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Date : 20140415


Dossier : T‑1555‑12

Référence : 2014 CF 314

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

ENTRE :

PFIZER CANADA INC.
ET G. D. SEARLE & CO.

demanderesses

et

APOTEX INC. ET
LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

MOTIFS PUBLICS DE L’ORDONNANCE

(Identiques aux motifs confidentiels de l’ordonnance rendus le 1er avril 2014)

LE JUGE HARRINGTON

[1]               Pfizer et Searle sollicitent une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer à Apotex un avis de conformité qui l’autoriserait à commercialiser sa version du célécoxib avant l’expiration du brevet canadien pertinent en novembre prochain. Le célécoxib, vendu partout sous son nom commercial Celebrex®, est connu aujourd’hui pour son efficacité dans le traitement de l’inflammation et de la douleur qui y est associée. Il entraîne possiblement moins d’effets secondaires nocifs que d’autres AINS (anti‑inflammatoires non stéroïdiens), mais cela n’est pas certain.

[2]               Le brevet canadien en cause, qui porte le numéro 2 177 576 (brevet 576), s’intitule Benzènesulfonamides de pyrazolyle substitués destinés au traitement des inflammations; il est détenu par Searle et a été déposé au Canada le 14 novembre 1994; il a été délivré le 26 octobre 1999 et il expire le 14 novembre 2014. Il est indiqué qu’il se rapporte à des composés, compositions et méthodes de traitement de l’inflammation. Le brevet revendique une classe de composés pouvant se réduire à trois substances, visées par des revendications individuelles, et des utilisations dans le traitement de l’inflammation et de troubles connexes en général ainsi que de troubles particuliers comme l’arthrite. L’une des revendications liées à l’utilisation concerne la préparation d’un médicament pour la prévention du cancer colorectal.

[3]               Comme le brevet a été enregistré auprès du ministre conformément au Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), Apotex ne peut pas commercialiser sa version générique de Celebrex® avant qu’il n’expire, à moins qu’elle n’invoque avec succès l’un des quatre motifs prévus par le Règlement, à savoir que :

a.                   certaines déclarations contenues dans le brevet sont fausses;

b.                  le brevet a expiré;

c.                   le brevet ne sera pas contrefait;

d.                  le brevet est invalide.

Apotex a signifié à Pfizer, la société qui a succédé à Searle, un avis d’allégation dans lequel elle énonçait plusieurs raisons pour lesquelles le brevet était, selon elle, invalide. Elle n’a soulevé aucun autre motif.

[4]               Pfizer a réagi en déposant un avis de demande devant la Cour, lequel a pour effet d’empêcher le ministre de délivrer un avis de conformité avant l’expiration du brevet à moins que la Cour ne statue que les allégations d’Apotex ne sont pas fondées, ou que deux ans se sont écoulés depuis le dépôt de la demande par Pfizer, suivant la première de ces éventualités. La demande a été déposée le 16 août 2012.

[5]               Il ne faudrait pas s’imaginer que le but d’Apotex est simplement de commercialiser sa version générique du célécoxib quelques mois avant l’expiration du brevet. En vertu de l’article 8 du Règlement, si la demande de Pfizer était rejetée, elle serait tenue de verser à Apotex des dommages‑intérêts pour les pertes se rapportant à l’intervalle durant lequel un avis de conformité aurait pu être délivré n’eût été le Règlement.

[6]               J’ai récemment eu l’occasion de décrire sommairement ce processus complexe et de renvoyer les parties aux décisions de principe dans le cadre d’une autre demande présentée par Pfizer en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (AC) concernant le même brevet, Pfizer Canada Inc. et G. D. Searle & Co c Mylan Pharmaceuticals ULC et le ministre de la Santé, 2014 CF 38 [Mylan (Celebrex)], est actuellement en appel.

[7]               Pour avoir gain de cause dans la présente demande, Pfizer et Searle (collectivement désignées sous le nom de Pfizer) doivent convaincre la Cour, selon la prépondérance des probabilités, qu’aucune des nombreuses allégations d’Apotex touchant l’invalidité du brevet n’est justifiée au regard d’au moins l’une des seize revendications qu’il contient.

[8]               Pour être brevetable, l’objet d’une invention doit être nouveau et utile et ne pas être évident. Apotex n’a soulevé aucun argument ayant trait à la nouveauté et à l’évidence. Le mémoire descriptif doit présenter intégralement et correctement l’objet de l’invention et son utilisation, de telle sorte que la personne concernée versée dans l’art ou la science puisse, comme en l’espèce, fabriquer le médicament et l’employer de la manière envisagée par l’inventeur, en se reportant uniquement au brevet.

[9]               Il n’est pas nécessaire de revendiquer ou de démontrer quelque utilité particulière. L’utilité peut aussi reposer sur une prédiction valable (Apotex Inc. c Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77, [2002] 4 RCS 153, [2002] ACS no 78 (QL) [AZT]. La Cour a précisé dans l’arrêt AZT que l’inventeur doit établir l’utilité en date de la demande de brevet, soit par une démonstration soit par une prédiction valable fondée sur les renseignements et l’expertise alors disponibles. La doctrine de la prédiction valable comporte trois éléments :

a.                   la prédiction doit reposer sur un fondement factuel;

b.                  à la date de la demande, l’inventeur doit avoir un raisonnement clair et « valable » qui permet d’inférer du fondement factuel le résultat souhaité;

c.                   il doit y avoir une divulgation suffisante.

