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Date : 20140417

 


Dossier : IMM-4966-13

 

Référence : 2014 CF 374

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 avril 2014

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

PIERRETTE SOPHIE MANEGE

GLORIA DOMINA T MANEGE

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Les demanderesses, deux sœurs originaires du Burundi, demandent le contrôle judiciaire en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] d’une décision rendue le 22 avril 2013 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [la Commission] et selon laquelle les demanderesses n’étaient pas des réfugiées au sens de la convention ni des personnes à protéger en vertu des articles 96 ou 97 de la Loi.

[2]               La demande est accueillie pour les motifs énoncés ci‑après.

Contexte

[3]               Les demanderesses sont sœurs et citoyennes du Burundi. Elles sont arrivées au Canada en janvier 2011 alors qu’elles avaient 17 et 14 ans respectivement. Elles disent craindre d’être persécutées en raison des opinions politiques de leur père.  

[4]               Les demanderesses ont expliqué que les ennuis avaient commencé à s’abattre sur leur famille le 19 décembre 1994, lorsque leur oncle a été assassiné pour ses allégeances politiques. Leur père et d’autres membres de leur famille ont tenté de faire enquête, mais après avoir subi des représailles, le père a emmené sa famille au Mozambique. La famille est retournée au Burundi en août 2009.

[5]               De retour au Burundi, le père s’est joint au Mouvement pour la solidarité et la démocratie [le MSD]. À cause de cette adhésion, la sécurité des demanderesses a été compromise. Elles ont raconté que le 22 mars 2010, des hommes armés se sont rendus chez elles et exigé de connaître les allées et venues de leurs parents et de savoir quelle école elles fréquentaient. Le père des demanderesses a également reçu des appels téléphoniques d’individus menaçant de faire du tort aux jeunes filles, de les violer et de les tuer. Le 15 juin 2010, les administrateurs de l’école des demanderesses ont alerté le père au fait que des inconnus surveillaient ses filles dans les parages.

[6]               Le père n’a informé les demanderesses des menaces qu’il avait reçues qu’après l’incident du 15 juin 2010. Elles ont alors habité chez divers membres de leur famille tour à tour jusqu’à ce que, ayant échoué dans leurs tentatives d’obtenir la protection de la police, elles sont parties vivre chez leur oncle au Canada en janvier 2011.

La décision

[7]               Les demanderesses ont eu droit à un processus accéléré d’audience en février 2012, une année entière après leur arrivée au Canada, et ont été entendues par la Commission en février 2013. Lors du processus accéléré, l’aînée des demanderesses, Pierrette, avait 18 ans et a été désignée représentante de sa sœur cadette. 

[8]               Pour la Commission, la question déterminante était celle de la crédibilité. La Commission a conclu que la crédibilité des demanderesses avait été entachée par des omissions et des contradictions qui portaient sur l’essentiel de leur demande.

[9]               La Commission a relevé une contradiction entre le témoignage des demanderesses et une lettre que leur père avait fournie à la police; leur témoignage alléguait que deux hommes armés s’étaient rendus à leur domicile le 22 mars 2010 et qu’ils avaient menacé leur bonne, tandis que la lettre indiquait que les demanderesses avaient elles‑mêmes été menacées directement. La Commission a rejeté l’explication des demanderesses selon laquelle leur père avait exagéré les faits dans sa lettre à la police sachant qu’il n’aurait pas été pris au sérieux si les menaces n’avaient visé que la bonne. À la question de savoir qui les avaient menacées, Pierrette a donné un nom qui différait de celui qu’elle avait avancé lors d’une entrevue antérieure avec l’agent d’immigration dans le cadre du processus accéléré (quoique Pierrette ait précisé à cette occasion qu’elle n’était pas certaine du nom). La Commission a fait remarquer que les demanderesses n’avaient pas été cohérentes en expliquant les raisons pour lesquelles elles avaient fait l’objet de menaces : elles ont déclaré à une occasion que c’était parce que leur père voulait voir traduire en justice les auteurs de crimes commis durant la guerre civile et à une autre, que c’était parce que leur père était membre du MSD. La Commission a relevé que les demanderesses avaient omis de mentionner que, outre les menaces qu’elles avaient reçues à leur domicile et l’incident de l’école, d’autres menaces de violence et de viol avaient été lancées au père contre les demanderesses; mais ces menaces n’ont été mentionnées qu’à l’audition de la demande.

