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Date : 20140410

Dossier : IMM‑4416‑13

Référence : 2014 CF 349

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2014

En présence de monsieur le juge Simon Noël

ENTRE :

ROBERT IMANIRAGUHA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

I.         Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], de la décision du 31 mai 2013 par laquelle Mme Paule Robitaille de la Section de la protection des réfugiés [la SPR, le tribunal] concluait que le demandeur n’a ni qualité de réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR ni celle de personne à protéger suivant le paragraphe 97(1) de la LIPR.

II.        Les faits

[2]               Le demandeur, né le 7 mai 1984, est un citoyen du Rwanda, d’origine hutue.

[3]               Le demandeur a quitté le Rwanda le 5 janvier 2011 et est arrivé à Boston le jour suivant. Environ un mois plus tard, le 5 février 2011, il est arrivé au Canada directement des États‑Unis.

[4]               L’audience devant la SPR a été tenue le 21 mai 2013. À l’audience, le demandeur a allégué que le gouvernement du Rwanda l’avait poursuivi parce qu’il était membre du parti des FDU‑Inkingi, le parti d’opposition dirigé par Mme Victoire Ingabire [le parti des FDU]. Il a allégué avoir pris part à une cérémonie qui s’était déroulée le 17 janvier 2010, au terme de laquelle Mme Ingabire avait fait une déclaration jugée scandaleuse qui avait entraîné sa condamnation pour révisionnisme et discours haineux. Le demandeur a soutenu qu’il avait été arrêté et interrogé par la police à deux reprises, qu’il avait été torturé au cours de sa détention, qu’il avait perdu son emploi à cause de ses opinions politiques et qu’il serait sûrement de nouveau persécuté par la police s’il était renvoyé dans son pays d’origine.


III.       Décision faisant l’objet du contrôle

[5]               La SPR n’a eu aucun doute quant à l’identité du demandeur, mais elle a rejeté sa demande d’asile, concluant que les principales allégations qui y figuraient n’étaient pas crédibles, principalement par manque de vraisemblance.

[6]               La SPR n’était pas convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur, qui n’est pas un membre actif du parti des FDU, mais un simple sympathisant de l’organisation, avait été arrêté à deux reprises par le gouvernement. Même si la preuve documentaire révèle que le gouvernement actuel tolère très mal l’opposition, les seuls événements auxquels le demandeur a pris part (soit accueillir Mme Ingabire à l’aéroport de Kigali le 10 janvier 2010 et aider le parti des FDU à offrir de l’aide dans des hôpitaux et des orphelinats) ne permettent pas de conclure qu’il pourrait être un opposant susceptible d’être ciblé par le gouvernement qui poursuit habituellement les dirigeants de l’opposition et ceux qui en sont des membres vraiment actifs. De plus, contrairement à ce que semble indiquer la preuve documentaire, le demandeur a soutenu qu’il n’existait aucun document judiciaire attestant l’existence des chefs d’accusation qui, le cas échéant, auraient été déposés contre lui.

[7]               La SPR a également conclu que le demandeur n’aurait pas pu être ciblé par le gouvernement du Rwanda parce que, sinon, il aurait été incapable de quitter le pays aussi facilement, muni de son propre passeport. Enfin, la SPR n’a pas cru les explications du demandeur quant aux raisons pour lesquelles il a commencé aussi soudainement à s’intéresser à la politique en 2010.

[8]               Pour tous ces motifs, le tribunal a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à démontrer qu’il existait plus qu’une simple possibilité qu’il soit persécuté au sens de l’article 96 de la Loi, s’il devait retourner au Rwanda, ou que, selon la prépondérance des probabilités, il soit personnellement exposé à un risque aux termes de l’article 97 de la Loi.

IV.      Observations du demandeur

[9]               Le demandeur allègue que la décision de la SPR n’était pas raisonnable parce qu’elle a conclu à tort que ses allégations n’étaient pas vraisemblables et parce qu’elle n’a pas tenu compte d’éléments de preuve contraires.

[10]           Premièrement, le rejet par la SPR de la demande d’asile du demandeur était fondé uniquement sur des conclusions d’invraisemblance. Selon la jurisprudence et les lignes directrices de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, la SPR ne peut tirer ce genre de conclusions que dans les cas les plus évidents. De plus, ces conclusions doivent être fondées sur des inférences tirées raisonnablement et non sur des hypothèses ou des conjectures, et elles doivent être étayées dans les motifs par des éléments de preuve bien précis. En l’espèce, aucun élément de preuve n’étayait les conclusions d’invraisemblance tirées par le tribunal.