[10]           Le mémoire descriptif divulgue l’invention et s’achève par des revendications qui définissent clairement l’objet à l’égard duquel un privilège ou droit de propriété exclusif (monopole) est revendiqué. Si le brevet contient plus d’une revendication, dont certaines sont tenues pour valides et d’autres pas, celles qui le sont subsistent (Loi sur les brevets, articles 2, 28.3 et 58 et paragraphes 27(3) et 27(4)).

[11]           D’après Apotex, la prétendue invention concerne une classe de composés réputés efficaces dans le traitement de l’inflammation et de la douleur qui y est associée chez les animaux, dont les humains, et qui comporte moins d’effets secondaires nocifs que d’autres AINS.

[12]           Elle soutient que le brevet est invalide pour les raisons suivantes :

a.                   même si l’utilité de Celebrex® dans le traitement de l’inflammation et de la douleur qui y est associée est aujourd’hui reconnue, Searle n’avait rien sur quoi se fonder pour faire cette affirmation lorsqu’elle a présenté la demande de brevet en 1994. Elle n’avait ni démontré ni valablement prédit cette utilité;

b.                  par ailleurs, Searle n’avait ni démontré ni valablement prédit la réduction des effets secondaires nocifs. Quand bien même elle l’aurait fait, il est désormais bien établi que le profil d’effets secondaires nocifs de Celebrex® n’est pas meilleur que celui d’autres AINS;

c.                   Searle n’a pas correctement divulgué l’invention, car :

                                            i.                        elle savait au moment du dépôt de la demande de brevet que l’un des composés visés par une revendication individuelle (revendication 5) était toxique et donc inutile;

                                          ii.                        l’une des utilisations décrites à la revendication 16 concernant la prévention du cancer colorectal est non fondée;

                                        iii.                        Searle n’a pas indiqué dans sa demande de brevet qu’elle avait déjà l’intention de demander une approbation réglementaire américaine relativement à l’un des composés faisant l’objet d’une revendication individuelle (revendication 4), le célécoxib ou Celebrex®. Telle était l’invention véritable qu’elle était tenue de divulguer plutôt que de la dissimuler comme une [traduction] « feuille […] dans la forêt » (Teva Canada Ltée c Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, 2012 3 RCS 625, [2012] ACS no 60 (QL) [Teva (Sildenafil/Viagra)], au paragraphe 30).

[13]           Pfizer interprète le brevet différemment. D’après elle, l’utilité promise tient aux effets anti‑inflammatoires des composés revendiqués. Aucune promesse ne se rapportait aux bienfaits pour les humains ou à la réduction des effets secondaires. Subsidiairement, s’il y avait bien une promesse de diminution des effets secondaires, elle ne visait pas les humains. Quoi qu’il en soit, la preuve établit que Celebrex® entraîne de fait significativement moins d’effets secondaires nocifs chez les humains que d’autres AINS.

[14]           Pfizer soutient que le brevet remplit les exigences en matière de divulgation de l’article 27 de la Loi. Le cas présent est bien différent de l’affaire Teva (Sildenafil/Viagra), précitée, sur laquelle a statué la Cour suprême. Dans cette affaire, un seul composé revendiqué était reconnu comme efficace. Dans le cas qui nous occupe, tous les trois composés sont individuellement efficaces. Searle n’avait pas à dévoiler ses intentions commerciales.

[15]           Les deux parties doivent tenir compte de deux décisions antérieures relatives au brevet 576 intéressant le Règlement sur les médicaments brevetés (AC). Dans G. D. Searle & Co. c Novopharm Limitée, 2007 CF 81, [2007] ACF no 120 (QL), [Novopharm (Celebrex)], infirmée par 2007 CAF 173, [2007] ACF no 625 (QL), mais pas en ce qui concerne l’interprétation du brevet, le juge Hughes a estimé que les propriétés anti‑inflammatoires et la réduction des effets secondaires étaient nécessaires à l’utilité de l’invention revendiquée. Dans la décision Mylan (Celebrex), précitée, j’ai conclu qu’il n’y avait aucune promesse concernant la diminution des effets secondaires. Apotex fait valoir que l’interprétation retenue dans la décision Novopharm était correcte, mais que la preuve relative à l’utilité est différente en l’espèce. Pfizer soutient que même si la décision Mylan (Celebrex) que j’ai rendue ne suit pas la décision Novopharm, elle est conforme à la jurisprudence récente de la Cour d’appel fédérale, de sorte que le principe de courtoisie entre juges n’entre pas en compte.

[16]           Je dois examiner la teneur exacte de l’invention, déterminer s’il existait en 1994 un fondement à l’affirmation concernant son caractère utile – que ce soit par une démonstration ou une prédiction – et déterminer si elle est aujourd’hui associée à une diminution des effets secondaires nocifs et si elle a été correctement divulguée. Enfin, je dois décider si l’observation de Pfizer portant que le brevet ne promettait aucune réduction des effets secondaires est un abus de procédure, puisque cette société a reconnu cette utilité dans l’affaire Novopharm (Celebrex), précitée.

La teneur de l’invention

[17]           La portée de l’invention est d’une importance cruciale. Si, comme l’affirme Apotex, le brevet promet que des agents anti‑inflammatoires serviront au traitement des animaux, y compris les humains, il est invalide puisqu’au moment du dépôt de la demande, les inventeurs n’avaient ni démontré ni valablement prédit l’utilisation des composés comme anti‑inflammatoires chez les humains. Si c’est le cas, il n’y aura pas lieu de se demander si le brevet promettait aussi une diminution significative des effets secondaires nocifs.

[18]           Si, comme le prétend Pfizer, l’invention visait une classe de composés servant au traitement de l’inflammation et de troubles connexes, pour citer le brevet, [traduction] « chez un sujet », à l’exclusion des humains, nous devrons alors chercher à savoir si, au moment du dépôt, l’utilité avait été démontrée ou prédite sur la base d’une explication valable.

