Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20140414


Dossier : T-124-13

 

Référence : 2014 FC 360

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 avril 2014

En présence de monsieur le juge Annis

 

ENTRE :

MARK HALFACREE

 

 

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.                   Introduction

[1]               Monsieur Halfacree, le demandeur, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 14 décembre 2012, Halfacree c Administrateur général (Ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 2012 CRTFP 130 (CanLII), par laquelle la Commission des relations de travail dans la fonction publique [la CRTFP ou la Commission] a rejeté les trois griefs – partiellement, dans le cas du troisième – qu’il avait déposés à l’encontre de son ancien employeur, le ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire.

[2]               Le demandeur a agi pour son propre compte à l’audience, mais a bénéficié de l’aide d’un avocat qui a préparé sa demande et rédigé son mémoire, auquel il s’est tenu scrupuleusement.

[3]               Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.                Les faits

[4]               En 1989, M. Halfacree a été engagé par l’Agence canadienne du pari mutuel [l’Agence], un organisme relevant du ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, comme employé saisonnier à temps partiel. Il agissait comme agent des hippodromes et inspectait les champs de courses pour veiller au respect des règlements sur les paris. Il a travaillé pour la Commission hippique du Manitoba, puis pour la Commission des courses de l’Ontario entre 1991 et 1996, avant d’être réengagé à temps partiel par l’Agence.

[5]               En 2004 et 2005, M. Halfacree s’est absenté du travail à plusieurs reprises. Bien que son médecin de famille ait occasionnellement fourni des billets, son superviseur, M. McReavy, n’était pas satisfait. Le 25 mars 2005, M. Halfacree l’a autorisé par écrit à contacter directement son médecin de famille, la Dre Matsuo. Le 10 août suivant, M. McReavy a écrit à M. Halfacree pour l’aviser de ses préoccupations concernant le nombre de ses congés de maladie. Il l’a invité à en discuter en présence d’un médiateur ou d’un facilitateur à son retour au travail. Cette réunion a eu lieu le 22 septembre 2005, et les assistants ont examiné la politique du Conseil du Trésor en matière de congé de maladie. Celle-ci prévoit qu’au maximum une demi-journée (3,75 heures) peut être octroyée pour un rendez-vous médical; pour s’absenter plus longuement, il faut fournir une explication.

[6]               Monsieur Halfacree a pris toute la journée du 25 octobre pour se rendre à deux rendez-vous médicaux, ce qui a préoccupé M. McReavy. Il lui a téléphoné le 2 novembre pour en discuter, mais M. Halfacree lui a raccroché au nez. Le 14 novembre, le superviseur lui a adressé une note précisant qu’il était irrespectueux de raccrocher de cette manière et que s’ils se reproduisaient, de tels incidents pourraient entrainer des mesures disciplinaires.

[7]               Monsieur Halfacree a pris d’autres congés de maladie en novembre et décembre 2005. Le 20 décembre, M. McReavy lui a de nouveau fait part de ses préoccupations et a voulu le convoquer à une réunion le 28, mais M. Halfacree a refusé de le rencontrer pour discuter. Monsieur McReavy lui a téléphoné le 28 décembre et M. Halfacree lui a raccroché au nez. Le 4 janvier 2006, M. McReavy lui a annoncé par courriel la tenue d’une réunion disciplinaire, dont la date a été reportée plusieurs fois. Entre-temps, M. Halfacree a déposé des plaintes pour harcèlement.

[8]               Au cours des trois années suivantes, M. Halfacree a écopé d’une suspension disciplinaire d’un jour, puis d’une autre suspension de cinq jours, avant d’être congédié.

A.                La suspension d’un jour

[9]               Lors de la réunion du 22 février 2006, qui devait initialement avoir lieu le 4 janvier, M. Halfacree a reçu une suspension d’un jour. Il a présenté un grief à l’encontre de cette mesure disciplinaire le 5 avril suivant.

