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Date : 20140417


Dossier :

IMM‑5374‑13

Référence : 2014 CF 373

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 avril 2014

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

SUFAJ, RITA

LEKA, ANTONETA

LEKA, ANGJELA

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Les demanderesses, une mère et ses deux filles, demandent sous le régime de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision, en date du 20 juillet 2013, par laquelle un agent d’immigration supérieur (l’agent) a rejeté leur demande d’examen des risques avant renvoi [la demande d’ERAR] et a refusé de leur reconnaître la qualité de réfugiées au sens de la Convention comme celle de personnes à protéger sous le régime des articles 96 et 97 de la Loi.

[2]               Pour les motifs exposés ci‑après, la présente demande est rejetée.

Contexte

[3]               La demanderesse principale, Mme Rita Sufaj, est citoyenne albanaise. Ses deux filles, les codemanderesses, sont nées aux États‑Unis et ont la citoyenneté américaine. La demanderesse principale a quitté l’Albanie pour se rendre aux États‑Unis en septembre 2003. Les autorités américaines ont rejeté sa demande d’asile en février 2009. Elle est entrée avec ses deux filles au Canada en août 2009 et y a demandé l’asile.

[4]               Dans la présente demande de contrôle judiciaire, la demanderesse principale affirme que les nouveaux éléments de preuve qu’elle a présentés dans sa demande d’ERAR auraient dû être pris en considération. Ils étayaient ses allégations selon lesquelles elle serait exposée à un risque de violence du fait de son sexe si elle retournait en Albanie. Elle soutient qu’elle n’a pu décrire complètement, à l’audience de sa demande d’asile, le viol avec voies de fait qu’elle a subi en Albanie, car sa demande avait été traitée avec celles de ses frères et d’autres membres de sa famille. Elle fait en outre valoir que l’agent connaissait la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la SPR], le contenu du Formulaire de renseignements personnels [le FRP] qu’elle avait présenté au soutien de sa demande d’asile ainsi que ses observations relatives à l’ERAR, éléments qui auraient tous dû l’amener à prendre en considération les risques de violence du fait de son sexe et d’autres formes de violence auxquels elle serait exposée en Albanie.

[5]               Il est essentiel de rappeler d’autres faits relatifs à la demande d’asile des demanderesses pour en éclairer le contexte. Les demanderesses affirmaient chercher à échapper à une vendetta opposant, aussi bien aux États‑Unis qu’en Albanie, leur famille à la famille Isufaj. Ce conflit a pour origine le meurtre d’un frère de la demanderesse principale commis au Michigan en 1992 par des membres de la famille Isufaj. La demanderesse principale a également fait valoir que son mariage contracté aux États‑Unis avec Anton Leka, après que ce dernier eut quitté son ex‑épouse, une Isufaj, avait aggravé cette querelle.  

[6]               La demande d’asile des demanderesses a été réunie à celles des frères de la demanderesse principale et d’autres membres de la famille Sufaj au motif qu’elles se fondaient toutes sur la même vendetta qui opposerait les Sufaj aux Isufaj en Albanie et aux États‑Unis.

[7]               Le 19 septembre 2011, la SPR a rejeté les demandes d’asile de tous les Sufaj sous le seul régime de l’alinéa 97(1)b) de la Loi. Elle a conclu à la non‑crédibilité de leurs témoignages, y compris celui de la demanderesse principale à la présente instance, Mme Rita Sufaj. La demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision de la SPR a été rejetée le 12 janvier 2012.

[8]               Les demanderesses à la présente instance ont demandé un ERAR en janvier 2013. La demanderesse principale a notamment produit, au soutien de sa demande d’ERAR, des photographies représentant des cicatrices sur son cou, laissées selon ses dires par le viol qu’elle aurait subi en 2003 en Albanie et qui serait lié à la susdite vendetta. Elle explique ne pas avoir invoqué ou montré ses cicatrices devant la SPR parce que ses frères étaient présents et que le viol est une grande honte pour la victime dans sa culture. Cependant, la SPR était manifestement informée des allégations de viol et y a fait référence dans sa décision.

