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Date : 20140410


Dossier : IMM-1828-14

Référence : 2014 CF 348

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2014

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

ABIMBOLA KAZEEM ABIOYE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               La Cour est saisie d’une requête en sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi de M. Abimbola Kazeem Abioye au Nigéria.  M. Abioye affirme qu’il est bisexuel et il craint que son orientation sexuelle l’expose à un grave risque de mort, de sanctions excessives ou de traitement inhumain.  La requête doit être tranchée conformément au triple critère exposé dans l’arrêt Toth c Canada (MEI), (1988) 86 NR 302, [1988] ACF no 587 (CAF).

[2]               La demande sous-jacente de contrôle judiciaire porte sur une décision refusant de reporter le renvoi de M. Abioye malgré les nouveaux risques allégués auxquels doivent faire face les homosexuels et les bisexuels au Nigéria.  L’agent d’exécution de la loi à l’intérieur du pays (agent) a noté que la demande d’asile présentée par M. Abioye a été refusée en septembre 2013 et il a rejeté la demande de sursis au motif que le risque [traduction] « était le même que ceux examinés dans le cadre de sa demande d’asile refusée ».

[3]               La présente requête porte sur un problème ayant trait au système actuel d’évaluation des changements du risque découlant d’une demande d’asile refusée.  Le pouvoir conféré à un agent d’exécution de tenir compte de nouveaux risques est limité et il peut ne pas être suffisant pour garantir, en toutes circonstances, que des demandeurs d’asile déboutés ne seront pas soumis à la torture. 

[4]               Sous le régime de la législation actuelle, le droit à un examen approfondi des risques n’existe plus après un an suivant le refus de la demande d’asile, même dans des circonstances où le risque a grandement augmenté entre-temps.  Dans une certaine mesure, cet écart peut être comblé grâce au pouvoir reconnu qui permet à un agent d’exécution de la loi de prendre en considération des éléments de preuve ayant trait à un nouveau risque ou à un risque plus grave – dans la mesure où le demandeur risque la mort, des sanctions excessives ou un traitement inhumain.  La Cour a aussi compétence pour surseoir à des mesures de renvoi dans certains cas.  La capacité d’un agent d’exécution de la loi d’apprécier la preuve à sa juste valeur demeure une préoccupation réelle, en particulier dans un contexte où la loi impose l’obligation concurrente de donner effet aux mesures de renvoi dès que possible. Dans certains cas, cette dernière obligation semble avoir préséance sur la première. Cela semble être le cas en l’espèce. 

[5]               Des rapports concernant les conditions dans le pays ont été présentés à l’agent pour décrire les risques auxquels les homosexuels et les bisexuels doivent en ce moment faire face au Nigéria. La preuve démontrait que la situation s’était profondément détériorée. 

[6]               Il appert de toute évidence des motifs de sa décision que la Section de la protection des réfugiés (Section) n’a pas cru le récit de risque personnalisé présenté par M. Abioye.  Malheureusement, la Section n’a tiré aucune conclusion concernant l’orientation sexuelle de M. Abioye.  La Section ne s’est pas non plus penchée sur la question du risque.  En conséquence, l’agent n’avait aucun motif de conclure que le risque examiné par la Section était essentiellement le même que le risque généralisé qui a été présenté à l’appui de la demande de sursis. 

[7]               Même si l’agent n’avait pas le pouvoir d’examiner plus en détail la décision de la Section, il avait cependant l’obligation de prendre en considération le risque que ferait courir à M. Abioye un retour au Nigéria du fait qu’il était présumément bisexuel ou homosexuel. 

[8]               Il y avait dans la nouvelle documentation présentée à l’agent des éléments de preuve qui démontraient que le gouvernement du Nigéria avait entrepris au tout début de la présente année une campagne visant les homosexuels et les lesbiennes.  Cette campagne comportait des modifications législatives visant, notamment, à criminaliser les clubs et associations d’homosexuels imposant des peines allant jusqu’à 10 ans d’emprisonnement.  Les unions entre conjoints de même sexe sont maintenant passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à 14 ans d’emprisonnement.  Fait inquiétant, une rafle policière activement menée a conduit à des douzaines d’arrestations et de rapports de torture.  Il y a eu un cas où une personne a été condamnée au fouet.  Apparemment d’autres personnes auraient été pourchassées.  Le Canada, les États-Unis et la Grande-Bretagne ont jugé la situation suffisamment préoccupante pour unanimement condamner l’adoption de la nouvelle loi ainsi que sa campagne officielle de mise en application. 

[9]               À la lumière de ces rapports apparemment crédibles, l’agent a presque certainement erré lorsqu’il a décidé que la situation au Nigéria était demeurée inchangée et que la Section avait évalué de façon appropriée le risque généralisé au Nigéria. 

[10]           Je suis convaincu que l’approche de l’agent en ce qui concerne cette question était presque assurément une erreur et respecte par conséquent la norme plus élevée qui permet de conclure à l’existence d’une question sérieuse à trancher, comme le prévoit le jugement Wang c Canada (MCI), 2001 CFPI 148, [2001] 3 CF 682.  Je souligne également un autre sujet de préoccupation : si les démarches devant la Cour doivent être considérées comme un élément crucial de l’obligation d’évaluer le risque découlant d’une expulsion faisant suite aux demandes d’asile rejetées, la Cour pourrait souhaiter réexaminer la nécessité d’appliquer la norme fondée sur le jugement Wang aux requêtes de la nature de celle présentée en l’espèce. 

[11]           Vu le témoignage sous serment de M. Abioye et en l’absence de conclusion touchant son orientation sexuelle, je conclus qu’un préjudice irréparable a été démontré.  Compte tenu de la situation actuelle au Nigéria, le Canada ne devrait pas expulser des homosexuels et bisexuels dans ce pays. 

[12]           La prépondérance des inconvénients favorise nettement les intérêts de M. Abioye par rapport à la volonté du ministre de l’expulser hors du Canada.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la requête soit accueillie et que la mesure de renvoi visant le demandeur soit suspendue jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue sur la demande sous-jacente.

« R.L. Barnes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-Jacques Goulet, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1828-14

 

INTITULÉ :

ABIMBOLA KAZEEM ABIOYE

c

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (OntarIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 AVRIL 2014

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 AVRIL 2014

 

COMPARUTIONS :

Johnson Babalola

POUR LE DEMANDEUR

 

Suran Bhattacharyya

Christopher Crighton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Johnson Babalola

Avocat

Toronto (ON)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (ON)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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