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Date : 20140408


Dossier :

IMM-12150-12

Référence : 2014 CF 340

[Traduction française certifiée, non révisée]

Calgary (Alberta), le 8 avril 2014

En présence de monsieur le juge Campbell

Dossier :

IMM-12150-12

ENTRE :

YINJUN LIAO

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               Dans la présente demande, la demanderesse conteste la décision d’un agent des visas (l’agent) dans laquelle l’agent a rejeté sa demande de résidence permanente après avoir tiré une conclusion d’interdiction de territoire aux termes de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, et a rejeté les observations relatives à des motifs d’ordre humanitaire (CH) formulées au nom de la demanderesse aux termes de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

[2]               La demanderesse, une citoyenne de la Chine née en mai 1994 et vivant en Chine, a été  parrainée pour venir au Canada en novembre 2011 par sa mère, une citoyenne du Canada qui est venue au Canada en 2005 avec son époux et sa fille aînée. Dans la décision visée par le contrôle datée du 5 novembre 2012, la demande de parrainage a été rejetée parce que la demanderesse n’avait pas été déclarée comme personne à charge par sa mère à l’arrivée de celle‑ci au Canada. Il est convenu que, étant donné que la demanderesse a eu 18 ans en mai 2012, son seul recours pour avoir gain de cause serait d’invoquer des motifs d’ordre humanitaire. La principale question en litige en l’espèce est celle de savoir si le rejet de la demande par l’agent pour les motifs susmentionnés est raisonnable.

[3]               L’agent a interrogé la mère et la demanderesse. La raison pour laquelle la mère de la demanderesse a laissé sa fille en Chine lorsqu’elle a quitté ce pays pour le Canada tenait essentiellement à la crainte des conséquences de la politique de l’enfant unique en Chine. Quand elle était en Chine, la mère de la demanderesse présentait la demanderesse comme sa nièce. Après que sa mère eut quitté le Canada, l’oncle et les grands‑parents maternels de la demanderesse se sont occupés d’elle, tout en s’employant à cacher son identité. La mère envoyait régulièrement de l’argent pour subvenir aux besoins de la demanderesse, mais n’a rendu visite à celle‑ci qu’une fois. L’agent souligne dans les notes de l’entrevue qu’il doute de la version de la mère étant donné qu’il était difficile pour lui de croire qu’une mère aimante agisse de la sorte. Par conséquent, la mère de la demanderesse n’a pas reçu beaucoup de sympathie de sa part à l’entrevue.

[4]               Cependant, en questionnant la demanderesse, le 1er novembre 2012, l’agent s’est intéressé aux conséquences pour elle d’avoir été abandonnée dans son enfance et à son quotidien. Ce qui suit est la transcription d’une conversation enregistrée par l’agent dans les notes qu’il a prises au moment de l’entrevue :

[traduction]

Quel âge avez‑vous?

18 ans.

 

Quelle est votre date de naissance?

Le 1er mai 1994.

 

Où vivez‑vous présentement?

Habituellement, je vis à l’école, mais pendant les congés, je vais chez mon oncle. Parfois, je vais voir ma grand­mère paternelle.

 

Depuis que votre mère a quitté la Chine pour le Canada, avec qui avez‑vous vécu le plus souvent?

Le plus souvent, je vis avec mon oncle. La plupart du temps, je suis à l’école, je ne vais pas à la maison souvent.

 

Quel âge aviez‑vous quand votre mère est partie?

J’étais en quatrième année.

 

Quel est pour vous l’aspect le plus difficile par rapport au fait que votre mère vit au Canada et au fait de ne pas pouvoir être avec elle?

Parfois, c’est quand j’ai des problèmes et que je voudrais en parler à ma mère, mais que je ne peux pas.

 

Comme quoi?

Par exemple, quand je ne m’entends pas avec des camarades de classe et parfois quand il y a des problèmes à la maison.

 

Quelles raisons votre mère vous a-t-elle données pour quitter la Chine et ne pas vous emmener avec elle?

Parce que, quand je suis née, ma mère ne pouvait parler de mon existence à personne. Même à l’entremetteur, ma mère a dit qu’elle avait une seule fille.

 

Qu’avez‑vous ressenti quand votre mère vous a dit qu’elle voulait partir pour le Canada et qu’elle vous laissait en Chine pour aller au Canada?

J’étais triste, mais je pensais aussi qu’il me restait mon père.

 

Quelle est la dernière fois où vous avez vécu avec votre père?

Je ne me souviens pas; je me souviens seulement d’avoir vu mon père deux fois.

 

Deux fois seulement en combien de temps?

Quand je restais à la maison.

 

Avec votre mère?

Je ne me souviens pas. [La demandeure semble nerveuse, et je lui dis de me faire savoir si elle a besoin de prendre une pause.]

 

Lorsque votre père est décédé, quand l’avez-vous vu pour la dernière fois avant son décès?

Je ne me souviens pas.

 

Si vous ne l’avez jamais vu, pourquoi croyiez‑vous que sa présence en Chine vous aiderait à supporter l’absence de votre mère?

À ce moment, j’avais mon oncle et l’épouse de mon oncle, et ma grand­mère paternelle. Ma mère ne pouvait pas dire à d’autres personnes qu’elle avait une autre fille, mais j’avais ces personnes autour de moi. J’aimais beaucoup ma grand­mère paternelle. Toutes ces personnes me réconfortaient et sont même venues me voir à l’école.

 

Vous avez reçu beaucoup de soutien de votre famille élargie depuis l’absence de votre mère?

Oui.

 

Vous allez terminer vos études à cette école cette année?

