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Date : 20140409


Dossier : IMM-8452-12

Référence : 2014 CF 344

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 avril 2014

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

 

et

 

 

A049

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

INTRODUCTION

[1]               La Cour est saisie d'une demande présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration [le demandeur] en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi] en vue d'obtenir le contrôle judiciaire d'une décision rendue le 3 août 2012 [la décision] par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SPR ou la Commission) a accueilli la demande d'asile du défendeur après lui avoir reconnu la qualité de réfugié sur place au sens de la Convention selon l'article 96 de la Loi.

[2]               Le défendeur est arrivé au Canada le 17 octobre 2009 à bord de l'Ocean Lady et il a demandé l'asile au point d'entrée. Le 2 mars 2010, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile [le ministre] a déposé un Avis d'intention d'intervenir dans le cadre de la demande d'asile du défendeur, et l'avocat du ministre a comparu devant la Commission pour interroger le défendeur et pour faire valoir son point de vue.

 

[3]               La Commission a conclu que le défendeur avait raison de craindre d’être persécuté au Sri Lanka du fait de sa nationalité et de son appartenance à un groupe social, soit celui des jeunes hommes tamouls soupçonnés d’entretenir des liens avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET) en raison de leur présence à bord de l’Ocean Lady à destination du Canada.

 

[4]               Le demandeur prie la Cour d’annuler la décision et de renvoyer l’affaire à un autre commissaire pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

CONTEXTE

[5]               Âgé de 31 ans, le défendeur est originaire de la région de Jaffna, au Sri Lanka. En 1998, il a déménagé à Colombo vraisemblablement en raison des difficultés auxquelles il était confronté de la part des TLET dans la région de Jaffna. Il a une femme et une fille qui vivent toujours au Sri Lanka.

 

[6]               À Colombo, le défendeur travaillait à son propre compte comme chauffeur de fourgonnette. Il était propriétaire d'une fourgonnette qu'il avait achetée en 2004 avec de l'argent fourni par son père et il travaillait parfois pour d'autres chauffeurs à titre occasionnel et temporaire. Dans son Formulaire de renseignements personnels (FPR), le défendeur a expliqué qu’il tirait ses revenus du transport qu'il effectuait à Colombo et dans ses banlieues. Lors de son entrevue au point d'entrée et dans son témoignage devant la Commission, le défendeur a déclaré qu'il transportait également des passagers à Jaffna et dans d'autres régions.

 

[7]               Le défendeur allègue qu'il a eu des démêlés avec la police locale à Colombo ainsi qu'avec le Service des enquêtes criminelles [le SEQ]. Il explique qu'il se faisait souvent arrêter et interroger par la police, qui l’accusait d'être un Tigre tamoul. Ces faits se sont produits tant à Colombo qu'à des points de contrôle de l'armée sur la route menant à Jaffna. Le défendeur explique aussi que les TLET l'arrêtaient aussi à des points de contrôle situés le long de la route. Les TLET exigeaient une « taxe » de 12 000 roupies pour le conducteur et de 4 000 roupies par passager avant de le laisser passer.

 

[8]               Devant la SPR, le défendeur a affirmé qu'en plus de se faire arrêter le long de la route, il avait été détenu par la police pour une nuit en 2002 et pour sept jours en 2003 et qu'on l'avait interrogé au sujet de ses liens avec les TLET. La preuve est contradictoire sur la question de savoir si le demandeur a été agressé au cours des détentions en question; le FPR du demandeur indique que c'est le cas, mais le demandeur a déclaré dans son entrevue au point d'entrée et dans le témoignage qu'il a donné à l'audience qu'il n'avait jamais été agressé par la police.

 

[9]               Le défendeur affirmait dans son FPR qu'au milieu de 2007, les services du renseignement de sécurité avaient commencé à arrêter de nombreux jeunes hommes tamouls qu'ils accusaient d'être des partisans des TLET, ajoutant qu’un grand nombre de jeunes hommes tamouls se faisaient enlever à Colombo à l'époque dans des « fourgonnettes blanches ». À l'audience, le défendeur a expliqué que deux de ses amis avaient été enlevés et assassinés lors d'incidents distincts en octobre 2007. Il a déclaré que les enlèvements étaient le fait d’individus qui conduisaient des fourgonnettes de couleur blanche, mais a expliqué qu’il n'avait pas réussi à les identifier. Après ces incidents, des policiers se sont rendus chez lui et l'ont interrogé. Le propriétaire de la maison où il habitait a été arrêté.

 

[10]           Le défendeur affirme qu'il craignait la police et les troupes gouvernementales au Sri Lanka et qu’il a décidé de quitter le pays. Il a quitté Colombo le 26 novembre 2007 pour la Thaïlande, où il est demeuré jusqu'au 17 juillet 2009, date à laquelle il est parti pour l'Indonésie. Il a quitté l'Indonésie à bord de l'Ocean Lady et est arrivé au Canada le 17 octobre 2009. Il a pris toutes ses dispositions avec l'aide d'un agent.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DE CONTRÔLE

[11]           La SPR a fait droit à la demande d’asile présentée par le défendeur en vertu de l’article 96 de la Loi, lui ayant reconnu la qualité de réfugié sur place au sens de la Convention. La Commission a reconnu au défendeur la « qualité de réfugié au sens de la Convention, car il craint avec raison d’être persécuté au Sri Lanka du fait de motifs prévus dans la Convention, à savoir sa nationalité et son appartenance à un groupe social, soit celui des jeunes hommes tamouls qui seraient soupçonnés d’entretenir des liens avec les TLET parce qu’ils se sont rendus au Canada à bord de l’Ocean Lady » (Décision, au paragraphe 6).

 

[12]           La Commission a soulevé des doutes au sujet de la crédibilité du défendeur en rapport avec ses allégations selon lesquelles il avait déjà été persécuté. En particulier, le défendeur a déclaré dans son FPR qu'il avait été agressé et interrogé par des agents des services du renseignement de sécurité au sujet des diverses personnes qui conduisaient sa fourgonnette, ajoutant qu’après l’avoir conduit au poste de police, les policiers l’avaient agressé et interrogé au sujet des Tamouls vivant à Colombo. Toutefois, devant le tribunal, le défendeur a expliqué qu'il n'avait jamais été battu par la police. Le défendeur a expliqué que son FPR initial ne lui avait pas été bien traduit. Une fois traduit, un FPR modifié a été soumis à la Commission. Toutefois, les passages relatifs aux agressions n'en ont pas été supprimés.

 

[13]           Le défendeur a également expliqué à l'audience que des représentants du SEQ s'étaient présentés à son domicile à Colombo un mois avant son départ du Sri Lanka et que cette visite était une des principales raisons pour lesquelles il avait quitté le pays. La SPR lui a demandé pourquoi il n'avait pas mentionné l’incident dans son FPR, d'autant plus que cet incident avait été un des principaux éléments qui l’avaient motivé à quitter le pays. Le défendeur a répondu qu'il a déclaré dans son FPR qu'il avait quitté le pays en raison de ses démêlés avec la police. Le SPR a relevé les passages du FPR modifié dans lesquels il était question des démêlés que le défendeur avait eus avec la police et avec le SEQ et elle a jugé raisonnables les explications fournies par le défendeur.

 

[14]           Le défendeur expliquait également dans son FPR qu’il conduisait, dans le cadre de son entreprise, une fourgonnette à Colombo et dans ses banlieues, mais qu'il se rendait également parfois à Jaffna et dans d'autres régions. La Commission a jugé que cette omission importante avait des incidences sur sa crédibilité. La Commission a qualifié d’« insuffisantes » les explications données par le défendeur au sujet de cette incohérence. La Commission a toutefois conclu que les incohérences en question étaient insuffisantes « pour miner complètement sa crédibilité ». De plus, l'avocat du ministre qui est intervenu à l'audience n'a pas exprimé de réserves au sujet de la crédibilité du défendeur.

 

[15]           La SPR a jugé crédibles le témoignage donné par le défendeur au sujet de son voyage à bord de l'Ocean Lady ainsi que ses allégations sur ce qui risquait de lui arriver s'il devait retourner au Sri Lanka. De plus, comme la définition du réfugié est de nature prospective, la SPR a accordé plus d’importance à ces conclusions qu'aux inférences négatives qu'elle avait tirées quant aux incohérences du témoignage donné par le défendeur au sujet de ses expériences passées. La SPR a conclu que le défendeur était « dans l’ensemble, un témoin crédible et digne de foi ».

 

[16]           La SPR a conclu que rien ne permettait de penser qu'avant son départ du Sri Lanka, le défendeur faisait partie des TLET ou qu'il aurait été considéré comme ayant des liens avec les TLET. Le profil du défendeur a toutefois changé lorsqu'il est monté à bord de l'Ocean Lady, ce qui a permis de le considérer comme un réfugié sur place.

 

[17]           L'arrivée du navire au Canada, ainsi que les liens du navire avec les TLET, a été largement médiatisée à l'échelle planétaire. La Commission a cité des témoignages d'experts ainsi qu'un rapport interne du gouvernement canadien indiquant que plusieurs des passagers à bord de l'Ocean Lady étaient soupçonnés d'être des membres des TLET. La Commission a également fait état de reportages selon lesquels la GRC avait communiqué avec le gouvernement sri‑lankais pour vérifier les antécédents criminels de passagers.

