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Date : 20140416


Dossier :

T‑1679‑12

 

Référence : 2014 CF 368

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 avril 2014

En présence de madame la juge Strickland

 

ENTRE :

TERESA PANACCI

 

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire concerne la décision, datée du 1er août 2012, par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a refusé de statuer, en application de l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 (la LCDP), sur la plainte de la demanderesse. La Commission a estimé que les allégations de discrimination formulées par la demanderesse avaient déjà été examinées dans un autre forum.

 

Contexte

[2]               Le 29 novembre 2004, la demanderesse a déposé une plainte à la Commission, alléguant que son employeur, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), avait fait preuve envers elle de discrimination en raison de sa déficience (syndrome de fatigue chronique). Elle a allégué plus précisément que l’ASFC l’avait traitée de façon préjudiciable en ne prenant aucune mesure visant à l’accommoder et en appliquant une politique ou une pratique discriminatoire, en violation des articles 7 et 10 de la LCDP. Elle a également fait valoir que l’omission de prendre des mesures d’accommodement était un problème systémique.

 

[3]               En mai 2005, la Commission a décidé, en application de l’alinéa 41(1)a) de la LCDP, de ne pas statuer sur cette plainte parce que les allégations de discrimination qu’elle contenait pouvaient être tranchées dans le cadre d’une procédure de règlement des griefs dont la demanderesse pouvait se prévaloir. La demanderesse pourrait ensuite, au besoin, demander de réactiver la plainte.

 

[4]               Le 17 juin 2005, la demanderesse a déposé un grief à l’encontre de l’ASFC, grief qui a été renvoyé à l’arbitrage par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP). Comme les événements sur lesquels il reposait sont survenus avant le 1er avril 2005, le grief a été assujetti aux dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22, article 2 (LRTFP). L’arbitre a rendu une décision le 20 janvier 2011; la mesure de réparation y prévue a été clarifiée dans une deuxième décision datée du 27 mai 2011.

 

[5]               L’arbitre a conclu que la demanderesse avait été victime de discrimination en raison de sa déficience et il a ordonné à l’ASFC d’indemniser celle‑ci pour toute perte de revenus et d’avantages sociaux qu’elle aurait subie.

 

[6]               En plus de la plainte visant l’ASFC, la demanderesse a déposé deux autres plaintes connexes à la Commission, qui a fait enquête; une des plaintes visait Santé Canada et l’autre, le Conseil du Trésor du Canada. La Commission a décidé de ne pas statuer sur ces plaintes. S’agissant de la plainte concernant Santé Canada, la Commission a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir le caractère discriminatoire des pratiques et politiques du ministère en matière d’évaluation de l’employabilité. Quant à la plainte concernant le Conseil du Trésor, la Commission a conclu que ce dernier n’était pas responsable des actes discriminatoires allégués et que la preuve ne permettait pas de conclure que ses politiques étaient discriminatoires à l’endroit des personnes handicapées.

 

[7]               La demanderesse a demandé le contrôle judiciaire de ces deux décisions. La Cour a rejeté la demande concernant Santé Canada, mais a annulé la décision prise par la Commission à l’égard du Conseil du Trésor (Panacci c Canada (Procureur général), 2010 CF 114). La Cour a ordonné à la Commission de mener une nouvelle enquête sur la plainte visant le Conseil du Trésor, une fois que le processus de règlement du grief déposé par la demanderesse serait terminé. Dans l’hypothèse où le grief serait retenu et que la plainte concernant l’ASFC serait portée devant la Commission, celle‑ci devait déterminer si les plaintes visant le Conseil du Trésor et l’ASFC devraient faire l’objet d’une enquête et d’un rapport d’enquête conjoints.

 

[8]               Le 19 avril 2011, la demanderesse a demandé que la plainte initiale qu’elle avait déposée à l’encontre de l’ASFC soit réactivée par la Commission. Dans une lettre datée du 10 août 2012, la Commission a informé la demanderesse de sa décision de ne pas statuer sur sa plainte en application de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP. C’est cette décision qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire (décision).

 

Décision faisant l’objet du contrôle

[9]               Le compte rendu de décision (articles 40 et 41) indique que, conformément à l’alinéa 41(1)d) et pour les motifs énoncés, la Commission a décidé de ne pas statuer sur la plainte. La Commission a fait siennes les conclusions du rapport fondé sur les articles 40 et 41, daté du 16 mars 2012, que voici :

[traduction] À la lumière des décisions rendues dans Boudreault, Barrette et Figliola, la Commission ne saurait s’appuyer sur la décision rendue dans le cadre d’une autre instance pour rejeter une plainte, elle doit plutôt former sa propre opinion. Elle doit aussi décider s’il est dans l’intérêt public de statuer sur la plainte avant de procéder à sa propre enquête. La Commission doit se demander si, dans le cadre de l’autre instance, le décideur s’est penché essentiellement sur les mêmes questions que celles soulevées dans la plainte dont elle est saisie et si ces questions ont été tranchées. La Commission ne peut statuer sur une plainte qui a été tranchée dans le cadre d’une autre instance que si a) la plainte dont elle est saisie porte sur des questions relatives aux droits de la personne qui n’ont pas été examinées par l’autre décideur; ou que si b) le plaignant n’a pas eu l’occasion de débattre des questions relatives aux droits de la personne dans le cadre de l’autre instance.