[9]               Les observations des demanderesses dans leur demande d’ERAR mentionnent seulement l’insécurité qui règne en Albanie et se terminent par une affirmation générale de la demanderesse principale selon laquelle elle sera [traduction« tuée si [elle] retourne en Albanie », sans plus de détails. On trouve joint à la demande d’ERAR le FRP produit devant la CISR, qui fait état de la vendetta, du meurtre de Prel, frère de la demanderesse principale, commis au Michigan, des efforts déployés par ses autres frères pour activer l’enquête sur ce meurtre ainsi que des conséquences de son mariage sur le conflit avec la famille Isufaj. On y précise en outre qu’un membre de cette dernière a payé un homme en Albanie pour la violer en 2003, que ce viol a effectivement eu lieu et qu’elle a ensuite fui le pays.

[10]           Selon l’affidavit produit par la demanderesse principale au soutien de la présente demande de contrôle judiciaire, elle avait demandé à la SPR d’examiner sa demande d’asile séparément de celles de ses frères parce qu’elle ne voulait pas exposer les circonstances de son viol en leur présence, étant donné que, dans la culture albanaise, la responsabilité du viol est rejetée sur la victime, qui s’en trouve déshonorée. La SPR a rejeté cette requête, de sorte qu’elle s’est [traduction] « sentie incapable de parler du viol ». Elle ajoute dans son affidavit qu’elle porte les marques de ce viol et qu’elle a peur de son agresseur.

[11]           Cet affidavit n’a pas été produit devant l’agent.

La décision attaquée

[12]           L’agent a fait observer que la SPR a conclu à la non‑crédibilité de la demanderesse principale et de ses frères et a accordé peu, voire aucun, poids à la preuve documentaire qu’ils ont produite. En conséquence, la SPR a estimé que la preuve n’étayait pas leurs allégations. En outre, elle a conclu que la querelle avec la famille Isufaj avait pris naissance aux États‑Unis et non en Albanie.

[13]           L’agent a également écrit que la demande d’ERAR mentionne les mêmes événements que ceux qui sont consignés dans le FRP de la demanderesse principale ainsi que l’instabilité de la situation politique en Albanie.

[14]           L’agent a refusé de considérer comme « nouveaux » la plupart des documents produits par Mme Sufaj au motif qu’ils étaient antérieurs à la demande d’asile des demanderesses, et qu’elle n’a pas expliqué pourquoi ces éléments, qui comprenaient plusieurs articles, n’avaient pas été produits à l’audience concernant ladite demande ou n’étaient pas alors normalement accessibles. L’agent a aussi examiné la situation actuelle en Albanie, pour conclure qu’il existait encore certains problèmes sur le plan des droits de la personne mais qu’aucune preuve objective n’établissait que les demanderesses seraient personnellement exposées à des risques si elles devaient y retourner.

[15]           L’agent a conclu que la demanderesse n’a pas démontré suivant la prépondérance des probabilités qu’elle est mêlée à une vendetta avec la famille Isufaj ni qu’elle serait personnellement exposée à des risques en Albanie.

[16]           L’agent a mentionné que les codemanderesses sont citoyennes américaines et que la preuve produite ne fait état d’aucun risque de persécution ou autre risque en cas de renvoi vers les États‑Unis.

Les questions en litige

[17]           Les demanderesses soutiennent que la décision attaquée n’est pas raisonnable puisque  l’agent aurait commis une erreur en omettant d’analyser, sous le régime de l’article 96 de la Loi, la situation de la demanderesse principale en tant que victime d’une agression sexuelle ou membre d’un groupe social déterminé. Les demanderesses font en outre valoir que l’agent a omis de prendre en considération des éléments de preuve de première importance qu’elles n’avaient pas produits à l’audience de leur demande d’asile, notamment les cicatrices dont est marqué le cou de la demanderesse principale.

La décision de l’agent est‑elle raisonnable?

[18]           Les demanderesses soutiennent que l’agent n’a pas effectué en vertu d’analyse de l’article 96 concernant la persécution du fait du sexe ou les femmes en tant que groupe social, et que, même s’il a reconnu l’existence d’atteintes aux droits de la personne en Albanie, il n’a pas saisi les implications des photographies représentant les cicatrices de la demanderesse principale. Toujours selon les demanderesses, l’agent disposait des renseignements pertinents et aurait dû faire l’effort supplémentaire d’effectuer une analyse en fonction de l’article 96, même si elles n’invoquaient pas explicitement cet article dans leur demande d’ERAR.

[19]           Les demanderesses font aussi valoir que l’agent a commis une erreur en omettant de tenir une audience au sujet des photographies et en concluant à la non‑crédibilité de celles‑ci au seul motif que la SPR avait déjà déclaré non crédibles les demandeurs d’asile Sufaj. Selon les demanderesses, les conclusions de la SPR concernant la crédibilité s’appliquaient surtout aux frères Sufaj, qui étaient les principaux protagonistes de la vendetta, et la SPR ne s’était pas prononcée sur la crédibilité de l’allégation de viol formulée par la demanderesse principale.

