Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140401


Dossier :

T‑997‑09

 

Référence : 2014 CF 307

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er avril 2014

En présence de madame la juge Gleason

 

ENTRE :

R. MAXINE COLLINS

 

demanderesse

et

SA MAJESTÉ LA REINE

 

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s’agit de deux requêtes en recours sommaire. La demanderesse, Mme R. Maxine Collins, cherche à obtenir un jugement sommaire conformément aux articles 213 à 215 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles]. Quant à la défenderesse, elle sollicite un procès sommaire ainsi qu’un jugement sommaire lui donnant gain de cause conformément aux articles 213 et 216 des Règles.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je rejette la requête en jugement sommaire de la demanderesse et j’accueille la requête en procès sommaire de la défenderesse. J’ai aussi décidé de donner gain de cause à la défenderesse; par conséquent, la présente action est rejetée, avec dépens.

 

CONTEXTE

[3]               Mme Collins a travaillé à l’Agence du revenu du Canada [ARC] de novembre 2005 à novembre 2007, au Bureau des services fiscaux de Toronto‑Ouest [BSFTO]. Elle allègue qu’au cours du premier semestre de 2006, son chef d’équipe, Rickaye Low, de même que plusieurs collègues de son équipe de vérification ont formulé des commentaires au sujet d’une faillite personnelle. Étant donné qu’elle avait déjà subi une faillite personnelle, Mme Collins a compris de ces commentaires que ces personnes avaient consulté illégalement ses données fiscales personnelles à partir des systèmes de l’ARC, en contravention de l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) [Loi de l’impôt sur le revenu]. Elle a donc demandé, en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P‑21, la liste de tous les employés de l’ARC qui avaient consulté ses renseignements fiscaux personnels entre le 1er janvier 2005 et juillet 2006. L’ARC a donné suite à cette demande et lui a transmis un rapport indiquant tous les accès à son dossier. Le rapport et les enquêtes ultérieures de l’ARC ont permis d’établir qu’un employé de l’ARC, Perry Zanetti, avait en effet consulté sans autorisation les renseignements fiscaux personnels de Mme Collins. Il a par la suite été congédié de l’ARC à cause de ce comportement.

 

[4]               Cependant, Mme Collins n’était pas satisfaite du résultat parce que M. Zanetti ne faisait pas partie de son équipe de vérification au BSFTO et qu’il n’avait eu aucun contact avec les membres de cette dernière. Elle était convaincue que des membres de son équipe de vérification avaient aussi consulté ses renseignements personnels. Elle a demandé que l’ARC effectue une enquête interne sur la question. Jim Stathakos, directeur adjoint intérimaire de la vérification au BSFTO, a été chargé d’enquêter sur la plainte. L’enquête a permis d’établir qu’aucun autre employé du BSFTO, à l’exception de M. Zanetti, n’avait consulté sans autorisation les renseignements fiscaux personnels de Mme Collins.

 

[5]               Par la suite, Mme Collins a demandé qu’une enquête sur cette affaire soit menée par la Gendarmerie royale du Canada [GRC], le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada [CPVP] et le Commissariat à l’intégrité du secteur public du Canada [Intégrité du secteur public Canada – ISPC]. Aucune de ces demandes n’a débouché sur la production d’un rapport final et aucune de ces organisations n’a trouvé d’éléments de preuve supplémentaires relatifs à des accès non autorisés, autres que ceux qu’avait obtenus M. Zanetti.

 

[6]               Mme Collins allègue qu’à cause de ces enquêtes, elle a commencé à être harcelée au travail. Elle a demandé à de nombreuses reprises une mutation dans d’autres bureaux de l’ARC. Une mutation au bureau de London, en Ontario, lui a été offerte, mais elle l’a refusée. Elle a aussi refusé un poste au centre d’appels du bureau de Toronto‑Centre. Elle a cependant accepté une mutation latérale temporaire à la Division des appels de l’ARC.

 

[7]               Mme Collins allègue qu’elle a malgré tout continué d’être victime de harcèlement au travail. Le 14 septembre 2007, elle s’est mise en colère et a mis fin à l’entretien qu’elle avait avec Anuradha Marisetti, directeur du BSFTO. Le 6 novembre 2007, Mme Collins a démissionné.

 

HISTORIQUE DES PROCÉDURES

[8]               La présente instance découle d’une longue série de procédures.

 

[9]               Le 23 juin 2009, Mme Collins, qui agissait pour son propre compte, a déposé une déclaration contre la défenderesse en vue d’un éventuel recours collectif; elle y faisait état d’une faute dans l’exercice d’une charge publique, de négligence et de violations de la Charte canadienne des droits et libertés. La Cour a suspendu l’instance jusqu’à ce qu’elle soit représentée par un avocat, comme l’exige l’article 121 des Règles. Sa requête en appel de cette ordonnance a été rejetée. Mme Collins a toutefois obtenu la permission de modifier sa déclaration pour présenter la demande en son propre nom.

 

[10]           Le 14 septembre 2009, Mme Collins a déposé sa déclaration modifiée. La défenderesse a par la suite déposé une requête en radiation de la déclaration et, le 5 mars 2010, ma collègue la juge Heneghan a radié la déclaration modifiée, concluant qu’elle ne contenait aucune cause raisonnable d’action. L’appel interjeté a été rejeté par la Cour d’appel fédérale, laquelle a toutefois clarifié l’ordonnance de la juge Heneghan en précisant que Mme Collins était autorisée à modifier de nouveau sa déclaration pour alléguer uniquement le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique (voir Collins c R, 2011 CAF 140, 201 ACWS (3d) 35).

 

[11]           Le 7 juillet 2011, Mme Collins a déposé une autre version de sa déclaration modifiée dans laquelle son allégation principale vise l’ARC. Elle soutient que des employés de l’ARC ont eu accès de façon non appropriée à son dossier de contribuable, sans autorisation, en contravention de l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Elle allègue que cet accès non autorisé était illégal et que les renseignements ainsi obtenus ont été utilisés par des employés de l’ARC pour la harceler et l’embarrasser, ce qui constitue une faute dans l’exercice d’une charge publique.