 

[18]           Même si elle disposait de certains éléments de preuve concernant l’amélioration qu'avait connue la situation des Tamouls au Sri Lanka depuis la fin de la guerre en mai 2009, la SPR a fait observer que les Principes directeurs de 2010 de l'UNHCR recommandaient que l'on continue de protéger les personnes soupçonnées d'entretenir des liens avec les TLET. La Commission a fait ressortir certains éléments de preuve selon lesquels les personnes soupçonnées au Sri Lanka d'avoir des liens avec les TLET continuaient d’être détenues et torturées, sans parler des cas de disparitions, ajoutant que les représentants de l'État bénéficiaient d'une impunité. En particulier, les demandeurs d'asile déboutés qui étaient refoulés dans leur pays étaient identifiés à la frontière grâce à leur titre de voyage temporaire et ils faisaient l'objet de détentions prolongées et d'interrogatoires spéciaux. La Commission a signalé que les éléments de preuve contraires, qui laissaient entendre que les demandeurs d'asile déboutés d'origine ethnique tamoule qui rentraient au Sri Lanka ne faisaient pas l'objet d'interrogatoires ou de périodes de détention plus longs, reposaient sur des sources potentiellement entachées d'un parti pris, notamment celles provenant de représentants du gouvernement du Sri Lanka. La SPR a par conséquent accordé davantage de poids aux renseignements provenant du Département d'État des États‑Unis, d’Amnistie Internationale et de Human Rights Watch, qu’elle a considérés comme des sources fiables reconnues sur le plan international.

 

[19]           La Commission a estimé que le défendeur serait aisément identifié par les autorités sri‑lankaises en tant qu'un des passagers de l'Ocean Lady susceptible d'avoir des liens avec les TLET dans le cas où il serait renvoyé au Sri Lanka, et la Commission a conclu que le gouvernement du Sri Lanka « s’est clairement montré désireux de retracer et, souvent, de persécuter les personnes liées aux TLET ». La Commission a conclu qu'il existait plus qu'une simple possibilité que le défendeur soit, à son retour au Sri Lanka, détenu, interrogé et éventuellement battu et torturé au point où l'on pourrait considérer qu'il serait victime de persécution en raison de sa nationalité et de son appartenance à un groupe social.

 

[20]           La Commission a également conclu que le défendeur ne pourrait compter sur la protection de l'État étant donné que l'État était l'agent de persécution en l'espèce. La SPR a conclu que, malgré l’existence bien documentée de mauvais traitements tels la torture, les disparitions et les meurtres, aucun tribunal civil ou militaire n'avait encore condamné les soldats ou les policiers impliqués. La Commission a conclu que les auteurs des sévices en question demeuraient impunis, et qu’en renvoyant au Sri Lanka les hommes soupçonnés d'entretenir des liens avec les Tigres tamouls, ceux-ci seraient soumis au même type d'atrocités que celles que le défendeur craint de subir de la part de la police et de l'armée.

 

[21]           La Commission s'est demandé si le défendeur pouvait compter sur une possibilité de refuge intérieur [PRI] et a conclu qu'il n’y en avait aucune. Le défendeur risquait d'être persécuté sur tout le territoire du Sri Lanka et il ne pouvait compter sur la protection de l'État dans aucune région du pays.

 

[22]           Se fondant sur cette analyse, la SPR a conclu que le défendeur avait la qualité de réfugié au sens de la Convention selon l'article 96 de la Loi. La Commission n'a pas examiné la demande présentée par le défendeur en vertu de l'article 97 de la Loi.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[23]           La question en litige dans la présente demande est celle de savoir si la Commission a commis une erreur qui justifie notre intervention en concluant que le demandeur avait la qualité de réfugié sur place au sens de la Convention en raison de sa nationalité et de son appartenance à un groupe social.

 

NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[24]           Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada explique qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. Ainsi, lorsque la norme de contrôle qui s’applique à une question précise dont le tribunal est saisi a été établie de manière satisfaisante par la jurisprudence, il est loisible à la cour de révision de l’adopter. Ce n’est que dans les cas où cette recherche s’avère infructueuse, ou si la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente des principes de la common law en matière de contrôle judiciaire, que la cour de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs entrant en jeu dans l’analyse relative à la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

 

[25]           Dans le cas qui nous occupe, les parties s'entendent pour dire que les questions en litige sont assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable. Je tiens à signaler que la jurisprudence est flottante en ce qui concerne la norme de contrôle qui s'applique à la question du sens juridique de l'expression « groupe social » à l'article 96 de la Loi. Les diverses thèses en présence sont exposées par la juge Gleason dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c A068, 2013 CF 1119, aux paragraphes 12 à 17 [A068]. Toutefois, compte tenu des conclusions auxquelles j'en arrive plus loin, il n'est pas nécessaire d'examiner cette question. Les questions litigieuses soulevées en l'espèce sont des questions mixtes de fait et de droit qui sont par conséquent assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[26]           Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse a trait à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel [ainsi qu’à] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59).Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision est déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[27]           Voici les dispositions de la Loi qui s’appliquent dans la présente instance :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa  nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:

 

a)        soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b)        soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

Convention refugee

 

96.  A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a)   is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b)   not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

ARGUMENTATION

Le demandeur

[28]           Le demandeur affirme que la décision de la SPR n’est ni correcte ni raisonnable, ajoutant qu’elle devrait être annulée indépendamment de la norme de contrôle applicable. Le demandeur soutient que la SPR a commis une erreur en concluant qu’il y avait un lien entre la crainte de persécution du défendeur et l’un des motifs prévus par la Convention permettant de reconnaître la qualité de réfugié à l’intéressé du fait de son appartenance à un groupe social ou de sa nationalité. Le demandeur affirme que la Cour ne devrait pas interpoler d’autres motifs possibles dans la décision de la SPR. En particulier, toute analyse fondée sur l’existence de « motifs multiples » ou sur des opinions politiques imputées au défendeur ne convient pas, parce que la SPR n'a pas tiré de conclusion en ce sens.

 

[29]           De plus, suivant le demandeur, la demande d'asile du défendeur ne repose sur aucun fondement objectif. La preuve soumise à la SPR ne permettait pas de penser que le seul fait de se trouver à proximité de présumés membres des TLET faisait en sorte que le défendeur serait perçu comme en étant un.

 

[30]           Le demandeur affirme par ailleurs que la SPR n'a pas concilié la situation personnelle du défendeur avec sa conclusion selon laquelle il était un réfugié. Par exemple, le défendeur avait vécu à Colombo pendant neuf ans et s'était rendu régulièrement à Jaffna sans problème.

 

[31]           Enfin, le demandeur affirme que la décision de la SPR n’est pas suffisamment motivée.

 

Absence de lien avec un des motifs énumérés dans la Convention

[32]           Pour qu'une demande d'asile soit acceptée, il faut qu'il existe un lien entre la crainte de persécution du demandeur d'asile et l'un des cinq motifs énumérés dans la définition de réfugié au sens de la Convention, à savoir : la race, la religion, la nationalité, l'appartenance à un groupe social ou les opinions politiques (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, au paragraphe 53 et suivants [Ward]). Le demandeur affirme que le défendeur n'a pas démontré l'existence d'un lien avec l'un quelconque des motifs en question en l'espèce.

 

i. Les passagers de l'Ocean Lady ne constituent pas un groupe social

[33]           Suivant le demandeur, le fait pour un groupe de personnes de choisir volontairement de monter à bord d’un navire de passages clandestins à destination du Canada ne répond pas au critère permettant de conclure à l’appartenance à un groupe social. Le fait de choisir de voyager à bord d’un navire déterminé ne fait pas intervenir la défense des droits de la personne ou de la lutte contre la discrimination et ne constitue pas une caractéristique immuable ou une caractéristique essentielle pour la dignité humaine qui ferait que l’intéressé serait considéré comme appartenant à un groupe social au sens de l'article 96 de la Loi (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B380, 2012 CF 1334, aux paragraphes 16 à 27 [B380]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B472, 2013 CF 151, aux paragraphes 26, 27 et 28 [B472]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B451, 2013 CF 441, aux paragraphes 27 à 37; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c A011, 2013 CF 580, au paragraphe 40 [A011]; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)  c B171, B169, B170, 2013 CF 741, aux paragraphes 10-13 [B171]; voir également B027 c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 485, aux paragraphes 2 et 12).

 

[34]           Selon l'arrêt Ward, précité, au paragraphe 70, un groupe social au sens de l'article 96 de la Loi est, selon le cas : (i) un groupe défini par une caractéristique innée ou immuable; (ii) un groupe dont les membres s'associent volontairement pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu'ils ne devraient pas être contraints à renoncer à cette association; (iii) un groupe associé par un ancien statut volontaire immuable en raison de sa permanence historique. Le demandeur affirme qu'aucune de ces catégories ne correspond à la situation actuelle du défendeur. Le fait de voyager à bord de l'Ocean Lady ne constitue pas une caractéristique immuable comme le sexe, les antécédents linguistiques ou l'orientation sexuelle; il ne s'agit pas non plus d'un aspect fondamental de la dignité humaine du défendeur, et le fait de voyager à bord d'un navire transportant des passagers clandestins ne fait pas intervenir la défense des droits de la personne ou de la lutte contre la discrimination, ce qui constitue une condition essentielle pour que la troisième catégorie s'applique.