[10]           Le 24 mars 2006, M. McReavy a demandé que l’aptitude à l’emploi de M. Halfacree soit évaluée par Santé Canada, attendu qu’il avait pris 433 heures de congé de maladie durant l’exercice précédent. Monsieur Halfacree s’est absenté du 26 avril au 4 mai en raison d’une urgence dentaire. L’Agence a communiqué avec le bureau de son dentiste pour obtenir plus de renseignements, ce que le demandeur a appris le 17 mai 2006; il s’est opposé à cette démarche qu’il jugeait harcelante, offensante, et contraire à la Loi sur la protection des renseignements personnels. L’évaluation de Santé Canada a eu lieu le 30 mai 2006; M. Halfacree a été jugé physiquement apte à l’emploi sur la foi du rapport du consultant présenté en juin.

[11]           Le 13 septembre 2006, M. Halfacree a appelé au travail pour dire qu’il était malade et s’est absenté une semaine. Il a ensuite demandé des crédits de congé de maladie par anticipation pour le mois d’octobre. Il a d’abord proposé de revenir en octobre, puis en novembre.

[12]           Monsieur Halfacree a repris le travail le 22 novembre 2006. La Dre Matsuo a fourni une note indiquant : [traduction] « Mark Halfacree peut reprendre pleinement ses fonctions, sans restrictions, le 22 novembre 2016. » Le demandeur a ensuite réclamé des mesures d’adaptation en raison de sa situation familiale (il élevait seul deux adolescents, dont le plus jeune était censé présenter de légers troubles d’apprentissage), de manière à pouvoir travailler plus près de chez lui pendant une partie de la semaine. Madame Séguin l’a rencontré le 7 décembre 2006 et lui a expliqué en termes fermes les exigences requises pour documenter un congé de maladie. Le 19 décembre, elle lui a indiqué par courriel que sa demande de mesures d’adaptation ne serait pas amorcée tant qu’il ne fournirait pas une explication.

B.                 La suspension de cinq jours

[13]           Monsieur Halfacree devait travailler les 20 et 21 décembre. Il a demandé un congé à deux reprises, a annulé sa requête pour ces journées-là et a fini par manquer le travail. Comme Mme Séguin n’avait obtenu aucune explication, elle a convoqué une réunion disciplinaire pour le 21 février 2007, à laquelle il n’a pas assisté. Le 20 mars suivant, il a écopé d’une suspension de cinq jours et a continué à prendre de longs congés de maladie en janvier, février et mars 2007. Il a présenté un grief à l’encontre de cette mesure disciplinaire.

C.                 Le licenciement

[14]           Comme l’indique la Commission, le 4 avril 2007, ou vers cette date, « M. Halfacree a commencé à être en congé de maladie qui s’est avéré permanent ». Monsieur Halfacree prétend avoir pris un congé médical attesté pour cause de stress, et ajoute qu’il a obtenu un permis de chauffeur de gros porteur, et qu’il était conducteur de camion à temps partiel afin de gagner un revenu pendant son congé de maladie sans solde.

[15]           Après de nombreuses tentatives infructueuses en vue de réunions visant à obtenir de plus amples renseignements médicaux, l’employeur a perdu patience le 28 avril 2009. Monsieur Halfacree a été avisé par écrit qu’il était licencié. Il a présenté un grief à l’encontre de ce licenciement.

III.             La décision contestée

[16]           Un arbitre de la CRTFP a examiné le dossier de M. Halfacree en novembre 2011, ainsi qu’en juin et juillet 2012, et a rendu sa décision le 12 décembre 2013.

[17]           La CRTFP a souligné que le demandeur avait déposé trois griefs à l’encontre de son employeur, concernant la suspension d’un jour (566-02-577), la suspension de cinq jours (566-02-3081) et le licenciement (566-02-3439). Ces griefs ont d’abord donné lieu à une médiation, mais celle-ci ne s’est pas soldée par une entente. La Commission a ensuite examiné le long historique professionnel de M. Halfacree au sein de l’Agence.