[20]           Le défendeur fait valoir que l’ERAR n’est pas une deuxième audience relative à la demande d’asile, mais qu’il a plutôt pour fonction de permettre l’évaluation de nouveaux risques qui ont pu se manifester entre l’audience de la SPR et la date prévue pour le renvoi; voir Perez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1379, 59 Imm LR (3d) 156 [Perez], paragraphes 9 à 13.

[21]           En l’espèce, fait observer le défendeur, la demanderesse principale a formulé dans sa demande d’ERAR les mêmes allégations que celles que la SPR avait examinées et rejetées, à savoir qu’elle est exposée à un risque en raison d’une vendetta sévissant en Albanie et qu’elle voit dans le viol subi en 2003 une conséquence de ce conflit.

[22]           Le défendeur avance qu’on ne peut reprocher à l’agent de ne pas avoir examiné des motifs prévus à la Convention qui n’ont jamais été explicitement invoqués.

[23]           Concernant les photographies produites par la demanderesse principale qui représentent des cicatrices qu’elle affirme résulter de son viol, lequel serait lui‑même lié à la vendetta, le défendeur rappelle que les demanderesses n’ont aucunement expliqué pourquoi elles avaient présenté ces photographies, qui sont par ailleurs des photocopies et ne portent pas de date.

[24]           En réponse à l’argument des demanderesses selon lequel l’agent aurait commis une erreur en omettant de tenir une audience, le défendeur fait valoir qu’un ERAR ne donne lieu à la tenue d’une audience que dans des circonstances exceptionnelles. Le défendeur déclare par ailleurs que l’agent n’a pas tiré de conclusion sur la crédibilité des photographies, mais a plutôt estimé, après examen de l’allégation de viol figurant dans le récit de la demanderesse principale ainsi que desdites photographies et des documents pertinents concernant la situation en Albanie, que les nouveaux éléments de preuve censés démontrer l’existence d’un risque personnel étaient insuffisants.

La décision de l’agent est raisonnable

[25]           Selon leur avocat, les demanderesses sont tombées entre les mailles du filet du système de protection des réfugiés étant donné que la SPR a refusé à la demanderesse principale un examen séparé de sa demande d’asile ou une audience séparée et lui a, de ce fait, nié la possibilité de décrire son viol en détail et de voir examiner sa demande d’asile dans le contexte approprié. En outre, l’autorisation de demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR a été refusée et la demanderesse a formulé ses observations relatives à l’ERAR sans l’aide d’un avocat.

[26]           Comme beaucoup d’autres demandeurs d’asile, les demanderesses sont en butte à de nombreux problèmes. Cependant, la décision de l’agent doit être contrôlée suivant la norme du caractère raisonnable et en fonction du dossier dont il disposait. Qui plus est, il ressort de la décision de la SPR qu’elle avait pris en considération le viol de la demanderesse. La question de savoir si la demanderesse s’est sentie incapable de décrire son expérience en détail devant la SPR ne peut être tranchée dans le contexte du présent contrôle judiciaire, qui porte uniquement sur l’ERAR.

[27]           Tous les éléments produits par la demanderesse ont trait à des événements liés à la vendetta qui a été alléguée, que la SPR et l’agent ont pris en considération. Les observations formulées par les demanderesses dans leur demande d’ERAR se rapportent surtout à l’instabilité qui règne en Albanie, et le FRP joint à cette demande décrit la vendetta en détail et fait état du viol de la demanderesse principale survenu dans le cadre de ce conflit.

[28]           Il est bien établi qu’un ERAR n’est pas un recours contre la décision de la SPR ni une seconde chance de faire valoir les mêmes éléments.

[29]           Citons à ce propos les observations suivantes formulées par le juge Shore dans Singh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 11, [2014] ACF no 6, aux paragraphes 22 à 24 :

[22]      Il est bien établi qu’une demande d’ERAR vise l’évaluation de nouveaux risques qui sont apparus depuis le rejet d’une demande d’asile. Une demande d’ERAR ne peut pas et ne doit pas servir d’appel ou de réexamen d’une décision de la SPR rejetant une demande d’asile (Raza, précité, au paragraphe 12).