 

[35]           Dans l’arrêt Ward, précité, la Cour suprême a expressément écarté l’interprétation élargie de la notion de « groupe social » retenue par la SPR en l’espèce et a expliqué qu’un des facteurs primordiaux pour déterminer si le demandeur appartient à un groupe social consiste à se demander si une affaire fait intervenir « des thèmes sous-jacents généraux de la défense des droits de la personne et de la lutte contre la discrimination qui viennent justifier l'initiative internationale de protection des réfugiés » (Ward, précité, au paragraphe 70; Zefi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFT 636, aux paragraphes 31 à 41 (CF 1re inst.) [Zefi]. Selon le demandeur, le fait de s’embarquer volontairement pour le Canada à bord d’un navire transportant des passagers clandestins ne crée pas un groupe qui définit ses membres d’une façon qui fait intervenir la défense des droits de la personne ou de la lutte contre la discrimination, surtout lorsque, comme en l’espèce, rien ne permet de penser que l’intéressé était exposé à un risque d’être persécuté avant son départ. La SPR a conclu qu’à l’époque où le défendeur vivait au Sri Lanka et à l’époque où il avait quitté ce pays en novembre 2007, rien ne permettait de « même envisager la possibilité » qu'on ait pu le soupçonner d'avoir des liens avec les TLET. Une telle association volontaire ne constituait d'ailleurs pas un élément essentiel de la dignité humaine. Le choix du mode de transport concerne simplement ce qu'une personne fait plutôt que ce qu'elle est (Zefi, précité, au paragraphe 41).

 

[36]           Suivant le demandeur, en concluant que les personnes voyageant à bord d'un navire transportant des passagers clandestinement constituent un groupe social, on banalise le concept. Les faits de la présente espèce sont analogues à ceux de l'affaire Chekhoskiy c Canada  (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 970, dans laquelle le juge de Montigny avait conclu, au paragraphe 23, qu'un groupe formé d'entrepreneurs en construction ne constituait pas un groupe social et que la conclusion contraire serait incompatible avec l'objectif de lutte contre la discrimination poursuivi par la Convention.

 

[37]           Le demandeur soutient, que contrairement à ce que prétend le défendeur, le gouvernement canadien n'a pas qualifié l'Ocean Lady de [traduction] « navire des TLET » et qu'il n'a pas considéré ses passagers comme un groupe social en les détenant ou en prenant d'autres mesures semblables à leur égard. Le simple fait que l'arrivée non documentée d'un bon nombre de passagers ait nécessité la tenue d'une enquête pour déterminer leur identité, leur admissibilité et les risques qu'ils pouvaient poser pour la santé publique ne donne aucun indice permettant de conclure à l'existence d'un groupe social, sinon, il faudrait procéder à des enquêtes semblables dans le cas de toute arrivée massive de passagers non munis de pièces d'identité.

 

[38]           En outre, le fait pour un demandeur d'asile de craindre d'être persécuté simplement parce qu'il est soupçonné de posséder des renseignements au sujet d'un organisme criminel n'a aucun lien avec un motif énuméré dans la Convention, et la SPR a tiré une conclusion déraisonnable en estimant qu’il existait un lien en raison du fait que le demandeur détenait « des renseignements au sujet de membres des TLET qui se trouvaient à bord de l’Ocean Lady » (Levano c Canada  (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000, 182 FTR 153, au paragraphe 8 (CF 1re inst.); Ivakhnenko c Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1249, aux paragraphes 65-67 [Ivakhnenko]; Yoli c Canada  (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFT 1329, au paragraphe 27 (CF 1re inst).

 

ii. Absence de lien en raison de la nationalité

[39]           Le demandeur soutient que la conclusion portant sur l'existence d'un lien du fait de la nationalité est mal fondée étant donné que la preuve documentaire n'établit pas l'existence d'un risque individualisé. Le simple fait d'identifier le défendeur comme étant un Tamoul et de citer ensuite de façon incohérente des éléments de preuve portant sur la situation au Sri Lanka démontrant que la situation du respect des droits de la personne dans un pays pourrait être problématique ne démontre pas qu'une personne déterminée serait exposée à un risque (Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c Baraniroobasingam, 2010 CF 92, au paragraphe 6; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Fouodji, 2005 CF 1327, au paragraphe 20).

 

iii. La Cour ne devrait pas interpoler des motifs dont la SPR n’a pas tenu compte

[40]           Le demandeur signale que notre Cour s'est attaquée à la question de savoir s'il y avait lieu d'« interpoler » des « motifs multiples » dans d'autres affaires concernant des passagers voyageant à bord du Sun Sea et de l'Ocean Lady. Le demandeur soutient que la Cour ne devrait pas voir dans la décision un motif énuméré dans la Convention que la SPR n'a pas analysé.

 

[41]           Le demandeur cite plusieurs affaires dans lesquelles les demandes de contrôle judiciaire déposées par le ministre à l'encontre de demandes d'asile présentées avec succès par des passagers du Sun Sea et de l'Ocean Lady ont été rejetées, mais affirme que chaque cas est distinct ou a été supplanté par d'autres. Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c A032, 2013 CF 322, au paragraphe 21 [A032], le juge Blanchard a conclu que la SPR avait procédé à une analyse assez approfondie pour pouvoir conclure à l'existence d'un lien avec des opinions politiques et que l'on pouvait déduire des motifs de la SPR l'existence d'un lien du fait de la race. Le demandeur affirme que les faits de l’affaire A032 sont différents de ceux de la présente espèce, parce qu’A032 avait été arrêté et interrogé à de nombreuses reprises au Sri Lanka et avait été accusé devant le tribunal au motif qu’on le soupçonnait d’avoir entretenu des liens avec les TLET. La SPR avait également conclu expressément qu’A032 avait passé une grande partie de la traversée en compagnie d'un individu ayant fait l'objet d'une notice rouge d'INTERPOL. Aucune conclusion de ce genre n'a été tirée dans le cas qui nous occupe. Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B420, 2013 CF 321 [B420], le juge Blanchard a estimé qu'on pouvait inférer implicitement de la décision de la SPR que celle-ci avait conclu à l'existence d'un lien du fait de l'origine ethnique et des opinions politiques. Le demandeur affirme que l'affaire B420 est différente de la présente espèce, parce que, dans cette affaire, la SPR avait tiré une conclusion cumulative au sujet de l'origine ethnique et des opinions politiques imputées alors qu'aucune conclusion semblable n'a été tirée en l'espèce. Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B377, 2013 CF 320 [B377], le juge Blanchard a de nouveau appliqué la théorie des motifs multiples et a conclu que la crainte de persécution du défendeur était en partie fondée sur ses origines ethniques tamoules. Le juge Blanchard a conclu que les motifs de la SPR faisaient clairement et explicitement état de l'analyse des motifs mixtes et du fait que cette analyse reposait sur la race ou l'origine ethnique. Dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c B399, 2013 CF 260 [B399], le juge O’Reilly a estimé qu’on trouvait dans la décision de la SPR des éléments permettant de penser que les opinions politiques constituaient un motif subsidiaire justifiant de conclure à l'existence d'un lien pour les des motifs énoncés dans la Convention. Le demandeur affirme que ce raisonnement repose sur le témoignage crédible donné par B399 au sujet de l'expérience qu'il avait vécue au Sri Lanka avant de quitter le pays et des éléments de preuve portant sur le traitement réservé aux Tamouls à leur retour au Sri Lanka.

 

[42]           Le demandeur affirme que les dates d'audience dans les affaires susmentionnées donnent à penser qu'elles ont été plaidées et mises en délibéré avant que le juge Harrington ne rende ses décisions dans les affaires B472, précitées, et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B323, 2013 CF 190 [B323] et avant que le juge Mosley ne rende sa décision dans l'affaire B171, précitée. Dans les décisions B472 et B323, le juge Harrington a conclu que les passagers du Sun Sea en direction du Canada ne formaient pas un groupe social, reprenant ainsi l'analyse du juge en chef Crampton dans la décision B380, précitée, et il a refusé de « réécrire les motifs » pour étayer une conclusion basée sur une combinaison des risques énoncés à l'article 96. De même, dans la décision B171, le juge Mosley a refusé d'interpoler une conclusion relative à l'existence de motifs multiples dans la décision de la SPR. Il s'est contenté d'examiner la conclusion expresse tirée au sujet de l'existence d'un lien fondé sur l'appartenance à un groupe social et a estimé que cette conclusion était déraisonnable.

 

[43]           Le demandeur soutient que la Cour devrait suivre ses dernières décisions dans le cas qui nous occupe. Confirmer la décision de la SPR sur le fondement de l'existence d'un lien avec des opinions politiques imputées ou des motifs multiples ne conviendrait pas, parce que la SPR n'a pas tiré de telles conclusions et que seules les conclusions explicites de la SPR peuvent être révisées (B171, précité, au paragraphe 10; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B459, 2013 CF 740, au paragraphe 7 (par le juge Mosley) [B459]; A011, précité, au paragraphe 27). Bien que les tribunaux puissent expliciter les motifs exposés par la Commission, ils ne doivent pas formuler des motifs proposant une justification différente de celle offerte par la Commission (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 54).