[18]           Pour la Commission, il ressortait clairement de la preuve que M. Halfacree n’avait pas établi l’existence d’une obligation d’adaptation fondée sur sa situation familiale. Elle a conclu que rien ne prouvait l’existence d’une affection ou maladie entraînant des restrictions qui justifiait de telles mesures. Les certificats médicaux ne précisent aucunement son état de santé, et comme il conduisait un gros porteur pendant son congé de maladie, il ne semble pas avoir été limité d’un point de vue physique. Sa simple déclaration selon laquelle il souffrait de stress était insuffisante.

A.                Grief 566-02-577

[19]           En ce qui concerne le premier grief, la Commission a estimé qu’il était approprié d’imposer une suspension d’un jour au demandeur pour avoir manqué de se présenter le 28 décembre 2005 comme on lui avait demandé, raccroché au nez de son superviseur durant la conversation téléphonique suivante et expressément refusé de rencontrer son directeur une seconde fois le 11 janvier 2006. Monsieur Halfacree a bien fait connaître son second refus : il n’a pas agi sous l’impulsion du moment, mais de manière réfléchie. C’était un acte de mépris qui justifiait une mesure disciplinaire, et la suspension d’un jour était une sanction convenable. La Commission a rejeté le grief.

B.                 Grief 566-02-3081

[20]           Quant au second grief, la Commission a accepté certaines des explications de M. Halfacree. Elle a donc conclu que la suspension de cinq jours était trop sévère, même si le fait de manquer le travail les 20, 21 et 27 décembre 2006 et d’avoir refusé de fournir des renseignements ou d’assister aux réunions pour excuser ses absences méritait une mesure disciplinaire. Elle a partiellement accueilli le grief, et modifié la durée de la suspension de cinq à trois jours.

C.                 Grief 566-02-3439

[21]           En ce qui intéresse le licenciement, la Commission a analysé l’obligation des employés de se présenter au travail ou d’expliquer leur absence. Elle a estimé qu’en refusant de fournir des explications satisfaisantes à l’employeur, M. Halfacree avait fait preuve d’insubordination. Il ne s’est pas donné la peine de communiquer avec ses directeurs, a laissé à son représentant syndical le soin d’organiser des réunions, et s’est porté malade chaque fois qu’une réunion était prévue. Cela n’attestait pas une authentique intention de coopérer. Aucune preuve crédible n’établissait qu’il avait été victime de harcèlement ou de discrimination ou qu’il n’avait pu assister aux réunions pour cause de stress ou d’hypertension artérielle.

[22]           En sa qualité de délégué syndical, M. Halfacree ne se laissait pas aisément intimider; il s’est montré fermement convaincu de son droit devant la Commission, et celle-ci a estimé qu’il était impossible de conclure qu’il craignait de rencontrer son superviseur ou la direction, d’autant que les deux superviseurs avec qui il avait eu des conflits, MM. McReavy et Pettigrew, avaient quitté leurs postes en octobre et décembre 2007, respectivement. La Commission a pris note de sa déclaration selon laquelle il avait autorisé l’employeur à s’adresser à son médecin de famille, ce qu’aucune preuve n’est venue étayer à l’exception d’un courriel de mars 2005; et même si cela avait été le cas, cela ne le dispensait pas de fournir des renseignements.

[23]           La Commission a conclu que le licenciement était raisonnable et tout à fait justifié dans les circonstances de l’affaire, compte tenu de l’insubordination répétée et délibérée de M. Halfacree. Le troisième grief a été rejeté.

IV.             Questions en litige

[24]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

A.                 La Commission a-t-elle appliqué le bon critère juridique pour déterminer s’il y avait eu discrimination à première vue fondée sur sa situation familiale?

B.                 La Commission a-t-elle conclu à tort que le demandeur n’avait pas établi une discrimination à première vue fondée sur sa situation familiale?

