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Date : 20140227

Dossier : IMM-5203-13

Référence : 2014 CF 196

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 27 février 2014

En présence de monsieur le juge S. Noël

 

 

ENTRE :

CHE FANG

 

demandeur

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

I.          Introduction

[1]               La Cour est saisie de la demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de la décision, datée du 17 juin 2013, rendue par l’agente d’immigration Moira Escott (l’agente d’immigration) qui a rejeté la demande de résidence permanente du demandeur au titre de la catégorie de l’expérience canadienne (la demande CEC). L’agente d’immigration n’a pas été convaincue que le demandeur satisfaisait à toutes les exigences énoncées au paragraphe 87.1(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 [le RIPR].

 

II.        Les faits

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Chine, âgé de 26 ans, qui est arrivé au Canada en 2009, en tant qu’étudiant. Le 4 novembre 2010, on lui a accordé un permis de travail, lequel était valide jusqu’au 3 novembre 2013.

 

[3]               La demande du demandeur a été reçue le 5 juillet 2012, et l’emploi envisagé qui y était inscrit était « analyste financier agréé ». Une lettre de l’entreprise New Can consultants (Canada) Ltd. [l’employeur], datée du 17 juin 2012, a été soumise à l’appui de la demande. Selon cette lettre, le demandeur travaille à temps plein pour cette entreprise en tant qu’analyste financier depuis le 1er novembre 2010. Cette lettre énumérait aussi les fonctions principales du demandeur au sein de l’entreprise.

 

[4]               Le 21 janvier 2013, un analyste de cas de la section de CEC [l’analyste de cas] a effectué un examen préliminaire de la demande, et entré une note dans le Système mondial de gestion des cas (SMGC). Moins d’une heure plus tard, l’analyste de cas a entrepris des recherches supplémentaires sur l’employeur du demandeur, et ajouté une nouvelle entrée dans les notes du SMGC.

 

[5]               Le 20 mai 2013, un peu moins de cinq mois de plus tard, le dossier a été confié à l’agente d’immigration, et elle a examiné la demande. Elle a noté ses doutes quant à l’expérience professionnelle du demandeur dans les notes du SMGC au dossier, et, le même jour, elle a envoyé au demandeur une lettre relative à l’équité procédurale dans laquelle elle énumérait ses divers doutes portant sur l’expérience professionnelle de celui-ci, et l’invitait à produire des documents supplémentaires afin de dissiper ses doutes.

 

[6]               Le 17 juin 2013, la réponse du demandeur à la lettre relative à l’équité procédurale a été reçue par une lettre datée du 28 mai 2013. Cette lettre était accompagnée d’une autre lettre de l’employeur du demandeur, laquelle confirmait et expliquait certains éléments quant au travail du demandeur.

 

[7]               Ce même jour, l’agente d’immigration a examiné la réponse du demandeur à la lettre relative à l’équité procédurale, et elle a refusé la demande CEC. Ce refus est au cœur de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

III.       La décision soumise au contrôle

[8]               L’agente d’immigration a indiqué qu’elle n’était pas convaincue que la demande du demandeur, au titre de la catégorie 1112 de la Classification nationale des professions [CNP 1112], analystes financiers et analystes en placements, satisfaisait aux exigences énoncées au paragraphe 87.1(2) du RIPR. Dans sa décision, l’agente d’immigration rappelle au demandeur qu’elle l’a informé de ses doutes quant à sa demande dans un formulaire initial, et qu’elle l’a invité à produire des documents supplémentaires. Bien qu’elle reconnaisse l’existence de la réponse du demandeur à cette lettre, l’agente d’immigration a néanmoins conclu qu’elle n’était pas convaincue que le demandeur possédait l’expérience décrite et qu’il avait accompli les fonctions de l’énoncé principal et la plupart des fonctions principales prévues dans la catégorie CNP 1112. L’agente d’immigration a ajouté que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il avait acquis 12 mois d’expérience de travail à plein temps en tant que travailleur qualifié au Canada au cours des 24 mois précédant le dépôt de sa demande.