 

[44]           Le demandeur affirme en outre que les motifs exposés par la SPR dans le cas qui nous occupe ne permettent pas de penser qu'elle a procédé à une analyse axée sur des motifs multiples. La seule allusion que la SPR a faite et que l'on pourrait rattachée à des opinions politiques imputées au défendeur est sa conclusion selon laquelle le défendeur pourrait être persécuté du fait qu'il pourrait posséder des renseignements au sujet des TLET; et, « le fait de détenir des renseignements ne constitue pas une opinion politique » (A011, précité, au paragraphe 42; Ivakhnenko, précité, aux paragraphes 65-67; Yoli, précité, au paragraphe 27). Toute analyse des motifs multiples axée sur l'origine ethnique ou la race est également vouée à l'échec, suivant le demandeur, parce que rien ne permet de conclure que le défendeur risque d'être persécuté en raison de ses origines ethniques tamoules. De fait, la SPR a expressément conclu que, si l'on fait abstraction de son voyage à bord de l'Ocean Lady, rien ne permet de penser que le profil du demandeur en tant que jeune homme tamoul originaire du Sri Lanka l'exposait à quelque risque de persécution que ce soit (Ganeshan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 841, au paragraphe 35; B198 c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1106, au paragraphe 57).

[45]           Le demandeur signale également que, dans les décisions PM c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 77 [PM] et SK c Canada  (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 78 [SK], la juge Snider a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle les éléments de preuve relatifs à la situation du respect des droits de la personne et au non-respect des droits de la personne au Sri Lanka ainsi que la possibilité qu’à leur retour, les demandeurs d'asile soient interrogés et détenus ne constituaient pas des éléments de preuve suffisants pour démontrer que les autorités cibleraient ces demandeurs d'asile particuliers en vue de les persécuter.

 

Omission de bien tenir compte de la situation personnelle du défendeur

[46]           Le demandeur affirme également que la SPR n'a pas tenu compte de la situation personnelle du défendeur avant de lui reconnaître la qualité de réfugié. La décision est donc déraisonnable parce qu'elle n'a pas été rendue en conformité avec les faits.

 

[47]           Il était déraisonnable de la part de la SPR de conclure que le défendeur était [traduction] « originaire de Jaffna », compte tenu du fait qu'il avait déménagé à Colombo en 1998 et qu'il ne vivait plus à Jaffna depuis plus de 14 ans au moment de son départ. La SPR n'a par ailleurs pas tenté de concilier ses conclusions avec les éléments de preuve objectifs selon lesquels le défendeur n'avait aucun lien avec les TLET ou avec le témoignage que le défendeur lui‑même avait donné lors de ses entrevues avec l'Agence des services frontaliers du Canada. Lors des entrevues en question, le défendeur a affirmé qu'il ne croyait pas que d'autres passagers de l'Ocean Lady étaient membres des TLET, ajoutant qu'il n'avait jamais parlé des TLET alors qu'il se trouvait à bord de l'Ocean Lady.

 

[48]           Suivant le demandeur, les expériences personnelles du défendeur ne permettaient pas de conclure qu'il serait exposé au risque de subir de graves sévices de la part des autorités sri‑lankaises si celles-ci souhaitaient l'interroger. La SPR n'a pas accepté le récit que le défendeur avait fait des persécutions qu'il avait vécues alors qu'il se trouvait au Sri Lanka, même lorsque la guerre civile faisait rage, et la SPR n'a pas expliqué comment le défendeur serait maintenant exposé à un risque de subir de graves préjudices alors que la situation s'était améliorée au Sri Lanka.

 

Insuffisance des motifs

[49]           Le demandeur affirme que SPR n’a pas motivé suffisamment sa décision parce que : 1) elle n'a pas mentionné le critère permettant de conclure à l'existence d'un groupe social; 2) elle a cité des articles portant sur le Sun Sea alors que le défendeur se trouvait à bord de l'Ocean Lady; 3) le seul article de journal déposé en preuve selon lequel 26 des passagers de l'Ocean Lady étaient des membres des TLET ne permettait pas à la SPR d’en conclure de façon générale que tous les passagers seraient perçus comme des membres des TLET. La seule preuve pertinente portant sur des personnes se trouvant dans une situation semblable aurait été une preuve portant sur le sort réservé à leur retour au Sri Lanka aux personnes arrivées en masse par navire; or, aucun élément de preuve de ce genre n'a été soumis à la SPR. La Commission a écarté les seuls éléments de preuve dont elle disposait au sujet du traitement des demandeurs d'asile tamouls déboutés entrant au Sri Lanka en provenance du Canada et, suivant le demandeur, la Commission a ignoré les éléments de preuve portant sur le traitement des demandeurs d'asile tamouls déboutés provenant du Royaume‑Uni. Bien que la perfection ne soit pas exigée, le demandeur estime que les motifs de la SPR ne sont pas intelligibles.

 

Absence de fondement objectif

[50]           Le demandeur affirme que les éléments de preuve dont disposait la SPR ne démontraient pas, selon la prépondérance des probabilités, que la demande d'asile du défendeur avait un fondement objectif (Ward, précité, au paragraphe 47; Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593, aux paragraphes 119-120, 137 [Chan]). Les éléments de preuve dont disposait la SPR n'appuyaient tout simplement pas la conclusion que le simple fait de se trouver à bord du même navire que des membres des TLET permettait de penser que le défendeur serait perçu comme un membre des TLET. Ce genre de généralisation a été écarté dans les rapports récents portant sur la situation au Sri Lanka. Par exemple, les nouvelles lignes directrices sur l'admissibilité publiées par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) confirment que la situation s'est améliorée après la fin de la guerre civile pour ce qui est du respect des droits de la personne et de la sécurité, et elles ne renferment plus de recommandation concernant la protection globale de tous les Tamouls du Nord. Le simple fait d'être Tamoul associé à une région déterminée ne constitue pas un motif suffisant pour présenter une demande d'asile (UNHCR Eligibility Guidelines for Assessing the International Protection Needs of Asylum Seekers, [lignes directrices sur l'admissibilité publiées par l’UNHCR concernant l’évaluation des besoins de protection internationale des demandeurs d’asile], 5 juillet 2010).

 

[51]           Suivant le demandeur, bien que la preuve documentaire traite effectivement des difficultés auxquelles sont confrontées les personnes perçues comme étant des membres des TLET, ces éléments de preuve concernent des personnes qui entretiennent avec les TLET des liens plus étroits que ceux qui existent dans le cas des personnes qui se trouvent de façon générale dans le voisinage de présumés membres des TLET. Il n’est dit nulle part dans les divers rapports soumis à la SPR que les autorités sri‑lankaises estiment qu'une personne est liée aux TLET du simple fait qu'elle a traversé l'océan à bord du même navire qu'un présumé membre des TLET. La preuve documentaire démontre plutôt qu'un demandeur d'asile peut être perçu comme étant associé aux TLET s'il s'agit : 1) soit d'une ancienne recrue enfant-soldat des TLET; 2) soit d'un ancien membre véritable des TLET. La SPR ne pouvait logiquement conclure, en se fondant sur sa conclusion que le gouvernement sri‑lankais croyait que l'Ocean Lady appartenait aux TLET, que « le demandeur d'asile serait arrêté, détenu, interrogé, torturé et, éventuellement tué ou disparaîtrait étant donné qu'il se trouvait à bord d'un navire soupçonné d'appartenir à des membres des TLET et ayant les membres des TLET à son bord » (décision, aux paragraphes 20 et 36). De fait, suivant les éléments de preuve portés à la connaissance de la SPR, le gouvernement sri‑lankais estimait qu'il y avait deux types de réfugiés en fuite : les combattants des TLET ou les personnes ayant collaboré avec les TLET et les personnes qui fuyaient pour des raisons économiques.

 

[52]           Il est interdit à la SPR d'accorder le bénéfice du doute au demandeur d'asile en ce qui concerne le fondement objectif de sa demande lorsque : 1) le demandeur manque de crédibilité; 2) et que sa demande contredit des faits notoires (Chan, précité, au paragraphe 142). Dans le cas qui nous occupe, la SPR a conclu que les déclarations du défendeur au sujet de la persécution dont il prétendait avoir été victime dans le passé manquaient sérieusement de crédibilité.

 

Le défendeur

[53]           Le défendeur soutient que la SPR a à juste titre fait droit à sa demande d'asile après avoir analysé attentivement et en profondeur la preuve et il ajoute que la Cour ne devrait pas modifier cette décision. Le défendeur affirme que la SPR a pris soin de se concentrer sur la demande d'asile qu’il avait présentée en tant que réfugié sur place et que la SPR a conclu, vu l'ensemble de la preuve, que le fait que le défendeur voyageait à bord de l'Ocean Lady l'exposerait invariablement, en tant que jeune homme d'origine ethnique tamoule provenant de Jaffna, à des soupçons qu'il était un membre ou un sympathisant des TLET (Gonsalves c Canada (Procureur général), 2011 CF 648, au paragraphe 29). De nombreuses sources crédibles et objectives confirment que les personnes qui correspondent à ce profil sont encore victimes d'actes de persécution. Les éléments de preuve documentaire objectifs consultés et cités par la SPR ne démontrent pas seulement qu'il existe une situation problématique en matière de respect des droits de la personne; ils permettent aussi de penser que les Tamouls soupçonnés d'entretenir des liens avec les TLET sont expressément ciblés et font l'objet de graves violations de leurs droits de la personne.

 

[54]           Suivant le défendeur, le demandeur est simplement en désaccord avec la décision de la SPR et demande à notre Cour de réévaluer la preuve sans être en mesure de citer de conclusion déraisonnable. Or, notre Cour n’a pas pour fonction ou pour rôle de procéder à une réévaluation de la preuve. La Commission est un tribunal spécialisé, et sa conclusion générale ainsi que chacune de ses conclusions déterminantes étaient bien appuyées par des éléments de preuve clairs (Adjei c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 2 CF 680 (CAF) [Adjei]; Salibian c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1990), 11 Imm LR (2d) 165 (CAF); Rajudeen c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1984), 5 NR 129 (CAF); Ward, précité).