C.                 La Commission a-t-elle conclu à tort que le demandeur n’avait pas établi une discrimination à première vue fondée sur une invalidité?

D.                 La Commission a-t-elle conclu à tort que le demandeur avait fait preuve d’insubordination?

E.                  La Commission a-t-elle manqué à l’équité procédurale en n’autorisant pas le contre-interrogatoire de M. McReavy au sujet de la source des renseignements portant que le demandeur occupait un second emploi depuis décembre 2003?

V.                Norme de contrôle

[25]           Le demandeur n’a présenté aucun argument relativement à la norme de contrôle. Le défendeur souligne que les questions d’équité procédurale appellent la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 111), et fait valoir que la Cour a déjà établi que la norme de contrôle applicable aux affaires de congédiement au titre de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LRC 1985, c P‑35, était celle de la raisonnabilité (McCormick c Canada (Procureur général), [1998] ACF no 1904 (QL) (1re inst.), au paragraphe 16).

[26]           J’estime que les trois premières questions litigieuses sont soumises à la norme de contrôle de la raisonnabilité, et la dernière à celle de la décision correcte.

VI.             Analyse

A.                La Commission a-t-elle appliqué le bon critère juridique pour déterminer s’il y avait eu discrimination à première vue fondée sa situation familiale?

[27]           Le défendeur reconnaît que la Commission a commis une erreur sur ce premier point. L’arbitre a en effet cité le critère de l’[traduction] « atteinte grave » énoncé dans Health Sciences Association of British Columbia c Campbell River and North Island Transition Society, 2004 BCCA 260. Cependant, le juge Mandamin de la Cour fédérale a conclu dans Canada (Procureur général) c Johnstone, 2013 CF 113 [Johnstone], au paragraphe 129, que « le critère de l’atteinte grave […] n’est pas celui qui convient dans le cas de la discrimination fondée sur la situation de famille », et que le bon critère consiste à se demander « si la condition d’emploi entrave la capacité de l’employée de s’acquitter de ses obligations parentales importantes de façon réaliste ». Le défendeur soutient néanmoins que la conclusion de l’arbitre voulant que le demandeur n’ait pas été victime de discrimination fondée sur sa situation familiale devrait être maintenue.

B.                 La Commission a-t-elle conclu à tort que le demandeur n’avait pas établi une discrimination à première vue fondée sur sa situation familiale?

[28]           Le demandeur soutient que l’employeur ne lui a jamais remboursé les frais de déplacement et de garde, qu’il ne l’a jamais affecté à Toronto, ou près de Toronto, malgré ce qui avait été convenu dans le règlement de 2002, et que cela a terriblement nui à sa capacité à remplir ses obligations parentales. Comme le faisait remarquer la Commission dans sa décision, il a déclaré qu’il « était [traduction] “à sec” après avoir pris en considération les dépenses de voyage et de garderie » (paragraphe 24 de la décision). Bien qu’il ait finalement été inscrit à un programme de réinstallation, après d’importants retards, le demandeur a découvert qu’il ne pouvait toujours pas déménager, car son employeur refusait de lui rembourser les frais de déplacement et de garde engagés jusque-là, et qu’il n’y avait pas de soins de garde ni de services éducatifs convenant à son plus jeune enfant à Toronto ou dans les environs. Ses obligations parentales l’ont donc empêché de se réinstaller ailleurs et contraint à assumer des dépenses additionnelles. Le demandeur a par ailleurs été privé de temps précieux auprès de ses enfants parce qu’il devait faire des quarts rotatifs, plutôt que travailler en journée seulement, ce qui signifie qu’il était généralement de service la nuit.

[29]           Cette mise en contexte démontre que certaines règles et conditions d’emploi (l’horaire, le lieu, l’absence de soutien financier pour les frais de déplacement et de garde) nuisaient à la capacité du demandeur à remplir d’importantes obligations parentales (voir Johnstone, au paragraphe 125).

