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Date : 20140428


Dossier : IMM-1641-13

Référence : 2014 CF 382

Ottawa (Ontario), le 28 avril 2014

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

DICKENS CHERY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.                   Au préalable

[1]               Il appert pour une deuxième fois, par un deuxième jugement de cette Cour reflétant le premier jugement, qu’une préoccupation sur une exclusion de la catégorie du regroupement familial, en vertu de l’alinéa 117(9)d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], a empêché l’agent d’analyser pour évaluer, selon cette Cour, les facteurs d’ordre humanitaire en cause comme spécifié antérieurement.

[2]               La Cour reconnait que le caractère suffisant des motifs doit être évalué dans son contexte et qu’un agent n’est pas tenu de mentionner dans ses motifs tous les détails et les faits qu’il a pris en considération (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708). Cependant, en l’espèce, la décision de l’agent et les notes STIDI (Systême de traitement informatisé des dossiers d’immigration) ne comportent aucune analyse des facteurs d’ordre humanitaire invoqués par le demandeur. Il est impossible de savoir ce qui a motivé la décision de l’agent pour conclure que ces facteurs ne justifiaient pas une dispense.

II.                Introduction

[3]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR, à l’encontre de la décision, rendue le 12 décembre 2012, par un agent des visas. L’agent a rejeté la demande de résidence permanente présentée par le demandeur pour motifs d’ordre humanitaire au titre de la catégorie du regroupement familial.

III.             Faits

[4]               Le demandeur, monsieur Dickens Chery, est un citoyen de Haïti. Son père, monsieur Pierre-Louis Chery, a immigré au Canada en 1988.

[5]               Le 6 janvier 2005, ce dernier a fait une demande de parrainage en faveur du demandeur.

[6]               Cette demande de parrainage a été rejetée le 18 avril 2005, pour motifs que le demandeur était exclu de la catégorie du regroupement familial aux termes de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [Règlement]; son père ayant omis de le déclarer dans sa demande de résidence permanente.

[7]               La décision a été portée en appel devant la Section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [Commission]. La Commission a rejeté l’appel, statuant qu’elle n’avait pas la compétence pour évaluer des motifs d’ordre humanitaire.

[8]               Le 30 juillet 2009, le père du demandeur a présenté une deuxième demande de visa de résidence permanente pour le demandeur, laquelle était basée strictement sur des motifs d’ordre humanitaire.

[9]               Le 1er décembre 2009, le demandeur a lui-même présenté une demande de résidence permanente et indiqua à la question « sous quelle catégorie faites-vous votre demande?: « autre : immigration humanitaire ».

[10]           Le 2 mars 2010, le demandeur a reçu une lettre lui indiquant qu’il satisfaisait les critères d’admissibilité. Après avoir reçu un test de paternité positif [test ADN], les autorités en immigration ont commencé l’analyse pour déterminer s’il satisfaisait les autres critères.

[11]           Le demandeur a été convoqué en entrevue à l’Ambassade du Canada en Haïti le 2 août 2010. L’agent responsable de l’entrevue lui indiqua que sa demande était refusée puisqu’il n’avait pas reçu de test ADN ou de preuve prouvant sa dépendance. Il n’y avait aucune mention de motifs humanitaire dans la lettre ou les notes STIDI  de l’agent.

[12]           Après avoir réalisé qu’un test ADN avait en fait été reçu à l’Ambassade, l’Ambassade demanda à l’agent de reconsidérer l’affaire. L’agent nota dans ses notes STIDI que sa décision était maintenue puisqu’il n’y avait toujours pas de preuve de dépendance et le demandeur était exclu de la catégorie du regroupement familiale en vertu de l’alinéa 117(9)d) du Règlement. L’agent indiqua aussi qu’il avait considéré des motifs humanitaires même si aucune demande en ce sens n’avait été faite. Le demandeur fut avisé de cette décision le 24 août 2010.

[13]           Le 31 août 2010, cette décision a été portée en appel devant la Commission et elle a été rejetée comme étant chose jugée.

[14]           Le 20 juillet 2012, la Cour fédérale a cassé cette décision et l’a renvoyé devant un agent de l’Ambassade du Canada en Haïti pour une reconsidération. La Cour a jugé que la cause n’avait pas la qualité de chose jugée, car la demande de visa du demandeur était entièrement basée sur des motifs humanitaires. La Cour a statué que la « question à savoir si une personne est exclue en vertu de l’art. 117(9)d) du Règlement est une question complètement séparée et indépendante d’une question portant sur des motifs humanitaires » (Chéry c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 922, 416 FTR 14 au para 21).

[15]           Au début de décembre 2012, le demandeur a été convoqué pour une nouvelle entrevue à l’Ambassade du Canada en Haïti.

[16]           Le 12 décembre 2012, la demande de résidence permanente du demandeur a été rejetée de nouveau. Le demandeur demande le contrôle judiciaire de cette décision.

IV.             Décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire

[17]           Dans sa lettre, datée le 12 décembre 2012, l’agent commence sa décision en statuant que le demandeur est exclu de la catégorie du regroupement familiale par l’application de l’alinéa 117(9)d) de la LIPR.

[18]           L’agent  traite ensuite des motifs humanitaires avancés par le demandeur. L’évaluation des motifs humanitaires se résume comme suit :

Après avoir étudié et évalué tous les facteurs liés à votre demande, ainsi qu’à la suite de votre entrevue, j’ai conclu qu’il n’y a pas de circonstances d’ordre humanitaire qui justifieraient la dispense de tout ou une partie des critères et obligations applicables de la Loi.

V.                Point en litige

[19]           Est-ce que la décision de l’agent rejetant la demande de résidence permanente est raisonnable?