[19]           J’estime que si des effets secondaires nocifs moindres ont été promis chez les humains, ils n’ont certainement pas été démontrés. Cette prédiction reposait‑elle sur un fondement valable et, le cas échéant, Pfizer a‑t‑elle établi que l’allégation d’Apotex à cet égard n’était pas fondée?

[20]           Au début des années 1990, la tâche qui attendait Searle et ses concurrents de l’industrie pharmaceutique consistait à mettre au point un AINS causant moins d’effets secondaires. C’était le problème, et Searle avait peut‑être trouvé une solution. Toutefois, il ne s’ensuit pas nécessairement qu’elle avait breveté la solution. En effet, il serait risqué de revendiquer une réduction des effets secondaires chez l’humain étant donné que les essais cliniques avec des sujets humains n’avaient pas encore commencé.

[21]           Selon les données scientifiques de l’époque, on savait que les prostaglandines provoquaient la douleur et l’enflure associées au processus inflammatoire. Les AINS classiques inhibent leur production et soulagent par le fait même la douleur. Toutefois, à forte dose, ils peuvent produire des effets secondaires graves, particulièrement dans le tube digestif, notamment des ulcères potentiellement mortels.

[22]           Les AINS classiques empêchent la production de prostaglandines en inhibant des enzymes, en particulier la cyclo‑oxygénase (COX). Par contre, la COX protège aussi l’estomac contre l’acide qu’il sécrète. Par conséquent, son inhibition rend l’estomac vulnérable.

[23]           On a découvert plus tard qu’il existait en fait deux cyclo‑oxygénases, aujourd’hui connues sous les noms de COX I et de COX II. Si la COX I joue toujours un rôle actif dans la protection de l’estomac, la COX II, elle, est latente et n’entre en jeu que lorsqu’il y a lésion ou inflammation, comme en cas d’arthrite. Selon l’hypothèse formulée à l’époque, s’il était possible d’inhiber la COX II davantage que la COX I, il y aurait moins d’effets secondaires qu’avec les AINS classiques, qui sont non sélectifs en ce sens qu’ils inhibent à la fois la COX I et la COX II.

[24]           Cette hypothèse a mené à la mise au point du célécoxib ou Celebrex®.

[25]           Dans le brevet, l’invention est décrite comme [traduction] « une classe de composés utiles dans le traitement des affections associées à l’inflammation [...] définie par la formule I […] ». Un grand nombre de composés étaient revendiqués, bien que personne ne m’ait donné le nombre exact de composés et de sels pharmaceutiquement acceptables visés. Le brevet précise que la formule I renferme une sous‑classe de composés d’un « grand intérêt », représentée par la formule II. Plus loin, il est mentionné que [traduction] « une famille de composés précis qui présentent un intérêt particulier dans la formule II comprend des composés et leurs sels pharmaceutiquement acceptables, comme suit […] ». Seize de ces composés ont été divulgués.

[26]           Le mémoire descriptif se termine par 16 revendications à l’égard desquelles un monopole est demandé :

                     Les revendications 1 à 3 concernent les composés de la formule I ou II. Ce sont des revendications portant sur un composé en soi.

                     Les revendications 4 (Celebrex®) à 7 sont des revendications portant sur un composé individuel en soi. Le composé 7 ne semble pas être en litige.

                     Les revendications 8 à 15 sont des revendications relatives à une utilisation dans le traitement de l’inflammation et des affections associées à l’inflammation, notamment l’arthrite, la douleur et la fièvre.

                     Enfin, la revendication 16 concerne l’utilisation d’un composé selon l’une ou l’autre des revendications 1 à 7 [traduction] « […] pour l’élaboration d’un médicament destiné à la prévention du cancer colorectal chez un sujet ».

[27]           Tout d’abord, quant à la question de savoir si le brevet a promis que les composés inventés seraient utiles comme agents anti‑inflammatoires chez l’humain, Pfizer souligne qu’il est question dans le brevet de traitement d’un « sujet » et non d’humains. Apotex répond que la litanie d’affections énumérées à la page 7 du brevet comprend des maladies qui ne sont connues que chez l’homme. En outre, les essais in vitro ont fait appel à des enzymes humaines clonées. Par conséquent, elle soutient que le « sujet » qui sera traité doit inclure des humains. Pfizer réplique que ce raisonnement contredit des arrêts récents de la Cour d’appel fédérale, notamment Sanofi–Aventis c Apotex Inc, 2013 CAF 186, 114 CPR (4th) 1, 2013 ACF no 856 (QL) [Plavex], autorisation de pourvoi à la Cour suprême accordée, et Mylan Pharmaceuticals ULC c Pfizer Canada Inc, 2012 CAF 103, 100 CPR (4th) 203, 2012 ACF no 386.

[28]           Je conclus que le brevet ne contenait aucune promesse claire sur l’utilité de Celebrex® dans le traitement de l’inflammation chez l’humain. Il s’agissait peut‑être d’un souhait, d’une aspiration, d’un but, d’une cible ou d’un avantage, mais si je m’appuie sur les arrêts de la Cour d’appel fédérale que je viens de mentionner, il n’y avait pas vraiment de promesse.