[10]           La Commission a accordé peu de valeur probante aux deux lettres du père des demanderesses et à la copie numérisée de sa carte de membre du MSD. La Commission a conclu que les demanderesses n’avaient pas prouvé la participation de leur père au MSD, allégation au cœur de leur demande. La Commission a également rejeté la déclaration des demanderesses selon laquelle leurs parents et frères et sœurs vivant au Burundi continuaient d’être accablés de menaces.

[11]           Par ailleurs, la Commission a conclu que leur défaut de demander asile au Kenya et en Allemagne, pendant qu’elles étaient en route vers le Canada, contredisait leur crainte alléguée de persécution, en dépit de leur explication selon laquelle leurs parents les avaient envoyées au Canada parce que des membres de la famille y vivaient.

Les questions en litige

[12]           Les demanderesses allèguent que la Commission n’a pas tiré des conclusions raisonnables quant à leur crédibilité et à la vraisemblance de leur récit et, plus particulièrement, qu’elle a fait erreur en omettant d’appliquer les Directives numéro 3 du président – Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié (Questions relatives à la preuve et à la procédure) et les Directives numéro 4 du président – Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe dans son évaluation de leur crédibilité; elle a ainsi tiré des conclusions déraisonnables et générales quant à la vraisemblance de leur récit et au fait qu’elles n’avaient pas de crainte subjective parce qu’elles n’avaient pas réclamé l’asile pendant qu’elles étaient en transit dans des tiers pays sûrs;

[13]           Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle du caractère raisonnable.  

[14]           La Cour doit donc déterminer si la décision de la commission fait partie des « issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47). Il peut y avoir plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, « si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, au paragraphe 59).

[15]           Il est également bien établi que les commissions et les tribunaux sont particulièrement bien placés pour apprécier la crédibilité des demandeurs d’asile (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 NR 315, [1993] ACF no 732, au paragraphe 4 (CAF) [arrêt Aguebor], et que les conclusions sur la crédibilité tirées par la Commission, à titre de juge des faits, appellent une grande retenue (Lin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1052, [2008] ACF no 1329, au paragraphe 13; Fatih c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 857, 415 FTR 82, au paragraphe 65).

[16]           Comme l’a fait remarquer le défendeur, les conclusions en matière de crédibilité découlent de faits propres à chaque cas et elles reposent sur l’appréciation que fait le décideur de divers facteurs, dont la façon dont se comportent les témoins et les réponses qu’ils donnent aux questions qui leur sont posées. La Commission est par conséquent en droit de tirer des conclusions en se fondant sur les invraisemblances, le bons sens et la raison (arrêt Aguebor, précité, au paragraphe 4).

[17]           Les conclusions en matière de crédibilité commandent une grande retenue, mais restent susceptibles de contrôle, par exemple lorsque les contradictions ou omissions sont de peu d’importance ou découlent d’un examen trop minutieux, lorsque les explications ont été indûment écartées ou encore lorsque le contexte n’a pas été pris en considération. Dans ces cas, la Cour peut intervenir.  

La Commission a-t-elle tiré des conclusions raisonnables quant à la crédibilité?

[18]           Les demanderesses soutiennent que la Commission a fait erreur en n’appliquant ni en considérant conjointement les directives nos 3 et 4 du président étant donné qu’elles étaient des mineures et qu’elles risquaient de faire l’objet d’une persécution sexospécifique en raison des opinions politiques de leur père.

[19]           Les demanderesses ont fait valoir que la Commission devait tenir compte de l’âge qu’elles avaient à l’époque des actes de persécution et à l’époque de leurs témoignages. Elles étaient âgées de 16 et de 14 ans, respectivement, lorsque les incidents se sont produits et que leurs parents leur ont dit qu’on avait menacé de les violer et de les tuer à cause des allégeances politiques de leur père. Elles avaient 18 et 16 ans, respectivement, à l’époque du processus accéléré d’audience, et 19 et 17 ans à l’époque de l’audition de leur demande d’asile.  