[30]           La Commission a indiqué que le statut de parent célibataire n’établit pas automatiquement que l’employé visé est victime de discrimination à première vue, mais elle n’a pas tenu compte du fait qu’il créait néanmoins des obligations. Ce sont les conséquences négatives que l’employeur crée sur ces obligations parentales qui entraînent une discrimination à première vue. En l’espèce, les règles et les conditions d’emploi ont nui à la capacité du demandeur à s’acquitter de ses devoirs.

[31]           Le défendeur soutient que la Commission est parvenue à deux conclusions indépendantes sur ce point. Elle a d’abord estimé que le demandeur n’avait pas réussi à démontrer l’existence d’une obligation d’adaptation; or, même si une telle obligation avait existé, en ne communiquant pas avec son employeur ou ne coopérant pas avec lui, le demandeur n’avait pas démontré que l’employeur ne s’en était pas acquitté.

[32]           La Commission a fait observer que même si une discrimination à première vue avait été établie, la jurisprudence indique clairement qu’il incombe à l’employé d’expliquer la nature du problème et de coopérer avec l’employeur qui s’efforce de composer avec ses besoins. Monsieur Halfacree a systématiquement failli sur ces deux plans. Il a refusé plusieurs fois d’expliquer plus en détail pourquoi et de quelle manière il devait bénéficier de mesures d’adaptation, empêchant ainsi son employeur d’agir. Il a fait valoir à l’audience que ce dernier savait qu’il était un parent célibataire et qu’il lui incombait, pour cette raison, de se renseigner plus amplement, mais la Commission a rejeté cet argument (voir également Canada (Procureur général) c Cruden, 2013 CF 520).

[33]           Je conviens avec le défendeur que même si la Commission a employé le mauvais critère pour établir la discrimination à première vue, sa conclusion selon laquelle il n’y a pas eu manquement à l’obligation d’adaptation doit être maintenue.

[34]           Même s’il avait démontré l’existence d’une telle obligation du fait de sa situation familiale, le demandeur n’a pas établi que l’employeur ne l’avait pas respectée. Il a plutôt systématiquement omis d’expliquer la nature du problème et de coopérer aux efforts visant à composer avec ses besoins. Il ne revenait pas à l’employeur de lui imposer des mesures d’adaptation. Par conséquent, j’estime que la conclusion de la Commission concernant la discrimination fondée sur la situation familiale est une issue possible acceptable au regard des faits et du droit.

C.                 La Commission a-t-elle conclu à tort que le demandeur n’avait pas établi une discrimination à première vue fondée sur une invalidité?

[35]           Le demandeur soutient que la Commission a brièvement abordé la question et conclu qu’il n’y avait « aucune preuve révélant qu’une maladie ou un trouble limitait le fonctionnaire » (paragraphe 192 de la décision). Cependant, la Commission disposait de nombreux formulaires de congé de maladie signés par le médecin du demandeur, ainsi que d’une lettre de cette dernière indiquant qu’il n’y avait pas eu d’abus de congé de maladie et qu’elle savait que le demandeur s’était absenté souvent pour des raisons médicales. On ne peut donc pas affirmer que rien ne prouvait l’existence d’une invalidité, ou que le demandeur n’était pas soumis à un stress excessif sur son lieu de travail

[36]           La Commission semble avoir accordé une importance déraisonnable à deux inférences défavorables. La première est qu’à un moment donné le demandeur a été déclaré apte au travail, et la seconde qu’il occupait apparemment un second emploi sans problèmes. S’agissant du premier point, comme le demandeur souffrait de stress sévère lié au lieu de travail, il était déraisonnable de ne pas envisager qu’il pouvait continuer à présenter des symptômes du fait d’un environnement professionnel malsain, bien qu’il ait été déclaré apte à l’emploi. Concernant le second point, le demandeur a commencé à occuper un second emploi en février 2007 pour subvenir à ses besoins puisqu’il était en congé de maladie non payé. Comme le stress était lié à son lieu de travail, il était logique de considérer qu’il souffrait d’une invalidité qui ne l’empêchait pas totalement de travailler, mais plutôt simplement de le faire dans un environnement précis.