[29]           Pour étayer la thèse selon laquelle l’invention est utile pour traiter l’inflammation et la douleur qui y est associée, le brevet révèle qu’un test de l’œdème du coussinet plantaire induit par la carraghénine chez le rat et un test d’analgésie induite par la carraghénine chez le rat ont été menés avec succès. Le brevet a donc établi l’utilité. Cette utilité a été établie chez une espèce animale : le rat. C’est tout ce qui était promis, et c’est ce qui a été réalisé. À mon avis, l’affirmation d’Apotex selon laquelle ces tests n’ont pas permis d’établir l’utilité du traitement parce que l’inflammation a été induite en infectant des rats au moyen d’algues, ou que plus d’une espèce animale devait être testée, est sans fondement. Il se trouve qu’il y a eu inflammation et qu’elle a été réduite, tout comme la douleur. En juin et juillet 1994, avant de présenter sa demande de brevet canadien, Searle avait préparé une « alerte de produit », qui était un document interne confidentiel. On y révélait que des essais in vivo, autres que ceux divulgués dans le brevet, avaient aussi été réalisés sur des cobayes et des chiens. Selon Apotex, même si ces tests devaient établir l’utilité, on ne peut s’y fier parce que le brevet n’en fait aucune mention. Je n’ai pas besoin d’examiner ce point, puisque je suis convaincu que les essais mentionnés dans le brevet étaient suffisants. Le brevet démontre le traitement de l’inflammation et la réduction de la douleur chez un « sujet ».

Diminution des effets secondaires chez les humains

[30]           Contrairement à l’utilité du médicament comme anti‑inflammatoire, cette question a été examinée en détail dans la décision Mylan (Celebrex), précitée. Même si Apotex a réussi à me convaincre du caractère inadéquat de certains des arguments sur lesquels repose ma conclusion portant qu’une telle promesse n’avait pas été faite, je reste du même avis. Le domaine de l’invention tel qu’il est divulgué dans le brevet est celui d’un agent pharmaceutique anti‑inflammatoire. Il n’est nulle part question d’une diminution des effets secondaires. Aucune des seize revendications qui se trouvent à la fin du mémoire descriptif ne mentionne d’effets secondaires. Les arguments d’Apotex, comme ceux de Mylan, reposent sur le long paragraphe qui débute à la page 7 du brevet et qui énumère différents troubles que les composés de la formule aideraient à traiter. Le paragraphe s’achève ainsi : [traduction] « Les composés sont utiles comme anti‑inflammatoires, par exemple dans le traitement de l’arthrite, et ont pour avantage supplémentaire de provoquer significativement moins d’effets secondaires nocifs. »

[31]           Ce paragraphe doit être lu concurremment avec le suivant, qui précise que l’invention inclut de préférence les composés qui inhibent sélectivement la COX II plutôt que la COX I. Le paragraphe conclut comme suit : [traduction] « Cette sélectivité préférentielle pourrait signaler une capacité à réduire l’incidence des effets secondaires couramment associés aux AINS » (non souligné dans l’original).

[32]           Apotex avance que certains effets secondaires sont moins nuisibles que d’autres, éléments de preuve à l’appui. Elle affirme que le paragraphe qui débute à la page 7 traite des effets secondaires nocifs alors que celui de la page 8 renvoie aux effets secondaires courants, c’est‑à‑dire moins nocifs.

[33]           Aucune personne versée dans l’art à qui s’adressait le brevet n’a interprété ainsi ces deux paragraphes. Cette interprétation est celle d’un avocat et tient à ce que certains effets secondaires sont plus nocifs que d’autres.

[34]           Pfizer ne s’est pas attardée sur la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet. Apotex ne s’est pas opposée à ce que j’accepte l’affirmation de Mylan faite dans l’affaire Celebrex, à savoir que la personne versée dans l’art peut être un chimiste et un pharmacologue ayant de l’expérience dans le domaine des anti‑inflammatoires et de la COX. Le brevet pourrait aussi s’adresser à des cliniciens qui traitent l’arthrite et à des médecins, mais aucun enjeu ne semble dépendre de cette question.

[35]           Je suis conforté dans mon opinion que le terme [traduction] « pourrait » dans le contexte du brevet fasse simplement état d’une possibilité et ne constitue pas une promesse par celle de M. Robert N. Young, professeur de chimie et chimiste médicinal ayant pris part à la mise au point du rofécoxib de Merck, l’ingrédient actif contenu dans le Vioxx, un autre inhibiteur de la COX II ultérieurement retiré du marché. À son avis, la personne versée dans l’art ne discernerait pas une telle promesse dans la divulgation.

[36]           Je continue d’estimer que tout énoncé de l’utilité ne figurant pas dans la partie du mémoire descriptif consacré aux revendications « […] devrait être considéré comme un simple énoncé d’avantage, à moins que l’inventeur n’indique clairement et sans équivoque que cela fait partie de l’utilité promise », comme le juge Zinn l’a clairement formulé dans Fournier Pharma Inc c Canada (Santé), 2012 CF 741, 107 CPR (4th) 32, 2012 ACF no 901 (QL), au paragraphe 126. Je me rends maintenant compte que mon renvoi au principe voulant que l’on renonce normalement à ce qu’on n’a pas revendiqué au paragraphe 7 de la décision Mylan (Celebrex) et la citation tirée de l’arrêt Whirlpool Corp c Camco Inc, 2000 CSC 67, [2000] 2 RCS 1067, [2000] ACS no 68 (QL) au paragraphe 42 de mes motifs publics de l’ordonnance étaient hors contexte. Si le mémoire descriptif ne divulgue qu’une seule invention, elle peut difficilement faire l’objet d’une renonciation du simple fait qu’elle n’est pas mentionnée dans les revendications. D’ailleurs, il n’est pas nécessaire que la revendication portant sur un composé en soi divulgue une utilité. Celle‑ci ressort de l’examen du brevet dans son ensemble. J’aurais en fait dû dire que l’invention ne visait pas à la réduction des effets secondaires.