[20]           Les demanderesses soutiennent que si les Directives no 3 avaient été convenablement suivies, la Commission aurait reconnu et accepté qu’elles n’avaient qu’une connaissance fragmentaire des activités politiques de leur père, des menaces qui avaient été proférées à leur endroit et de la situation de leur famille au Burundi. Elles rappellent qu’elles avaient déclaré que leurs parents préféraient ne pas discuter de politique et qu’ils n’avaient pas donné de détails explicites sur la nature des menaces ni sur l’insécurité qu’elles avaient suscitée au sein de la famille.

[21]           Les demanderesses soutiennent que la Commission a également négligé de tenir compte ou même de prendre acte des Directives no 4 dans l’appréciation de leurs allégations de menaces de violence sexospécifique. Les demanderesses font valoir qu’elles avaient agi raisonnablement en ne mentionnant pas dans leurs formulaires de renseignements personnels (FRP) les menaces de viol qui avaient été proférées contre elles car elles étaient des jeunes filles qui ne bénéficiaient pas de la protection de leurs parents au Canada, que leurs parents étaient réticents à relater les détails explicites de ces menaces et qu’un avocat les avait aidées à remplir leurs FRP. Si les Directives no 4 avaient été suivies, leurs actions et leur exposé narratif auraient pu être mis en contexte.

[22]           Le défendeur fait valoir que les Directives du président donnent une certaine marge de manœuvre et que ne pas les mentionner ou ne pas les suivre à la lettre n’entache pas en soi de nullité une décision de la Commission. Le défendeur signale qu’il est bien établi dans la jurisprudence que les Directives du président ne peuvent servir à combler les lacunes que la Commission a relevées dans la demande des demanderesses; celles-ci n’étaient pas crédibles et les Directives ne peuvent être appliquées pour remédier à des incohérences et à des omissions.

[23]           Le défenseur fait aussi remarquer que les Directives no 3 prévoient la prise en considération des facteurs de l’âge et du degré de maturité et que, en l’espèce, les défenderesses ne sont pas de jeunes enfants. En tant que représentante désignée de sa sœur cadette, Pierrette s’est acquittée de certaines obligations, ainsi qu’elle l’a reconnu, telles que donner des instructions à l’avocat et agir dans l’intérêt supérieur de sa sœur.

[24]           S’agissant des Directives no 4, le défenseur soutient que la Commission est présumée les avoir prises en considération car sa décision ne donne pas à croire le contraire. La Commission ne s’est pas montrée insensible ou intraitable dans son appréciation des menaces de viol. De plus, il ne s’agit pas là d’une demande fondée uniquement sur le sexe, mais une demande fondée sur la persécution à caractère politique du père des demanderesses.  

Les conclusions de la Commission quant à la crédibilité ne sont pas raisonnables

[25]           En dépit de la retenue que commande l’appréciation de la crédibilité par la Commission, il ne ressort pas de la décision que la Commission s’est arrêtée au fait que les Directives devaient éclairer son appréciation de la preuve des demanderesses.

[26]           Je reconnais que la Commission n’est pas précisément tenue de mentionner les Directives et que les Directives n’ont pas force de loi, mais comme le sous-entend leur nom, elles ont pour objet d’indiquer la direction à suivre. Si la Commission ne suit pas la direction recommandée, les Directives ne servent à rien. Sauf pour ce qui concerne la transcription de l’instruction accélérée de la demande et de l’audience devant la Commission, qui révèle uniquement que Pierrette, représentante désignée de sa sœur, a été avisée du fait qu’elle témoignerait pour son compte aussi bien que pour le compte de sa sœur, rien n’indique que la Commission a été sensible au jeune âge des demanderesses ou à la violence sexospécifique qu’elles disaient craindre.