 

[12]           La version modifiée de la déclaration modifiée contient aussi des allégations contre des membres de la GRC et des employés du ministère de la Justice qui, selon Mme Collins, auraient illégalement informé des employés de l’ARC de sa plainte déposée à la GRC, ce qui constitue une violation du « privilège relatif aux indicateurs de police », soit un acte malicieux visant la personne qui a fait la dénonciation. Mme Collins allègue aussi que Wayne Watson, autrefois sous‑commissaire d’ISPC, a commis une faute en refusant d’ouvrir une enquête sur ses plaintes relatives à l’ARC.

 

[13]           Le 31 octobre 2011, la défenderesse a déposé et signifié sa défense relative à la version modifiée de la déclaration modifiée, dans laquelle elle nie l’existence de tout comportement illégal de la part de l’ARC, de la GRC, du ministère de la Justice, d’ISPC ou de l’un quelconque de leurs employés, et soutient que, quoi qu’il en soit, Mme Collins n’a subi aucun préjudice résultant des comportements allégués. Mme Collins a déposé une réponse le 3 novembre 2011.

 

[14]           Le 13 décembre 2011, Mme Collins a déposé un avis de requête en jugement sommaire. Le 20 décembre 2011, la défenderesse a déposé une requête dans laquelle elle sollicitait un procès sommaire (la requête en procès sommaire). La défenderesse a déposé, le 11 janvier 2012, un dossier de requête en réponse à la requête en jugement sommaire de Mme Collins. Dans une ordonnance datée du 23 janvier 2012, mon collègue le juge Rennie a reporté indéfiniment l’audition de la requête en jugement sommaire de Mme Collins et a ordonné qu’elle soit instruite en même temps que la requête en procès sommaire de la défenderesse.

 

[15]           Le 9 mars 2012, la défenderesse a présenté une requête en vue de déposer confidentiellement l’affidavit d’un de ses déposants dans le cadre d’une requête sommaire, soit Pierre Léveillé, enquêteur principal à l’ARC, qui aurait eu comme pièce jointe un rapport d’enquête exposant en détail l’enquête relative à la plainte de Mme Collins. La défenderesse a demandé que seule la Cour puisse consulter le rapport et non Mme Collins parce que le rapport contient des renseignements confidentiels et que la défenderesse craignait que Mme Collins en rende le contenu public.

 

[16]           Dans une ordonnance datée du 5 avril 2012, le protonotaire Aalto a ordonné que l’affidavit de M. Léveillé et le rapport y annexé à titre de pièce soient déposés de façon confidentielle, mais qu’une copie de ces documents soit signifiée à Mme Collins après que cette dernière aura signé l’engagement écrit de s’abstenir d’en faire des copies, de les rendre publics ou d’en diffuser le contenu de quelque façon que ce soit et de les utiliser, sauf aux fins de la présente action. Mme Collins a refusé de signer cet engagement. Par conséquent, la défenderesse n’a pas déposé le rapport d’enquête. Elle a plutôt déposé les affidavits de Pierre Léveillé, de Rob Coelho, de Susan Pattison et Jim Stathakos, dont certains sont annexés aux saisies des pistes de vérification de l’ARC produites par suite de la plainte de Mme Collins, et d’autres qui résument l’enquête de l’ARC. Cette enquête a permis de conclure que M. Zanetti était la seule personne qui avait consulté les renseignements fiscaux de Mme Collins sans autorisation.

 

[17]           À l’audience que je présidais le 26 septembre 2013, Mme Collins a demandé l’autorisation d’enregistrer l’audience. Cependant, elle a déclaré que ses inquiétudes relatives à l’obtention d’une transcription seraient aplanies si la Cour ordonnait que des copies de la transcription officielle soient remises à la fois à Mme Collins et à la défenderesse. J’ai rendu une ordonnance en ce sens.

 

[18]           Mme Collins a ensuite présenté deux requêtes orales préliminaires. La première visait l’obtention d’une ordonnance portant que la défenderesse ne pouvait pas présenter sa requête en procès sommaire parce qu’elle avait déjà déposé une requête en radiation de certains paragraphes de la version modifiée de la déclaration modifiée. J’ai conclu que la défenderesse n’avait pas, dans les faits, déposé une requête en radiation de paragraphes des actes de procédure de Mme Collins. Par conséquent, j’ai rejeté la première requête.

 

[19]           Dans sa seconde requête orale, Mme Collins a soutenu que la défenderesse ne pouvait pas déposer une requête en procès sommaire parce qu’elle n’avait pas encore déposé d’affidavits de documents et que les interrogatoires préalables n’avaient pas encore été effectués. J’ai rendu une seconde décision orale et j’ai conclu que l’article 213 des Règles n’exige pas que des interrogatoires aient eu lieu avant l’instruction d’une requête sommaire. J’ai donc rejeté aussi la seconde requête de Mme Collins. Un extrait de la transcription des motifs donnés oralement sur ces deux requêtes figure à l’annexe « A » du présent jugement.

 

[20]           Mme Collins a aussi soulevé des objections préliminaires quant à certains éléments de la preuve soumise par la défenderesse. Plus précisément, elle a soutenu que diverses portions des affidavits de Jim Stathakos, de Pierre Léveillé, de Susan Pattison, de Rob Coelho, de Rickaye Low et d’Anuradha Marisetti étaient inadmissibles. J’ai ajourné l’instruction des requêtes en recours sommaire parce que je ne disposais pas de suffisamment de temps pour les instruire sur le fond, à cause des requêtes préliminaires déposées par Mme Collins. Dans mon ordonnance du 11 octobre 2013, j’ai conclu que certaines portions des affidavits de Pierre Léveillé, de Rob Coelho, de Jim Stathakos et d’Anuradha Marisetti étaient inadmissibles et que je n’en tiendrais pas compte dans le cadre de l’instruction des requêtes en recours sommaire en instance.

 

[21]           J’ai instruit les requêtes sur le fond le 21 novembre 2013. Avant de présenter ses arguments sur le fond, Mme Collins a demandé de nouveau l’autorisation d’enregistrer l’audience au moyen de son enregistreur, malgré le fait qu’à l’audience du 26 septembre 2013 j’avais déjà accepté de remettre aux parties une copie de la transcription, sans frais pour ces dernières. J’ai rejeté la demande de Mme Collins d’effectuer un enregistrement personnel et j’ai ordonné au sténographe de la Cour de remettre aux deux parties une copie certifiée de la transcription officielle. Un extrait de la transcription de ma décision orale relative à cette demande figure à l’annexe « B » du présent jugement.