[37]           Dans la décision Mylan (Celebrex), j’ai également mentionné qu’un certain nombre d’AINS inhibant sélectivement la COX II servent au traitement d’animaux, comme les chevaux et les chiens. Cela est exact. La preuve en l’espèce indique d’ailleurs que l’un des composés, dont il est question dans la revendication 6, sert au traitement de l’arthrite chez les chiens. Je ne voulais pas dire par là que les inventeurs avaient valablement prédit le traitement d’animaux autres que des humains, ce qui s’est avéré exact, mais plutôt qu’il ne fallait pas interpréter la promesse, si promesse il y avait, comme incluant la réduction des effets secondaires chez les humains.

[38]           Apotex a cité une décision rendue par le juge Pumfrey de la Haute Cour d’Angleterre et du Pays‑de‑Galles (Cour de brevets), confirmée en cour d’appel. En première instance, la décision a été publiée sous Monsanto Company, G.D. Searle & Company and Pfizer Inc c Merck & Co Inc and Merck, Sharpe & Dohme Limited, [2000] EWHC Patents 154, et en appel sous Pharmacia Corporation, G.D. Searle & Company and Pfizer Inc c Merck & Co Inc and Merck, Sharpe & Dohme Limited, [2001] EWCA Civ 1610. Il s’agissait d’une action intentée par les titulaires pour contrefaçon de leur brevet européen sur le célécoxib. Il ressort clairement des jugements que le mémoire descriptif était assez différent de celui en cause en l’espèce. Dans cette affaire, le nombre des expériences divulguées et des revendications était supérieur qu’en l’espèce. Cependant, le libellé du mémoire descriptif ressemblait à certains endroits aux dernières phrases des paragraphes se trouvant aux pages 7 et 8 du brevet qui nous occupe. Au paragraphe 46, le juge Pumfrey a déclaré :

[traduction] Encore une fois, la déclaration hésitante portant que « cette sélectivité préférentielle pourrait signaler une capacité à réduire l’incidence des effets secondaires couramment associés aux AINS, comme les ulcères » n’indique pas que la classe inclut des composés qui ne sont pas des inhibiteurs sélectifs de la Cox II […]. Toute l’idée maîtresse du mémoire descriptif tient à la sélectivité à l’égard de la Cox II.

[39]           L’action a été rejetée, le brevet ayant été jugé invalide pour un certain nombre de motifs. L’extrait des motifs du juge Pumfrey que je viens de citer renvoie au fait qu’il a conclu que les composés revendiqués n’étaient pas tous efficaces. Rien ne prouve que ce soit le cas en l’espèce. Pour ce qui est de la décision de la Cour d’appel, Apotex a notamment invoqué le paragraphe 26 dans lequel le lord juge Aldous déclare :

[traduction] Les composés sont réputés être des agents anti‑inflammatoires utiles ayant l’avantage supplémentaire d’entraîner moins d’effets secondaires nocifs. Le lecteur peut croire que le mémoire descriptif enseigne qu’ils sont moins nocifs que les AINS traditionnels parce qu’ils inhibent sélectivement la Cox II.

Ce paragraphe commence toutefois par la phrase suivante :

[traduction] Le lecteur comprendra que le but était de parvenir à des composés anti‑inflammatoires ayant moins d’effets secondaires, comme les ulcères de l’estomac, du fait de l’inhibition sélective de la Cox II.

[Non souligné dans l’original.]

[40]           Les brevets sont une création de la loi. La législation britannique est différente de la nôtre, tout comme leur jurisprudence. Au Canada, l’énoncé d’un simple avantage, ou d’une cible, sans plus, ne constitue pas une promesse.

[41]           Les essais in vitro ont démontré que les composés testés inhibaient sélectivement la COX II, ce qui a peut‑être amené les inventeurs à espérer qu’il soit finalement établi que ce mécanisme se traduise par une réduction des effets secondaires. Ils auraient éventuellement pu faire une promesse en ce sens, mais ils ne l’ont pas fait. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de décider si les essais dont fait état le dossier établissent ou non que Celebrex® est associé à moins d’effets secondaires. Pfizer n’a pas à tenir une promesse qu’elle n’a jamais faite.

Divulgation insuffisante

[42]           L’observation selon laquelle la conclusion que j’ai tirée dans la décision Mylan (Celebrex) et reprise en l’espèce – à savoir qu’il n’y avait pas eu de promesse de réduction des effets secondaires – contredit l’interprétation du juge Hughes dans la décision Novopharm (Celebrex), précitée, concerne davantage la forme que le fond. Nul ne s’y connaît davantage en interprétation des brevets que le juge Hughes. Voici ce qu’il déclarait au paragraphe 101 :

La demande canadienne de brevet, déposée en date du 14 novembre 1994, expose largement l’utilité du célécoxib; celui‑ci y est décrit, on y divulgue un procédé pour le préparer sous la rubrique de l’exemple 2 et on y consigne des données démontrant son efficacité dans le traitement des inflammations, ainsi que son aptitude à l’inhibition sélective de la COX II.

J’ai également conclu que les données contenues dans le brevet démontrent l’efficacité en ce qui touche l’inflammation et la sélectivité adéquate à l’égard de la COX II.