[11]           Deuxièmement, la SPR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve factuels et documentaires contraires. Eu égard aux faits, le tribunal a tiré une conclusion à partir du témoignage du demandeur sans renvoyer à tous les faits pertinents que ce dernier avait décrits. La SPR n’a jamais souligné les difficultés, mentionnées dans le témoignage du demandeur, que celui-ci a dû surmonter au moment où il a fui son pays. En fait, le tribunal est allé jusqu’à dire qu’il ne comprenait pas comment il avait pu quitter le Rwanda si facilement. La SPR a également mal interprété les faits concernant ce qui avait motivé le demandeur à rallier ce parti de l’opposition en 2010. Il s’était pourtant clairement expliqué au cours de son témoignage, même s’il avait été interrompu à de nombreuses reprises. Qui plus est, le tribunal a conclu qu’un membre de l’opposition devait être actif pour être ciblé par le gouvernement, et ce, sans tenir compte de l’ensemble de la preuve documentaire dont il disposait : plusieurs documents à la disposition de la SPR précisaient sans ambiguïté que les membres de l’opposition n’occupant pas un poste important, comme le demandeur, sont aussi ciblés par les autorités du Rwanda. Or, la SPR n’a pas renvoyé à ces éléments de preuve.

V.        Observations du défendeur

[12]           Le défendeur soutient quant à lui que la décision de la SPR était raisonnable.

[13]           Le demandeur n’a pas démontré de quelle façon la SPR n’avait pas tenu compte des éléments de preuve relatifs à sa demande d’asile, et ses arguments semblent laisser de côté la distinction importante entre un membre du parti des FDU et un simple sympathisant de l’opposition. Par contre, le tribunal a reconnu dans ses motifs que, selon la preuve documentaire, certains opposants au gouvernement, soit ceux qui jouent un rôle très actif, étaient arrêtés, battus, ou même assassinés. Le demandeur mentionne dans ses observations le cartable de documentation sur le Rwanda selon lequel des « membres » de partis d’opposition sont victimes d’oppression; cependant, le conseil du demandeur a reconnu à l’audience que ce dernier n’était pas membre du parti des FDU. Aucun des éléments de preuve documentaire invoqués par le demandeur ne précise que les simples sympathisants de l’opposition seraient exposés à des risques au Rwanda. La SPR a expressément énuméré tous les faits sur lesquels elle s’est appuyée pour tirer ses conclusions d’invraisemblance et il lui était certainement loisible d’en arriver à cette conclusion.

[14]           De plus, le tribunal n’a pas fondé sa décision uniquement sur des conclusions d’invraisemblance. Les réponses du demandeur étaient vagues sur d’importants aspects de sa demande, particulièrement en ce qui concerne son intérêt subit pour la politique, et la SPR en a tiré, de façon raisonnable, une inférence défavorable. Après avoir été interrogé sur le sujet et avoir eu toutes les occasions voulues d’y répondre, le demandeur n’a pas été en mesure de fournir des réponses dénuées d’ambiguïté au sujet de son idéologie politique et de celle du parti des FDU. Le tribunal a aussi tiré une inférence défavorable du fait que le demandeur n’avait fourni aucun élément de preuve corroborant ses allégations selon lesquelles il avait été arrêté par la police du Rwanda, et puisqu’il s’agissait d’un élément central de sa demande d’asile, il était raisonnable que la SPR tire cette conclusion. Enfin, le défendeur ajoute que la SPR est réputée avoir tenu compte de tous les éléments de preuve qui lui avaient été présentés.

VI.      Questions en litige

[15]           La présente instance concerne la légalité de la conclusion de la SPR relative à la crédibilité qui a amené le tribunal à conclure que le demandeur n’a ni qualité de réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR ni celle de personne à protéger suivant le paragraphe 97(1) de la LIPR et elle soulève les deux questions qui suivent :

1.  La SPR a-t-elle conclu à tort que les allégations du demandeur n’étaient pas vraisemblables?

2.  La SPR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la preuve?

VII.     Norme de contrôle

[16]           Les parties ne s’entendent pas sur le libellé des questions en litige en l’espèce, mais elles reconnaissent que la décision de la SPR en l’espèce doit faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (voir Saeedi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 146, [2013] ACF no 173, au paragraphe 29, concernant les conclusions d’invraisemblance; voir Flores c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1147, [2010] ACF no 1418, au paragraphe 25, concernant l’évaluation de la preuve).