 

ANALYSE

Délit de faute dans l’exercice d’une charge publique

[22]           Avant d’aborder les questions soulevées par les requêtes en recours sommaire, il convient de passer en revue le droit pertinent relatif au délit de faute dans l’exercice d’une charge publique.

 

[23]           Dans Succession Odhavji c Woodhouse, 2003 SC 9, [2003] RCS 263 [Odhavji], le juge Iacobucci souligne l’existence de deux catégories de ce délit : « On retrouve dans la catégorie A la conduite qui vise précisément à causer préjudice à une personne ou à une catégorie de personnes [et] [l]a catégorie B met en cause le fonctionnaire public qui agit en sachant qu’il n’est pas habilité à exécuter l’acte qu’on lui reproche et que cet acte causera vraisemblablement préjudice au demandeur » (Odhavji, au paragraphe 22). Dans chaque cas, la faute dans l’exercice d’une charge publique se caractérise par une insouciance délibérée à l’égard d’une fonction officielle et la connaissance du fait que l’inconduite sera vraisemblablement préjudiciable au demandeur. Donc, pour démontrer l’existence du délit, un demandeur doit prouver l’existence de deux éléments :

1.            Le fonctionnaire a agi de façon délibérée et illégale en tant que fonctionnaire public.

2.            Le fonctionnaire public savait que son comportement était illégal et serait vraisemblablement préjudiciable au demandeur (Odhavji, au paragraphe 23).

 

[24]           Pour démontrer l’existence d’un délit de catégorie B, il faut faire la preuve indépendante des deux éléments. En ce qui a trait à la catégorie A, « le fait que le fonctionnaire public ait agi expressément dans l’intention de léser le demandeur suffit pour établir l’existence de chaque élément du délit, étant donné qu’un fonctionnaire public n’est pas habilité à exercer ses pouvoirs à une fin irrégulière » (Odhavji, au paragraphe 23). Le demandeur doit aussi satisfaire aux exigences de preuve qui s’appliquent à tous les délits, soit que les préjudices subis ont pour cause juridique la conduite délictueuse et que ces préjudices sont indemnisables suivant les règles de droit en matière délictuelle (Odhavji, au paragraphe 32).

 

[25]           Gardant ces éléments à l’esprit, je vais instruire sur le fond la requête en jugement sommaire de Mme Collins et la requête en procès sommaire de la défenderesse.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[26]           Voici les questions en litige relativement à ces requêtes en recours sommaire :

1.               La demanderesse a-t-elle démontré qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse, de sorte qu’un jugement sommaire lui donnant gain de cause doit être rendu?

2.               La défenderesse a-t-elle démontré que la présente instance se prête à un procès sommaire et, dans l’affirmative, la Cour devrait-elle rendre un jugement lui donnant gain de cause?

 

Requête en jugement sommaire : La demanderesse a-t-elle démontré qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse, de sorte qu’un jugement sommaire lui donnant gain de cause doit être rendu?

[27]           Pour les motifs ci-après, je conclus que Mme Collins n’a pas droit à un jugement sommaire. Par conséquent, sa requête est rejetée.

 

Principes applicables aux requêtes en jugement sommaire

[28]           Les principes pertinents sont bien établis et ils ne sont pas contestés. Aux termes du paragraphe 213(1) des Règles, une partie peut présenter une requête en jugement sommaire à l’égard de l’ensemble ou d’une partie des questions soulevées dans les actes de procédure à tout moment après le dépôt de la défense du défendeur, mais avant que l’heure, la date et le lieu de l’instruction soient fixés. La Cour peut accueillir une requête en jugement sommaire uniquement s’il n’existe pas de véritable question litigieuse à instruire (voir p. ex. le paragraphe 215(1) des Règles; Nautical Data International, Inc c C‑Map USA Inc, 2012 CF 300, au paragraphe 10, 407 FTR 175 [Nautical Data]; Canada (Procureur général) c Lamenan, 2008 CSC 14, aux paragraphes 10‑11, [2008] 1 RCS 372 [Lamenan]; Granville Shipping Co c Pegasus Lines Ltd SA, [1996] 2 CF 853, 111 FTR 189 (TD) au paragraphe 8 [Granville]; Premakumaran c Canada, 2006 CAF 213, au paragraphe 8, 270 DLR (4th) 440 [Premakumaran]; Society of Composers, Authors & Music Publishers of Canada c Maple Leaf Sports & Entertainment Ltd, 2010 CF 731, au paragraphe 16, 191 ACWS (3d) 92 [SOCAN]).

 

[29]           Il n’existe pas de critère absolu sur l’opportunité de rendre ou non un jugement sommaire, mais la Cour doit se demander si les arguments sont tellement faibles ou de toute évidence dénués de tout fondement qu’ils ne méritent pas d’être examinés dans le cadre d’un procès (voir p. ex. Nautical Data, au paragraphe 10; Granville, au paragraphe 8; Lamenan, au paragraphe 8).

 

[30]           Dans le cadre d’une requête en jugement sommaire, le rôle de la Cour ne consiste pas à trancher des questions de fait à l’égard desquelles il existe un véritable différend (SOCAN, aux paragraphes 15-16). Cependant, la Cour peut fonder sa décision sur les actes de procédure et les éléments de preuve et il lui est loisible de tirer des inférences des faits non contestés dont elle est saisie (Lamenan, au paragraphe 11). La Cour peut aussi trancher des questions de fait et de droit si elle est en mesure de le faire à partir des éléments portés à sa connaissance (Granville, au paragraphe 8).

 

[31]           Il incombe à la partie requérante de démontrer qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse et qu’elle a par conséquent droit à un jugement sommaire. À cet égard, la partie requérante n’est pas tenue de faire la preuve de tous les faits en cause, mais elle ne peut pas non plus se contenter de s’appuyer sur de simples allégations. La partie requérante doit « présenter ses meilleurs arguments » afin de permettre à la Cour de décider s’il existe une question qui doit faire l’objet d’un procès (Lamenan, au paragraphe 11; voir aussi Trevor Nicholas Construction Co c Canada (Ministre des Travaux publics), 2011 CF 70, au paragraphe 44, 328 DLR (4th) 665; Paszkowski c Canada (Procureur général), 2006 CF 198, au paragraphe 38, 287 FTR 116). En fait, la Cour est justifiée de tenir pour acquis que si l’affaire était instruite, aucune preuve additionnelle ne serait déposée par la partie requérante (Rude Native Inc c Tyrone T Resto Lounge, 2010 CF 1278, au paragraphe 16, 195 ACWS (3d) 1128).

