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Date : 20140424


Dossier : IMM-3769-13

Référence : 2014 CF 383

[Traduction française certifiée, non révisée]

Perth (Ontario), le 24 avril 2014

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

ZI YANG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Madame Yang, une ressortissante chinoise, était légalement au Canada en vertu d’un permis de travail et d’un permis d’études. Comme son permis de travail était sur le point d’expirer, elle a demandé sa prorogation par écrit. Selon la preuve non contredite qu’elle a présentée, quelqu’un à Citoyenneté et Immigration Canada lui avait dit que le traitement des demandes écrites prenait un certain temps. Cette personne lui a suggéré de quitter le Canada et de demander la prorogation de son permis de travail au point d’entrée.

[2]               C’est exactement ce qu’elle a fait. Elle a quitté le Canada à Douglas, en Colombie­Britannique, et s’est présentée aux autorités de l’immigration américaines à Blaine, dans l’État du Washington. Elle a ensuite fait demi-tour. Cet aller-retour à la frontière est appelé flagpole dans les documents américains. Les agents qui l’ont interrogée ont jugé qu’elle avait travaillé illégalement au Canada après l’expiration de son permis de travail original. Un rapport a été établi pour le ministre. La déléguée du ministre a pris une mesure de renvoi contre elle. Mme Yang a été autorisée à revenir au Canada uniquement pour acheter un billet d’avion pour la Chine. Lorsqu’elle s’est présentée pour son renvoi, elle a été menottée, enchaînée et détenue jusqu’à ce qu’elle soit emmenée à bord de l’avion. Il s’agit du contrôle judiciaire de la décision de la déléguée du ministre.

I.                   Questions en litige

[3]               Cette affaire soulève deux questions en litige :

a)                  La déléguée du ministre, une agente de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC), était‑elle autorisée en droit à prendre une mesure de renvoi;

b)                  La décision était‑elle raisonnable?


II.                Faits

[4]               Mme Yang a vécu au Canada de façon intermittente depuis janvier 2007. Elle est revenue en août 2012 et a été licitement admise au Canada avec l’autorisation de travailler et d’étudier. Elle a travaillé à la société Canada Rockies International Investment Group Ltd., située à Dease Lake, en Colombie­Britannique, une entreprise familiale dont les principaux propriétaires sont son oncle et son cousin.

[5]               Avant l’expiration de son permis de travail, Mme Yang a demandé une prorogation au bureau de Vegreville. Elle a pu continuer de travailler grâce au statut implicite accordé par disposition réglementaire, pendant le traitement de sa demande. Sa demande a été rejetée, étant donné que l’entreprise n’avait pas obtenu d’avis relatif au marché du travail (AMT) à l’appui de la demande. Mme Yang a été informée du rejet de sa demande le 6 décembre 2012 ou vers cette date.

[6]               Après quoi, l’entreprise a obtenu un AMT favorable de Service Canada. Mme Yang a demandé un permis de travail et le rétablissement de son statut au bureau de Vegreville, forte de l’AMT. Entretemps, à ses dires, elle avait cessé de travailler, en ce sens qu’elle n’était pas rémunérée.

[7]               C’est le 21 mai 2013 que Mme Yang a quitté le Canada, théoriquement,. mais pas en pratique, et s’est présentée aux autorités américaines. Celles‑ci lui ont remis un formulaire intitulé Notice of Refusal of Admission/Parole into the United States. Ce formulaire était adressé au ministère de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration, à Douglas, en Colombie­Britannique. Dans la colonne intitulée Reasons for Excludability or Parole était dactylographié le mot Flagpole. Le formulaire contenait deux autres cases. L’une servait à indiquer si le ressortissant étranger s’était vu refuser l’entrée aux États­Unis. L’autre indiquait si le ressortissant s’était vu refuser l’entrée et la pré-admission sous conditions aux États­Unis. Aucune de ces cases n’était cochée.