 

[55]           Le défendeur soutient que les motifs de la SPR doivent être lus comme un tout et qu'aucune analyse microscopique n'est justifiée. Considérés comme un tout, les motifs sont justifiés, transparents et intelligibles et l'issue est défendable au regard des faits et du droit (Khosa, précité, aux paragraphes 45, 46 et 59; Dunsmuir, précité). La SPR a également pris soin d’examiner divers éléments de preuve objectifs et de les appliquer attentivement à la demande d'asile et à la situation particulière du défendeur (Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1425).

 

[56]           Le défendeur affirme que la SPR était consciente des motifs sur lesquels reposait sa demande d'asile, en l'occurrence, sa race, ses opinions politiques imputées et son appartenance à un groupe social. Le défendeur fondait sa demande d'asile sur son origine ethnique ou sa race, en tant que Tamoul, ainsi que sur son sexe, son âge et sur son lieu de provenance, en l'occurrence le fait d'être un jeune homme provenant de Jaffna. Il s'agit des mêmes caractéristiques que celles qui fondent son appartenance à un groupe social.

 

[57]           Le défendeur soutient que la SPR a raisonnablement conclu que, combiné au fait qu'il avait voyagé à bord de l'Ocean Lady – un navire considéré comme appartenant aux TLET, exploité par les TLET et transportant à son bord des membres, des dirigeants et des sympathisants des TLET –, son profil faisait de lui un réfugié sur place. La SPR disposait d'une foule d'éléments de preuve crédibles, fiables et objectifs selon lesquels l'Ocean Lady passerait à l'histoire comme étant un navire qui appartenait aux TLET et qui était exploité par les TLET et qui transportait clandestinement des dirigeants des TLET au Canada (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Flores Carrillo, 2008 CAF 94).

 

[58]           Contrairement à ce que prétend le demandeur, l’analyse de qualité de réfugié sur place du défendeur à laquelle la SPR a procédé n’était pas dissociée de l'origine ethnique et des opinions politiques attribuées au défendeur. La Commission a plutôt tenu compte de l'origine ethnique et des opinions politiques attribuées au défendeur dans son analyse de sa qualité de réfugié sur place et dans sa conclusion générale. Dans ses motifs, la SPR mentionne à plusieurs reprises la question de l'origine ethnique tamoule et des opinions politiques imputées ou attribuées au défendeur. La Commission a cité les lignes directrices sur l'admissibilité de l'UNHCR pour décider si le défendeur faisait partie de l'un des cinq groupes énumérés de personnes exposées à un risque élevé et elle a conclu que le défendeur correspondait au profil des « Tamouls soupçonnés d'entretenir des liens avec les TLET ». Le demandeur fait tout simplement fausse route lorsqu'il demande à la Cour de reconnaître que la SPR a refusé de procéder à une analyse de l'origine ethnique et des opinions politiques attribuées au défendeur. La SPR a pris soin de se concentrer sur les motifs multiples des agents de persécution en estimant qu'en raison de l’origine ethnique du défendeur et de sa présence à bord d'un navire appartenant aux TLET et exploité par ceux‑ci, les autorités sri‑lankaises le soupçonneraient immanquablement d'être affilié aux TLET (B377, précité; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c B344, 2013 CF 447 [B344]; B420, précité; A032, précité; B399, précité). Le défendeur cite notamment l’analyse du juge Blanchard dans la décision B377, précitée, aux paragraphes 21, 22 et 23 :

[21]      Il ne fait aucun doute que la SPR s’est penchée sur l’origine ethnique du défendeur pour arriver à sa conclusion. Il est également clair que la SPR était convaincue que la crainte de persécution que le défendeur disait avoir était fondée, du moins en partie, sur son origine ethnique ou sa race tamoule. La jurisprudence de la Cour reconnaît que, lorsqu’une crainte de persécution est fondée sur plus d’un motif et que la preuve démontre que la persécution repose sur un motif prévu à la Convention, un lien peut être établi avec la Convention (voir Gonsalves c Canada (Procureur général), 2011 CF 648, au paragraphe 29).

 

[22]      Les faits de la présente espèce correspondent tout à fait à ceux qui étaient en cause dans la décision Veeravagu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 468 (CAF) (QL), où le juge Hugessen s’est prononcé implicitement sur la question du lien avec un motif prévu à la Convention :

 

Selon nous, il est des plus évidents que lorsqu’une personne fait face à des risques « réels et accablants », y compris un risque d’« actes fort violents », de la part de groupes parrainés par l’État (l’IPKF), parce que cette personne fait partie d’un groupe dont la race est la caractéristique déterminante (les jeunes Tamuls de sexe masculin), il est tout simplement impossible de dire qu’une telle personne n’éprouve pas une crainte objective d’être persécuté du fait de sa race.

 

Voir aussi la décision Nara c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 364, au paragraphe 38.

 

[23]      Dans ses motifs exhaustifs, la SPR s’est penchée sur la question de la race et elle a conclu à l’existence d’une « tendance de discrimination contre les Tamouls de la part des autorités gouvernementales ». Elle a aussi affirmé que l’origine ethnique tamoule du défendeur est un « facteur aggravant » lorsqu’il s’agit d’examiner le traitement qui pourrait lui être réservé à son retour au Sri Lanka. La SPR a conclu qu’il y avait un lien avec l’un des motifs prévus par la Convention, « car le fait que le demandeur d’asile soit de race tamoule », conjugué à d’autres facteurs, sont des éléments combinés des motifs pour lesquels il peut être victime de persécution au Sri Lanka. À mon avis, cette conclusion, qu’il était raisonnablement loisible à la SPR de tirer compte tenu du dossier dont elle disposait, satisfait à l’exigence d’un lien avec un motif prévu à la Convention, à savoir la race.

 

[59]           Le défendeur soutient que les faits de l'affaire B377 sont très semblables à ceux de la présente espèce et que le même raisonnement s'applique. Le fait de voyager à bord de l'Ocean Lady ne suffit pas à lui seul pour conclure que le défendeur faisait partie d'un groupe social quelconque, et la SPR était très consciente de ce fait. Toutefois, la Commission était également sensible aux origines ethniques tamoules du défendeur et à la manière dont il pouvait être perçu par les autorités sri‑lankaises en raison de ses opinions politiques et aux menaces à sa vie que lui faisaient courir les facteurs en question, ajouté au fait qu'il voyageait à bord de l'Ocean Lady.

 

[60]           Le défendeur affirme que, suivant une des prémisses déterminantes du droit des réfugiés au Canada, le décideur peut tenir compte de la situation des personnes se trouvant dans une situation semblable à celle du demandeur d'asile. Le défendeur affirme que, pour examiner sa demande, la SPR a analysé la preuve en conformité avec les directives données par notre Cour et la Cour d'appel fédérale, en l'occurrence :

Lorsqu’il s’agit de revendications fondées sur des situations où l’oppression est généralisée, la question n’est pas de savoir si le demandeur est plus en danger que n’importe qui d’autre dans son pays, mais plutôt de savoir si les manœuvres d’intimidation ou les mauvais traitements généralisés sont suffisamment graves pour étayer une revendication du statut de réfugié. […]

 

Fi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1125, au paragraphe 14 [Fi], citant Salibian, précité.

 

La situation est différente dans le cas de l'article 96 de la Loi :

En vertu de l’article 96 de la LIPR, il n’y a aucune obligation que le demandeur démontre que sa crainte de la persécution est « personnalisée » s’il peut démonter autrement qu’elle est « entretenue [. . .] par un groupe auquel il est associé ou, à la rigueur, par tous les citoyens en raison d’un risque de persécution fondé sur l’un des motifs énoncés dans la définition [de réfugié au sens de la Convention].

 

Fi, précité, au paragraphe 16, citant Salibian, précité, au paragraphe 258.

 

[61]           La conclusion de la SPR selon laquelle il y avait plus qu'une simple possibilité ou un risque sérieux que le défendeur soit victime de persécution s'il retournait au Sri Lanka était bien étayée par des éléments de preuve objectifs et fiables. La SPR a pris soin d'établir une distinction entre les éléments de preuve portant sur ce que le défendeur avait vécu antérieurement au Sri Lanka et sa demande de réfugié sur place en tant qu’immigrant ayant voyagé à bord de l'Ocean Lady. Le défendeur admet que, si sa demande d'asile avait reposé uniquement sur ce qu’il a vécu au Sri Lanka, sa demande d'asile aurait été rejetée par la SPR, puisque celle‑ci estimait que ses allégations au sujet de ce qu’il avait vécu au Sri Lanka manquaient de crédibilité. Toutefois, le fait que le défendeur a voyagé à bord de l'Ocean Lady en direction du Canada vient modifier cette analyse. Les origines ethniques du défendeur, conjuguées aux perceptions et aux doutes exprimés quant à ses opinions ou à ses affiliations politiques du fait qu'il avait voyagé à bord de l'Ocean Lady lui confèrent la qualité de réfugié sur place. La reconnaissance de la qualité de réfugié est de nature prospective : ce qui importe, ce n’est pas que le défendeur ait déjà été soupçonné d'entretenir des liens avec les TLET, mais bien de savoir s’il serait à l’avenir soupçonné d'entretenir de tels liens ou de posséder des renseignements au sujet des membres des TLET qui se trouvent à bord de l'Ocean Lady s'il devait retourner au Sri Lanka (Adjei, précité).