[17]           Les deux questions devant être évaluées selon la norme de la décision raisonnable, la Cour n’interviendra que si elle estime que les conclusions du tribunal sont suffisamment déraisonnables pour être considérées comme n’appartenant pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard du fait et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] ACS no 9, au paragraphe 47).

VIII.   Analyse

A. La SPR a-t-elle conclu à tort que les allégations du demandeur n’étaient pas vraisemblables?

[18]           La Cour estime que la SPR n’a pas conclu à tort que certaines des allégations du demandeur étaient invraisemblables.

[19]           Dans son mémoire, le demandeur cite le jugement Saeedi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 146, [2013] ACF no 173, au paragraphe 30, dans lequel la Cour a jugé que la SPR doit expliquer clairement ses conclusions d’invraisemblance, qui doivent toutes s’appuyer sur les éléments de preuve qui ont été présentés :

[30] La conclusion de la SPR selon laquelle les allégations du demandeur manquent de vraisemblance est déraisonnable pour les motifs suivants. L’obligation de motiver les conclusions défavorables quant à la crédibilité devient particulièrement importante quand ces conclusions sont fondées sur des invraisemblances perçues dans le récit du demandeur. Comme la Cour l’a statué dans Santos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 937, au paragraphe 15, 37 Imm LR (3d) 241, la SPR est tenue d’expliquer clairement le raisonnement sur lequel reposent ses conclusions d’invraisemblance, lesquelles doivent être fondées sur la preuve qui lui a été présentée :

[15] Il est évident que les conclusions sur la vraisemblance sont assujetties au même critère de retenue que les conclusions sur la crédibilité, soit la norme de la décision manifestement déraisonnable : voir Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). Cependant, comme la Cour l’a souligné dans Valtchev, les conclusions sur la vraisemblance reposent sur un raisonnement distinct de celui des conclusions sur la crédibilité et peuvent être influencées par des présomptions culturelles ou des perceptions erronées. En conséquence, les conclusions d’invraisemblance doivent être fondées sur une preuve claire et un raisonnement clair à l’appui des déductions de la Commission et devraient faire état des éléments de preuve pertinents qui pourraient réfuter lesdites conclusions. Il convient de conserver à l’esprit les mises en garde exposées dans Valtchev et dans Leung c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1994), 81 F.T.R. 303, lors de la révision des conclusions sur la vraisemblance.

Il est aussi vrai que la CISR a adopté des mesures similaires à cet égard dans ses directives sur l’évaluation de la crédibilité des demandeurs d’asile (voir le document intitulé Évaluation de la crédibilité lors de l’examen des demandes d’asile, Services juridiques, 31 janvier 2004; document consulté à l’adresse suivante : http://www.irb-cisr.gc.ca/Fra/BoaCom/references/LegJur/Pages/Credib.aspx).

[20]           Cependant, le demandeur rate sa démonstration en alléguant que les conclusions d’invraisemblance tirées par le tribunal ne sont pas étayées par la preuve.

[21]           Dans ses motifs, la SPR a jugé invraisemblable que le demandeur, un simple sympathisant du parti des FDU, ait été ciblé par le gouvernement du Rwanda. Cette conclusion d’invraisemblance est la plus importante, car elle permet à elle seule de disposer de l’ensemble de la demande d’asile. La SPR a établi une distinction nette entre les sympathisants de ce parti d’opposition, qui ne jouent pas un rôle très actif ‑ comme le demandeur ‑, et ses membres très actifs ainsi que ses dirigeants. Le tribunal a dit avoir pris connaissance de cette distinction dans la preuve documentaire alors que le demandeur allègue que cette preuve documentaire devrait en fait entraîner des conclusions opposées.