[8]               L’expression « Flagpole » signifie manifestement quelque chose pour les autorités américaines et canadiennes, mais, peu importe ce qu’elles entendent par celles-ci, elle n’a pas été définie dans le dossier. L’avocat de Mme Yang souligne qu’il est bien connu que les personnes au Canada qui veulent faire proroger leur permis de travail ou d’études font l’aller‑retour entre les deux frontières.

[9]               L’examen de Mme Yang au point d’entrée canadien de Douglas, à Surrey, en Colombie­Britannique, a été long et fastidieux. Au moins trois agents des services frontaliers l’ont interrogée. Ils ont examiné le contenu de son téléphone portable et, après avoir fait plusieurs appels téléphoniques, ont conclu qu’elle avait travaillé illégalement au Canada après l’expiration de son permis de travail.

[10]           L’un des agents a établi un rapport aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR). Cette disposition prévoit qu’un agent qui estime que le résident permanent ou l’étranger qui se trouve au Canada est interdit de territoire peut produire un rapport circonstancié, qu’il transmet au ministre.

[11]           L’agent a renvoyé aux alinéas 41a) et 20(1)b) de la LIPR ainsi qu’à l’article 8 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Selon l’alinéa 41a), l’étranger est interdit de territoire pour tout fait « – acte ou omission – commis directement ou indirectement en contravention à la présente Loi [...] ». Selon l’alinéa 20(1)b), pour devenir un résident permanent (soit la situation dans laquelle se trouvait Mme Yang), l’étranger doit notamment « détenir les visas ou autres documents réglementaires [...] ». L’article 8 du Règlement prévoit que « [l]’étranger ne peut entrer au Canada pour y travailler que s’il a préalablement obtenu un permis de travail ».

[12]           Les faits recensés dans le rapport indiquaient que Mme Yang, qui n’était pas citoyenne canadienne ni résidente permanente :

[traduction]

A cherché à entrer au point d’entrée de Douglas à Surrey, en Colombie­Britannique, le 21 mai 2013 pour travailler;

L’intéressée a travaillé sans autorisation au Canada, et une période de six mois ne s’était pas écoulée depuis la fin du travail non autorisé aux termes de l’alinéa 200(3)e) du Règlement.

[13]           Le rapport a immédiatement été transmis à la déléguée du ministre au point d’entrée. Celle‑ci a pris une mesure d’exclusion dans laquelle elle a indiqué qu’elle était convaincue que Mme Yang était une personne visée aux alinéas 41a) et 20(1)b) de la LIPR ainsi qu’à l’article 8 du Règlement.

[14]           Le passeport chinois de la demanderesse a été saisi, et on a ordonné à celle‑ci de se rapporter à l’ASFC pour son renvoi, ce qu’elle a fait, munie d’un billet d’avion. Cependant, les autorités estimaient qu’elle risquait de prendre la fuite, et elle a été détenue jusqu’à ce qu’elle soit emmenée à bord de l’avion.

III.             Analyse

[15]           Si Mme Yang n’avait pas quitté le Canada, elle aurait conservé son statut d’étudiante étrangère. Un nouveau permis de travail ne lui aurait peut‑être pas été délivré conformément au sous‑alinéa 200(3)e)(i) du Règlement au motif qu’elle avait travaillé sans autorisation au Canada et qu’il ne s’était pas écoulé une période de six mois depuis la fin du travail en question. Il s’agit ici d’établir s’il existe une autre sanction parce qu’elle a passé la frontière. Selon le sous‑alinéa 228(1)c)(iii) du Règlement, le délégué du ministre à la frontière peut prendre une mesure d’exclusion si un ressortissant étranger est interdit de territoire en vertu de l’article 41 de la LIPR pour avoir omis d’établir qu’il détenait « les visas et autres documents réglementaires aux termes de l’article 20 de la Loi [....] ».

[16]           Il y a lieu de mener une analyse distincte des trois dispositions citées : les alinéas 41a) et 20(1)b) de la LIPR, et l’article 8 du Règlement.