 

[62]           Suivant le défendeur, la SPR a accordé une attention spéciale à une distinction déterminante, à savoir que ce n'était pas parce qu’il se trouvait de son plein gré à bord de l'Ocean Lady qu’il avait le droit de présenter une demande d’asile sur place. C'était plutôt parce que le navire avait par la suite été identifié ou qualifié de navire appartenant aux TLET et exploité par les TLET et comptant à son bord des dirigeants et des sympathisants des TLET qu’il pouvait être considéré comme un réfugié sur place. Rien dans les agissements « volontaires » du défendeur n’a contribué à conférer au navire cette image ou cette définition, qui lui ont été accolées en raison de la perception qu’en avaient tant les gouvernements locaux que les instances internationales (y compris le gouvernement du Sri Lanka), les médias et les présumés experts. Bien que le défendeur soit monté de son plein gré à bord de l'Ocean Lady, il n'a joué aucun rôle dans l'étiquette qui a été accolée au navire en tant que navire des TLET ou en se qualifiant lui-même de membre ou de sympathisant des TLET voyageant à bord de l'Ocean Lady. En revanche, le demandeur a fortement contribué à ce que cette étiquette soit accolée à l'Ocean Lady.

 

[63]           Le défendeur soutient que la définition de l'Ocean Lady en tant que navire des TLET est immuable en raison de sa permanence historique et qu’il en va de même en ce qui concerne sa présence à bord de ce navire. Le défendeur a à juste titre été considéré comme faisant partie de la troisième catégorie de « groupes sociaux » énoncée dans l'arrêt Ward, précité. Par suite de la perception maintenant immuable selon laquelle l'Ocean Lady est un navire des TLET, l'arrivée du défendeur à bord du navire ne constitue rien de plus, à son avis, que le fait pour lui [traduction] « de s'être trouvé à proximité de présumés membres des TLET ». Une foule d'éléments de preuve récents, crédibles et fiables objectifs démontrent que le simple fait d'être soupçonné d'être impliqué dans les activités des TLET ou même d'avoir un membre de sa famille soupçonné d'y être affilié risque de donner lieu à des arrestations, détentions et interrogatoires arbitraires. La preuve appuie donc les conclusions tirées par la SPR.

 

ANALYSE

[64]           La présente affaire s’ajoute à une longue série de demandes de contrôle judiciaire portant sur des demandes d’asile faites par des passagers arrivant au Canada à bord de l’un des deux navires transportant des demandeurs d’asile tamouls qui ont accosté au pays à la fin de 2009 et au milieu de 2010. Le défendeur en l'espèce était l'un des passagers à bord de l'Ocean Lady.

 

[65]           Dans la décision récente A068, précitée, la juge Gleason a résumé la jurisprudence qui a été élaborée au fil des nombreuses décisions émanant de notre Cour et portant sur des personnes voyageant à bord de l'Ocean Lady et du Sun Sea. Le résultat n'a pas été identique pour tous les passagers et cette situation s'explique par le fait que la Cour était appelée à se prononcer sur des situations factuelles différentes ainsi que sur des arguments juridiques différents retenus par la SPR pour tirer des conclusions au sujet de chaque demandeur d'asile. Il importe d'examiner les faits et les motifs de la décision de la SPR au cas par cas.

 

[66]           Dans le cas qui nous occupe, on trouve aux paragraphes 6 et 38 des motifs de la SPR le fondement essentiel de sa décision :

 

[6]        Le demandeur d’asile a qualité de réfugié au sens de la Convention, car il craint avec raison d’être persécuté au Sri Lanka du fait de motifs prévus dans la Convention, à savoir sa nationalité et son appartenance à un groupe social, soit celui des jeunes hommes tamouls qui seraient soupçonnés d’entretenir des liens avec les TLET parce qu’ils se sont rendus au Canada à bord de l’Ocean Lady.

 

[…]

 

[38]      Le lien du demandeur d’asile avec un motif prévu dans la Convention est passé de l’appartenance à un certain groupe social, celui des [traduction] « jeunes hommes tamouls du Sri Lanka non soupçonnés d’appartenir aux TLET ou de les soutenir », à celui des [traduction] « jeunes hommes tamouls de Jaffna soupçonnés d’appartenir aux TLET ou de détenir des renseignements au sujet de membres des TLET qui se trouvaient à bord de l’Ocean Lady ». Ainsi, compte tenu de l’analyse qui précède, j’estime que le demandeur d’asile serait exposé à plus qu’une simple possibilité d’être persécuté au Sri Lanka.

 

 

 

[67]           Somme toute, il semble clair que le défendeur s'est vu reconnaître la qualité de réfugié parce qu'il était :

a.                   un jeune homme tamoul qui, s'il retournait au Sri Lanka, serait soupçonné d'appartenir aux TLET ou d'entretenir des liens avec les TLET;

 

b.                  un jeune homme tamoul détenant des renseignements au sujet des membres des TLET qui se trouvaient à bord de l'Ocean Lady.

 

[68]           Le demandeur a fondé une grande partie de son argumentation sur l'idée selon laquelle [traduction] « un groupe formé de personnes ayant choisi de leur plein gré de s'embarquer pour le Canada à bord d'un navire transportant illégalement des passagers clandestins ne répond pas à la définition de “groupe social” énoncé dans l'arrêt Ward ». Le défendeur rétorque en faisant valoir que les passagers qui se trouvaient à bord de l'Ocean Lady forment effectivement un groupe social au sens de l'arrêt Ward parce que [traduction] « la définition de l'Ocean Lady en tant que navire des TLET est immuable en raison de sa permanence historique ». En d'autres termes, par suite des agissements des diverses personnes en présence, y compris le gouvernement du Canada, l'Ocean Lady a été considéré comme un navire possédé et exploité par les TLET avec des dirigeants des TLET à son bord, de sorte que le défendeur [traduction] « risque fort d'être soupçonné d'être un membre des TLET ou d'être perçu comme en étant un ».

 

[69]           À mon avis, vu l'ensemble des faits de la présente affaire, qu'il n'est pas nécessaire de débattre et de trancher la question épineuse de savoir si la présence du défendeur à bord de l'Ocean Lady fait en sorte qu'il appartient à un « groupe social » au sens de l'article 96 de la Loi. Suivant l'interprétation que je fais de la décision dans son ensemble, le défendeur s'est vu reconnaître la qualité de réfugié sur place parce que, de l'avis de la SPR, s'il devait retourner au Sri Lanka, il serait perçu comme un jeune homme tamoul soupçonné d'être membre des TLET, ce qui l'exposerait à être détenu ou persécuté par les autorités. Ainsi que la SPR l'a bien expliqué dans ses motifs, le fait que le défendeur soit arrivé au Canada à bord de l'Ocean Lady est l'élément déclencheur qui a modifié son profil de « jeune homme tamoul » en celui de « jeune homme tamoul de Jaffna soupçonné d'appartenir aux TLET ou de détenir des renseignements au sujet des membres des TLET qui se trouvaient à bord de l'Ocean Lady ». Les caractéristiques du demandeur qui font en sorte qu’il est exposé à un risque sont le fait qu'il est un jeune homme tamoul de Jaffna et qu'il est soupçonné d'entretenir des liens avec les TLET. Pour l'application de l'article 96 de la Loi, il s'ensuit que la crainte du défendeur pourrait reposer sur son appartenance à un groupe social – les jeunes hommes tamouls de Jaffna entretenant des liens avec les TLET – ou sur un amalgame de caractéristiques, en l’occurrence sa race, sa nationalité et ses opinions politiques. Toutefois, peu importe la façon dont on qualifie sur le plan légal le fondement de la crainte du défendeur, il n'en demeure pas moins que la qualité de réfugié sur place que la SPR lui a reconnue s'explique par le fait qu’il risque d'être persécuté au Sri Lanka parce qu'il sera perçu comme un jeune homme tamoul de Jaffna ayant des liens avec les TLET.

 

[70]           Ainsi que le demandeur le souligne, dans la décision B380, précitée, le juge en chef Crampton a bien précisé que le simple fait de venir ensemble pour demander l'asile ne confère pas aux intéressés le statut de groupe social pour l'application de l'article 96 de la Loi :

 

[24]      Pour faire partie d’un groupe social tel qu’il est décrit à l’article 96, il doit y avoir quelque chose dans le groupe qui est lié à la discrimination ou aux droits de la personne. Ce quelque chose peut comprendre une association pour des raisons si essentielles à leur dignité humaine qu’ils ne devraient pas être contraints à renoncer ou à modifier cette association. Toutefois, ce quelque chose doit être plus que le simple fait de venir ensemble pour demander l’asile. De plus, ce quelque chose doit être lié à ce que les personnes sont, d’une façon innée ou immuable, contrairement à ce qu’ils font (Ward, précité, aux paragraphes 65 et 66, 69 et 70; Chan c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] 3 RCS 593, aux paragraphes 83 à 86 (Chan) (selon le juge La Forest, opinion dissidente sur une question qui n’a pas été examinée par la majorité).

 

[71]           Dans le cas qui nous occupe, la demande d'asile ne reposait pas sur le fait que les passagers à bord de l'Ocean Lady se seraient regroupés pour demander l'asile au Canada.

