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Date : 20140430


Dossier :

IMM-4628-13

Référence : 2014 CF 399

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2014

En présence de madame la juge Tremblay‑Lamer

ENTRE :

NAGY WAGDY MOHAMED METWALY MOBASHER

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La Cour est saisie d’une requête présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) en vue d’obtenir le contrôle judiciaire du défaut du défendeur de rendre une décision au sujet de la demande de résidence permanente au Canada présentée par le demandeur au titre de la catégorie des investisseurs. Le demandeur souhaite obtenir une ordonnance de mandamus enjoignant au défendeur de traiter la demande et de rendre une décision définitive au sujet de sa demande de résidence permanente.

I.                   LES FAITS

[2]               Le demandeur est citoyen de l’Arabie saoudite. Sa demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie des investisseurs a été reçue au Haut‑commissariat du Canada au Royaume‑Uni (HCC) le 22 mars 2010. L’épouse du demandeur et ses quatre enfants sont inclus dans la demande. Le demandeur n’a pas encore reçu de décision du défendeur.

[3]               En avril 2010, le demandeur a reçu du HCC une lettre l’informant que sa demande avait été reçue. La lettre indiquait que la période de traitement était alors estimée entre 12 et 18 mois, mais que cette estimation était basée sur les demandes en attente à ce moment‑là et que les délais de traitement pouvaient varier en fonction de l’évolution de la liste de demandes. La lettre indiquait aussi que le HCC enverrait une liste des documents exigés à retourner dans les quatre mois.

[4]               Le 1er septembre 2010, le HCC a envoyé au demandeur une lettre l’invitant à présenter le reste de ses documents justificatifs.

[5]               Le 25 novembre 2010, le HCC a reçu du demandeur le reste des documents exigés aux fins de l’examen de sa demande.

[6]               En février 2012, le consultant en immigration du demandeur a écrit au HCC pour s’informer de l’état d’avancement du dossier.

[7]               Le 8 mars 2012, le HCC a informé le demandeur que le volume des demandes s’était accru, ce qui avait une forte incidence sur le délai de traitement, que les demandes étaient traitées dans l’ordre chronologique de leur réception, et qu’[traduction] « il [était] possible qu’il faille encore quelque temps » pour traiter sa demande.

[8]               Le 10 juillet 2012, le 9 octobre 2012 et le 26 février 2013, le HCC a répondu à des demandes du consultant en immigration du demandeur en l’informant que la demande se trouvait actuellement dans une file d’attente en vue de son examen, que les délais de traitement s’allongeaient et que les délais de traitement moyens, uniquement fondés sur des moyennes, ne constituaient pas une garantie.

[9]               Le 9 juillet 2013, la demande a fait l’objet d’une sélection administrative et a été attribuée à un agent d’immigration aux fins d’examen.

A.                Les modifications législatives apportées au programme fédéral d’immigration des investisseurs

[10]           Comme il est expliqué en détail dans la décision He c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 92, aux paragraphes 4 à 9 [He], et dans les six décisions connexes dont elle fait état, le Programme d’immigration des investisseurs (PII) fédéral a fait l’objet de plusieurs modifications qui sont postérieures à la demande de résidence permanente présentée par le demandeur.

[11]           Les instructions ministérielles publiées le 26 juin 2010 indiquent que les demandes de résidence permanente d’investisseurs reçues postérieurement à l’entrée en vigueur des modifications au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement) seront traitées simultanément avec les demandes reçues et non encore traitées. Les instructions prévoient aussi une pause administrative; le défendeur cessera ainsi d’accepter les demandes d’immigration d’investisseurs jusqu’à la mise en vigueur des modifications au Règlement.

[12]           Le 1er décembre 2010, le paragraphe 88(1) du Règlement a été modifié pour faire passer de 400 000 $ à 800 000 $ le « placement » requis de la part d’un candidat investisseur.

[13]           Le bulletin opérationnel 252, publié le 2 décembre 2010, prévoit qu’en règle générale, les demandes seront traitées selon le ratio suivant : le défendeur doit traiter deux « anciennes » demandes respectant l’exigence de placement de 400 000 $ reçues avant le 1er décembre 2010 pour une nouvelle demande respectant l’exigence de placement de 800 000 $ reçue à compter du 1er décembre 2010.