[43]           Au chapitre de la divulgation insuffisante, Apotex présente trois arguments :

                     premièrement, l’un des composés visés par une revendication individuelle, la revendication 5, était toxique et donc inutile;

                     deuxièmement, la revendication 16, qui se rapporte à l’utilisation du médicament dans la prévention du cancer colorectal, est infondée;

                     troisièmement, il fallait divulguer que le célécoxib ou Celebrex® (revendication 4) constituait la véritable invention à l’égard de laquelle la demanderesse entendait déjà obtenir une approbation réglementaire, ce qui n’a pas été fait.

[44]           Pfizer a su me convaincre de l’absence de fondement de la première allégation. Le fait que des essais révélaient que des doses élevées du composé de la revendication 5 étaient toxiques chez les rats n’enlève rien à ses effets anti‑inflammatoires. Nul n’a promis qu’il recevrait l’approbation réglementaire.

[45]           Apotex allègue également que la revendication 16 est invalide. Celle‑ci concerne l’utilisation d’un composé conformément aux revendications 1 à 7 – c’est‑à‑dire pour la préparation d’un médicament visant la prévention du cancer colorectal chez un [traduction] « sujet ». Pfizer n’a pas répondu à cette allégation, et d’ailleurs rien ne l’y oblige. Si au bout du compte, au moins une revendication du brevet est maintenue, toutes choses étant par ailleurs égales, une ordonnance d’interdiction sera délivrée au ministre.

[46]           La preuve produite par Apotex, et à laquelle Pfizer n’a pas répondu, semble appuyer la proposition selon laquelle la revendication 16 est invalide. Pfizer fait valoir qu’en vertu de l’article 58 de la Loi sur les brevets, cette revendication peut être supprimée et le reste du brevet, demeurer valide. Selon Apotex, si les composés sont nouveaux, comme ceux en cause, il n’est pas nécessaire que les revendications énoncent l’utilité. Celle‑ci doit faire partie de la divulgation. Cependant, il s’ensuit qu’elle est inhérente à toute revendication. Comme la revendication 16 est invalide, tout le brevet l’est.

[47]           J’estime que cette allégation est non fondée puisqu’elle est incompatible avec l’article 58 de la Loi sur les brevets et avec l’arrêt Teva (Sildenafil/Viagra) de la Cour suprême.

[48]           La troisième allégation selon laquelle Celebrex® (revendication 4) constituait la véritable invention, et que Searle devait divulguer qu’elle avait l’intention de commercialiser ce composé précisément, repose sur l’arrêt Teva (Sildenafil/Viagra) de la Cour suprême.

[49]           La dernière allégation d’Apotex selon laquelle le brevet est invalide pour cause de divulgation insuffisante parce qu’il ne répond pas aux exigences du paragraphe 27(3) de la Loi, impose une obligation à la fois positive et négative au titulaire du brevet. D’une part, ce dernier doit définir le mode optimal ou la meilleure utilisation de l’invention et, d’autre part, il ne peut pas dissimuler la véritable invention en brouillant les pistes.

[50]           S’agissant de l’obligation positive, dans la décision souvent citée Minerals Separation North American Corp c Noranda Mines, Ltd (1947), 12 CPR (1st) 102 (C. Éch.), le président Thorson déclarait aux pages 316 et 317 :

[traduction] […] Elle ne doit pas comporter de déclarations erronées ou fallacieuses destinées à tromper ou induire en erreur les personnes auxquelles elle est destinée, et ne pas rendre difficile à ces personnes, sans essai et expérimentation, la compréhension du mode d’application de l’invention. Elle ne doit pas, par exemple, prescrire l’emploi de méthodes facultatives de mise en œuvre lorsqu’une seule est praticable, même si des personnes versées dans l’art en question étaient susceptibles de choisir la méthode praticable. La description de l’invention doit également être complète, ce qui signifie que sa portée doit être définie de sorte qu’aucun élément non décrit ne puisse être validement revendiqué. La description doit aussi fournir tous les renseignements nécessaires pour le bon fonctionnement ou la bonne utilisation de l’invention, sans que ce résultat soit laissé au hasard d’une expérience réussie, et si des avertissements sont nécessaires pour éviter l’échec, ces avertissements doivent être présents. De plus, l’inventeur doit agir en toute bonne foi et donner tous les renseignements qu’il connaît pour mettre en œuvre l’invention de façon à obtenir le mieux possible le résultat voulu.

[51]           Cependant, la Loi sur les brevets, telle qu’elle existait alors, n’exigeait pas la divulgation du mode optimal ou de l’utilisation optimale. Aux termes de l’alinéa 27(3)c) de la présente Loi

[…] Le mémoire descriptif doit :

c) s’il s’agit d’une machine, en expliquer clairement le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l’application; […]

[52]           Sur le plan de l’interprétation législative, il me semble qu’une telle exigence ne s’applique pas en l’espère puisqu’aucune machine n’a été inventée. Je souscris à la décision récente de la juge Snider qui a statué en ce sens dans Teva Canada Limited c Novartis AG, 2013 CF 141, [2013] ACF no 182 (QL). Cette affaire a récemment été portée en Cour d’appel. Le jugement a été mis en délibéré.

[53]           L’obligation négative, c’est‑à‑dire celle de ne pas dissimuler, découle d’une longue liste de décisions anglaises et canadiennes ayant abouti à l’arrêt Teva (Sildenafil/Viagra), précité, rendu en 2012 par la Cour suprême.

[54]           Les faits de cette affaire sont un peu particuliers. Le mémoire descriptif du brevet révélait l’utilisation de composés, ou de leurs sels, dans le traitement de la dysfonction érectile (DÉ) chez les hommes. Comme il est assez fréquent, un grand nombre de composés ont été revendiqués, se réduisant au bout du comte à quelques revendications particulièrement privilégiées, et l’efficacité d’un seul était connue de Pfizer. Deux composés individuels ont été revendiqués, y compris le sildénafil, l’ingrédient actif contenu dans le Viagra.