[72]           Il importe de bien comprendre ce que la SPR voulait dire en employant l'expression « groupe social » dans le cas qui nous occupe. Il ressort de l'ensemble de sa décision que, par « groupe social », la SPR visait :

a.                   les jeunes hommes tamouls de Jaffna;

 

b.                  soupçonnés d’appartenir aux TLET ou d’avoir des liens avec les TLET;

 

c.                   et qui détiennent des renseignements au sujet de membres des TLET se trouvant à bord de l’Ocean Lady.

[73]           L'aspect important de ce groupe social est le fait qu'il est constitué de personnes qui ont en commun la même race (ou les mêmes origines ethniques) et qui sont soupçonnées d'avoir des opinions politiques en raison de leur appartenance ou de leur affiliation aux TLET. Ce « groupe social » ne constitue pas une notion distincte des autres motifs énumérés à l'article 96 : le groupe en question est composé de personnes qui ont, du fait de leurs origines ethniques et de leurs convictions politiques, des raisons de craindre d'être persécutées. Il ressort de l'ensemble de la décision que la SPR s'inquiétait du fait que « le gouvernement du Sri Lanka s'est clairement montré désireux de retracer et, souvent de persécuter les personnes liées aux TLET ». Voici ce qu'on trouve au paragraphe 25 de la décision de la Commission :

 

[25]      Dans ces circonstances, j’estime que, si le demandeur d’asile devait retourner au Sri Lanka, il serait immédiatement détenu pendant un certain temps pour que le gouvernement du Sri Lanka puisse vérifier s’il est membre des TLET, s’il a pris des dispositions pour les Tigres tamouls à l’étranger, s’il détient des renseignements sur les TLET puisqu’il aurait voyagé avec des membres de cette organisation à bord du navire, s’il s’est livré au trafic d’armes et de munitions, etc.

 

[74]           La SPR a suivi les lignes directrices de l'UNHCR en ce qui concerne les personnes soupçonnées d'entretenir des liens avec les TLET :

 

[27]      Le HCR recommande d’évaluer toutes les demandes d’asile selon leur bien-fondé et d’examiner minutieusement celles présentées par des personnes ayant des profils particuliers afin d’établir les risques auxquels elles pourraient s’exposer. Les principes directeurs du HCR, qui n’ont pas changé depuis leur publication il y a deux ans, en 2010, recommandent précisément d’offrir une protection continue aux personnes ayant les profils suivants : les personnes soupçonnées d’avoir des liens avec les TLET (caractères gras ajoutés), les journalistes et autres professionnels des médias, les défenseurs de la société civile et des droits de la personne, les femmes et les enfants correspondant à certains profils ainsi que les lesbiennes, les gais, les bisexuels et les transgenres. Puisque j’ai conclu que le demandeur d’asile serait soupçonné d’avoir des liens avec les TLET s’il était tenu de retourner au Sri Lanka, j’ai porté une attention particulière aux risques auxquels il pourrait être exposé.

 

[Passage souligné par la SPR.]

 

 

[75]           Voici les conclusions tirées par la Commission au sujet du lien qui se trouve aux paragraphes 37 et 38 de sa décision :

[37]      En fait, le conseil du ministre et moi-même sommes d’accord sur un point clé quant à la lecture des documents. Dans ses observations, il a affirmé que, si une personne est soupçonnée d’appartenir aux TLET ou d’entretenir des liens avec cette organisation, elle serait exposée au risque de subir un préjudice au Sri Lanka. Lorsqu’il a traité de la question de savoir s’il s’agit d’une demande d’asile sur place, le conseil du ministre a souligné que rien ne prouve que le nom du demandeur d’asile ait été publié dans les médias au Sri Lanka. Cette information ne suffit pas en soi à établir qu’il ne s’agit pas d’une demande d’asile sur place en l’espèce. Cet argument ne tient pas compte du fondement de la demande d’asile sur place du demandeur d’asile, c’est-à-dire que son profil a changé depuis qu’il est monté à bord de l’Ocean Lady. En raison de l’ensemble de la preuve dont j’ai été saisie, les éléments de preuve présentés par le ministre n’influent pas sur ma conclusion selon laquelle le demandeur d’asile sera perçu comme entretenant des liens avec les TLET à son retour au Sri Lanka.

 

[38]      Le lien du demandeur d’asile avec un motif prévu dans la Convention est passé de l’appartenance à un certain groupe social, celui des [traduction] « jeunes hommes tamouls du Sri Lanka non soupçonnés d’appartenir aux TLET ou de les soutenir », à celui des [traduction] « jeunes hommes tamouls de Jaffna soupçonnés d’appartenir aux TLET ou de détenir des renseignements au sujet de membres des TLET qui se trouvaient à bord de l’Ocean Lady ». Ainsi, compte tenu de l’analyse qui précède, j’estime que le demandeur d’asile serait exposé à plus qu’une simple possibilité d’être persécuté au Sri Lanka.

 

[76]           La jurisprudence de notre Cour a mis en garde contre le danger de voir dans les décisions de la SPR des motifs fondés sur la race ou les opinions politiques qui ne s'y trouvent pas (voir, par exemple, la décision B472, précitée et la décision B323, précitée). Il existe toutefois des situations dans lesquelles la Cour a été en mesure de conclure, vu l'ensemble des faits et à la lumière de l'analyse de la SPR, qu'il existait un lien avec les origines ethniques et les opinions politiques (voir, par exemple, les décisions A032, B420 et B377 précitées).

 

[77]           Dans le cas qui nous occupe, j'estime qu'il n'est pas nécessaire d'interpoler dans la décision de la SPR des motifs qui ne s'y trouvent pas. J'estime également que l'origine ethnique et les opinions politiques ne constituent pas des « motifs multiples » subsidiaires venant étayer sa décision. Ainsi qu'il ressort manifestement de la décision de la SPR, l'origine ethnique et les opinions politiques constituent le motif de sa décision. La SPR emploie l'expression « groupe social », mais le seul et unique groupe auquel elle fait allusion est celui constitué de personnes d'origine ethnique tamoule qui sont perçues comme entretenant des liens avec les TLET. Il ne s'agit pas d'un groupe qui est défini en fonction de sa présence à bord de l'Ocean Lady. La présence à bord de l'Ocean Lady est, dans le cas qui nous occupe, l'élément qui crée la perception de l'existence de liens des personnes en cause avec les TLET de la même façon que, par exemple, le fait de se livrer à une activité déterminée ou de se trouver à un endroit déterminé au Sri Lanka pourrait justifier une perception de lien avec les TLET et amener les autorités à retracer et à persécuter ces personnes.

 

[78]           La jurisprudence sur ces questions a été résumée par la juge Gleason dans la décision A068, précitée.

 

[79]           À la lumière de faits qui ressemblent beaucoup à ceux de la présente espèce, la juge Gleason a tiré les conclusions suivantes dans la décision A068, précitée :

[27]      Je ne vois pas la nécessité de traiter de la question du « groupe social » (ou de la norme de contrôle applicable à la conclusion de la Commission sur l’appartenance du demandeur d’asile à un « groupe social ») parce que j’ai conclu que la décision de la Commission devrait être maintenue sur le fondement d’une analyse similaire à celle que mes collègues les juges O’Reilly, Blanchard, Noël et de Montigny ont effectuée dans les décisions B399, B420, A032, B377,B344 et B272.

 

[28]       Comme mon examen est axé sur la question de savoir si la Commission a commis une erreur en fondant sa décision sur le risque auquel le demandeur d’asile serait exposé, compte tenu de sa situation et de la perception des autorités sri‑lankaises qui pourraient voir en lui un sympathisant des TLET (par opposition à un examen visant à savoir ce qu’englobe le motif de l’appartenance à « un groupe social » en tant que question de droit), la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer est celle de la décision raisonnable, puisqu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, et non d’une question de droit seulement (voir, par exemple, Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 53, [2008] 1 RCS 190; B420, au paragraphe 13; A032, au paragraphe 14; B377, au paragraphe 8). En d’autres termes, ce qui est en cause, ce n’est pas le sens éventuel des motifs de la « nationalité », de la « race » ou des « opinions politiques » selon la Convention sur les réfugiés, mais plutôt l’opportunité d’infirmer la conclusion explicite ou implicite de la Commission voulant qu’il y ait un lien avec ces motifs au vu des faits de l’espèce. Cette question commande l’application de la norme déférente de la décision raisonnable.

 

[29]      Dans la décision contestée en l’espèce, comme dans les décisions B399, B420, A032, B377 et B344, la Commission évoque à plusieurs reprises le risque auquel serait exposé le demandeur d’asile du fait d’être un jeune homme tamoul originaire du nord du Sri Lanka qui serait perçu par les autorités sri‑lankaises comme étant un membre ou un sympathisant des TLET (et soupçonné de détenir des renseignements sur cette organisation) en raison de sa situation et de sa présence à bord du MS Ocean Lady.

 

[30]      Par exemple, dans la section des motifs de la décision, la SPR écrit ce qui suit :

 

Le demandeur d’asile a qualité de réfugié au sens de la Convention, car il craint avec raison d’être persécuté au Sri Lanka du fait de motifs prévus dans la Convention, à savoir sa nationalité et son appartenance à un groupe social, soit celui des jeunes hommes tamouls qui seraient soupçonnés d’entretenir des liens avec les TLET parce qu’ils se sont rendus au Canada à bord de l’Ocean Lady.