[14]           Les instructions ministérielles publiées le 1er juillet 2011 fixent un plafond de 700 nouvelles demandes d’investisseurs immigrants pouvant être traitées chaque année.

[15]           Enfin, les instructions ministérielles publiées le 1er juillet 2012 établissent une deuxième pause administrative touchant l’acceptation de nouvelles demandes de la catégorie des investisseurs immigrants; cette pause est toujours en vigueur.

II.                QUESTION EN LITIGE

[16]           La question à laquelle la Cour doit répondre est celle de savoir si le délai de traitement de la présente demande de résidence permanente est plus long que ce que la nature du processus exige et si ce délai est justifié.

III.             ARGUMENTS DES PARTIES

[17]           Les parties conviennent que le critère juridique pour l’octroi d’une ordonnance de mandamus est celui énoncé dans l’arrêt Apotex Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 CF 742 (CAF), conf. par [1994] 3 RCS 1100 [Apotex]. Ce critère est bien connu et il n’est pas nécessaire de le répéter, puisque la présente affaire porte sur la nature du délai en cause.

[18]           J’ai énoncé dans la décision Conille c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 CF 33, au paragraphe 23 [Conille], le critère pour déterminer si un délai est jugé déraisonnable dans le contexte de l’immigration :

1.      le délai a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie;

2.      ni le demandeur ni son conseiller juridique n’en sont responsables;

3.      l’autorité responsable du délai ne l’a pas justifié de façon satisfaisante.

[19]           Pour sa part, le demandeur soutient que l’alinéa 3(1)f) de la Loi, qui mentionne la prise de normes uniformes et l’application d’un traitement efficace, s’applique au cas présent. Il a été reconnu que le défendeur a l’obligation publique d’examiner et de trancher les demandes d’immigration (Liang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 758, au paragraphe 25 [Liang]). Le délai dans le traitement de la demande du demandeur, qui se situe actuellement à 49 mois, est déraisonnable, car il est beaucoup plus long que ce que la nature du processus exige (Conille). Le demandeur fait observer que les seules mesures prises dans son dossier sont l’ouverture d’une enveloppe, l’acceptation en garantie du placement de 400 000 $, détenu sans intérêts, et l’attribution de son dossier à un agent plus de trois ans plus tard.

[20]           Le demandeur distingue le cas présent des faits dans l’affaire He. Alors que dans He, aucun temps de traitement estimatif n’avait été communiqué, en l’espèce, le demandeur a été informé en 2010 que le délai de traitement était estimé entre 12 et 18 mois. Le demandeur reconnaît que ces chiffres n’étaient pas garantis. Toutefois, il soutient que les déclarations faites par le défendeur concernant le délai auquel il devait s’attendre pour le traitement de sa demande constituent une indication valide du délai normal nécessaire pour traiter des demandes de cette nature (Liang, aux paragraphes 28 à 31, 33, 37 et 41). Des déclarations standard comme [traduction] « ou plus », « plusieurs mois après » et « impossible à dire » ne devraient pas être considérées comme une assurance contre une ordonnance de mandamus.

[21]           De plus, le demandeur fait valoir que les justifications du défendeur concernant le retard ne peuvent tenir puisque le défendeur en est lui‑même responsable (Liang, aux paragraphes 39, 40 et 45; Esmaeili‑Tarki c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 697, aux paragraphes 14 et 15). Accepter de telles justifications irait à l’encontre du raisonnement selon lequel on ne peut invoquer sa propre turpitude. À cet égard, la présente espèce peut être distinguée de l’affaire Mazarei c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 322, où il est fait état, aux paragraphes 25 et 26, d’une « situation exceptionnelle : le traitement de demandes avait été retardé par la situation politique en Iran et en Syrie, et il avait été démontré que le défendeur avait pris des mesures pour régler la situation, notamment en embauchant 17 employés supplémentaires.