 

IV.       Les observations du demandeur

[9]               Premièrement, le demandeur soutient que l’agente d’immigration a manqué à son obligation de lui offrir une possibilité réelle de répondre à ses doutes quant à la crédibilité. Ces doutes quant à la crédibilité sont soulevés par des éléments de preuve extrinsèques, plus précisément l’enquête de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) sur son employeur, et ainsi ils auraient dû être portés à l’attention du demandeur afin qu’il y réponde de façon appropriée. Ce défaut constitue un manquement à l’équité procédurale. En l’espèce, les questions soulevées par l’agente d’immigration ne sont pas liées au caractère suffisant de la preuve, mais à la crédibilité des documents, en particulier ceux provenant de l’employeur. Cela semble évident étant donné que l’analyste de cas, qui épluche de nombreuses demandes semblables, a d’abord déclaré que les documents à l’appui semblaient suffisants. L’agente d’immigration n’a pas cru l’employeur, et elle n’était pas convaincue que le demandeur travaillait véritablement pour l’employeur. En fait, l’agente d’immigration a mis en doute l’employeur dans ses notes du SMGC, elle a ajouté que certains des éléments de la seconde lettre de recommandation n’étaient pas dans la première lettre, et que cela remettait en question le contenu de la lettre. Étant donné que le demandeur ne savait pas que l’agente d’immigration avait des doutes quant à la crédibilité de l’employeur, il ne pouvait pas savoir qu’une seconde lettre de recommandation dudit employeur ne serait pas suffisante.

 

[10]           Deuxièmement, le demandeur soutient que l’analyste de cas a outrepassé sa compétence lorsqu’il a tiré une conclusion quant à la crédibilité, parce qu’il n’a pas le pouvoir légal de tirer ce genre de conclusion relativement au dossier du demandeur. Aussi, l’agente d’immigration a omis d’exercer son pouvoir, car elle s’est fondée sur la conclusion tirée par l’analyste de cas quant à la crédibilité, sans effectuer sa propre appréciation alors qu’elle avait l’obligation d’entreprendre cette appréciation.

 

[11]           Troisièmement, le demandeur soutient que la décision de l’agente d’immigration était déraisonnable, compte tenu des éléments de preuve qui lui avaient été soumis. L’analyste de cas a d’abord indiqué que les documents semblaient suffisants. Aussi, la première lettre de recommandation contenait suffisamment de précisions quant à ses tâches, et la seconde lettre de recommandation contenait encore plus de précisions. De plus, le demandeur a produit tous les documents à l’appui requis.

 

V.        Les observations du défendeur

[12]           Le défendeur allègue qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale, vu que l’équité procédurale due au demandeur est moindre lorsqu’il y a un manque de documents à l’appui, et qu’il n’y avait pas d’obligation d’informer le demandeur des doutes soulevés par les éléments de preuve qu’il a produits ou par les exigences légales. Il n’y a pas eu de conclusion tirée quant à la crédibilité du demandeur; il n’a simplement pas produit d’éléments de preuve suffisants pour démontrer son expérience professionnelle en tant qu’analyste financier. En fait, le demandeur a eu l’occasion de dissiper les doutes du défendeur, car il a été précisément informé de tous ces doutes au moyen de la lettre relative à l’équité procédurale.

 

[13]           En ce qui a trait à la question de la compétence, le défendeur soutient que l’analyste de cas n’a pas tiré de conclusion quant à la crédibilité du demandeur, parce que cette tâche ne dépasse pas le champ de sa compétence. L’analyste de cas a simplement précisé dans le dossier que l’employeur pouvait ou aurait pu avoir fait l’objet d’une enquête de l’ASFC, et c’est une simple circonstance factuelle liée à l’employeur. Il ne s’agit pas d’une conclusion quant à la crédibilité et, ainsi, il va sans dire que l’agente d’immigration a entrepris sa propre appréciation du dossier.

 

[14]           En outre, le défendeur soutient que la décision de l’agente d’immigration était entièrement raisonnable compte tenu de la preuve dont elle disposait. La seconde lettre de recommandation contenait des renseignements qui n’avaient pas été précédemment mentionnés dans la première lettre, et le demandeur n’a produit aucune preuve à l’appui de ces allégations. Le demandeur, à qui il incombait de prouver ses allégations, n’a simplement pas produit d’éléments de preuve suffisants.

 

VI.       Les questions en litige

[15]           La présente affaire soulève les trois questions suivantes :

 

1.    L’agente d’immigration a-t-elle manqué à l’équité procédurale lorsqu’elle n’a pas donné au demandeur de possibilité réelle de dissiper ses doutes quant à la crédibilité concernant la preuve?