 

Un arbitre de la CRTFP ayant compétence concurrente en matière de droits de la personne a rendu une décision finale concernant le grief de la plaignante. Ce grief soulevait essentiellement les mêmes allégations que celles relatives à l’article 7 soulevées dans la présente plainte. Il est évident que toutes les allégations soulevées par la plaignante à l’encontre de l’ASFC sur le fondement de l’article 7 ont été examinées par l’arbitre de grief et que la plaignante a eu l’occasion de débattre des questions de droits de la personne la concernant dans le cadre du processus de règlement du grief.

 

Bien que l’arbitre de grief n’ait pas examiné l’allégation de la plaignante relative à l’article 10, laquelle portait sur l’obligation d’accommodement, il semble que cette allégation, si elle est avérée, n’est pas susceptible de donner lieu à un résultat pratique. En effet, la défenderesse a déjà pris d’importantes mesures pour satisfaire davantage à cette obligation, notamment en adoptant une politique complète sur l’obligation d’accommodement et en offrant des séances de formation en milieu de travail. Cette nouvelle Politique sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation et les séances de formation y afférentes offertes par l’ASFC à ses employés semblent répondre aux problèmes systémiques soulevés par la plaignante. Cette partie de la plainte semble frivole au sens de la Loi, en ce que le règlement de la plainte ne servirait pas l’objet de la Loi et qu’il ne serait pas dans l’intérêt public que la Commission statue sur cette plainte.

 

Questions en litige

[10]           Les questions en litige sont les suivantes :

i)        Quelle est la norme de contrôle applicable?

ii)      La décision de la Commission de ne pas statuer sur la plainte déposée par la demanderesse sur le fondement de l’article 7 de la LCDP est‑elle raisonnable?

iii)    La décision de la Commission de ne pas statuer sur la plainte déposée par la demanderesse sur le fondement de l’article 10 de la LCDP est‑elle raisonnable?

 

Norme de contrôle

Position de la demanderesse

[11]           La demanderesse affirme que les décisions fondées sur l’article 41 de la LCDP sont discrétionnaires et sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]; Lawrence c Société canadienne des postes, 2012 CF 692 [Lawrence]; English‑Baker c Canada (Procureur général), 2009 CF 1253 [English‑Baker]). Cependant, l’éventail des issues acceptables est limité en l’espèce. L’article 41 prévoit un examen préliminaire des plaintes. Si la Commission décide de ne pas statuer sur une plainte à cette étape, elle la rejette sans faire enquête. La demanderesse fait valoir que la Commission ne devrait déclarer une plainte irrecevable à cette étape que dans les cas « les plus évidents » et que cette exigence restreint l’éventail des décisions qui satisferont à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Société canadienne des postes c Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1997), 130 FTR 241, confirmée par [1999] ACF no 705 (CAF), autorisation de pourvoi refusée [1999] CSC no 323 [Postes Canada]).

 

[12]           Par ailleurs, la décision de la Commission de ne pas statuer sur la plainte fondée sur l’article 7 comportait une dimension juridique importante puisque le raisonnement de la Commission reposait sur son interprétation de l’arrêt de la Cour suprême Colombie‑Britannique (Workers’ Compensation Board) c Figliola, 2011 CSC 52 [Figliola]; (Canada (Procureur général) c Abraham, 2012 CAF 266, aux paragraphes 42‑43, 45, 49; Michon‑Hamelin c Canada (Procureur général), 2007 CF 1258, au paragraphe 20 [Michon‑Hamelin]). Si la Commission a commis une erreur à cet égard, sa décision de ne pas statuer sur la plainte déposée en application de l’article 7 n’était pas raisonnable.

 

Position du défendeur

[13]           Le défendeur fait valoir que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, selon l’arrêt Dunsmuir, précité, et nonobstant les observations du juge Rothstein dans la décision Postes Canada, précitée, au paragraphe 13, selon lesquelles la Commission ne devrait déclarer une plainte irrecevable à cette étape que dans les cas « les plus évidents » (Chan c Canada (Procureur général), 2010 CF 1232, aux paragraphes 14‑15 [Chan]; English‑Baker, précitée, au paragraphe 13).

 

Analyse

[14]           Il n’est pas toujours nécessaire de procéder à une analyse de la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question précise dont elle est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme (Dunsmuir, précité, au paragraphe 62). La jurisprudence a établi que la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission de ne pas statuer sur une plainte sur le fondement du paragraphe 41(1) de la LCDP est celle de la décision raisonnable (Chan, précitée; English‑Baker, précitée, au paragraphe 13; Lawrence, précitée, au paragraphe 18). Cette norme s’applique tant au processus décisionnel qu’au résultat (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47). Dans le cadre d’un tel contrôle, la Cour doit s’intéresser à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel de même qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[15]           S’appuyant sur la décision Postes Canada, précitée, la demanderesse fait valoir que l’exigence liée aux cas « les plus évidents » mentionnée par le juge Rothstein a pour objet de restreindre l’éventail des décisions qui satisferont au critère de la décision raisonnable; l’éventail des issues acceptables est donc limité dans les affaires relatives à l’article 41 de la LCDP. Comme je l’ai déjà mentionné, les observations du juge Rothstein ont été citées dans la décision Chan, précitée, où la Commission a refusé, conformément à l’alinéa 41(1)d), de statuer sur la plainte de la demanderesse parce qu’un enquêteur indépendant avait déjà enquêté sur ses allégations. La demanderesse a allégué que la Commission n’avait pas compétence pour statuer sur sa plainte.