[22]           Pour sa part, le défendeur soutient que le demandeur n’a pas démontré que toutes les conditions nécessaires à la délivrance d’une ordonnance de mandamus ont été réunies en l’espèce. Le défendeur n’a jamais refusé de donner suite à la demande de résidence permanente et a fait tout ce qu’il pouvait raisonnablement faire pour s’acquitter de son obligation de la traiter. La demande du demandeur est en traitement actif et elle a progressé avec diligence, comme en témoigne le fait que plusieurs étapes du processus ont été franchies et que le demandeur occupe un rang avancé dans la file d’attente. Le traitement du dossier du demandeur est donc parfaitement conforme au traitement des demandes d’investisseurs au HCC, et le délai de traitement moyen de ces demandes est actuellement de 56 mois. De plus, tout délai plus long éventuel peut s’expliquer par le fait que le HCC doit composer avec plus de demandes et une augmentation de l’arriéré et des délais de traitement plus longs en raison des circonstances actuelles, qui sont indépendantes de sa volonté.

[23]           Le défendeur soutient de plus qu’aucune attente légitime à l’égard d’un délai de traitement particulier ou d’un délai précis pour l’obtention d’une décision n’a été suscitée par le défendeur. L’estimation du délai de traitement de 12 à 18 mois communiquée au demandeur n’était pas une estimation claire, nette et explicite; elle était fondée sur les renseignements alors disponibles et ne peut donc pas servir à établir le délai de traitement d’une demande donnée. De toute évidence, l’introduction par le ministre du traitement simultané des nouvelles demandes allonge le délai préalable au traitement de la demande du demandeur, mais ces instructions sont entièrement autorisées par la loi. Faire l’objet d’une telle attente ne donne pas à une personne le droit d’intenter une action pour obtenir un bref de mandamus (He, aux paragraphes 28 et 29; Vaziri c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1169, aux paragraphes 36 et 37). Le fait d’accueillir la présente demande de mandamus équivaudrait essentiellement à permettre au demandeur d’avoir préséance sur tous les demandeurs dans une situation semblable dont les demandes ont été présentées avant la sienne, ce qui serait fondamentalement inéquitable (Agama c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 135, aux paragraphes 20 à 22 [Agama]).

IV.             ANALYSE

[24]           La question centrale dont la Cour est saisie est celle de déterminer si le délai de traitement de la demande du demandeur est raisonnable. En ce qui a trait au premier facteur abordé dans la décision Conille, une évaluation de la question de savoir si le délai de traitement de la demande est plus long que ce que la nature du processus exige doit reposer sur une bonne compréhension du régime plus large de l’immigration (Vaziri, aux paragraphes 53 à 55). Au paragraphe 55 de la décision Vaziri, la juge Snider précise : « Dans l’économie actuelle du régime, il est normal que certaines demandes de résidence permanente fassent l’objet d’un traitement différent des autres. »

[25]           En l’espèce, d’après l’affidavit du 20 septembre 2013 de l’agent d’immigration, aux termes du processus fédéral, le HCC a terminé le traitement d’environ 162 demandes de gens d’affaires entre janvier et août 2013, 220 en 2012 et environ 285 en 2011. Le délai de traitement actuel du HCC pour les demandes d’investisseurs est de 56 mois, d’après l’affidavit du 24 février 2014 de l’agent d’immigration. Le délai d’attente du demandeur, lequel se situe actuellement à 49 mois, est donc conforme à cette moyenne.

[26]           En l’espèce, il importe de situer le délai d’attente plus long dans le contexte des modifications apportées au PII, notamment l’instauration d’un ratio de traitement de deux anciennes demandes pour une nouvelle demande et un plafond de 700 nouvelles demandes admises chaque année aux fins de traitement. Outre ces modifications, HCC devait composer avec un nombre accru de demandes à traiter en raison de plusieurs facteurs indépendants de sa volonté : la brusque augmentation du nombre de demandes qui a précédé les modifications réglementaires de décembre 2010, l’envoi des demandes d’investisseurs dont étaient saisis les bureaux d’Islamabad au HCC, qui s’occupe maintenant de leur traitement, et le conflit de travail qui a donné lieu à l’interruption du service par les agents du service extérieur. Toutes ces circonstances expliquent raisonnablement l’arriéré actuel dans le traitement des demandes et remplissent donc la troisième condition du critère juridique énoncé dans la décision Conille, soit la justification satisfaisante du délai.