[55]           S’exprimant au nom de la Cour, le juge LeBel a répété qu’une divulgation suffisante dans le mémoire descriptif constituait une condition préalable à l’octroi d’un monopole sous forme de brevet. Comme l’a fait valoir M. Brodkin pour le compte d’Apotex, c’est le public de consommateurs aux prises avec des douleurs qui fait les frais du monopole. Searle a trompé le commissaire des brevets au moyen de tours de passe‑passe. Elle ne pensait pas ce qu’elle disait alors et on m’invite à présent à réécrire le brevet en sa faveur.

[56]           L’arrêt Teva (Sildenafil/Viagra) renvoie au paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets, en vertu duquel le brevet est nul si la pétition du demandeur contient quelque allégation importante qui n’est pas conforme à la vérité, ou si le mémoire descriptif comporte une omission ou une addition volontairement faite pour induire en erreur. Le juge LeBel a souscrit à la décision Minerals Separation, précitée, et aux arrêts Consolboard Inc. c MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd, [1981] 1 RCS 504, Whirlpool Corp, précité, Pioneer Hi‑Bred c Canada (Commissaire aux brevets), [1989] 1 RCS 1623, [1989] ACS no 72 (QL) et Apotex Inc. c Wellcome Foundation Ltd (AZT, précité), et répété entre autres choses que a) c’est tout le mémoire descriptif, à savoir à la fois la divulgation et les revendications, qui doit être pris en compte pour déterminer la nature de l’invention et le caractère suffisant de la divulgation; b) au terme du monopole, la personne versée dans l’art doit être en mesure, en s’aidant seulement du mémoire descriptif, de fabriquer et d’utiliser l’invention de la même manière que l’inventeur au moment où il a présenté la demande de brevet.

[57]           Au paragraphe 72, le juge LeBel a noté que Pfizer avait effectué des essais ayant démontré que Viagra fonctionnait dans le traitement de la DÉ et qu’aucun autre composé du brevet ne s’était avéré efficace. « Par conséquent, l’invention consiste dans l’utilisation du sildénafil pour le traitement de la DÉ, ce qu’il faut divulguer pour satisfaire aux exigences du par. 27(3) de la Loi. » Il a ajouté que Pfizer a opté pour un mode de rédaction qui n’expliquait pas clairement la teneur de l’invention ou pourquoi elle avait choisi de dissimuler les renseignements dont elle disposait et selon lesquels le sildénafil était le seul composé testé à s’être avéré efficace. La divulgation n’indiquait pas en termes clairs la nature de l’invention. La personne versée dans l’art devait effectuer des travaux étrangers au brevet pour déterminer la teneur de l’invention. Le juge a conclu au paragraphe 80 qu’« [o]n ne saurait ni au plan des principes ni sous l’angle de la juste interprétation des lois permettre au breveté de se “jouer” ainsi du régime légal. »

[58]           Cependant, il n’a pas insisté sur le fait que la revendication 1 comprenait plus de 260 trillions (quintillions) de composés. Aux États‑Unis, un trillion équivaut au chiffre 1 suivi de 18 zéros, alors qu’au Royaume‑Uni, au chiffre 1 suivi de 30 zéros. La pratique des revendications en cascade est courante et ne compromet pas nécessairement le droit du public à la divulgation.

Le lecteur versé dans l’art sait que dans ce type de revendication c’est habituellement le composé individuel revendiqué en dernier qui constitue le composé utile. Les revendications de composés non fonctionnels sont simplement réputées invalides. Conformément à l’art. 58, toute revendication valide — en l’occurrence, la revendication 7 — le demeure néanmoins. En l’espèce, toutefois, il y a atteinte au droit du public à une divulgation suffisante, car deux composés individuels sont revendiqués en dernier lieu, ce qui brouille l’identité véritable de l’invention. (paragraphe 80)

[59]           Si je m’appuie sur le passage ci‑dessus, le lecteur versé dans l’art en l’espèce n’a pas été induit en erreur par le fait que seize composés semblaient intéressants. Contrairement à la situation dans l’affaire Teva, précitée, les revendications portant sur un composé en soi se limitaient à trois : les revendications 4 (Celebrex®), 5 et 6. Les trois composés fonctionnaient en ce qu’il a été démontré qu’ils réduisaient l’inflammation et la douleur associée, comme les autres AINS, mais qu’ils avaient en plus des propriétés sélectives à l’égard de la COX II. La revendication 5 ne promettait pas un niveau de toxicité permettant l’approbation des composés pour l’humain. Par ailleurs, la revendication 6 propose un traitement de l’arthrite chez le chien. En dehors de la revendication d’utilisation liée au cancer, il n’a pas été établi que les composés ne fonctionnaient pas. Rien n’a été avancé pour réfuter la présomption de validité au titre du paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets. À mon avis, le célécoxib, ou Celebrex®, n’était pas l’invention véritable : celle‑ci consistait plutôt en une classe de composés.

[60]           Au moment du dépôt du brevet, Searle n’avait pas l’obligation de divulguer qu’elle entendait commercialiser le composé visé à la revendication 4. Son [traduction] « alerte produit » interne était en cours. Si elle a changé d’avis un an plus tard, et décidé de faire valoir plus vigoureusement l’une des revendications, devait‑elle le dévoiler? M. Flower, expert appelé par Apotex, estimait qu’il serait surprenant que tous les composés soient commercialisés puisque la viabilité commerciale dépend d’un certain nombre de facteurs qui évoluent au fil du processus, comme l’absorption, le métabolisme et la stabilité.