2.    Le fait que l’analyste de cas a tiré une conclusion quant à la crédibilité établit-il qu’il a outrepassé sa compétence ou que l’agente d’immigration n’a pas exercé la sienne?

3.    La décision de l’agente d’immigration était-elle raisonnable compte tenu de la preuve soumise?

 

Comme nous le verrons, il ne sera pas nécessaire de traiter de la troisième question étant donné que la première permet de trancher l’affaire. La deuxième question en litige sera néanmoins débattue, parce que les arguments avancés nécessitent une clarification.

 

VII.     La norme de contrôle

[16]           Les parties s’accordent sur la norme de contrôle applicable. Les deux premières questions en litige qui portent sur l’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa), 2009 CSC 12, [2009] ACS no 12), au paragraphe 43.

 

VIII.    Analyse

[17]           Le demandeur a présenté une demande de statut de résident permanent en vertu de l’article 87.1 du RIPR, à titre de membre de la catégorie de l’expérience canadienne. Il est bien établi que dans les demandes présentées en vertu de la Section 1 de la Partie 6 du RIPR, le demandeur « a l’obligation de présenter une demande qui non seulement est « complète », mais aussi pertinente, convaincante et sans ambiguïté » (Obeta c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 1542, [2012] ACF no 1624, au paragraphe 25 [Obeta]). Les exigences quant aux demandes CEC sont énoncées au paragraphe 87.1(2) du RIPR reproduit ci‑dessous.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227

 

Catégorie de l’expérience canadienne

 

Catégorie

 

87.1 (1) Pour l’application du paragraphe 12(2) de la Loi, la catégorie de l’expérience canadienne est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents du fait de leur capacité à réussir leur établissement économique au Canada et de leur expérience au Canada et qui cherchent à s’établir dans une province autre que le Québec.

 

Qualité

 

(2) Fait partie de la catégorie de l’expérience canadienne l’étranger qui satisfait aux exigences suivantes :

 

a) l’étranger a accumulé au Canada au moins une année d’expérience de travail à temps plein, ou l’équivalent temps plein pour un travail à temps partiel, dans au moins une des professions, autre qu’une profession d’accès limité, appartenant au genre de compétence 0 Gestion ou aux niveaux de compétence A ou B de la matrice de la Classification nationale des professions au cours des trois ans précédant la date de présentation de sa demande de résidence permanente;

 

b) pendant cette période d’emploi, il a accompli l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession dans les descriptions des professions de la Classification nationale des professions;

 

c) pendant cette période d’emploi, il a exercé une partie appréciable des fonctions principales de la profession figurant dans les descriptions des professions de la Classification nationale des professions, notamment toutes les fonctions essentielles;

 

d) il a fait évaluer sa compétence en français ou en anglais par une institution ou organisation désignée en vertu du paragraphe 74(3) et obtenu, pour chacune des quatre habiletés langagières, le niveau de compétence applicable établi par le ministre en vertu du paragraphe 74(1);

 

e) s’il a acquis l’expérience de travail visée à l’alinéa a) dans le cadre de plus d’une profession, il a obtenu le niveau de compétence en anglais ou en français établi par le ministre en vertu du paragraphe 74(1) à l’égard de la profession pour laquelle il a acquis le plus d’expérience au cours des trois années visées à l’alinéa a).

 

 

 

[…]

Immigration and Refugee Protection Regulations, SOR/2002-227

 

Canadian Experience Class

 

 

Class

 

87.1 (1) For the purposes of subsection 12(2) of the Act, the Canadian experience class is prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of their ability to become economically established in Canada, their experience in Canada, and their intention to reside in a province other than the Province of Quebec.