[22]           Après avoir lu la preuve documentaire, la Cour conclut qu’aucun des documents auxquels renvoie le demandeur n’étaye véritablement son argument selon lequel les sympathisants de l’opposition peuvent être ciblés par les autorités gouvernementales au Rwanda. En fait, la preuve soutient largement en termes exprès la conclusion de la SPR à l’effet contraire. Tous les éléments de preuve visent des personnes dont le statut politique et/ou le degré d’engagement sont fondamentalement différents de ceux du demandeur – opposants politiques très actifs qui ont fait des déclarations publiques ou participé à des manifestations contre le gouvernement, journalistes et autres personnes ayant critiqué ouvertement le gouvernement, etc. De plus, la preuve documentaire invoquée par le demandeur concerne essentiellement la situation de [traduction] « membres des partis d’opposition » et le demandeur a reconnu à l’audience, par l’intermédiaire de son conseil, qu’il n’était pas un membre du parti des FDU, mais un [traduction] « sympathisant discret » de l’organisation. Le demandeur n’a jamais critiqué publiquement le gouvernement et, à la connaissance du tribunal, il n’a pris part à pratiquement aucune activité politique publique, à l’exception de l’accueil de la dirigeante du parti des FDU, Mme Victoire Ingabire, à l’aéroport de Kigali.

[23]           En conséquence, la SPR a déclaré qu’elle n’était pas convaincue qu’il existait plus qu’une simple possibilité que le demandeur, s’il était renvoyé au Rwanda, soit persécuté au sens de l’article 96 de la Loi ou que, selon la prépondérance des probabilités, il soit exposé personnellement à un des risques mentionnés à l’article 97 de la Loi. Il est vrai que les conclusions d’invraisemblance ne peuvent être tirées que dans les cas les plus évidents (Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 FCT 776, [2001] ACF no 1131, au paragraphe 7 [Valtchev]) et je conclus que c’est le cas en l’espèce en ce qui a trait à la possibilité peu vraisemblable que le demandeur ait été ciblé par le gouvernement. La SPR a exposé de façon limpide les motifs de sa conclusion, a énuméré tous les faits et a fait état de l’ensemble des éléments de preuve pertinents, comme l’exige le jugement Valtchev, précité. Cette inférence n’a pas été tirée sur la foi d’hypothèses ou de conjectures.

[24]           Je conclus que cette conclusion d’invraisemblance est suffisamment solide pour faire en sorte que la décision de la SPR soit jugée raisonnable. En fait, si le demandeur n’est pas une cible, il n’y a de toute évidence pas de crainte de persécution qui soit justifiée de sa part de même qu’aucune exposition à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

B. La SPR a commis une erreur dans son évaluation de la preuve?

[25]           La seconde question en litige qui se pose dans la présente demande a trait à l’examen de la preuve – tant testimoniale que documentaire – effectué par la SPR. Le demandeur soutient que la SPR a omis de prendre en compte et de mentionner des éléments de preuve contradictoires. La Cour estime que la SPR a commis une seule erreur dans son évaluation globale de la preuve relative aux difficultés qu’a connues le demandeur pour fuir le Rwanda, mais conclut aussi que le renvoi de la demande pour réexamen ne donnera pas lieu à une issue différente.

[26]           Règle générale, la SPR est réputée avoir tenu compte de toute la preuve dont elle était saisie et, dans ce contexte, elle n’est pas tenue de commenter chaque élément de preuve qui lui a été présenté (voir Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) [Florea]). Ce principe est toutefois encadré par certaines limites. Si un décideur ne mentionne pas un élément de preuve important ou écarte des éléments de preuve contradictoires, la Cour peut parfois tendre à inférer que la décision a été prise sans égard à la preuve (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425, au paragraphe 17) :

[17] Toutefois, plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l’organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu’elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d’inférer que l’organisme n’a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[27]           Premièrement, la Cour abordera la question de la preuve testimoniale. À cet égard, il est vrai que le demandeur a déclaré avoir obtenu l’aide d’un ami (comme le confirmait une lettre du conseil du défendeur datée du 9 avril 2014) qui travaillait aux douanes au moment où lui‑même avait quitté le Rwanda, pour expliquer de quelle façon il avait pu sortir de son pays d’origine. Et il est aussi vrai que la SPR n’a pas fait état de cette explication lorsqu’elle a déclaré que le demandeur n’aurait pas été en mesure de quitter le pays aussi facilement s’il avait réellement été ciblé par le gouvernement. Cependant, même s’il était important que cette explication soit prise en compte et mentionnée par la SPR, celle-ci avait déjà tiré la conclusion qu’il n’était pas vraisemblable que le demandeur soit poursuivi par les autorités du Rwanda parce qu’il est un simple sympathisant de l’organisation. Dans le contexte global de l’affaire, la conclusion relative aux difficultés du demandeur au moment de quitter le Rwanda, qui figure à la fin de la décision, est moins importante étant donné qu’il s’agissait tout simplement d’une conclusion supplémentaire qui confirmait l’opinion de la SPR, mais elle ne jouait pas un rôle central dans le processus qui a amené le tribunal à trancher l’affaire. Qui plus est, étant donné que la Cour a déjà jugé raisonnable cette solide conclusion d’invraisemblance tirée par la SPR relative à la possibilité peu vraisemblable que le demandeur soit ciblé par le gouvernement, j’ai beaucoup de difficulté à imaginer de quelle façon le renvoi de l’affaire à une autre formation du tribunal pour réexamen donnerait lieu à une issue différente (voir par exemple Kamanzi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1261, [2013] ACF no 1368, au paragraphe 20).