 

[16]           Le juge Russell a dit ce qui suit :

[15]     À mon avis toutefois, la demanderesse n’a soulevé aucune question touchant à la compétence. Elle reproche à la Commission de ne pas avoir bien appliqué l’alinéa 41(1)d) de la Loi aux faits qui lui avaient été présentés. Je crois que cette question commande l’application de la norme de la raisonnabilité. Malgré les propos tenus par le juge Rothstein au paragraphe 3 de la décision Société canadienne des postes c Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (re Assoc canadienne des maîtres de poste et adjoints), 130 FTR 241, [1997] ACF no 578 [Assoc Canadienne des Maîtres de poste] selon lesquels « … la Commission ne devrait déclarer une plainte irrecevable à cette étape que dans les cas les plus évidents », la plus récente jurisprudence de la Cour et en particulier depuis l’arrêt Dunsmuir applique la norme de la raisonnabilité lorsque la Commission refuse de statuer sur une plainte fondée sur l’alinéa 41(1)d). Voir English‑Baker c Canada (Procureur général), 2009 CF 1253 (CanLII), 2009 CF 1253, [2009] ACF no 1604, paragraphe 13; Verhelle c Société canadienne des postes, 2010 CF 416 (CanLII), 2010 CF 416, [2010] ACF no 481, paragraphes 6 et 7; Morin c Canada (Procureur général), 2007 CF 1355 (CanLII), 2007 CF 1355, [2007] ACF no 1741 au paragraphe 25.

 

[17]           Bien qu’une décision fondée sur l’article 41 puisse n’offrir qu’un éventail limité d’issues acceptables, en ce sens où il s’agit de décider à titre préliminaire de statuer ou non sur la plainte, le fait que la décision exige une réponse de type « oui ou non » n’empêche pas l’application de la norme de la décision raisonnable. « Ce n’est pas parce que seules deux conclusions sont possibles qu’il faut faire montre de moins de retenue envers le Tribunal. Cela ne signifie pas non plus qu’une seule des conclusions est raisonnable (et donc correcte) et que l’autre ne l’est pas. » (HBC Imports (Zellers Inc) c Canada (Agence des services frontaliers), 2013 CAF 167, au paragraphe 9).

 

[18]           En ce qui concerne l’affirmation selon laquelle la décision de la Commission de ne pas statuer sur la plainte déposée en application de l’article 7 présentait une dimension juridique importante puisque la Commission s’est fondée sur son interprétation de l’arrêt Figliola, précité, j’estime que cela n’a pas d’incidence sur la norme de contrôle applicable en l’espèce. Comme l’a dit la Cour suprême dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, au paragraphe 24, « [e]n somme, lorsqu’il s’agit d’interpréter et d’appliquer sa propre loi, dans son domaine d’expertise et sans que soit soulevée une question de droit générale, la norme de la décision raisonnable s’applique habituellement, et le Tribunal a droit à la déférence ».

 

[19]           En l’espèce, la Commission a interprété et appliqué l’alinéa 41(1)d) de sa loi constitutive au moment de prendre la décision discrétionnaire de statuer ou non sur la plainte de la demanderesse. Par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, et la Commission a droit à la déférence. Rien de plus, rien de moins.

 

 

QUESTION 1 : La décision de la Commission de rejeter la plainte déposée par la demanderesse sur le fondement de l’article 7 de la LCDP est‑elle raisonnable?

 

Position de la demanderesse

 

[20]           La demanderesse affirme que la décision de la Commission concernant la plainte qu’elle a déposée sous le régime de l’article 7 était fondée sur une application erronée de l’arrêt Figliola, précité. Selon elle, cet arrêt établit que la personne dont la plainte en matière de droits de la personne a été rejetée peut débattre à nouveau de la question devant un autre forum. Cependant, en l’espèce, l’arbitre n’avait pas compétence pour appliquer la LCDP. Par conséquent, la Commission a commis une erreur en concluant que l’arrêt Figliola s’appliquait dans ce contexte.

 

[21]           Bien qu’il ait été remplacé par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (LRTFP) en 2005, le régime de règlement des griefs dans la fonction publique fédérale établi par l’ancienne LRTFP est applicable en l’espèce (Loi sur la modernisation de la fonction publique, LC 2003, c 22, paragraphe 61(1)). La distinction essentielle entre les deux régimes tient au pouvoir qu’a l’arbitre d’appliquer la législation sur les droits de la personne. L’alinéa 226(1)g) de la LRTFP autorise expressément l’arbitre à interpréter et à appliquer la LCDP, alors que l’alinéa 226(1)h) lui confère le pouvoir de rendre les ordonnances prévues à l’alinéa 53(2)e) ou au paragraphe 53(3) de la LCDP. Ces dispositions doivent cependant être mise en contraste avec l’ancienne LRTFP qui, au paragraphe 91(1), limitait la compétence de l’arbitre aux questions pour lesquelles « aucun autre recours administratif de réparation [n’était] ouvert sous le régime d’une loi fédérale ». Ainsi, l’arbitre nommé en vertu de l’ancienne LRTFP ne peut interpréter ou appliquer d’autres lois, y compris la LCDP.

 

[22]           Comme il rendait sa décision en vertu de l’ancienne LRTFP, l’arbitre n’avait pas compétence pour appliquer la LCDP. Il n’a donc pas examiné les allégations de discrimination systémique, et il ne pouvait prendre les mesures de réparation prévues à l’article 53 de la LCDP. Ces dernières comprenaient des mesures d’ordre individuel et systémique, une indemnité pour préjudice moral, et une indemnité spéciale pour conduite délibérée ou inconsidérée (MacTavish c Prince Edward Island, 2009 PESC 18, au paragraphe 49; Ontario (Human Rights Commission) c Shelter Corp, [2001] O.J. no 297 (C.div.) (QL), au paragraphe 43 [Shelter Corp]; Willoughby c Société canadienne des postes, 2007 TCDP 45, aux paragraphes 100, 102 [Willoughby]). L’enquêteur a reconnu que l’arbitre n’avait pas compétence pour appliquer la LCDP et qu’il ne pouvait donc pas accorder des dommages‑intérêts pour préjudice moral. Or, s’appuyant sur l’arrêt Figliola, précité, il a conclu que la Commission devait respecter le caractère définitif de la décision de l’arbitre et, par conséquent, refuser d’instruire la plainte.