 

 

Member of the class

 

(2) A foreign national is a member of the Canadian experience class if

 

 

(a) they have acquired in Canada, within the three years before the date on which their application for permanent residence is made, at least one year of full-time work experience, or the equivalent in part-time work experience, in one or more occupations that are listed in Skill Type 0 Management Occupations or Skill Level A or B of the National Occupational Classification matrix, exclusive of restricted occupations; and

 

 

 

(b) during that period of employment they performed the actions described in the lead statement for the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification;

 

 

(c) during that period of employment they performed a substantial number of the main duties of the occupation as set out in the occupational descriptions of the National Occupational Classification, including all of the essential duties;

 

(d) they have had their proficiency in the English or French language evaluated by an organization or institution designated under subsection 74(3) and have met the applicable threshold fixed by the Minister under subsection 74(1) for each of the four language skill areas; and

 

(e) in the case where they have acquired the work experience referred to in paragraph (a) in more than one occupation, they meet the threshold for proficiency in the English or French language, fixed by the Minister under subsection 74(1), for the occupation in which they have acquired the greater amount of work experience in the three years referred to in paragraph (a).

 

[…]

 

A.       L’agente d’immigration a-t-elle manqué à l’équité procédurale lorsqu’elle n’a pas donné au demandeur de possibilité réelle de dissiper ses doutes quant à la crédibilité concernant la preuve?

[18]           La première question en litige dans la présente affaire est très semblable à celle traitée par ma collègue la juge Bédard dans Hamza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 264, [2013] ACF no 284 [Hamza] et ainsi, je vais beaucoup y faire référence.

 

[19]           Comme il ressort de la décision Hamza, précité, et comme le demandeur l’a relevé dans son mémoire des faits, lorsqu’elle répond à cette question, la Cour procède en deux étapes. Premièrement, la Cour doit décider si les doutes de l’agente d’immigration quant à la preuve étaient liés à la suffisance ou à la crédibilité de la preuve que le demandeur a produite afin de démontrer son expérience professionnelle. Deuxièmement, si la Cour est convaincue que les doutes de l’agente d’immigration sont en fait liés à la véracité de la preuve, elle doit décider si l’agente d’immigration aurait dû donner au demandeur une possibilité réelle de dissiper ces doutes. La première étape de ce processus est nécessaire, car les agents d’immigration n’ont pas l’obligation de demander des renseignements supplémentaires dans les cas où les éléments de preuve ne sont pas suffisants. Au contraire, dans les cas où les doutes de l’agent d’immigration ont en fait trait à la « crédibilité, à la véracité ou à l’authenticité » des documents présentés par le demandeur, et qu’ils ne sont pas liés au caractère suffisant de la preuve, l’agent d’immigration pourrait être tenu, bien qu’une telle obligation se situe à l’extrémité inférieure du spectre, de donner au demandeur une possibilité réelle de dissiper ces doutes (Hamza, précitée, au paragraphe 25).

 

[20]           À cet égard, le juge Montigny de la Cour fédérale a déclaré ce qui suit au paragraphe 21 de la décision Talpur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 25, [2012] ACF no 22 :

 

[21]      Il est désormais bien établi que l’obligation d’équité dont bénéficient les demandeurs de visa, bien qu’elle se situe à l’extrémité inférieure du registre (Chiau c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 297, au paragraphe 41; Trivedi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 422, au paragraphe 39), impose aux agents des visas de communiquer leurs réserves aux demandeurs, de manière à ce qu’ils aient l’occasion de les dissiper. Il en sera notamment ainsi lorsque ces réserves se rapportent non pas tant à des exigences légales qu’à l’authenticité ou à la crédibilité de la preuve fournie par le demandeur. Après s’être livré à un examen approfondi de la jurisprudence sur cette question, le juge Mosley a pu concilier ainsi les décisions apparemment contradictoires de la Cour :

 

Il ressort clairement de l’examen du contexte factuel des décisions mentionnées ci‑dessus que, lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Lorsque, par contre, des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister. C’est souvent le cas lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande, comme dans Rukmangathan, ainsi que dans John et Cornea, deux décisions citées par la Cour dans Rukmangathan, précitée.

 

Hassani c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1283, [2007] 3 RCF 501(CF), au paragraphe 24.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[21]           En l’espèce, il est à mon avis de difficile de conclure que les doutes de l’agente d’immigration n’avaient pas trait à la crédibilité des lettres de l’employeur. En fait, plusieurs éléments du dossier révèlent que l’agente d’immigration a jeté le doute sur la véracité du contenu de ces lettres. La Cour a la nette impression qu’un nuage sombre planait au-dessus de l’employeur. Comme il ressort des notes du SMGC, le 21 janvier 2013, l’analyste de cas a opéré un revirement complet de son analyse positive du dossier du demandeur, après avoir consulté des documents non identifiés selon lesquels l’employeur était (où avait été) l’objet d’une enquête menée par l’ASFC, et que son adresse avait été signalée comme étant [traduction] « une adresse problématique ». L’agente d’immigration a été mise au courant de cette information. Le dossier certifié du tribunal [le DCT] ne révèle pas l’origine de l’information sur l’employeur, l’affidavit du superviseur versé au dossier n’explique ni la consultation faite ni l’origine de cette information ni la documentation consultée. Le demandeur et la Cour ne disposent pas de l’ensemble du DCT.