Abus de procédure

[61]           Apotex affirme, à l’instar de Mylan, que Pfizer ne peut pas dire une chose et son contraire. Dans la décision Novopharm (Celebrex), elle a reconnu que la réduction des effets secondaires nocifs faisait partie de l’invention. Apotex fait valoir qu’elle devait se défendre dans cette affaire contre une allégation d’invalidité fondée sur l’évidence. Or, ce n’était le cas ni dans l’affaire Mylan, ni en l’espèce. Cependant, nul n’a été en mesure de citer un seul cas dans lequel une concession ou un aveu fait dans une action in personam s’applique à une autre. Le sens du brevet est établi par la Cour, qui l’interprète du point de vue du lecteur versé dans l’art sur la base de ses connaissances au moment où le brevet est rendu public. La Cour n’est pas liée par une interprétation proposée des années plus tard par le titulaire du brevet ou ses avocats. Il n’y a aucun aveu contraignant. Voir Apotex Inc. c H. Lundbeck A/S, 2013 CF 192, 111 CPR (4th) 171, [2013] ACF no 274 (QL), aux paragraphes 219 et suivants. Comme le déclarait le juge Binnie dans l’arrêt Whirlpool, précité, au paragraphe 61 :

Cependant, l’interprétation des revendications est une question de droit qu’il appartient au juge de trancher, et celui‑ci avait parfaitement le droit de donner aux revendications une interprétation différente de celle préconisée par les parties.

[62]           Par ailleurs, il faut garder à l’esprit que dans la décision Novopharm (Celebrex), le juge Hughes a estimé qu’il n’avait pas été démontré que Celebrex® avait moins d’effets secondaires chez les humains. Dans cette affaire, comme dans celle qui nous occupe, le brevet démontrait des propriétés sélectives à l’égard de la COX II.

[63]           À mon avis, il n’y a pas d’abus de procédure.

[64]           Pour tous ces motifs, Pfizer a établi que les allégations d’Apotex ne sont pas fondées. Une ordonnance d’interdiction sera délivrée.

Alcon Canada Inc. c Cobalt Pharmaceuticals Co.

[65]           Durant l’audience, Apotex s’est reportée à la décision très récente Alcon Canada Inc. c Cobalt Pharmaceuticals Co, 2014 CF 149, et en a cité des extraits. Pfizer a été autorisée à présenter des commentaires écrits, ce qui a mené à un échange plutôt acrimonieux entre les avocats.

[66]           La question est de savoir si la décision de la juge Gleason assouplit l’exigence suivant laquelle l’avis d’allégation doit énoncer tous [traduction] « les motifs juridiques et factuels » pour lesquels le brevet est invalide. Pfizer fait valoir que les arguments présentés par Apotex à l’audience quant à la divulgation insuffisante ne correspondaient pas à son avis d’allégation.

[67]           Il s’agit là d’un des nombreux arguments plaidés par l’une ou l’autre des parties qu’il n’est pas nécessaire de trancher. Ma décision est fondée sur le mémoire des arguments et les observations orales d’Apotex, je n’ai pas eu à me demander s’ils débordaient l’avis d’allégation. C’est donc dans cette large optique que je conclus qu’aucune des allégations d’Apotex n’était justifiée au sens du Règlement.

Dépens

[68]           Plutôt que d’avoir à demander des directives sur les dépens après le prononcé de ma décision, les parties ont informé la Cour qu’elles essaieraient de s’entendre sur une formule, sans égard à l’issue de la demande. C’est ce qu’elles ont fait. Il est évident que la Cour n’est pas liée par cette proposition conjointe, mais je l’estime raisonnable et l’ai, en vertu de mon pouvoir discrétionnaire, entérinée dans l’ordonnance jointe aux présents motifs.

[69]           Comme le ministre n’a pas participé à la présente instance, il ne lui sera pas adjugé de dépens et il ne sera pas non plus condamné à en payer.

Confidentialité

[70]           Comme une grande partie de la preuve et des témoignages tombaient sous le coup de diverses ordonnances de confidentialité et de mise sous scellés, Pfizer disposera de dix (10) jours à compter des présentes, pour aviser la Cour si elle estime, espérons‑le comme Apotex, qu’une partie de la présente décision devrait être supprimée ou modifiée dans la version publique et, le cas échéant, de fournir ses suggestions. À défaut d’entente, au nom de l’intérêt public et du principe de la publicité des débats, Apotex disposera de cinq (5) jours pour présenter ses propres observations en réponse.

« Sean Harrington »

Juge

Vancouver (Colombie‑Britannique)

Motifs confidentiels de l’ordonnance datés du 1er avril 2014

 

Ottawa (Ontario)

Motifs publics de l’ordonnance (identiques aux motifs confidentiels de l’ordonnance) datés du 15 avril 2014

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


dossier :

T‑1555‑12

 

INTITULÉ :

PFIZER CANADA INC. ET G.D. SEARLE & CO. c

APOTEX INC. ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

motifs de l’ordonnance :

le juge HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS CONFIDENTIELS DE L’ORDONNANCE :

 

LE 1ER AVRIL 2014

 

DATE DES MOTIFS PUBLICS DE L’ORDONNANCE (IDENTIQUES AUX MOTIFS CONFIDENTIELS DE L’ORDONNANCE) :

LE 15 AVRIL 2014

COMPARUTIONS :

Andrew E. Bernstein

W. Grant Worden

Yael Bienenstock

Rachael Pauls

 

POUR LES demanderesseS

Andrew Brodkin

Jordan D. Scopa

 

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Torys LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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