 

Observations des parties

[32]           Mme Collins soutient que la défenderesse n’a pas fourni une véritable défense, soit une autre version des faits qui contredit la sienne. En effet, la défenderesse n’a fait que nier certains faits. Elle en déduit que la défenderesse ne dispose pas d’éléments de preuve crédibles pour réfuter les faits qu’elle a allégués dans la version modifiée de sa déclaration modifiée. À ce titre, elle soutient que ces faits doivent être présumés vrais et, par conséquent, permettre de conclure à l’existence du délit de faute dans l’exercice d’une charge publique.

 

[33]           La défenderesse soutient que sa défense est bien étayée et adéquate parce qu’elle contient la dénégation de toutes les allégations de fond formulées par Mme Collins. Elle soutient qu’elle n’a pas, en tant que défenderesse, à soumettre un scénario de rechange étant donné que c’est à Mme Collins qu’il incombe de démontrer la validité de chacune des allégations qu’elle a formulées. La défenderesse soutient que Mme Collins n’a déposé aucune preuve convaincante selon laquelle elle a droit à un jugement sommaire et que, par conséquent, la requête en jugement sommaire de cette dernière doit être rejetée.

 

Dispositif

[34]           Je suis d’accord avec la défenderesse. Il incombe en effet à Mme Collins de démontrer la validité des allégations qu’elle formule dans ses actes de procédure. La défenderesse n’est pas tenue de démontrer que lesdites allégations sont fausses et il est tout à fait possible qu’une défense soit composée de dénégations. En effet, un défendeur ne doit invoquer d’autres faits que s’il a l’intention d’en démontrer la véracité ou qu’il veut présenter sa version des faits (voir p. ex. l’alinéa 183b) des Règles; Sim c Canada (1996), 112 FTR 147, 63 ACWS (3d) 425 (TD)). Mme Collins n’a pas bien saisi le fardeau qui incombe à la partie qui présente une requête en jugement sommaire, soit le fardeau auquel elle devait satisfaire.

 

[35]           La preuve soumise par Mme Collins relativement à la présente requête, qui doit être considérée comme ses meilleurs arguments, ne contient qu’un bref affidavit souscrit par elle le 13 décembre 2011, accompagné de six pièces. Aucun de ses éléments de preuve ne démontre qu’un fonctionnaire public s’est livré à une conduite délibérée et illégale en tant que fonctionnaire public. La preuve de la défenderesse révèle que la seule personne qui a eu un rôle à jouer dans la consultation non autorisée des renseignements fiscaux personnels de Mme Collins est M. Zanetti. Elle ne démontre toutefois pas que ledit accès non autorisé était « illégal » dans le contexte d’un délit. Elle ne démontre pas non plus que M. Zanetti était un « fonctionnaire public » ou, s’il l’avait été, qu’il s’était livré au comportement visé en tant que fonctionnaire public. De plus, la preuve ne démontre pas que M. Zanetti savait que son comportement serait vraisemblablement préjudiciable à Mme Collins. Ajoutons qu’il n’existe aucun élément de preuve relatif à des agissements fautifs de la part d’employés du ministère de la Justice, de la GRC, d’ISPC ou de M. Watson. 

 

[36]           En résumé, la preuve est loin de démontrer que l’existence d’un délit de faute dans l’exercice d’une charge publique est tellement bien établie qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse. Je conclus donc que la requête en jugement sommaire de Mme Collins doit être rejetée.

 

[37]           Cependant, ce faisant, je ne conclus pas non plus qu’il existe une véritable question litigieuse en l’espèce, mais uniquement que Mme Collins n’a pas réussi à en démontrer suffisamment l’absence et que je dois donc accueillir sa demande de recours sommaire. La question de savoir si le recours sommaire doit plutôt être accordé à la défenderesse fait l’objet de la prochaine section des présents motifs.

 

Requête en procès sommaire : La défenderesse a-t-elle démontré que la présente instance se prête à un procès sommaire et, dans l’affirmative, la Cour devrait-elle rendre un jugement lui donnant gain de cause?

[38]           Pour les motifs ci‑après, je conclus que la défenderesse a établi que la présente affaire peut faire l’objet d’un procès sommaire et, de plus, qu’elle a droit à un jugement qui lui donne gain de cause. 

 

Principes applicables aux procès sommaires

[39]           Les dispositions relatives aux procès sommaires ont été ajoutées aux Règles en 2009. Il incombe à la partie requérante de démontrer que la tenue d’un procès sommaire est appropriée (Teva Canada Ltd c Wyeth LLC, 2011 CF 1169, au paragraphe 35, 99 CPR (4th) 398, décision infirmée pour d’autres motifs dans 2012 CAF 141, 431 NR 342).

 

[40]           Lorsqu’il décide si un procès sommaire est approprié, le juge peut tenir compte notamment des éléments suivants : les montants en jeu; la complexité de l’affaire; le coût d’un procès classique au regard des montants en jeu; l’état de l’instance; la question de savoir si le litige est prolongé; la question de savoir si la crédibilité est un enjeu fondamental; la nature urgente de l’affaire; le risque important de gaspillage d’efforts et d’énergie; la possibilité que le procès sommaire ait pour effet de morceler le litige (voir p. ex., Bosa c Canada, 2013 CF 793, au paragraphe 22, 230 ACWS (3d) 425 [Bosa]; Tremblay c Orio Canada Inc, 2013 CF 109, au paragraphe 24, 230 ACWS (3d) 850 [Tremblay]).

 

[41]           Lorsque la Cour estime qu’une affaire peut être instruite dans le cadre d’un procès sommaire, elle doit instruire l’affaire sur le fond dans le cadre de la même requête (voir p. ex., Bosa; Tremblay).