[27]           Comme le fait remarquer le défendeur, le défaut de mentionner ou de suivre à la lettre les Directives n’entache pas en soi de nullité une décision de la Commission. Dans l’affaire Henry c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1084, [2013] ACF no 1222, le juge Noël s’est prononcé ainsi au paragraphe 50 :

50    De plus, le demandeur soutient que la SPR n’a pas tenu compte des Directives no 3 : Les enfants qui revendiquent le statut de réfugié. Toutefois, comme l’a indiqué le juge Beaudry dans la décision Allinagogo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 545, [2010] ACF no 649, au paragraphe 14, « [c]et argument ne peut être retenu, puisque la Commission n’a aucune obligation de mentionner les directives dans sa décision et les motifs montrent qu’elle a dûment pris en compte la prétention de la demanderesse ». Cette décision a trait aux Directives no 4 : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe, mais notre Cour estime que ce principe s’applique tout autant aux Directives no 3. Qui plus est, les Directives no 3 enjoignent le décideur de placer au premier rang l’intérêt supérieur de l’enfant et, de fait, la SPR a indiqué à plusieurs occasions que la principale préoccupation en l’espèce était que le demandeur reste avec sa mère et qu’on évite une séparation. Notre Cour est donc d’avis, comme il ressort de ses motifs, que la SPR a bel et bien tenu compte des Directives no 3. [Non souligné dans l’original.]

[28]           Cependant, en l’espèce, rien n’indique que la Commission a pris en considération l’âge ou le meilleur intérêt des demanderesses; dans sa décision, elle se limite à signaler les incohérences des témoignages de demanderesses, dont certaines sont de peu d’importance ou encore ne sont pas irréconciliables au vu de leurs explications, et elle les assujettit aux mêmes normes que celles qui s’appliqueraient dans le cas de tout demandeur adulte.

[29]           Je conviens aussi que les Directives du président ne peuvent empêcher un tribunal de tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité des demanderesses. Toutefois, ces Directives encouragent la Commission à apprécier le témoignage des demanderesses en tenant compte du fait qu’elles sont des personnes vulnérables issues d’une société différente du Canada sur le plan culturel.

[30]           Dans la décision Juarez c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 890, [2010] ACF no 1107, aux paragraphes 17à 20, le juge Kelen a formulé les principes pertinents comme suit :

17        La relation entre, d’une part, les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et, d’autre part, l’obligation de la demanderesse de faire reposer sa demande d’asile sur une preuve crédible est exposée dans la décision Karanja c. Canada (MCI), 2006 CF 574, rendue par le juge Pinard, aux paragraphes 5 à 7 :

5          La demanderesse a raison de dire que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe (que la présidente de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a données le 9 mars 1993 en application de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et qui sont intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe) précisent que, dans le cas d’une demande d’asile fondée sur le sexe, la Commission devrait être particulièrement sensible à la difficulté qu’éprouvent les demanderesses à témoigner. Les Directives ne sont cependant pas conçues en elles‑mêmes pour corriger toutes les lacunes que comportent la demande ou la preuve de la demanderesse. Il incombe à la demanderesse d’établir le bien‑fondé de sa demande d’asile. Ainsi que le juge Pelletier l’a expliqué dans la décision Newton c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (2002), 182 F.T.R. 294, au paragraphe 18, « Il n’est pas possible de traiter les lignes directrices comme si elles corroboraient un quelconque élément de preuve étayant la thèse de la persécution fondée sur le sexe, de sorte que le seul fait de témoigner suffise à prouver la véracité des propos tenus ». Le juge a ajouté au paragraphe 17 :

Les lignes directrices sont un outil dont le tribunal de la SSR peut se servir pour évaluer les éléments de preuve présentés par les femmes qui affirment avoir été victimes de persécution fondée sur le sexe. Les lignes directrices ne créent pas de nouveaux motifs permettant de conclure qu’une personne est victime de persécution. Dans cette mesure, les motifs restent les mêmes, mais la question qui se pose alors est celle de savoir si le tribunal était sensible aux facteurs susceptibles d’influencer le témoignage des femmes qui ont été victimes de persécution [...]

6          Par ailleurs, ce n’est pas parce que la Commission ne mentionne pas explicitement les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe qu’il faut en conclure qu’elle n’en a pas tenu compte et, de toute façon, pareille omission ne tire pas à conséquence et n’entraîne pas nécessairement l’annulation de la décision de la Commission. La Commission est présumée avoir tenu compte de l’ensemble de la preuve et il n’y a rien en l’espèce qui permette de penser qu’elle n’a pas tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe (voir S.I. c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 2015 (C.F.) (QL), Farah c. Canada (M.C.I.), [2002] A.C.F. n416 (1re inst.) (QL), et Nuray Gunel c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (6 octobre 2004), IMM-8526-03).