[23]      Comme l’a écrit la juge Judith Snider dans Cupid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 176 :

[4]        [...] le gouvernement canadien a pris des mesures pour que le demandeur d’asile puisse bénéficier d’un processus dans le cadre duquel une modification des conditions et des circonstances peut être évaluée. Il s’ensuit que si les conditions dans le pays ou la situation personnelle du demandeur d’asile sont demeurées les mêmes depuis la date de la décision de la SPR, la décision de la SPR sur la question de la protection offerte par l’État – qui est une décision définitive et exécutoire rendue au terme d’un processus quasi judiciaire – doit être maintenue à l’égard du demandeur d’asile. Autrement dit, il incombe au demandeur d’asile dont la demande a été rejetée de prouver que les conditions de son pays ou ses circonstances personnelles ont changé depuis la décision de la SPR au point que celui‑ci, dont la SPR a conclu qu’il n’était pas exposé à un risque, est maintenant exposé à un risque. Si le demandeur d’ERAR ne s’acquitte pas de ce fardeau, la demande d’ERAR sera (et devrait être) rejetée. [Non souligné dans l’original.]

(Voir également Kaybaki c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 32; Elezi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 240, [2008] 1 R.C.F. 365.)

[24]      En termes simples, quand il examine les éléments de preuve relatifs à une demande d’ERAR, un agent doit se demander si l’information qu’elle contient est importante ou sensiblement différente de celle produite précédemment (Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1385, aux paragraphes 22 et 23; Elezi, précité, au paragraphe 29; Doumbouya c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1187, au paragraphe 38).

[Souligné dans l’original.] 

[30]           Le défendeur a aussi invoqué le paragraphe 5 de la décision Perez, précitée, où la juge Snider rappelle ces mêmes principes :

[5]        Il est bien établi que l’ERAR ne constitue pas un appel d’une décision de la SPR (Kaybaki c. Canada (Solliciteur général du Canada), 2004 CF 32, au paragraphe 11; Yousef c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. n1101, au paragraphe 21 (C.F.); Klais c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. n949, au paragraphe 14 (C.F.)). Le but de l’ERAR n’est pas de débattre à nouveau des faits présentés à la SPR. La décision de la SPR doit être considérée comme définitive pour ce qui est de la question de la protection prévue aux articles 96 ou 97, sous réserve uniquement de la possibilité que de nouveaux éléments de preuve démontrent que le demandeur sera exposé à un risque nouveau, différent ou supplémentaire qui ne pouvait pas être examiné au moment où la SPR a rendu sa décision. Ainsi, par exemple, l’éclatement d’une guerre civile dans un pays ou l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi pourrait changer considérablement la situation du demandeur. Dans de telles situations, l’ERAR constitue le moyen d’évaluer ces nouveaux risques.

[31]           Dans le cas qui nous intéresse, la SPR avait déjà pris en compte l’allégation de la demanderesse principale selon laquelle elle avait été violée par suite de la vendetta. La demanderesse principale formule la même affirmation dans sa demande d’ERAR, et elle y avance les mêmes arguments que la SPR a examinés et rejetés, à savoir qu’elle serait personnellement exposée à un risque du fait d’une vendetta sévissant en Albanie et qu’elle croit avoir été violée en raison de cette même vendetta.

[32]           La demanderesse principale affirme dans sa demande d’ERAR qu’il existe de nouveaux éléments tendant à établir qu’elle serait personnellement exposée à un risque si elle retournait en Albanie, à savoir les photocopies de photographies non datées produites sous le titre Photos from beatings [Photographies attestant des violences physiques]. Il n’était pas raisonnable, selon elle, de considérer qu’elle aurait dû produire des preuves de ses cicatrices devant la SPR, étant donné qu’elle ne voulait pas parler de son viol en présence de ses frères. Leur demande d’asile avait été jointe à la sienne, chose qu’elle ne voulait pas.

[33]           Les demanderesses font valoir qu’étant donné qu’elle a examiné leur demande d’asile uniquement en fonction de l’article 97, la SPR n’a pas pris en considération le contexte du viol ni le risque de violence fondé sur le sexe, mais elles n’ont pas produit devant l’agent de nouveaux éléments de preuve ou d’éléments démontrant l’existence de nouveaux risques.

[34]           Les demanderesses soutiennent que l’agent aurait dû être plus sensibilité aux risques et effectuer un examen plus complet de ceux‑ci à la lumière de l’article 96 eu regard aux documents dont il disposait.