 

Observations des parties

[42]           La défenderesse soutient que le procès sommaire est approprié en l’espèce parce que la faute alléguée concerne essentiellement la divulgation des renseignements fiscaux personnels de Mme Collins par M. Zanetti et qu’il existe de nombreux éléments de preuve au dossier relativement à cet événement. La défenderesse ajoute que Mme Collins, pour sa part, a présenté les éléments qui devraient être considérés comme ses meilleurs éléments de preuve, qui ne peuvent pourtant ni étayer son allégation de faute ni démontrer l’existence d’un préjudice indemnisable. Par conséquent, étant donné que la preuve de la défenderesse non contredite (sauf les allégations non étayées de Mme Collins), la défenderesse fait valoir que la Cour est en mesure de trancher l’affaire par voie de procès sommaire.

 

[43]           En ce qui concerne le fond du procès sommaire, la défenderesse soutient qu’il est impossible de démontrer l’existence d’un délit de faute de catégorie A ou de catégorie B. La preuve révèle en effet que M. Zanetti n’a pas diffusé les renseignements fiscaux personnels de Mme Collins. Même si ces renseignements avaient été diffusés, la preuve démontre que M. Zanetti ne ciblait pas Mme Collins, qu’il n’entretenait aucune animosité à son égard et qu’il ne savait pas que cette action causerait vraisemblablement un préjudice à la défenderesse. Dans le cadre de ses observations orales, la défenderesse s’est concentrée sur l’argument selon lequel la consultation non autorisée des données, fait que M. Zanetti a reconnu, n’était pas la cause juridique du préjudice qu’aurait subi Mme Collins. La défenderesse soutient que dans la mesure où Mme Collins a l’impression que ses supérieurs n’ont pas correctement traité le problème allégué de harcèlement au travail, elle aurait dû chercher à obtenir réparation au moyen de la procédure de règlement des griefs et non en recourant aux tribunaux.

 

[44]           En ce qui a trait aux plaintes de Mme Collins contre la GRC, l’avocat du ministère de la Justice et M. Watson d’ISPC, la défenderesse soutient qu’elles doivent être rejetées parce que la version modifiée de la déclaration modifiée ne fait pas état d’une cause d’action contre ces personnes et que Mme Collins n’a présenté aucun élément de preuve relatif au comportement délictueux allégué qu’elle leur attribue.

 

[45]           De son côté, Mme Collins conteste l’admissibilité de certaines portions de la preuve soumise par la défenderesse. Cependant, ces problèmes relatifs à la preuve ont été réglés par mon ordonnance du 11 octobre 2013 et, par conséquent, ils ne font plus partie des questions de fond en l’espèce. En ce qui a trait aux objections de Mme Collins concernant le rapport confidentiel de M. Léveillé, la défenderesse ne l’a pas incorporé à l’affidavit de M. Léveillé; par conséquent, cette question ne revêt plus qu’un caractère théorique.

 

[46]           Mme Collins soutient que la présente affaire ne peut pas faire l’objet d’un procès sommaire parce que des questions de crédibilité sont en jeu et qu’un procès sommaire aurait pour effet de morceler le litige parce que la défenderesse n’a pas abordé les questions de la violation par la GRC et le ministère de la Justice du privilège relatif aux indicateurs de police ou la faute de M. Watson.

 

[47]           Dans ses observations orales, Mme Collins a contesté le fait que M. Zanetti ait été la seule personne qui a eu accès à son compte sans autorisation, soutenant que les rapports de vérification à ce sujet avaient été modifiés. Elle continue de soutenir que la seule façon de démontrer qu’elle dit la vérité consiste à procéder à des interrogatoires, de sorte qu’un procès sommaire ne convient pas en l’espèce.

 

Dispositif

[48]           L’examen des facteurs pertinents révèle qu’un procès sommaire convient en l’espèce. Le montant en jeu ne joue pas un rôle déterminant dans un sens ou dans l’autre. La question n’est pas très complexe parce que le droit relatif au type de faute en cause est bien établi et que les questions de fait relatives à la question de savoir si l’existence d’un délit a été bien établie ne comportent aucune ambiguïté en l’espèce. En ce qui a trait au déroulement de l’instance et à l’ampleur des questions litigieuses, l’instance traîne depuis de nombreuses années et aucune décision sur le fond n’a encore été rendue; il serait donc dans l’intérêt de la justice de trancher l’affaire le plus rapidement possible, ce qui milite aussi en faveur de la tenue d’un procès sommaire. La crédibilité n’est pas un facteur central étant donné que Mme Collins a eu l’occasion de procéder à des contre-interrogatoires écrits des déposants de la défenderesse et que les réponses fournies ne soulèvent aucun problème de crédibilité. Enfin, la tenue d’un procès sommaire ne comporterait pas le risque de gaspillage de temps et d’efforts ni ne risquerait de morceler le litige, étant donné que la requête en jugement sommaire de Mme Collins a été instruite en même temps; le dossier contient donc les éléments qui devraient être considérés comme les meilleurs arguments des deux parties.

 

[49]           Mme Collins soutient qu’un procès sommaire l’empêcherait de procéder à un interrogatoire préalable et à un contre-interrogatoire complet, qui lui permettraient peut‑être de prouver sa version des événements. Cependant, cette assertion est incompatible avec le fait qu’elle a déposé une requête en jugement sommaire. De plus, elle a effectué des contre-interrogatoires écrits de quatre des neuf déposants de la défenderesse et elle aurait pu demander d’autres contre-interrogatoires si elle l’avait voulu.

 

[50]           Par conséquent, le procès sommaire est approprié en l’espèce.

 

[51]           Pour ce qui est maintenant du fond du procès sommaire lui-même, comme nous l’avons déjà vu, Mme Collins doit faire la preuve suivante pour démontrer l’existence du délit de faute dans l’exercice d’une charge publique :

1.            Le fonctionnaire public a agi de manière illégitime et délibérée en tant que fonctionnaire public.

2.            Le fonctionnaire public était conscient non seulement du caractère illégitime de sa conduite, mais aussi de la probabilité de préjudice à l’égard du demandeur.