Oui.

 

Allez‑vous travailler après l’école, ou poursuivre vos études?

Je vais aller au collège.

 

Que voulez‑vous étudier?

La pâtisserie.

 

Si vous ne pouvez pas venir au Canada rejoindre votre mère, qu’est-ce que votre mère a prévu pour la poursuite de votre relation?

Je ne sais pas, nous n’en avons pas parlé.

 

A‑t‑elle dit qu’elle paierait vos études collégiales?

Oui.

 

Pensez‑vous que les autres membres de votre famille, dont votre oncle, vous soutiendront si vous restez en Chine?

Oui.

 

(Dossier du tribunal, pages 103 et 104)

[5]               Les motifs de la décision de l’agent sont les suivants :

[traduction]

Analyse : facteurs

1) Le lien biologique entre la DP et la répondante. Selon les réponses données à l’entrevue et les documents figurant au dossier, il semble raisonnable d’établir qu’il existe un lien biologique authentique entre la DP et la répondante. Il faut en l’espèce prendre en compte les CH étant donné qu’il y a peu d’éléments de preuve concernant la dépendance.

 

2) Degré de dépendance. Au cours des sept dernières années, il semble que la répondante ait subvenu financièrement aux besoins de la DP. Pour établir la valeur probante de cette information, je tiens compte du passé et de ce qu’annonce l’avenir. La DP a reçu de l’argent pour ses besoins personnels et ses études; elle a mentionné que sa mère paierait ses études collégiales. Ces éléments n’étaient pas et ne sont pas conditionnels à la présence de la DP au Canada. Les besoins de la demanderesse ont entièrement été pris en charge financièrement par sa mère pendant sept ans, malgré la séparation, et on peut prévoir que ce sera encore le cas dans un avenir prévisible.

 

3) Stabilité de la relation/longueur de la relation. La répondante n’a pas donné d’explication crédible à l’égard de sa relation avec la DP, de son évolution et de sa stabilité. Sa décision de laisser la DP en Chine donne à penser qu’elle favorise son propre bien‑être aux dépens de celui de sa fille. Pour moi, cela ne constitue pas un indice solide de l’existence d’une relation ou d’une volonté de stabiliser la relation.

 

4) Incidence de la séparation, passée et future. La répondante a parlé de difficultés attribuables à la séparation, comme la DP, cependant, le soutien offert par la famille élargie en Chine représente un important élément stabilisateur dans la vie de la DP. Le maintien de la séparation équivaudrait à la poursuite de cette réalité. La DP a maintenant 18 ans et est par conséquent une adulte; même si elle pourrait continuer de dépendre financièrement de sa mère, ce que la séparation ne changerait pas; les réponses données pendant l’entrevue montraient que l’incidence au plan émotionnel s’est atténuée et s’atténuera encore.

 

5) Solutions de rechange. Comme on l’a dit précédemment, la DP semble avoir une relation familiale stable avec son oncle et sa grand‑mère paternelle. Sa mère subvient financièrement à ses besoins. La situation ne semble pas avoir causé de difficultés particulières.

 

6) J’ai aussi pris en compte les explications de la répondante concernant les raisons entourant l’abandon de sa fille en Chine et j’estime qu’elles n’attestent pas de difficultés particulières. Elle a caché cette fille à son répondant et a choisi de s’installer définitivement au Canada. Elle a par la suite choisi de ne pas chercher à parrainer sa fille pendant sept ans. Le fait de ne pas connaître les dispositions législatives canadiennes sur l’immigration et la crainte des conséquences de la politique de l’enfant unique en Chine ne constituent pas des explications crédibles à cet égard. Sur la foi des renseignements dont je dispose, j’estime qu’il est justifié de renvoyer ce dossier pour une décision CH favorable. La demande est rejetée parce que la DP n’est pas admissible à être parrainée selon l’alinéa 117(9)d) du Règlement et parce que je ne considère pas que l’article 25 s’applique. Rédaction d’une lettre de rejet.

 

(Dossier du tribunal, p. 104)

[6]               Comme le montrent les extraits d’entrevue plus haut, l’agent s’est essentiellement intéressé au passé. En ce qui concerne la demande CH de la demanderesse, l’intérêt supérieur de celle-ci, actuel et futur, aurait été pleinement pris en compte si la décision avait été rendue au moment où elle avait moins de 18 ans. Dans ce cas, l’agent aurait été tenu d’établir qu’il était réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant. Même si on ne pouvait pas considérer la demanderesse comme une enfant au moment où la décision visée par le contrôle a été rendue, j’estime que la conclusion de l’agent devait attester d’une compréhension fondamentale de l’incidence actuelle et à venir sur la demanderesse de la séparation d’avec sa mère, sur les plans pratique et émotionnel. L’agent a bien examiné les aspects pratiques dans son entrevue avec la demanderesse, mais n’a pas posé de questions susceptibles d’apporter une description exacte et claire de CH actuelles et à venir. Comme cet aspect n’a pas été approfondi, et comme il aurait dû l’être, j’estime que la décision de l’agent est déraisonnable.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

La décision visée par le contrôle est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision.

Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Line Niquet

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-12150-12

 

INTITULÉE :

YINJUN LIAO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 7 avril 2014

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

LE JUGE CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS ET DE L’ORDONNANCE :

LE 8 AVriL 2014

 

COMPARUTIONS

 

R. Michael Birnbaum.

 

pour la demanderesse

 

 

Rick Garvin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

R. Michael Birnbaum, B.A. LL.B.

Avocat, notaire / médiateur

Calgary (Alberta)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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