 

[31]      À plusieurs autres endroits dans la décision, la SPR a fait des observations sur le risque de torture auquel pourrait fort bien être exposé le demandeur d’asile à son retour au Sri Lanka, parce que les autorités présumeraient qu’il entretient des liens avec les TLET. Par exemple, la SPR écrit :

 

[…]

 

[32]      Bien que la Commission n’utilise pas les mots « opinions politiques » ou « opinions politiques présumées » dans les passages précités, il en ressort clairement que le risque auquel serait exposé le demandeur d’asile est lié en partie au fait que les autorités sri‑lankaises présumeraient qu’il avait des liens avec les TLET.

 

[33]      Dans les décisions B420, A032 et B377, le juge Blanchard a statué qu’un tel raisonnement est suffisant pour établir un lien avec le motif de protection prévu des opinions politiques; il note ce qui suit au paragraphe 21 de la décision B420 :

 

Les conclusions de la SPR auraient pu être beaucoup plus claires qu’elles ne le sont; il est permis de penser qu’elles sont lacunaires à certains égards. Par exemple, la SPR ne pouvait invoquer la présumée connaissance des activités des TLET pour appuyer sa conclusion relative aux opinions politiques présumées. Je suis néanmoins convaincu que la preuve à laquelle le tribunal a fait référence dans ses motifs permet de conclure que le défendeur, en tant que jeune Tamoul célibataire venant du nord du Sri Lanka, craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race et de ses opinions politiques présumées en raison de son association perçue avec les TLET. Je suis convaincu que la décision de la SPR est raisonnable.

 

[34]        Les juges de Montigny et O’Reilly sont parvenus à une conclusion similaire dans les décisions B272 et B399.

 

[35]      Bien que la Commission, dans les décisions contrôlées par les juges Blanchard, de Montigny et O’Reilly, utilise explicitement les mots « opinions politiques présumées » comme faisant partie du fondement de la décision voulant qu’il y avait un lien avec un motif prévu à la Convention sur les réfugiés, cette énonciation expresse des opinions politiques présumées semble être absente de la décision de la Commission dans B344, décision que le juge Noël a maintenue en se fondant sur ce qu’on appelle une analyse des « motifs mixtes ». Il s’est penché en particulier sur le lien avec l’origine tamoule du demandeur d’asile, lien qui, combiné à d’autres facteurs, permet selon le juge d’établir un lien avec le motif de protection prévu de la « race ». Le juge conclut que l’origine du demandeur d’asile était un facteur important, parmi d’autres, qui valait au demandeur d’asile d’être exposé à un risque de persécution, et qu’il y avait donc un lien suffisant avec un motif prévu à la Convention sur les réfugiés pour justifier la protection offerte par l’article 96 de la LIPR. D’ailleurs, le juge fait observer, aux paragraphes 37 et 45 de sa décision, qu’une interprétation restrictive du « motif mixte » contrevient à l’esprit de la Convention sur les réfugiés :

 

[…] L’article 96 de la LIPR ne vise qu’un seul objectif qui consiste à empêcher quiconque d’être persécuté dans les situations où un lien existe avec un motif prévu par la Convention. Si l’un des motifs de l’agent de persécution est la race, mais uniquement en combinaison avec un autre facteur, comment une telle situation ne pourrait‑elle pas permettre de répondre aux exigences de l’article 96 de la LIPR? Après tout, l’article 96 de la LIPR, tel que rédigé, ne doit pas recevoir une interprétation restrictive et étroite : comme je l’ai souligné, il porte sur la crainte d’être persécuté et la protection de quiconque fait l’objet de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques. De plus, l’alinéa 3(2)d) de la LIPR indique clairement que l’un des principaux objets du système d’octroi de l’asile au Canada est « d’offrir l’asile à ceux qui craignent avec raison d’être persécutés du fait de leur race, leur religion, leur nationalité, leurs opinions politiques, leur appartenance à un groupe social en particulier, ainsi qu’à ceux qui risquent la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités ». L’article 96 de la LIPR doit être interprété à la lumière de cet objet.

 

[…]

 

[…] il faut que l’origine tamoule du défendeur soit un facteur de première importance qui contribue à la possibilité de risque de persécution à son arrivée au Sri Lanka. Or, pris individuellement, les motifs, fondés sur l’origine tamoule du défendeur ainsi que sur son statut en tant qu’ancien passager du MS Sun Sea, que le gouvernement considère être une opération de passage de clandestins orchestrée par les TLET, ne permettent pas par eux‑mêmes d’établir un lien avec le motif de la race prévu par la Convention. Cependant, pris ensemble, ils établissent de façon cumulative une possibilité sérieuse de risque de persécution au retour du défendeur. Sans l’un des facteurs contributifs, le motif prévu par la Convention ne serait pas établi de façon satisfaisante, mais pris ensemble, ces motifs constituent le fondement du motif fondé sur la race. Par conséquent, le lien avec la race était essentiel pour la conclusion de la SPR portant que le risque de persécution au retour du défendeur constituait un scénario sérieux à envisager.

 

[36]      J’estime que le raisonnement des juges de Montigny, O’Reilly, Blanchard et Noël est convaincant et qu’on devrait considérer en l’espèce que la Commission a rattaché ses conclusions quant au lien à la race ou à la nationalité et aux opinions politiques présumées. À cet égard, il convient de rappeler que la norme de la décision raisonnable n’exige pas que les motifs soient parfaits ou qu’ils aient une forme quelconque, pourvu qu’ils permettent aux parties et à la cour de révision de comprendre les raisons pour lesquelles une décision a été rendue (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, au paragraphe 16). Dans le cas présent, comme le démontrent les citations reproduites ci‑dessus, il est clair que c’est la combinaison de la race ou la nationalité et des opinions politiques présumées du demandeur d’asile, une perception découlant de sa situation et de sa présence à bord du MS Ocean Lady, qui a amené la Commission à conclure qu’il avait qualité de réfugié au sens de la Convention sur les réfugiés.

 

[80]           Dans le cas qui nous occupe, je ne vois rien dans les motifs de la SPR qui permette de retenir l'argument du demandeur selon lequel la SPR a conclu que « le fait que le défendeur soit venu au Canada à bord d'un navire déterminé fait en sorte qu'il fait partie d'un groupe social qui permet d'établir un lien avec l’un des motifs prévus par la Convention et de lui reconnaître la qualité de réfugié au sens de la Convention ». Je conviens sans hésiter avec le juge Harrington (décision A011, précitée), que le fait de détenir des renseignements ne constitue pas une opinion politique, de sorte que la conclusion subsidiaire de la SPR selon laquelle le défendeur détenait « des renseignements au sujet de membres des TLET qui se trouvaient à bord de l’Ocean Lady » ne suffit pas à lui accorder la protection prévue à l'article 96 même en tenant compte de son origine ethnique tamoule. Je ne vois toutefois aucune raison d'exclure les « jeunes hommes tamouls de Jaffna soupçonnés d’appartenir aux TLET [...] ». Ainsi que le juge Blanchard l'a conclu dans la décision B377, précitée, au paragraphe 22, j'estime que la présente affaire correspond parfaitement au type de circonstances envisagées par la Cour d'appel dans l'arrêt Veeravagu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 468 (CA) (QL), dans lequel le juge Hugessen a écrit ce qui suit au nom d'une cour unanime :

Selon nous, il est des plus évidents que lorsqu’une personne fait face à des risques « réels et accablants », y compris un risque d’« actes fort violents », de la part de groupes parrainés par l’État (l’IPKF), parce que cette personne fait partie d’un groupe dont la race est la caractéristique déterminante (les jeunes Tamuls de sexe masculin), il est tout simplement impossible de dire qu’une telle personne n’éprouve pas une crainte objective d’être persécuté du fait de sa race.

 

 

En outre, une conclusion quant à l’existence d’un lien du fait d’opinions politiques imputées semble parfaitement justifiée et ressort à l'évidence des motifs de la SPR.

 

[81]           Peu importe que l'on examine la question selon la norme de la décision correcte ou selon celle de la norme de la décision raisonnable, j'estime que la SPR n'a commis aucune erreur susceptible de révision.

 

[82]           À mon avis, la véritable question qui se pose dans le cadre de la présente demande est celle de savoir s'il existait des éléments de preuve objectifs suffisants pour appuyer les conclusions factuelles tirées par la Commission au sujet des risques auxquels le défendeur serait exposé. À cet égard, j'estime que la décision de la SPR est intelligible, justifiable et transparente et qu'elle appartient aux issues possibles acceptables selon le paragraphe 47 de l'arrêt Dunsmuir, précité.

 

[83]           Les avocats s'entendent pour dire qu'il n'y a aucune question à certifier et la Cour est du même avis.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE COMME SUIT :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Louis Beaudoin, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

IMM-8452-12

 

INTITULÉ :

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c A049

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 2 DÉCEMBRE 2013

 

 

MOTIFS DE JUGEMENT
ET JUGEMENT :

LE JUGE RUSSELL

 

 

DATE ET MOTIFS :

LE 9 AVRIL 2014

 

 

 

COMPARUTIONS :

Mes Ada Mok et Nimanthika Kaneira

 

POUR LE demandeur

 

Me Robert Israel Blanshay

 

POUR LE défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE demandeur

 

Blanshay & Lewis

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE défendeur

 

 

 

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