7          Les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe prévoient expressément que la demanderesse doit démontrer que le préjudice est suffisamment grave pour équivaloir à de la persécution. En l’espèce, la Commission a, comme il lui était loisible de le faire, tiré plusieurs conclusions défavorables au sujet de la crédibilité. [Souligné dans l’original.]

]

18        Les principes exposés dans la décision Karanja ont été suivis dans la décision Allfazadeh c. Canada (MCI), 2006 CF 1173, rendue par le juge Harrington, où il écrivait au paragraphe 6 que la SPR est présumée avoir tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Ils ont également été suivis dans la décision Cornejo, précitée, rendue par le soussigné, où j’écrivais, au paragraphe 27, que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe n’ont pas pour objet de corriger les lacunes d’une demande d’asile. Les principes exposés dans la décision Karanja ont également été suivis dans la décision I.M.P.P. c. Canada (MCI), 2010 CF 259, rendue par le juge Mosley, au paragraphe 47.

[31]           Les Directives n’ont pas pour objet d’annuler des conclusions tirées raisonnablement quant à la crédibilité des demanderesses. Toutefois, les Directives n’ont pas orienté la Commission en l’espèce puisque la Commission n’a vraisemblablement tenu aucunement compte de Directives ni ne les a mentionnées; rien dans sa décision n’indique que la Commission a été sensible à la précarité de la situation de ces jeunes filles – qu’elle fusse attribuable à leur jeune âge ou aux allégations de menaces de viol, que les demanderesses n’ont divulguées qu’après le processus d’audience accéléré et à l’audience devant la Commission.

[32]           Dans la décision Diallo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1450, 259 FTR 273, [Diallo], aux paragraphes 32 et 33, la juge Mactavish s’est prononcée comme suit au sujet de l’application des Directives:

[32]      Les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe établies par le président de la Commission reconnaissent que les incompréhensions interculturelles peuvent jouer un rôle lorsque les revendications fondées sur des motifs liés au sexe sont évaluées par la Commission. Afin de minimiser le risque que cela se produise, les commissaires sont sensibilisés à l'effet que peuvent avoir les normes sociales, culturelles, traditionnelles et religieuses sur le témoignage de ceux qui prétendent craindre d'être persécutés du fait de leur sexe.

[33]      Dans la présente affaire, le raisonnement de la Commission quant à la nécessité de prendre en compte les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe est quelque peu circulaire. La Commission a déclaré qu'elle n'avait pas à prendre en compte l'applicabilité des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe parce que Mme Diallo n'était pas digne de foi. Cependant, les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe existent, en partie, pour s'assurer que les normes sociales, culturelles, traditionnelles et religieuses ne contrecarrent pas l'évaluation appropriée de la crédibilité d'un demandeur. [Non souligné dans l’original.]

[33]           En l’espèce, contrairement à l’affaire Diallo, la Commission n’a pas déclaré qu’elle n’avait pas à tenir compte des Directives. Cependant, comme nous l’avons fait remarquer, il nous est impossible de savoir si la Commission a tenu compte des Directives. Je m’inquiète aussi de la nature circulaire de l’argument voulant que les Directives n’ont pas pour objet de remédier à une conclusion sur la crédibilité. Selon moi, si une conclusion est tirée sans égard aux Directives, ou même aux circonstances particulières de l’espèce, cette conclusion risque de ne pas être raisonnable. Il ne s’agit pas ici de remédier à la conclusion, mais plutôt de déterminer si la conclusion est raisonnable et si les facteurs de l’âge ou du sexe ont été pris en considération.

[34]           Les demanderesses ont produit les éléments de preuve suivants dans le cadre de l’audience : leur père ne discutait pas de politique avec elles; elles n’ont appris que de menaces avaient été proférées contre elles que lorsque leurs parents les ont alertées au fait que des individus les surveillaient dans les parages de l’école; leur mère les a mises au courant des détails de ces menaces seulement après qu’elles eurent insisté; leurs parents leur ont aussi fait part d’autres menaces qu’ils auraient préféré taire; leur père préférerait ne pas discuter avec elles de l’insécurité dans laquelle vivait leur famille; et leur père se considérait comme leur protecteur et leur a généralement caché les détails choquants des menaces dont elles faisaient l’objet.