3.            La causalité.

4.            Les dommages subis.

 

La consultation non autorisée des données par M. Zanetti

[52]           Dans le cadre de l’enquête de M. Stathakos, la Division des affaires internes et de la prévention de la fraude [DAI] de l’ARC a produit des saisies de pistes de vérification concernant les accès aux renseignements fiscaux de Mme Collins [les pistes de vérification de la DAI], qui constituent l’annexe « A » de l’affidavit de Susan Pattison. Cette pièce contient un relevé des employés de l’ARC qui ont eu accès aux renseignements fiscaux de Mme Collins au cours de la période en cause. La preuve révèle que parmi les centaines de consultations des renseignements fiscaux de Mme Collins, la seule qui n’était pas autorisée au BSFTO avait été effectuée par M. Zanetti (affidavit de Mme Pattison, pièce « C »; affidavit de M. Coelho, au paragraphe 9; affidavit de M. Stathakos, au paragraphe 13). Selon les pistes de vérification de la DAI, M. Zanetti a consulté le compte de Mme Collins le 12 juin 2005, entre 13 h 35 et 13 h 41.

 

[53]           Concernant ces consultations non autorisées, M. Zanetti a déclaré qu’à l’époque où il était un employé de l’ARC, il consultait les dossiers fiscaux de collègues et d’autres contribuables [traduction] « par pure curiosité » (affidavit de M. Zanetti, au paragraphe 7). Il affirme qu’il savait que ces agissements étaient contraires à la politique de l’ARC; c’est pourquoi il le faisait secrètement et qu’il ne transmettait ces renseignements à personne (affidavit de M. Zanetti, au paragraphe 9). En ce qui a trait à sa consultation non autorisée des renseignements fiscaux de Mme Collins, M. Zanetti déclare au paragraphe 10 de son affidavit qu’il ne se rappelle pas avoir eu accès au compte de cette dernière et qu’il ne se souvient d’aucun renseignement particulier à son sujet, comme des renseignements relatifs d’une faillite. Au paragraphe 15, il affirme n’avoir transmis à personne des renseignements au sujet de Mme Collins. Cette affirmation est corroborée au paragraphe 15 de l’affidavit de Jim Stathakos, responsable de l’enquête sur la conduite de M. Zanetti. Étant donné que Mme Collins a choisi de ne pas contre-interroger M. Zanetti au sujet de son affidavit, cette preuve n’est pas contestée.

 

[54]           La preuve montre donc que M. Zanetti consultait déjà depuis un certain temps les dossiers de contribuables par simple curiosité (une pratique qui a entraîné son congédiement), mais qu’il ne visait pas particulièrement Mme Collins, qu’il ne se rappelle même pas avoir consulté les renseignements relatifs à cette dernière, qu’il n’a conservé aucun renseignement qu’il aurait pu obtenir à son sujet et qu’il n’a transmis aucun des renseignements sur cette dernière à quiconque. Je conclus que M. Zanetti se savait pas que son comportement causerait vraisemblablement un préjudice à Mme Collins. Donc, en ce qui concerne M. Zanetti, il n’est pas satisfait au second élément du délit à l’égard de la faute de catégorie B. C’est aussi le cas pour la faute de catégorie A, étant donné que la preuve ne démontre pas que M. Zanetti a agi dans le but conscient de causer un préjudice à Mme Collins. En effet, il était plutôt motivé par la curiosité et, selon la preuve non contestée qu’il a présentée, il n’entretenait aucune animosité à l’égard de Mme Collins (affidavit de M. Zanetti, au paragraphe 11).

 

Autres employés de l’ARC

[55]           Mme Collins allègue que des membres de son équipe de vérification au BSFTO, y compris possiblement M. Low, ont aussi consulté sans autorisation ses renseignements fiscaux personnels. Cependant, cette allégation n’est pas étayée par la preuve. M. Low déclare que même si les relations professionnelles entre lui-même et Mme Collins étaient parfois difficiles, il n’avait jamais consulté les renseignements fiscaux personnels de cette dernière, n’avait jamais obtenu de renseignements personnels à son sujet de la part d’autres employés de l’ARC et n’avait jamais communiqué avec M. Zanetti (affidavit de M. Low, aux paragraphes 8, 11‑12 et 14‑15). Aucun élément des réponses à son contre-interrogatoire écrit ne met en doute la véracité de ces affirmations. Rien ne prouve non plus qu’un autre membre du BSFTO, notamment d’autres membres de l’équipe de vérification de Mme Collins, aurait consulté sans autorisation les renseignements fiscaux personnels de celle‑ci. La preuve de Mme Collins est simplement fondée sur le fait qu’elle avait entendu des collègues formuler des commentaires au sujet des faillites personnelles en général. Cette preuve ne permet nullement de démontrer que ces derniers étaient même au courant de la faillite antérieure de Mme Collins et qu’ils avaient eu accès de façon non appropriée à ses renseignements fiscaux en contravention de l’article 241 de la Loi de l’impôt sur le revenu.

 

[56]           Mme Collins soutient que les pistes de vérification de la DIA ont été corrigées afin de protéger l’ARC. Cependant, aucun élément de preuve ne vient étayer cette allégation.

 

[57]           Mme Collins remet aussi en question l’enquête de l’ARC sur les pistes de vérification de la DIA pour le motif que l’enquête avait été limitée géographiquement aux bureaux de Toronto et fait valoir que des consultations non autorisées de son dossier auraient pu être effectuées de l’extérieur de ces limites géographiques. Cependant, les pistes de vérification de la DAI énumèrent les noms des employés de l’ARC qui ont consulté le dossier de Mme Collins à partir de l’extérieur de la région de Toronto. De plus, Mme Collins n’a déposé aucun élément de preuve susceptible de démontrer qu’un ou des employés de l’ARC, à l’exception de M. Zanetti, auraient consulté son dossier de façon non appropriée.

 

[58]           Je conclus donc à l’égard des employés de l’ARC, à l’exclusion de M. Zanetti, qu’il n’est pas satisfait au premier élément du critère d’établissement du délit de faute dans l’exercice d’une charge publique parce qu’il n’existe pas la moindre preuve qu’une autre personne que M. Zanetti aurait consulté de façon non autorisée les renseignements fiscaux personnels de Mme Collins. Cette dernière espère qu’elle pourrait peut-être découvrir lesdits éléments de preuve dans le cadre d’un interrogatoire préalable, mais il ne s’agit pas d’un motif suffisant pour empêcher la Cour d’accueillir la requête de la défenderesse.

 

GRC, ministère de la Justice et M. Watson

[59]           Mme Collins allègue que la GRC et le ministère de la Justice ont violé le « privilège relatif aux indicateurs de police » en divulguant l’existence de sa plainte, mais il n’en existe aucune preuve à cet égard au dossier. Son allégation selon laquelle M. Watson a retardé puis a tout simplement évité une prise de décision relativement à sa plainte à ISPC est de la même façon dénuée de tout fondement factuel au vu de la preuve. Par conséquent, en ce qui a trait à ces personnes, il n’est pas satisfait au premier élément du critère qui permet d’établir l’existence d’une faute.