 

[23]           La demanderesse fait valoir qu’elle n’a pas eu droit à une instruction complète de sa plainte parce que le processus de règlement des griefs ne le permettait pas. La Commission a manifestement commis une erreur en concluant que l’arbitre de la CRTFP pouvait [traduction] « exercer une compétence concurrente en matière d’application des lois sur les droits de la personne ». De plus, en appliquant l’arrêt Figliola, la Commission [traduction] « a en effet privé la plaignante de son droit à une réparation complète pour la violation de ses droits fondamentaux ».

 

[24]           La demanderesse s’est appuyée sur des décisions antérieures de la Cour concernant l’alinéa 41(1)d), lesquelles, tout comme dans l’arrêt Figliola, établissaient que la Commission devrait refuser de statuer sur les plaintes déjà tranchées par un autre décideur administratif (Société canadienne des postes c Barrette,[2000] 4 CF 145; English‑Baker, précitée; Lawrence, précitée, au paragraphe 18); cependant, elle prétend que ces décisions ne s’appliquent pas parce que les plaignants en cause cherchaient à obtenir devant la Commission une issue différente et meilleure, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. L’arrêt Figliola n’a pas modifié les circonstances dans lesquelles s’applique l’alinéa 41(1)d), comme l’illustre l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Office des transports du Canada), 2011 CAF 332, où la Cour d’appel fédérale, qui a appliqué l’arrêt Figiola, fait une mise en garde contre le magasinage de forum et conclut que la Commission a commis une erreur en instruisant la plainte, du fait que celle‑ci avait été rejetée par une décision finale rendue à l’issue d’une autre instance.

 

Position du défendeur

 

[25]           Le défendeur affirme que la décision de la Commission de ne pas statuer sur la plainte déposée en application de l’article 7, au motif que les allégations de la demanderesse avaient été prises en compte par l’arbitre du travail et que ce dernier avait à cette occasion dûment examiné sa plainte, était raisonnable.

 

[26]           Le défendeur fait valoir que le paragraphe 41(1) oblige la Commission à procéder à un examen préliminaire de façon à ne statuer que sur les plaintes méritant de faire l’objet d’une enquête. L’interdiction relative aux procédures frivoles ou vexatoires prévue à l’alinéa 41(1)d) vise à « empêcher le gaspillage de ressources judiciaires et institutionnelles ainsi que les dépenses inutiles pour les parties impliquées » (English‑Baker, précitée, au paragraphe 20). Pour éviter les abus de procédure, le législateur a conféré à la Commission le pouvoir discrétionnaire d’éliminer de telles procédures, et les tribunaux ne peuvent intervenir à cet égard, sauf si ce pouvoir discrétionnaire est exercé de façon arbitraire sans motif raisonnable (Morin c Canada (Procureur général), 2007 CF 1355, aux paragraphes 31 et 33). La doctrine de l’abus de procédure peut entrer en jeu, si l’instance était autorisée à aller de l’avant, lorsqu’il y aurait violation de principes comme ceux « d’économie, de cohérence, de caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justice » (Figliola, précité, aux paragraphes 25 et 33).

 

[27]           Le défendeur soutient que la plainte de la demanderesse selon laquelle elle a été victime de discrimination en raison d’une déficience et de l’absence de mesures d’accommodement a été dûment examinée par l’arbitre du travail. Ce dernier s’est penché attentivement sur les faits et les questions intéressant la plainte de la demanderesse, a analysé les allégations de discrimination et a déterminé si la demanderesse avait bénéficié de mesures d’accommodement sans qu’il n’en résulte de contrainte excessive. La Commission a conclu que le grief soulevait essentiellement les mêmes allégations que celles soulevées par la plainte déposée sur le fondement de l’article 7 de la LCDP et que l’allégation de discrimination avait été examinée dans le cadre du processus de grief.

 

[28]           Il y aurait abus de procédure si la plainte fondée sur l’article 7 pouvait être instruite une deuxième fois dans le cadre du régime de protection des droits de la personne, ce qui représenterait un risque de répétition des instances et de conclusions contradictoires (Figliola, précité, au paragraphe 33). Les principes qui sous‑tendent la disposition en cause dans l’arrêt Figliola sont les mêmes en l’espèce. Il s’agit de déterminer s’il a déjà été statué sur le fond de la plainte de la demanderesse, ce qui est le cas. Les réparations possibles dans chacune des procédures de recours n’ont pas à être identiques pour écarter la compétence de l’autre décideur (Byers Transport Ltd c Kosanovich, [1994] CF no 943, au paragraphe 39 [Byers Transport Ltd]) et remplir les objectifs consistant à assurer « l’équité du caractère définitif du processus décisionnel » et à « éviter la remise en cause de questions déjà tranchées par un décideur ayant compétence pour en connaître », énoncés au paragraphe 25 de l’arrêt Figliola, précité.

 

[29]           Le défendeur conclut que l’affaire Figliola, précitée, ne se distingue pas de la présente espèce, car la plaignante cherche une meilleure issue – une meilleure réparation – dans un forum différent. Il n’est pas justifié de modifier la décision prise par la Commission en application de l’alinéa 41(1)d), car elle appartient aux issues possibles acceptables.