[35]           Les demanderesses n’étaient plus de jeunes enfants, soit, mais la Commission ne semble pas avoir examiné leur témoignage et leur preuve en considérant le contexte; elles ont délibérément été écartées des questions politiques qui préoccupaient leur père et en savaient très peu à ce sujet. C’est précisément ce à quoi répondent les Directives no 4. La Commission s’attendait des demanderesses qu’elles connaissent les activités politiques de leur père ainsi que les circonstances et les menaces beaucoup mieux que ce qu’il était raisonnable dans ce contexte.

[36]           La Commission a relevé diverses incohérences qui ne sont pas toutes irréconciliables, et elle a rejeté les explications qu’ont présentées les demanderesses. Ici non plus, la Commission ne semble pas avoir tenu compte du fait que ces demanderesses avaient été tenues dans l’ignorance puisque leurs parents avaient voulu les protéger jusqu’à ce qu’elles partent pour le Canada.

[37]           Je souligne aussi que les demanderesses n’ont rien eu à voir avec les menaces signalées à la police et que leurs déclarations au sujet des deux hommes armés qui leur ont rendu visite à leur domicile concordaient, même si leur père mentionnait trois hommes et des menaces plus directes dans sa lettre à la police.

[38]           Lorsqu’elle réexaminera la demande, la Commission pourra bien entendu évaluer la crédibilité des demanderesses, qui ne sont aujourd’hui plus des mineures. Toutefois, elle devrait tenir compte du fait qu’elles se soient enfuies au Canada quand elles n’avaient pas encore 18 ans. Bien qu’elles soient aujourd’hui plus âgées, elles n’en sont pas moins de jeunes femmes qui ont quitté leur foyer à un jeune âge alors qu’elles risquaient de faire l’objet de violence, y compris de violence sexuelle.

La Commission a-t-elle fait erreur en concluant que les demanderesses n’avaient pas de crainte subjective?

[39]           Pour la Commission, la question déterminante était celle de la crédibilité; toutefois, la Commission a également conclu que le défaut de demander l’asile au Kenya et en Allemagne, pendant qu’elles étaient en transit vers le Canada, prouvait un manque de crainte subjective. Cette conclusion n’est pas raisonnable compte tenu du contexte et du jeune âge des demanderesses. Je constate que les demanderesses n’ont séjourné dans aucun de ces pays et ne sont jamais sorties de l’aéroport durant leur voyage à destination du Canada. Les demanderesses avaient 17 et 14 ans à l’époque et leurs parents les avaient exhortées à présenter une demande d’asile dès leur arrivée au Canada car elles ont de la famille au Canada. La Commission a eu tort de supposer que les demanderesses savaient qu’en ne demandant pas l’asile dans le premier pays où elles atterriraient, elles compromettraient leur demande et leur prétention de crainte subjective de persécution.

[40]           Comme l’a fait observer le juge Scott dans l’affaire Ruiz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 258, [2012] ACF n282, au paragraphe 61 :

[61]      Il va de soi qu’un enfant ne possède pas les mêmes capacités qu’un adulte. Bien que la CISR semble tenir compte de l’âge de C. Ruiz dans sa décision, elle conclut qu’il devait se comporter comme un adulte et déposer une demande d’asile à la première occasion. Pourtant C. Ruiz est à peine âgé de quinze ans. Il nous apparaît peu probable qu’un adolescent connaisse les complexités et subtilités de l’appareil administratif en matière d’asile et qu’il puisse jauger les eaux hasardeuses du processus d’immigration aux États-Unis sans l’aide d’un adulte. Imposer un tel fardeau à un adolescent nous apparaît déraisonnable.

[41]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Aucune question n’a été proposée aux fins de la certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUT que :

1.                     La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                    Aucune question n’a été proposée aux fins de la certification.

« Catherine M. Kane »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Marie-Michèle Chidiac, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-4966-13

 

INTITULÉ :

PIERRETTE SOPHIE MANEGE ET AUTRES c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 MArs 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE Kane

 

DATE DES MOTIFS :

LE 17 AVRIL 2014

 

COMPARUTIONS :

Nadine Edirmanasinghe

POUR LES DEMANDERESSES

 

 

Sarah Sherhols

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Edirmana Law

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

 

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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