 

[22]           Cela étant dit, et comme le demandeur l’a énoncé à bon droit dans son mémoire des faits, la portée de ce qui est considéré comme une preuve « suffisante » doit être déterminée selon ce qu’on avait demandé au demandeur de présenter avec sa demande CEC. Comme cela a été décidé, une seule lettre de recommandation peut être considérée comme suffisante. La juge Bédard a déclaré ce qui suit au paragraphe 39 de la décision Hamza, précitée :

[39]      […] Si l’agente avait été convaincue que les fonctions énumérées dans la lettre d’emploi étaient celles qu’exerçait véritablement le demandeur, elle n’aurait alors eu aucune raison de conclure que cette preuve est insuffisante, vu que ces fonctions correspondent aux fonctions principales énoncées dans la CNP. Aucune règle n’exige que le demandeur fournisse plus d’une lettre d’emploi pour établir une expérience professionnelle suffisante. Une demande peut être considérée comme étant complète, même si une seule lettre d’emploi atteste de l’expérience professionnelle, pourvu que ladite lettre énumère avec précision une liste complète des principales fonctions exercées par le demandeur. Je ne peux affirmer que l’agente s’est demandé à tort si la lettre d’emploi reflète fidèlement les fonctions et les responsabilités du demandeur. Cependant, à mon avis, elle aurait dû donner l’occasion au demandeur de répondre à ses préoccupations avant de rendre sa décision

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[23]           En l’espèce, le demandeur n’a pas présenté une, mais deux lettres de son employeur. Pour l’application du paragraphe précité de la décision Hamza, et pour les motifs exposés ci‑dessous, la Cour conclut que les lettres décrivaient adéquatement les fonctions accomplies, et qu’il n’y a pas de raison pour laquelle l’agente d’immigration a estimé que ces éléments de preuve n’étaient pas suffisants. Ainsi, il semble évident que l’agente d’immigration n’a pas cru les lettres de l’employeur, fort probablement en raison des notes concernant l’employeur que l’analyste de cas a rédigées antérieurement, en janvier. Une personne qui lit ce genre d’information ne peut qu’être influencée par de telles remarques.

 

[24]           Les fonctions principales d’un analyste financier, énumérées à la CNP 1112 pour l’application de l’alinéa 97.1(2)c) du RIPR sont les suivantes :

1.    Évaluer des risques financiers, préparer des prévisions financières, des scénarios de financement et d’autres rapports relatifs à la gestion des capitaux, et rédiger des rapports et des recommandations.

 

2.    Planifier les flux monétaires à court et à long terme et évaluer le rendement de la trésorerie.

 

3.    Analyser des projets d’investissement.

 

4.    Participer au volet financier des contrats et appels d’offres et fournir des conseils à cet égard.

 

5.    Faire le suivi des dossiers de financement auprès des bailleurs de fonds.

 

6.    Élaborer, mettre en œuvre et utiliser des outils de gestion et d’analyse du portefeuille financier.

 

7.    Élaborer un profil de risque périodique relié au portefeuille de la dette.

 

8.    Participer à la préparation de budgets d’opération et d’investissements.

 

[25]           Le demandeur a produit une première lettre de son employeur dans laquelle certaines des fonctions mentionnées ci‑dessus étaient, jusqu’à un certain point, prises directement de cette liste; la lettre faisait aussi mention d’autres fonctions qui ne reflétaient pas la liste des fonctions de la CNP 1112. Selon l’agente d’immigration, cette information n’était pas suffisante, elle a envoyé une lettre relative à l’équité procédurale dans laquelle elle exprimait ses sérieux doutes quant à la demande et invitait le demandeur à fournir des renseignements supplémentaires. Le demandeur a répondu à cette lettre par l’envoi d’une autre lettre de son employeur, laquelle fournissait des précisions supplémentaires relativement aux fonctions qu’il avait accomplies. Dans une lettre datée du 17 juin 2013, l’agente d’immigration a rejeté la demande CEC, malgré la réponse du demandeur à la lettre relative à l’équité procédurale. L’agente a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il a acquis une expérience suffisante.