 

Analyse

 

[30]           L’arbitre n’avait pas compétence pour accorder les réparations prévues par la LCDP (Giroux c Conseil du Trésor (Agence des services frontaliers du Canada), 2009 CRTFP 45), et, à cet égard, la demanderesse n’a pas eu droit à une instruction et à un règlement complets de sa plainte. Il n’était donc pas raisonnable pour la Commission de rejeter de façon sommaire la plainte fondée sur l’article 7 parce qu’elle était « frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi », au sens de l’alinéa 41(1)d).

 

[31]           Ainsi que l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Exeter c Canada (Procureur général), 2012 CAF 119, au paragraphe 34 :

Lorsqu’une partie souhaite plaider des questions qui ont déjà été réglées, il est loisible à la Commission de conclure que la plainte est « frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi ». En effet, plaider de nouveau les questions qui ont déjà été réglées ou résolues peut constituer un abus de procédure, ce qui permettrait de qualifier de vexatoires les tentatives ainsi faites pour débattre de nouveau de la question.

 

[32]           Dans l’arrêt Figliola, précité, la Cour suprême a exposé la démarche à adopter pour déterminer si un demandeur cherche essentiellement à débattre à nouveau d’une question devant un autre forum :

[37]     En s’appuyant sur ces principes sous‑jacents, le Tribunal est appelé à se demander s’il existe une compétence concurrente pour statuer sur les questions relatives aux droits de la personne, si la question juridique tranchée par la décision antérieure était essentiellement la même que celle qui est soulevée dans la plainte dont il est saisi et si le processus antérieur, qu’il ressemble ou non à la procédure que le Tribunal préfère ou utilise lui‑même, a offert la possibilité aux plaignants ou à leurs ayants droit de connaître les éléments invoqués contre eux et de les réfuter. Toutes ces questions visent à déterminer s’il « a été statué de façon appropriée » sur le fond de la plainte. Il s’agit, en définitive, de se demander s’il est logique de consacrer des ressources publiques et privées à la remise en cause de ce qui est essentiellement le même litige.

 

[33]           Cependant, la Commission, qui a appliqué ce principe (rapport fondé sur les articles 40 et 41) (au paragraphe 40, dossier de demande, volume I, à la page 26), a commis une erreur en concluant ce qui suit :

[traduction]

La plaignante a également demandé à la Commission de statuer sur sa plainte, parce que son grief avait été réglé selon les dispositions de l’ancienne Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et que l’arbitre n’avait pas compétence pour lui accorder des dommages‑intérêts pour préjudice moral. Cependant, selon le récent arrêt Figliola, la Commission doit respecter le caractère définitif des décisions rendues par d’autres décideurs administratifs exerçant une compétence concurrente en matière d’application des lois sur les droits de la personne lorsque les questions soulevées dans l’autre procédure sont essentiellement les mêmes que les allégations soulevées dans la plainte dont elle est saisie. C’est le cas dans la présente plainte.

 

[34]           Cependant, l’arbitre de grief en l’espèce n’avait pas, en vertu de l’ancienne LRTFP, compétence concurrente pour appliquer la LCDP. Plus précisément, il n’avait pas le pouvoir d’accorder des dommages‑intérêts pour préjudice moral, mesure définie dans la décision Shelter Corp, précitée, comme étant une [traduction] « indemnité pour la perte du droit de ne pas être victime de discrimination ». Ces dommages‑intérêts peuvent être accordés par la Commission en vertu de l’article 53 de la LCDP (Willoughby, précitée, aux paragraphes 100, 102).

 

[35]           Il importe également de mentionner que, au paragraphe 36 de l’arrêt Figliola, précité, la juge Abella a écrit que, pour déterminer si une question a été entièrement ou adéquatement tranchée devant un autre forum, « ce ne sont pas tant des dogmes doctrinaux précis qui devraient guider [l’organe des droits de la personne] que les objets de la disposition, qui sont d’assurer l’équité du caractère définitif du processus décisionnel et d’éviter la remise en cause de questions déjà tranchées par un décideur ayant compétence pour en connaître ». En outre, l’importance de fournir aux plaignants « la possibilité d’être entendus par un décideur compétent en la matière » est également mentionnée au paragraphe 49. En d’autres mots, pour déterminer si une question a été entièrement tranchée, la Commission devrait se pencher sur le fond de la question et établir un équilibre entre l’équité et la protection du caractère définitif de la décision antérieure. En l’espèce, l’équité porte à croire que la question n’a pas été entièrement tranchée, s’agissant de la réparation, parce que l’arbitre n’avait pas compétence pour statuer sur une partie de la plainte de la demanderesse.