[28]           La Cour conclut de plus que la SPR a bien évalué le reste de la preuve testimoniale. Après avoir pris connaissance de la preuve et de la transcription de l’audience, je conclus que le tribunal a estimé à raison que le demandeur avait répondu de façon vague à des questions sur les principes fondamentaux du parti des FDU. La même chose est vraie pour les réponses qu’il a fournies aux questions posées au sujet de son intérêt soudain pour la politique.

[29]           Quoi qu’il en soit, l’évaluation de la crédibilité d’un demandeur sur la base de son témoignage, notamment son caractère vague, se trouve au cœur de l’expertise de la SPR et les cours de révision doivent faire preuve d’une grande déférence à l’égard de ce type de conclusions (Zheng c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 673, [2007] ACF no 919, au paragraphe 17).

[30]           Deuxièmement, en ce qui concerne la preuve documentaire, le principe énoncé dans le jugement Florea s’applique. J’ai déjà conclu précédemment, en réponse à la première question, que contrairement aux observations du demandeur, la SPR n’a pas omis de prendre en compte des éléments de preuve documentaires contradictoires lorsqu’elle a trié ses conclusions d’invraisemblance relatives au demandeur. La même chose peut être dite ici. De plus, le tribunal expose au paragraphe 9 de ses motifs la dure réalité vécue par certains membres actifs de l’opposition au Rwanda. Tout en reconnaissant la situation difficile dans laquelle se trouvent certaines personnes, la SPR a néanmoins conclu de façon raisonnable que ce n’était pas la situation du demandeur. Celui-ci n’a pas convaincu la Cour que la SPR a omis de prendre en compte et de mentionner dans sa décision des éléments de preuve contradictoires.

[31]           Enfin, en ce qui a trait à la question plus générale de la crédibilité, il faut souligner que le demandeur n’a pas fourni des éléments de preuve corroborant ses allégations selon lesquelles il avait été arrêté et accusé au Rwanda. La Cour a déjà conclu qu’il est raisonnable qu’un tribunal tire une inférence défavorable du défaut de fournir des éléments de preuve corroborants lorsqu’ils ont trait à des éléments essentiels d’une demande d’asile, comme c’est le cas en l’espèce (voir Sinnathamby c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 FCT 473, [2001] ACF no 742, au paragraphe 24; Quichindo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 FCT 350, [2002] ACF no 463, au paragraphe 28). Et, comme mon collègue le juge de Montigny l’a souligné dans le jugement Jarada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409, [2005] ACF no 506, au paragraphe 22, étant donné que la conclusion de la SPR relative à la crédibilité du demandeur était fondée sur de nombreux éléments et de nombreuses invraisemblances, « les motifs du tribunal administratif doivent être évalués dans leur ensemble pour évaluer le caractère raisonnable de sa décision, et […] l’analyse ne consiste pas à déterminer si chaque élément de son raisonnement satisfait au critère du caractère raisonnable […] ». Cette observation s’applique en l’espèce.

[32]           Par conséquent, ayant rejeté les allégations du demandeur relatives aux deux questions en litige, je conclus que la décision de la SPR était raisonnable et je rejetterai l’ensemble de la présente demande de contrôle judiciaire.

[33]           Les parties ont été invitées à soumettre des questions à certifier, mais aucune n’a été proposée.


ORDONNANCE

LA COUR :

REJETTE la présente demande de contrôle judiciaire;

DÉCLARE qu’aucune question n’est certifiée.

« Simon Noël »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4416‑13

 

INTITULÉ :

ROBERT IMANIRAGUHA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (QUÉbec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 AVRIL 2014

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 AVRIL 2014

 

COMPARUTIONS :

Annick Legault

 

POUR Le demandeur

 

Gretchen Timmins

 

POUR Le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Annick Legault

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR Le demandeur

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR Le défendeur

 

 

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