 

[26]           En ce qui a trait à son expérience professionnelle, conformément à l’alinéa 87.1(2)c), le demandeur a le fardeau de prouver qu’il a accompli « un nombre substantiel » des fonctions liées à la CNP 1112. Selon moi, plusieurs des fonctions décrites dans la première lettre de l’employeur répondent de toute évidence à ce critère, étant donné qu’elles reflètent les fonctions de cette liste. D’autres fonctions énumérées dans les deux lettres de l’employeur peuvent être associées à d’autres fonctions de la liste des fonctions de la CNP 1112, par exemple, la gestion des flux monétaires, et l’analyse des risques.

 

[27]           Quant au fait que certaines fonctions étaient à divers niveaux parallèles à la liste de fonctions de la CNP 1112, la Cour a récemment déclaré ce qui suit aux paragraphes 9 et 10 de la décision Ghannadi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 515, [2013] ACF no 550 :

[9]     Premièrement, l’on constate, après examen impartial de la lettre de l’employeur, qu’il ne s’agit pas du genre de reprise servile de descriptions de la CNP justifiant d’attribuer un poids moindre à cet élément de preuve. La lettre n’énumère pas toutes les fonctions figurant dans la description de la CNP, et elle distingue entre les fonctions accomplies à l’égard de deux projets importants, lesquelles ne sont pas les mêmes dans les deux projets. L’analyse de l’agent était injuste et déraisonnable.

 

[10]     Deuxièmement, comme la juge Heneghan l’a indiqué dans Siddiqui c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (26 janvier  2011), Toronto IMM-2327-10 (CF), l’emploi dans des lettres de recommandation de formulations analogues à celles de descriptions de tâches de la CNP [traduction] « ne justifie pas en soi d’écarter ces lettres ».

 

 

Les lettres ne reproduisaient pas toutes les fonctions de la CNP 1112, seulement celles qui étaient applicables, et fait encore plus important, d’autres fonctions étaient ajoutées. Quoi qu’il en soit, selon moi, la seconde lettre de recommandation de l’employeur a jeté un nouvel éclairage sur la première lettre et donné des précisions supplémentaires. Ainsi, elle dissipait raisonnablement les doutes de l’agente d’immigration.

 

[28]           De plus, dans la lettre relative à l’équité procédurale, l’agente d’immigration a exprimé ses doutes quant au fait que le demandeur avait déclaré, dans un dossier précédemment déposé pour une demande de visa de résidence temporaire, avoir travaillé pour un autre employeur, Wellong International Investment Co [Wellong], et que cette information contredisait celle fournie avec sa demande CEC. La seconde lettre de l’employeur dissipait ces doutes et confirmait que Wellong est une société sœur de l’employeur. Dans les notes du SMGC, l’agente d’immigration a écrit que le demandeur [traduction] « n’avait rien fourni à l’appui » de ses allégations. Au vu de cette note, on peut supposer que l’agente d’immigration a effectivement rejeté la seconde lettre et les explications de l’employeur.

 

[29]           Enfin, en ce qui concerne la question de la crédibilité, les notes du SMGC de l’agente d’immigration contiennent une autre phrase qui, lorsqu’elle est examinée avec les éléments susmentionnés, révèle clairement que l’agente d’immigration était sceptique quant à la crédibilité des éléments de preuve et non pas quant à leur caractère suffisant. L’agente d’immigration a relevé que certains des renseignements contenus dans la seconde lettre [traduction] « ne faisaient pas référence à la lettre du 17/06/2012, et remettaient en question le contenu de la lettre de recommandation ». Premièrement, je trouve étrange qu’une agente d’immigration demande des renseignements supplémentaires à un demandeur et une fois qu’elle les reçoit, elle utilise lesdits renseignements contre le demandeur, et déclare qu’ils ne figuraient pas dans la première lettre. Comment des renseignements supplémentaires, tels qu’ils ont été demandés par l’agente d’immigration, peuvent‑ils être « supplémentaires » s’ils étaient déjà dans la première lettre? Cela équivaut à vouer le demandeur à l’échec. Deuxièmement, cette phrase rend évident le fait que l’agente d’immigration n’a pas cru les lettres.