 

[36]           Le défendeur fait valoir que les principes qui sous‑tendent la disposition en cause dans l’arrêt Figliola sont les mêmes en l’espèce et qu’il s’agit de déterminer s’il a déjà été statué sur le fond de la plainte de la demanderesse. Bien que je convienne que les principes liés à l’équité et au caractère définitif du processus décisionnel, ainsi qu’à la prévention des remises en cause de questions déjà tranchées s’appliquent, je ne saurais qualifier la question de compétence de faux‑fuyant. L’extrait de l’arrêt Figliola cité par le défendeur, « éviter la remise en cause de questions déjà tranchées par un décideur ayant compétence pour en connaître » (paragraphe 36, non souligné dans l’original), donne une fausse idée de la question de la compétence, étant donné que, en l’espèce, l’arbitre n’avait pas le pouvoir d’accorder des dommages‑intérêts pour préjudice moral et de régler cet aspect de la plainte. On peut en dire autant de la décision Byers Transport Ltd, précitée, sur laquelle s’est appuyé le défendeur :

[39]      […] la plainte (c.‑à‑d. les faits reprochés) doit être essentiellement la même dans l’autre recours. Cependant, je doute que les réparations prévues dans l’autre disposition doivent être égales ou supérieures pour que l’arbitre perde la compétence dont il est investi en vertu de l’alinéa 242(3.1)b ). Cette disposition n’exige pas que le Code canadien du travail ou une autre loi fédérale prévoie le même recours. Elle exige simplement qu’un autre recours existe à l’égard de la même plainte […] Je ne crois pas que les réparations découlant des recours doivent être exactement les mêmes, bien que la procédure en question doive certainement permettre à la même partie plaignante d’obtenir une véritable réparation.

 

[37]           Comme il est déclaré dans l’arrêt Boutilier, précité, dans le contexte de l’article 91 de l’ancienne LRTFP :

[23]      Si le plaignant peut se prévaloir d’un autre recours administratif de réparation, ce recours doit être épuisé dans la mesure où il fournit une réparation « véritable ». Ce recours n’a pas à fournir une réparation égale ou supérieure, à condition qu’il traite la plainte « de façon raisonnable et efficace quant au fond du grief de l’employé » […] Que le recours administratif soit différent, même s’il s’agit d’une « réparation moindre », il n’en demeure pas moins un recours.

 

[38]           Les faits présentés à l’arbitre et à la Commission étaient essentiellement les mêmes en l’espèce. Cependant, il ne s’agit pas d’une situation où les réparations prévues par un régime ou une disposition étaient comparables à celles prévues par un autre régime ou une autre disposition. La LRTFP ne permettait pas d’accorder les dommages‑intérêts pour préjudice moral ou pour tout acte discriminatoire délibéré ou inconsidéré que prévoient l’alinéa 53(2)e) ou le paragraphe 53(3), alors qu’une telle indemnité, si elle était justifiée, pouvait être accordée à la demanderesse en vertu de la LCDP. Par conséquent, il s’agit non pas d’un cas de réparation moindre, mais plutôt d’un cas d’absence de recours. Bien que la possibilité d’une remise en cause soit regrettable, celle‑ci se limite en l’espèce à un examen des réparations prévues à l’article 53.

 

[39]           J’aimerais également mentionner que le rapport fondé sur les articles 40 et 41 précise, au sujet du caractère frivole d’une plainte au sens de la LCDP, que la Commission peut s’appuyer sur divers facteurs pour décider si elle doit ou non statuer sur la plainte en application de l’alinéa 41(1)d). Un de ces facteurs consiste à déterminer si la LCDP prévoit des mesures de réparation pour les actes ou omissions visés par la plainte. En l’espèce, une telle réparation, qui ne pouvait pas être ordonnée par l’arbitre du travail, est possible.

 

[40]           Pour ces motifs, la décision de la Commission de rejeter la plainte déposée par la demanderesse sur le fondement de l’article 7 de la LCDP n’était pas raisonnable.

 

QUESTION 2 : La décision de la Commission de rejeter la plainte déposée par la demanderesse sur le fondement de l’article 10 de la LCDP est‑elle raisonnable?

 

Position de la demanderesse

[41]           La demanderesse affirme qu’il était déraisonnable pour la Commission de rejeter la plainte qu’elle a déposée en application de l’article 10 à l’étape de l’examen préliminaire du fait que celle‑ci n’était pas susceptible de donner lieu à un résultat pratique. Il n’était pas évident que l’alinéa 41(1)d) s’appliquait à sa plainte (Postes Canada, précitée, au paragraphe 3, Canada (Procureur général) c Maracle, 2012 CF 105, aux paragraphes 39, 43; Michon‑Hamelin, précitée, au paragraphe 16).

 

[42]           La Commission a conclu que, après que la demanderesse eut déposé sa plainte, l’ASFC avait pris des mesures importantes pour satisfaire à son obligation d’accommodement, notamment en adoptant une politique à cet égard (la politique) et en offrant des séances de formation sur le sujet. Cependant, la Commission n’a pu déterminer si ces mesures suffisaient à remédier à l’omission systémique de satisfaire à l’obligation d’accommodement ou si les mesures prises en réponse à une autre plainte de discrimination fondée sur la situation de famille avaient permis de remédier à la discrimination systémique fondée sur la déficience alléguée par la demanderesse. La politique a été adoptée par suite d’une ordonnance prononcée par le Tribunal canadien des droits de la personne dans Johnstone c l’Agence des services frontaliers du Canada, 2010 TCDP 20 [Johnstone], une affaire de discrimination fondée sur la situation de famille. Bien que la Commission ait dit que la politique visait l’obligation de prendre des mesures d’accommodement de façon générale, et non seulement pour des motifs liés à la situation de famille, qu’elle approuvait cette politique et que les séances de formation à l’intention des gestionnaires de l’ASFC intégraient des composantes de la formation offerte par la Commission, la demanderesse prétend que cela ne démontre pas de façon concluante qu’aucune autre réparation d’ordre systémique ne serait requise si elle parvenait à établir le bien‑fondé de ses plaintes. La discrimination fondée sur la déficience soulève des questions particulières et il est peu probable que, dans un effort visant à améliorer les procédures d’adaptation en général, on ait pu y répondre.