[35]           Le défendeur soutient quant à lui que l’agent n’est aucunement tenu de suppléer aux insuffisances de la demande d’ERAR en recherchant d’autres motifs susceptibles de l’étayer. L’affidavit que les demanderesses ont produit au soutien de la présente demande de contrôle judiciaire ne faisait pas partie du dossier examiné par l’agent.

[36]           La juge Bédard a exposé ce principe en détail aux paragraphes 36 à 40 de Marte c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 930, 374 FTR 160 :

[36]         Il appartenait au demandeur de fournir les explications contenues dans son affidavit au soutien de sa demande d’ERAR et à ce stade‑ci, il est trop tard pour compléter une preuve déficiente.

[37]      L’affaire Gosal c Canada (Sécurité publique et protection civile), 2010 CF 620 (disponible sur QL) est analogue. Au stade de la demande en sursis, le demandeur avait fourni un affidavit qui offrait de l’information beaucoup plus détaillée sur ses craintes de risque advenant un retour dans son pays d’origine.

[38]      Le juge Shore a conclu que bien que cet affidavit aurait aidé l’agent d’ERAR à comprendre le dossier de la demanderesse, il ne se trouvait toutefois pas en sa possession au moment de rendre la décision. Il a par conséquent jugé que sur la base des preuves qui étaient devant lui et de l’analyse qu’il en a faite, la décision de l’agent était tout à fait raisonnable et ne nécessitait pas l’intervention de la Cour.

[39]      Il appartient au demandeur qui dépose une demande d’ERAR de fournir une demande complète, claire et détaillée et de produire toutes les preuves au soutien de ses allégations.

[40]      La Cour a établi à de nombreuses occasions que l’agent d’ERAR n’a pas l’obligation de recueillir ou de rechercher des preuves additionnelles ou de faire une quelconque enquête. Il n’a pas non plus l’obligation d’entreprendre des démarches et des recherches pour éclaircir des points obscurs, contradictoires ou pour combler une preuve insuffisante (Yousef c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 864, 149 ACWS (3d) 1097). Ces mêmes principes ont été appliqués récemment dans l’arrêt Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 186 (disponibles sur QL) et dans l’arrêt Gosal, précité.

[37]           La demanderesse principale a déclaré qu’elle avait été victime d’un viol et la SPR a pris acte de cette allégation. Or, des photographies se rapportent à cette même allégation. Je ne souscris pas à la prétention voulant que ces photographies puissent être considérées comme une preuve de l’existence d’un nouveau risque.

[38]           Même si la demanderesse principale explique maintenant pourquoi elle ne les a pas produites devant la SPR, les photographies en question n’auraient aucun effet sur la crédibilité de l’allégation de viol, pas plus qu’elles ne changeraient la nature du risque qu’elle a invoqué en affirmant avoir été violée en raison de la vendetta.

[39]           Il incombe en tout temps aux demandeurs de produire des preuves à l’appui de leurs allégations.

[40]           Quoi qu’il en soit, indépendamment du fait qu’elles constituaient ou non de nouveaux éléments de preuve, l’agent a pris les photographies en considération, mais il a néanmoins conclu, suivant la prépondérance des probabilités, que les demanderesses ne sont pas mêlées à une vendetta avec la famille Isufaj et ne seraient donc pas exposées personnellement à des risques en Albanie.

[41]           En ce qui concerne la question de savoir si l’agent aurait dû tenir une audience, je pense comme le défendeur qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale en l’espèce. La tenue d’une audience dans le cadre d’un ERAR n’a lieu que dans des circonstances exceptionnelles, qui ne sont pas présentes en l’espèce (Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, article 167). L’agent n’a pas formulé de conclusion sur la crédibilité en ce qui a trait aux photographies. Après les avoir examinées, il est parvenu à la conclusion raisonnable qu’elles ne prouvaient pas que les demanderesses seraient exposées aux risques qu’elles invoquaient.

[42]           Les conclusions de l’agent étaient raisonnables. Il a examiné l’ensemble de la preuve qui lui avait été présentée et a motivé ses conclusions. Sa décision satisfait à la norme du caractère raisonnable étant donné qu’elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, paragraphe 47).

[43]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE QUE :

1.         la demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.         aucune question n’a été proposée aux fins de certification.

« Catherine M. Kane »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM‑5374‑13

 

INTITULÉ :

SUFAJ, RITA ET AL c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 MARS 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 AVRIL 2014

 

COMPARUTIONS :

Mike Bell

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

Matina Karvellas

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Workable Immigration Solutions

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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