles conclusions et a précisé qu’on ne peut conclure à l’invraisemblable que dans les cas les plus évidents : Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] ACF no 1131 (QL); voir aussi Ismaili c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 84, [2014] ACF no 78 (QL), au paragraphe 21. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[11]           Troisièmement, la Commission a noté que l’affidavit de la sœur de Mme Diaz n’était pas crédible au motif qu’il avait été « rédigé uniquement en vue de l’audience sur la demande d’asile ». Pourtant, la Commission ne tient aucunement compte des affidavits des oncles de Mme Diaz, qui corroborent le traitement que réservent les militaires aux sympathisants de la NAP. Qui plus est, comme le font observer les demandeurs, c’est une erreur que de tirer une inférence négative en fonction de ce qu’un document ne dit pas, alors que rien dans le document ne vient contredire ce qui déjà été dit dans les témoignages : Njeru c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1281, 358 FTR 160, au paragraphe 73. L’affidavit de la sœur de Mme Diaz ne contenait aucune contradiction avec une autre preuve. La conclusion de la Commission touchant la crédibilité de l’affidavit de la sœur de Mme Diaz est donc déraisonnable, tout comme le fait de ne tenir aucunement compte des affidavits des oncles de Mme Diaz.

[12]           En résumé, la conclusion de la Commission fondée sur la crédibilité est déraisonnable. Il ressort clairement des transcriptions de l’audience qu’une erreur a été commise dans la décision qui touche à la crédibilité, que la conclusion d’invraisemblance rattachée à l’affidavit de la sœur de Mme Diaz n’était pas acceptable en droit et que l’omission de prendre en compte les affidavits des oncles de Mme Diaz était déraisonnable. En conséquence, la décision à laquelle la Commission est parvenue est déraisonnable et doit être annulée.

[13]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE ce qui suit : la présente demande est accueillie, la décision par laquelle la Commission a rejeté les demandes d’asile des demandeurs est annulée, les demandes d’asile sont renvoyées à un autre commissaire de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision, et aucune question n’est certifiée.

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

                                                            IMM-1579-13

INTITULÉ :

ROBERTO ROMAN G DIAZ ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 10 AVRIL 2014

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE ZINN

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 30 AVRIL 2014

COMPARUTIONS :

Belinda Bozinovski

POUR LES DEMANDEURS

 

Tessa Cheer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bozinovski, Barristers & Solicitors

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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