 

[43]           Par ailleurs, la demanderesse soutient que Commission a considéré de façon trop restrictive ses allégations de discrimination systémique en laissant entendre qu’elles n’avaient trait qu’à un manque de compréhension et à une omission de satisfaire à l’obligation de prendre des mesures d’adaptation. Or, considérée globalement, sa plainte laisse voir que l’ensemble du processus auquel elle a été assujettie était discriminatoire et nécessitait des changements. Par conséquent, si ces allégations s’avéraient fondées, d’autres réparations pourraient être accordées. En outre, la politique n’aborde pas ces allégations.

 

[44]           La demanderesse fait valoir que le Conseil du Trésor avait déjà mis en œuvre une politique générale concernant les mesures d’adaptation. Cependant, comme l’a reconnu la Cour lors du contrôle judiciaire de la décision prise par la Commission sur la plainte visant le Conseil du Trésor, le fait que celui‑ci n’a pas « suffisamment surveillé la mise en œuvre » de sa politique était le fondement de la plainte de la demanderesse (Panacci c Conseil du Trésor, 2011 CRTFP 72; Panacci c Canada (Procureur général), 2010 CF 114, au paragraphe 64). La Cour a conclu que la Commission avait commis une erreur en ne tenant pas compte de la mise en œuvre de la politique dans son enquête. Elle a aussi conclu que la plainte visant le Conseil du Trésor était étroitement liée à celle visant l’ASFC et ordonné que les plaintes fassent l’objet d’une enquête conjointe si la plainte contre l’ASFC était portée devant la Commission. Si tel avait été le cas, la Commission aurait pu déterminer que des réparations combinées à l’encontre du Conseil du Trésor et de l’ASFC étaient justifiées, ce qui souligne le caractère déraisonnable de la conclusion selon laquelle il était évident que la plainte visant l’ASFC ne donnerait lieu à aucun résultat pratique.

 

Position du défendeur

[45]           Le défendeur prétend que la décision de la Commission de ne pas statuer sur la plainte déposée par la demanderesse en application de l’article 10, parce que cela n’aurait pas d’effet pratique et que la plainte était frivole au sens de la LCDP, n’est pas déraisonnable compte tenu de la nature exhaustive de la politique de l’ASFC et des activités de formation connexes. La politique est un document de 25 pages qui énonce les obligations légales qu’impose à l’ASFC le devoir de prendre des mesures d’adaptation et qui établit un processus structuré permettant de traiter les demandes à cet égard. En mars 2012, la politique avait été présentée à 414 gestionnaires de l’ASFC dans le cadre de 38 séances de formation tenues au Canada. Contrairement à ce qu’affirme la demanderesse, la politique traite non seulement de la discrimination fondée sur la situation de famille et des mesures d’adaptation y afférentes, mais également de tous les motifs de distinction illicite, y compris la déficience.

 

[46]           Essentiellement, le défendeur prétend que la plainte déposée en 2004 par la demanderesse est devenue désuète en raison des événements qui ont suivi. Si la plainte faisait état [traduction] « d’un manque de compréhension quant à l’obligation d’accommodement » qui incombe à l’ASFC, de même que [traduction] « d’un manque de soutien à la mise en œuvre de cette obligation » et de la nécessité [traduction] « d’assurer une surveillance continue », ces questions sont maintenant réglées par la politique et les séances de formation offertes aux gestionnaires de l’ASFC.

 

Analyse

 

[47]           En l’espèce, l’enquêteur a conclu dans le rapport fondé sur les articles 40 et 41 que, même si l’arbitre de grief n’a pas examiné la plainte déposée par la demanderesse en application de l’article 10, cette plainte, si elle était avérée, ne serait pas susceptible de donner lieu à un résultat pratique parce que le défendeur avait déjà pris des mesures importantes pour satisfaire davantage à son obligation d’accommodement, notamment en adoptant la politique et en offrant des séances de formation connexes. Par conséquent, cet aspect de la plainte était frivole, au sens de la LCDP, car le règlement de la plainte ne servirait pas l’objet de la Loi et qu’il ne serait pas dans l’intérêt du public que la Commission statue sur cette plainte.

 

[48]           En ce qui concerne la politique, le rapport fondé sur les articles 40 et 41 indique ce qui suit :

         Dans la décision Johnstone, précitée, le Tribunal canadien des droits de la personne a ordonné à l’ASFC de mettre fin à ses pratiques discriminatoires à l’endroit des employés demandant la prise de mesures d’adaptation et d’élaborer une politique d’accommodement en consultation avec la Commission;

         Le Tribunal canadien des droits de la personne a examiné la nouvelle politique de l’ASFC et l’a jugé satisfaisante;

         Si l’affaire Johnstone portait précisément sur le motif de la situation de famille, la nouvelle politique couvre tous les motifs de distinction illicite énumérés à l’article 3 de la LCDP;

         La politique prévoit ce qui suit : « L’objectif de cette politique consiste à promouvoir un milieu de travail inclusif et non discriminatoire et d’assurer (sic) une approche efficace et coordonnée pour répondre aux demandes de ses employés en matière d’adaptation, conformément à la LCDP. »;

         La politique définit l’obligation de prendre des mesures d’adaptation, notamment comme suit : « […] les besoins pour lesquels des mesures d’adaptation sont nécessaires sans qu’elles ne causent une contrainte excessive découlent des facteurs suivants : […] une déficience […] »;

         La politique énonce les rôles et responsabilités des employés, des gestionnaires/superviseurs et d’autres personnes, notamment le coordonnateur national, Programme de gestion des cas d’adaptation et de l’invalidité. Ce dernier doit entre autres surveiller et évaluer l’application des mesures d’adaptation et en rendre compte au moyen de rapports d’étape trimestriels, en plus de surveiller les demandes de mesures d’adaptation de façon ponctuelle afin que les politiques et procédures soient appliquées correctement. En outre, il doit recommander, élaborer et mettre en œuvre des plans de communication et des séances d’information, de formation et de sensibilisation sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation; surveiller les rapports trimestriels pour cerner les tendances et les questions ainsi que pour évaluer l’efficacité du programme sur l’obligation de prendre des mesures d’adaptation; il doit finalement examiner annuellement la politique et la réviser au besoin.