[17]           Le geste posé par Mme Yang qui est réputé être en contravention de la Loi est le fait d’avoir travaillé après l’expiration de son permis de travail. Mme Yang a expliqué qu’après le rejet de sa demande de prorogation, elle avait continué d’aider l’entreprise à titre de bénévole pour acquérir de l’expérience. À l’article 2 du Règlement, l’expression « travail » s’entend d’une activité « qui donne lieu au paiement d’un salaire » ou « qui est en concurrence directe avec les activités des citoyens canadiens ou des résidents permanents sur le marché du travail ». Compte tenu du fait que Mme Yang n’était pas rémunérée, il fallait procéder à une analyse pour établir avec certitude si l’activité de Mme Yang au Canada était en concurrence directe avec les activités des citoyens canadiens. La déléguée du ministre savait que Mme Yang détenait un AMT au titre du Programme des travailleurs étrangers temporaires. Selon sa description d’emploi, elle était aide‑comptable. Les exigences linguistiques, orales et écrites, étaient l’anglais et le mandarin, étant donné que le propriétaire de l’entreprise ne parlait pas anglais. L’employé devait être en contact constant avec des fournisseurs en Chine.

[18]           Étant donné qu’aucune analyse de cet ordre n’a été menée, la décision selon laquelle la demanderesse a contrevenu à l’article 41 de la Loi n’est pas raisonnable.

[19]           En ce qui concerne l’article 20 de la LIPR, Mme Yang devait détenir le visa ou les autres documents réglementaires. Elle détenait un permis d’études. L’avocate du ministre insiste sur le fait que le permis ne l’autorisait pas à quitter le Canada et à y revenir. Toutefois, là n’était pas la raison pour laquelle elle a fait l’objet d’un rapport. De plus, il faudrait produire une grande quantité d’éléments de preuve au sujet de la pratique de « l’aller‑retour à la frontière » (flagpole) avant de pouvoir prétendre que Mme Yang a contrevenu à l’article 20.

[20]           Selon l’article 8 du Règlement, « [l]’étranger ne peut entrer au Canada pour y travailler que s’il a préalablement obtenu un permis de travail ». Les agents ont mal circonscrit toute la situation. Mme Yang s’était présentée à la frontière pour obtenir un permis de travail, et non pas pour entrer au Canada afin de travailler sans permis de travail.

[21]           Pour ces motifs, la mesure d’exclusion est annulée. Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire d’établir si la déléguée du ministre à la frontière était autorisée ou si le rapport produit aux termes du paragraphe 44(1) devait être envoyé à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.

IV.             Réparation

[22]           Étant donné que plus de six mois se sont écoulés, conformément à l’alinéa 200(3)e) du Règlement, la réparation adéquate consiste à simplement annuler la décision.

V.                Question certifiée

[23]           À l’issue de l’audience, j’ai invité les deux parties à soumettre une question grave de portée générale qui justifierait un appel devant la Cour d’appel fédérale. Les deux parties ont estimé que l’affaire ne soulevait pas une telle question. Cependant, l’avocat de Mme Yang a proposé une question ayant trait au pouvoir des agents de l’ASFC au point d’entrée. J’estime que la présente affaire est de nature très factuelle et, pour cette raison, je ne suis pas disposé à certifier une question.

 


ORDONNANCE

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI‑DESSUS;

LA COUR STATUE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire à l’égard de la mesure d’expulsion prise le 21 mai 2013 est accueillie.

2.                  La mesure d’exclusion est annulée.

3.                  Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

« Sean Harrington »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-3769-13

 

INTITULÉ :

YANG c MSPPC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

vANCOUVER (Colombie­Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 3 AVRIL 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

lE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

lE 24 AVRIL 2014

 

COMPARUTIONS

Gordon Maynard

 

pour la demanderesse

 

Helen Park

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Maynard Kischer Stojicevic

Avocats

Vancouver (Colombie­Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Vancouver (Colombie­Britannique)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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