 

Causalité et dommages subis

[60]           Comme j’ai conclu que personne ne s’est rendu coupable des éléments du délit de faute dans l’exercice d’une charge publique à l’égard de Mme Collins, je n’ai pas à examiner la question de la causalité et des dommages. Cela dit, j’estime comme la défenderesse que Mme Collins n’a pas non plus réussi à démontrer que le comportement de M. Zanetti (ou celui d’une autre personne) était la cause juridique d’un préjudice qu’elle aurait subi.

 

[61]           Mme Collins soutient que la cause du climat intolérable dans son milieu de travail n’est pas seulement l’unique consultation non autorisée effectuée par M. Zanetti. Elle prétend plutôt que M. Low lui a causé un préjudice en lui accordant une mauvaise note relativement à un aspect de ses évaluations de rendement, tout comme ses ex-collègues, qui, selon elle, ont aussi consulté ses renseignements personnels et l’ont harcelée, de même que la direction du BSFTO, qui n’aurait pas réussi à enquêter correctement sur ses plaintes, à mettre fin au harcèlement ou à lui offrir des mesures d’adaptation appropriées. Globalement, soutient-elle, ces événements constituent la chaîne de causalité qui a entraîné sa démission forcée.

 

[62]           Cependant, la preuve ne confirme pas cette version des événements. Premièrement, rien ne démontre que M. Low ait agi de mauvaise foi en effectuant l’évaluation du rendement de Mme Collins. Deuxièmement, comme il en a été question ci-dessus, rien ne démontre que l’un des collègues de Mme Collins au BSFTO (à l’exception de M. Zanetti) ait consulté ses renseignements personnels ou l’ait harcelée. Troisièmement, rien ne prouve que la direction du BSFTO ait été négligente de quelque façon que ce soit. En fait, la preuve révèle que la direction a mené une enquête exhaustive sur l’accès non autorisé allégué aux renseignements personnels concernant Mme Collins et a tenté à plusieurs reprises de donner suite aux demandes de mutation de cette dernière. De plus, comme le souligne la défenderesse, ce genre de plaintes doit être instruit dans le cadre du processus de règlement de griefs approprié, étant donné que les allégations de Mme Collins se situent dans le contexte d’un différend en milieu de travail.

 

[63]           Je ne suis par ailleurs pas convaincue que les simples employés de l’ARC sont des « fonctionnaires publics » dans un contexte de délit de faute dans l’exercice d’une charge publique. Cependant, cet élément n’a pas été soulevé devant moi; je n’ai donc pas à l’examiner pour statuer sur la présente requête.

 

[64]           Mme Collins n’a donc pas réussi à démontrer que la demanderesse ou un fonctionnaire a commis le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique. J’accueille donc la requête en procès sommaire de la défenderesse.

 

 

CONCLUSION

[65]           Compte tenu de ce qui précède, je rejette la requête en jugement sommaire de la demanderesse et j’accueille la requête en procès sommaire de la défenderesse. Cette dernière demande les dépens et y a droit. Ils seront calculés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III du tarif B des Règles.


JUGEMENT

 

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

1.      La requête en jugement sommaire de la demanderesse est rejetée.

2.      La requête en procès sommaire de la défenderesse est accueillie.

3.      La présente action est rejetée.

4.        La défenderesse a droit à ses dépens, lesquels seront calculés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne III du tarif B des Règles

           

 

Mary J.L. Gleason

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


Annexe « A »

 

Extrait de la transcription de l’audience dans l’affaire Maxine Collins c Sa Majesté la Reine, T‑997‑09

 

[traduction]

 

26 septembre 2013

 

Page 33, ligne 15 – Page 35, ligne 19

 

            DÉCISION :

                        LA COUR :  Selon ce que j’en retiens, la demanderesse a présenté deux requêtes orales que j’instruirai de façon préliminaire, avec le consentement de la défenderesse.

                        La première requête vise l’obtention d’une décision portant que la défenderesse ne peut pas présenter sa requête en procès sommaire parce qu’elle a déjà déposé une requête en radiation de certains paragraphes de la déclaration. La demanderesse allègue que je ne peux donc instruire sa requête en procès sommaire et que, par conséquent, sa requête en jugement sommaire doit être instruite avant la requête en procès sommaire. Cependant, aucune requête en radiation de cette nature n’a été déposée et il n’y en a aucune en instance.

                        Par conséquent, tant en ce qui concerne la requête en jugement sommaire que la requête en procès sommaire, les actes de procédure doivent être examinés tels qu’ils ont été déposés et la Cour a été saisie de l’ensemble de la déclaration de la demanderesse. Il s’ensuit donc que cette première requête de la demanderesse doit être rejetée étant donné qu’il n’y a en instance aucune requête en radiation d’une partie ou d’une autre de sa déclaration.

                        En ce qui a trait à la seconde requête, la demanderesse soutient qu’il faudrait empêcher la défenderesse de déposer une requête en procès sommaire parce que cette dernière n’a pas déposé d’affidavit de documents et qu’aucun interrogatoire préalable n’a été effectué.

                        Cependant, selon l’article 213 des Règles des Cours fédérales, il est évident qu’une requête en procès sommaire peut être déposée à tout moment après le dépôt de la défense et avant que l’heure, la date et le lieu de l’instruction aient été fixés. Par conséquent, il n’existe aucune obligation que des interrogatoires préalables aient lieu avant le dépôt et l’instruction d’une requête en procès sommaire.

                        La jurisprudence invoquée par la demanderesse, soit la décision dans l’affaire Aecon citée par la demanderesse dans ses observations, rendue en 2010 par la Cour d’appel de l’Ontario, Aecon Buildings c Stephenson Engineering Limited, 2010 ONCA 898, n’est pas pertinente en l’espèce. En effet, dans cette affaire, l’existence d’une entente n’avait pas été divulguée avant l’instruction de la requête en jugement sommaire. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce. En effet, la demanderesse a en main depuis des mois la preuve de la défenderesse.