         La politique énonce les recours dont dispose l’employé dont la demande de mesures d’adaptation a été refusée et donne des indications en matière de suivi et de rapports, par exemple quant à la surveillance de l’application de la politique et à la prise des mesures correctives nécessaires afin d’en assurer l’observation;

         En date du 16 juin 2011, l’ASFC avait tenu 38 séances de formation dans tout le pays, auxquelles 414 gestionnaires avaient participé;

         Dans une lettre datée du 13 mars 2012, l’ASFC indiquait à la Commission que sa formation intègre de nombreuses composantes de la formation offerte par la Commission. Elle ajoutait qu’il y est entre autres questions des motifs de distinction illicite et de l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’adaptation, des rôles et responsabilités de chaque personne participant au processus d’adaptation et des différentes étapes de ce processus. L’ASFC précisait en outre que des séances de formation supplémentaires étaient prévues au cours de la prochaine année.

 

[49]           La politique a été versée au dossier. L’examen de celle‑ci vient étayer la conclusion de la Commission. Il importe également de mentionner que les gestionnaires/superviseurs sont tenus, entre autres, de consulter les employés pour déterminer la nature des mesures d’adaptation requises; d’entreprendre une évaluation individuelle des besoins en matière de mesures d’adaptation de l’employé et de traiter chaque demande au cas par cas; de jouer un rôle actif en vue d’examiner et d’envisager des solutions de rechange et des approches permettant de répondre aux besoins de l’employé; et de suivre de près le plan sur les mesures d’adaptation.

 

[50]           Par conséquent, la Commission a raisonnablement conclu que l’allégation de discrimination systémique figurant dans la plainte, si elle était avérée, ne serait pas susceptible de donner lieu à un résultat pratique, car l’ASFC avait déjà pris des mesures importantes pour satisfaire davantage à son obligation de prendre des mesures d’adaptation. Dans ses observations, la demanderesse affirme que la politique ne répond pas à toutes ses allégations, et elle dresse la liste des autres mesures de réparation que la Commission pourrait ordonner relativement à sa plainte. Selon moi, il n’est pas réaliste de croire que la politique pourrait être aussi détaillée que le propose la demanderesse. Cependant, grâce à une mise en œuvre adéquate et à un suivi approprié de son application, la politique devrait, en pratique, répondre à ces préoccupations ou offrir un recours adéquat si tel n’est pas le cas.

 

[51]           Je suis d’avis que la conclusion de la Commission selon laquelle les allégations de la demanderesse fondées sur l’article 10 quant à la discrimination systémique dont aurait fait preuve l’ASFC n’étaient pas susceptibles de donner lieu à un résultat pratique et que sa décision de ne pas statuer sur sa plainte appartient aux issues possibles acceptables. La décision de la Commission était raisonnable.

 

[52]           S’agissant de la plainte visant le Conseil du Trésor, la Cour n’a pas ordonné que cette plainte de même que celle visant l’ASFC fassent l’objet d’une enquête et d’un rapport d’enquête conjoints dans le cas où la dernière irait de l’avant. Elle a plutôt ordonné que la Commission envisage cette possibilité. Le rapport fondé sur les articles 40 et 41 mentionne que, si la Commission décidait de ne pas statuer sur la plainte visant l’ASFC, ce qu’elle a fait, cette décision n’empêcherait pas la Commission de faire enquête sur la plainte visant le Conseil du Trésor. La Cour ne sait pas quel est l’état de cette enquête. Cependant, elle a déjà indiqué que la plainte reposait sur le fait que le Conseil du Trésor n’avait pas surveillé la mise en œuvre de ses politiques d’emploi et d’adaptation. Par conséquent, comme la seule question renvoyée à la Commission dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est précise, soit de déterminer si la demanderesse a droit à l’une ou l’autre des mesures de réparation prévues à l’article 53 de la LCDP à l’égard de la plainte déjà examinée par l’arbitre du travail , une enquête et un rapport d’enquête conjoints revêtent désormais une importance moindre.

 

 

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire, en partie, de la façon suivante :

1.                          La décision de la Commission, prise en application de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP, de rejeter la plainte déposée par la demanderesse sur le fondement de l’article 7 est annulée;

2.                          La Commission doit examiner la plainte à seule fin de déterminer si la demanderesse a droit à toute autre réparation prévue à l’article 53 de la LCDP;

3.                          La décision de la Commission de refuser d’examiner la plainte déposée par la demanderesse en application de l’article 10 est confirmée;

4.                          Compte tenu de ce résultat mitigé, aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

 

 

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

                                                           

 

DOSSIER :

T‑1679‑12

 

INTITULÉ :

TERESA PANACCI C PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 25 SeptembRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            LA JUGE STRICKLAND

DATE :

                                                            LE 16 AVRIL 2014

COMPARUTIONS :

Andrew Raven et Amanda Montague‑Reinholdt

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jennifer Francis

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLP/s.r.l.

Avocats et conseillers juridiques

Ottawa (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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