 

[30]           Comme le juge Mosley a déclaré au paragraphe 8 de la décision Adeoye c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 680, [2012] ACF no 672 : « [b]ien que l’agent n’ait tiré aucune conclusion de manière explicite quant à la crédibilité du demandeur, son scepticisme à l’égard de la demande et des documents à l’appui ressort clairement de la décision ». Il en est de même en l’espèce, et je conclus que dans la présente affaire, les doutes de l’agente ne sont pas soulevés par les exigences légales, mais plutôt par la crédibilité ou la véracité des éléments de preuve produits par le demandeur à l’appui de sa demande CEC, c’est-à-dire les deux lettres de son employeur. En outre, les renseignements défavorables non divulgués sur l’employeur contenus dans les notes du SMGC et fort probablement lus par l’agente d’immigration constituaient le fondement de ce doute non explicite quant à la crédibilité.

 

[31]           Contrairement à la décision Obeta, précitée, les éléments de preuve du demandeur n’étaient pas nuls à leur face même, et le demandeur aurait dû se voir offrir la possibilité de répondre à ces doutes quant à la crédibilité. Agir autrement s’élève au niveau d’un manquement à l’équité procédurale. Par conséquent, uniquement sur le fondement de cette question, la demande CEC du demandeur doit être renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il statue à nouveau sur celle‑ci.

 

[32]           Cela étant dit, je répondrai néanmoins brièvement à la deuxième question en litige, par souci de clarté quant à l’affaire.

 

B.    Le fait que l’analyste de cas a tiré une conclusion quant à la crédibilité établit-il qu’il a outrepassé sa compétence ou que l’agente d’immigration n’a pas exercé la sienne?

 

[33]           Premièrement, comme l’a soutenu le défendeur, je conclus que l’analyste de cas n’a pas tiré de conclusion quant à la crédibilité dans les notes du SMGC. Il a simplement relevé une circonstance factuelle concernant l’employeur, rien de plus. Le fait qu’il a effectué deux entrées en moins d’une heure montre qu’il a accordé de l’importance aux renseignements qu’il a recueillis sur l’employeur au point d’effectuer un revirement complet de sa précédente appréciation, faite une heure plus tôt. Il convient de dire que les deux parties s’accordent pour dire que l’analyste de cas n’a pas la compétence de tirer des conclusions quant aux demandes.

 

[34]           Deuxièmement, la Cour doit décider si oui ou non l’agente d’immigration a omis d’exercer sa compétence, lorsqu’elle s’est fondée sur la conclusion quant à la crédibilité de l’analyste de cas. Elle ne l’a pas fait parce que, d’une part, l’analyste de cas n’a pas tiré de conclusion quant à la crédibilité sur laquelle elle aurait pu se fonder, et, d’autre part, elle a clairement exercé sa compétence, vu qu’elle a elle-même tiré une conclusion implicite quant à la crédibilité, comme cela ressort des présents motifs, à la réponse à la première question en litige.

 

[35]           Ainsi, je conclus que l’analyste de cas n’a pas outrepassé sa compétence, et que l’agente d’immigration n’a pas omis d’exercer la sienne en ce qui concerne la crédibilité des éléments de preuve du demandeur.

 

[36]           Par conséquent, l’affaire doit être renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il statue à nouveau sur celle-ci.

 

[37]           Les parties ont été invitées à soumettre des questions à certifier, mais aucune question n’a été proposée.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.         La demande CEC du demandeur doit être renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il statue à nouveau sur celle-ci.

3.         Aucune question n’est certifiée.

 

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 


DOSSIER :

IMM-5203-13

 

INTITULÉ :

CHE FANG

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie‑Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 26 février 2014

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :

 

Le juge Noël

 

DATE DE L’ORDONNANCE

ET DES MOTIFS :

 

Le 27 février 2014

 

 

COMPARUTIONS :

 

Masao Morinaga

POUR LE DEMANDEUR

 

Hilla Aharon

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lawrence Wong et associés

Richmond (Colombie-Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney,

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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