VI.             Dispositions législatives pertinentes

[20]           L’article 25 de la LIPR s'applique en l'espèce :

25. (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25. (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

[21]           L’alinéa 117(9)d) du Règlement s’applique aussi en l’espèce :

117. (9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

 

117. (9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

 

[…]

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

VII.          Norme de contrôle

[22]           La norme de contrôle d’une décision rendue en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR est celle de la décision raisonnable (Kisana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CAF 189, [2010] 1 RCF 360).

VIII.       Analyse

[23]           Le demandeur fait valoir que l'agent a commis une erreur susceptible de contrôle en omettant d'analyser ou d'examiner les facteurs humanitaires relativement à sa situation en fournissant des motifs insuffisants.

[24]           La Cour est d’accord avec le demandeur que l’agent n’a pas motivé suffisamment sa conclusion au sujet des facteurs humanitaires.

[25]           La jurisprudence est claire que, dans certains cas, l’article 25 de la LIPR peut atténuer la rigueur des exigences de la loi, y compris la rigueur découlant de l’alinéa 117(9)d) (Liu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 917).

[26]           Le juge Yves de Montigny a affirmé dans l’affaire Sultana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 533, [2010] 1 RCF 175 :

[25]      […] il ne faut pas oublier qu’il a été conclu que l’article 25 de la LIPR visait à protéger contre le non-respect des instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire en raison de l’alinéa 117(9)d) : De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 436, aux paragraphes 102 à 109. Pour donner un sens à cette disposition, les agents d’immigration doivent non seulement répondre superficiellement aux facteurs d’ordre humanitaire invoqués par le demandeur, mais ils doivent bien les évaluer pour déterminer s’ils sont suffisants pour contrebalancer la disposition draconienne 117(9)d) […] [La Cour souligne.]

[27]           Il ne suffisait donc pas pour l’agent d’affirmer « qu’il n’y a pas de circonstances d’ordre humanitaire qui justifieraient la dispense de tout ou une partie des critères et obligations applicables de la Loi ». L’agent devait expliquer pourquoi les circonstances ne justifiaient pas la dispense.

[28]           La Cour s’est penchée sur une situation analogue à celle-ci dans l’affaire Bernard c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1121 :

[18]      En l’occurrence, la demanderesse a bel et bien fait valoir des motifs d’ordre humanitaire. Elle a notamment mentionné dans son affidavit qu’elle souffrait émotionnellement de l’absence de son père, qu’elle ne pouvait espérer poursuivre ses études sans l’appui de ce dernier et qu’elle se verrait priver des nombreuses possibilités de développement personnel, social et académique si elle demeurait en Haïti plutôt que de venir rejoindre son père au Canada. Il est vrai que les représentations de M. Bernard auprès de l’agent d’immigration auraient pu être plus étoffées. Il n’en demeure pas moins que l’agent a complètement fait fi des éléments soulevés par la partie demanderesse et s’est contenté de conclure que la situation de la demanderesse n’était pas différente de celle dans laquelle se trouve l’ensemble des Haïtiens. Cela est nettement insuffisant.

[19]      L’agent se devait d’expliciter quelque peu sa décision, ne serait-ce que pour donner l’assurance qu’il avait bel et bien tenu compte de la situation particulière de la demanderesse, et notamment de l’extrême dénuement de sa mère et de son lien affectif avec un père qu’elle venait tout juste de découvrir. Les commentaires laconiques de l’agent ne permettent pas de conclure qu’il a soigneusement considéré l’intérêt supérieur de Fabiola et ne répondent pas à l’obligation qu’il avait de donner des motifs suffisants au soutien de sa décision (VIA Rail Canada Inc c Office national des transports (CA), [2001] 2 CF 25, [2000] ACF no 1685 (CAF) (QL)). [La Cour souligne.]

[29]           La Cour arrive à une conclusion similaire en l’espèce. Les commentaires « laconiques » de l’agent ne permettent nullement de conclure qu’il a considéré les facteurs d’ordre humanitaire invoqués par le demandeur.

[30]           La Cour reconnait que le caractère suffisant des motifs doit être évalué dans son contexte et qu’un agent n’est pas tenu de mentionner dans ses motifs tous les détails et les faits qu’il a pris en considération (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union, ci-dessus). Cependant, en l’espèce, la décision de l’agent et les notes STIDI ne comportent aucune analyse des facteurs d’ordre humanitaire invoqués par le demandeur. Il est impossible de savoir ce qui a motivé la décision de l’agent pour conclure que ces facteurs ne justifiaient pas une dispense.

[31]           La Cour est d’avis que les motifs présentés par l’agent, même lorsqu’ils sont examinés en corrélation avec le résultat, ne permettent pas à la Cour de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles acceptables. Ils ne permettent pas au demandeur de savoir pourquoi sa demande a été rejetée ou à la Cour de décider si l’agent était justifié de rendre sa décision (Via Rail Canada Inc. c Office national des transports, [2001] 2 CF 25 (CA)). Par conséquent, la décision est annulée.

IX.             Conclusion

[32]           Pour toutes les raisons ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire de demandeur est accueillie et l’affaire est retournée pour examen à nouveau par un autre agent.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire du demandeur soit accueillie et l’affaire soit retournée pour examen à nouveau par un autre agent avec aucune question d’importance générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1641-13

 

INTITULÉ :

DICKENS CHERY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 avril 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 avril 2014

 

COMPARUTIONS :

Jason Benovoy

Pour le DEMANDEUR

 

Dah Yoon Min

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jason Benovoy

Avocat

Ottawa (Ontario)

 

Pour le DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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