                        La seconde requête sera par conséquent aussi rejetée. Par contre, l’absence d’interrogatoire préalable peut très bien constituer un facteur pertinent, lors de l’instruction sur le fond de ces requêtes, pour décider s’il convient ou non qu’un jugement sommaire soit prononcé ou qu’un procès sommaire soit mené. Par conséquent, la demanderesse pourrait très bien présenter ses arguments concernant cette question dans sa défense relative aux requêtes sur le fond.

                        Ces deux requêtes sont par les présentes rejetées. Étant donné qu’il ne reste aucune autre question préliminaire à examiner, nous passons maintenant aux arguments sur les deux requêtes.

                   

 

 


Annexe « B »

 

Extrait de la transcription de l’audience dans l’affaire Maxine Collins c Sa Majesté la Reine, T‑997‑09

 

 

[traduction]

 

21 novembre 2013

 

Page 13, ligne 1 – Page 16, ligne 24

 

                        LA COUR :  J’ai examiné votre

demande et je ne vais pas vous autoriser à enregistrer

la présente audience. Selon mon souvenir et mon

évaluation de la transcription de la dernière journée,

l’affaire avait été réglée à votre satisfaction par ma

décision de vous fournir une transcription sans frais,

avec copie à l’avocat de la défenderesse et une copie à

la Cour; à mon avis, cette façon de faire constitue une

solution tout à fait adéquate à ce besoin d’accès à une

transcription de l’audience.

                          La Cour de l’Ontario ne remet pas

habituellement une transcription des audiences aux

parties; dans ces circonstances, l’autorisation d’un

enregistrement audio peut parfois être justifiée.

Cependant, lorsqu’il y a une transcription, je ne vois

pas l’utilité d’un second enregistrement de l’audience.

                               Si, après avoir examiné la

transcription, vous estimez que certaines portions de

cette dernière sont inexactes, je vous demanderais de

suivre la pratique établie : communiquer avec l’avocat

de l’autre partie afin d’établir si vous pouvez vous

entendre sur le contenu de la transcription, pour

ensuite faire des observations conjointes au sténographe

judiciaire afin qu’il apporte les corrections nécessaires.

                          Selon mon expérience, les sténographes

judiciaires font le maximum pour produire des

transcriptions exactes, mais il est inévitable que des

erreurs de transcription se produisent parce que, par

exemple, nous n’articulons pas aussi clairement que

nous le devrions, ou nous baissons le ton à la fin d’une

phrase. D’où la pratique de faire corriger les

transcriptions.

                               J’ai en main une version certifiée

de la transcription qui m’a été remise et si vous

n’avez pas reçu de transcription certifiée, je

demanderai à la société chargée des transcriptions de

corriger cette omission et de vous en remettre une

copie certifiée. À partir de maintenant, nous devrions

tous recevoir des copies certifiées.

                        MME COLLINS :  Madame la juge, je

ne suis pas disposée à considérer la copie que j’ai

reçue comme une copie certifiée par la sténographe

judiciaire, à moins d’avoir eu l’occasion de la passer

en revue avec cette dernière. La société chargée des

transcriptions m’a dit que je ne pouvais pas m’adresser

directement à cette dame, de là le problème --

                     LA COUR : Mme Collins,

j’ai demandé que cette société vous remette une

copie certifiée. Vous jugerez peut-être qu’il ne s’agit

pas vraiment d’une copie certifiée, mais vous recevrez

une copie certifiée par la sténographe judiciaire

conformément à la pratique habituelle et, s’il y a un

problème, j’ai ordonné que soit suivie la procédure

que je juge appropriée, soit que vous fassiez corriger

les éventuelles erreurs. Nous procéderons de cette

façon.

                            MME COLLINS :  L’affaire est, ou

sera très bientôt, devant la Cour d’appel fédérale

parce que j’ai déposé – j’ai signifié à M. Sims une

requête demandant des directives à la Cour sur ce que

 je dois faire au sujet d’une requête -- avec une

transcription que je ne suis pas prête à déposer comme

élément de preuve – au sujet de l’instance qui s’est

déroulée parce que -- elle n’en reflète pas exactement

le contenu. Je ne reproche rien à la sténographe

judiciaire, mais je ne crois pas qu’il s’agit de la

transcription qu’elle a établie pour l’audience.

                          Il y a un autre problème – je l’ai

soulevé devant d’autres entreprises chargées des

transcriptions judiciaires, c’est que j’ai en ma

possession un subpoena délivré par la Cour de

l’Ontario à un sténographe judiciaire dans l’affaire

d’ASAP, il devait se présenter devant le tribunal et

apporter l’enregistrement original de même que la

transcription originale qu’il avait préparée.

 

                        Je pense que tout sténographe judiciaire

qui veut certifier une transcription pourrait être

convoqué par subpoena devant un tribunal afin

de déclarer sous serment l’exactitude du contenu, je

pense vraiment que – il est déplorable que les sociétés

chargées des transcriptions d’audience placent les

sténographes judiciaires dans ce genre de situation.

                                    Si elles veulent jouer ce genre de petit

jeu, elles ne devraient pas y mêler les sténographes

judiciaires. Encore une fois, Madame la juge, je vous

demanderais SVP de signer la déclaration que j’ai

remise, qui précise que la permission n’est pas

accordée; puis nous pourrions continuer l’instruction

des requêtes prévues pour aujourd’hui.

                                    LA COUR : Je ne vais pas signer

la déclaration, Mme Collins. J’ai rendu une décision

orale. Cependant, je mettrai cette décision par écrit

dans ma décision finale relative à ces questions de

sorte qu’il y en aura une trace écrite.

                        MME COLLINS : D’accord.

                        LA COUR : Vous avez ma décision et –

                        MME COLLINS: D’accord.

                        LA COUR : -- S’il vous plaît, passons à

la question suivante.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DoSSIER :

                                                            T-997-09

 

INTITULÉ :

R. MAXINE COLLINS c SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            le 26 septembre 2013 et le 21 novembre 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT  :

                                                                                                                                                                           LA JUGE GLEASON

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 1er AVRIL 2014

COMPARUTIONS :

R. Maxine Collins

 

AGISSANT POUR SON PROPRE COMPTE

 

Michael Sims

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

R. Maxine Collins

agissant pour son propre compte

Toronto (Ontario)

 

AGISSANT POUR SON PROPRE COMPTE

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.