[27]           Je souscris à l’opinion de mon collègue le juge Richard Boivin à l’égard de faits similaires, au paragraphe 28 de la décision He : « La Cour peut concevoir que le demandeur soit insatisfait du régime actuel des PII en raison du rang qu’il occupe dans la file d’attente, mais ce régime a été légalement établi et mis en application en pleine connaissance de l’objet de la loi, plus particulièrement des pouvoirs édictés par le législateur en adoptant le nouvel article 87.3 de la loi. »

[28]           Dans le cas présent, je suis convaincue qu’en dépit d’un départ lent, le traitement de la demande se déroule maintenant à un rythme normal, eu égard aux modifications apportées au PII. Comme l’a fait remarquer le défendeur, le dossier du demandeur est présentement actif. Alors qu’en septembre 2013, son dossier se trouvait à mi‑chemin de la file d’attente des 200 demandes ayant fait l’objet d’une sélection administrative et en attente d’examen, il n’a plus que 21 de ces demandes devant lui.

[29]           Dans un tel cas, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée. Si la Cour autorisait la présente demande à court‑circuiter les autres demandes qui la précèdent dans la liste d’attente (Agama, aux paragraphes 20 et 21), elle produirait un résultat inéquitable.

[30]           Je ne suis pas non plus convaincue que les chiffres estimatifs de 12 à 18 mois du défendeur constituent le genre d’affirmations « claires, nettes et explicites » propres à entraîner l’application de la théorie des attentes légitimes (Agraira c Canada (Sécurité et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 95; Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, au paragraphe 68 [Mavi]). Dans l’arrêt Mavi, le juge Binnie a expliqué le sens de ce genre d’affirmation en renvoyant au droit contractuel; il écrit au paragraphe 69 : « En général, on juge suffisamment précise pour les besoins de la théorie de l’attente légitime l’affirmation gouvernementale qui, si elle avait été faite dans le contexte du droit contractuel privé, serait suffisamment claire pour être susceptible d’exécution. »

[31]           En l’espèce, l’estimation originale de 12 à 18 mois s’accompagnait de la mention qu’elle était fondée sur les demandes actuellement en attente et les délais de traitement pouvaient varier en fonction de l’évolution de l’inventaire. Dans sa correspondance de 2012 et de 2013, le défendeur avait informé le demandeur que le HCC avait pris la relève des bureaux d’Islamabad pour le traitement des demandes, ce qui avait entraîné un volume de demandes plus important que la normale, et qu’[traduction] « il [était] possible qu’il faille encore quelque temps » pour traiter sa demande. Le demandeur a été également informé que les délais de traitement moyens, [traduction] « fondés uniquement sur une moyenne, ne constituent pas une garantie ». De plus, il importe de noter que, contrairement à l’affaire Liang, aucun délai de traitement estimatif n’est énoncé dans les instructions et les dispositions réglementaires qui touchent la présente demande. L’affirmation du défendeur selon laquelle le délai moyen de traitement en 2010 était de 12 à 18 mois ne saurait créer une attente légitime d’un délai de traitement précis pour le demandeur, en particulier à la lumière des modifications apportées depuis au PII.

[32]           Pour ces motifs, l’intervention de la Cour n’est pas justifiée et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[33]           Contrairement à l’affaire He, le demandeur ne désire pas faire certifier une question en l’espèce.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Danièle Tremblay‑Lamer »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

IMM-4628-13

 

INTITULÉ :

NAGY WAGDY MOHAMED METWALY MOBASHER c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QuÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 AVRIL 2014

 

MOTIF DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

DATE DU JUGEMENT :

LE 30 AVRIL 2014

 

 

 

COMPARUTIONS :

Jean-François Bertrand

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Evan Liosis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers Avocats Inc.

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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