[37]           Comme l’a fait valoir le défendeur, les décisions rendues par les arbitres du travail et les tribunaux de droits de la personne indiquent invariablement que le stress peut être invalidant, mais qu’il ne constitue pas en soi une invalidité requérant des mesures d’adaptation. Pour se réclamer de la protection de la législation en matière de droits de la personne, l’employé doit fournir un diagnostic détaillé et étayé. Par ailleurs, un billet médical succinct peut être considéré comme dénué de valeur probante si le médecin ne témoigne pas (Gibson c Conseil du Trésor (Ministère de la Santé), 2008 CRTFP 68, au paragraphe 31).

[38]           Bien qu’il ait déclaré qu’il souffrait de stress lié au conflit interpersonnel permanent qui l’opposait à son superviseur, il m’apparait que le demandeur a fourni un certain nombre de certificats médicaux qui n’apportaient aucune clarification et ne précisaient même pas s’il était atteint d’une maladie ou d’une blessure. Il a choisi de ne pas appeler son médecin à témoigner.

[39]           La Commission disposait d’éléments de preuve qui démentaient l’allégation du demandeur selon laquelle il souffrait de stress invalidant. En juin et novembre 2006, Santé Canada et son médecin de famille l’ont déclaré apte à l’emploi, et il a reconnu qu’il avait pu conduire un gros porteur pendant son congé.

[40]           J’estime que la conclusion de la Commission était raisonnable. La preuve présentée par le demandeur n’expliquait pas de quelle invalidité il pouvait être atteint, alors que les évaluations médicales effectuées par son propre médecin et par Santé Canada établissaient qu’il était apte à l’emploi. Il a décidé de ne pas faire comparaître son médecin, ne laissant à la Commission que de vagues notes sur des formulaires médicaux qui en disaient très peu et n’étayaient pas une conclusion d’invalidité dont la portée est considérable. Par ailleurs, le demandeur n’a pas nié qu’il ne lui avait pas été impossible d’occuper un second emploi à cause de son invalidité, et n’a pas démontré que celle-ci était spécifiquement liée à son travail pour l’Agence et à aucun autre. Comme l’a fait remarquer le défendeur, la jurisprudence arbitrale établit que même s’il peut être invalidant, le stress ne constitue pas en soi une invalidité exigeant des mesures d’adaptation. Pour pouvoir se réclamer de la protection de la législation en matière de droits de la personne, l’employé doit fournir un diagnostic détaillé et étayé.

D.                La Commission a-t-elle conclu à tort que le demandeur avait fait preuve d’insubordination?

[41]           Le demandeur soutient que la Commission a eu tort de conclure qu’il avait fait preuve d’insubordination en ne fournissant pas les renseignements médicaux additionnels que l’employeur était en droit de réclamer. Il prétend qu’il n’était pas tenu de fournir ces renseignements. Les employeurs n’ont pas le droit de forcer la divulgation de détails médicaux personnels en l’absence d’une loi les autorisant à ce faire ou d’un consentement explicite. Le demandeur ajoute que la Commission a eu tort d’estimer que la convention collective l’obligeait à fournir ces renseignements additionnels, alors que cette exigence n’est requise qu’à l’égard des congés de maladie payés. La convention est muette sur les congés de maladie sans solde. Le demandeur invoque à ce chapitre la décision NAV Canada c Association canadienne du trafic aérien (1998), 74 LAC (4th) 163, au paragraphe 64, dans laquelle la Commission a déclaré qu’elle ne pouvait pas concevoir comment le refus de fournir des renseignements dont la communication n’est autorisée ni par la loi ni par la convention collective pouvait justifier une conclusion d’insubordination.

[42]           De plus, en mars 2005, le demandeur avait autorisé l’employeur par courriel à communiquer directement avec son médecin de famille. Rien n’indique que cette autorisation était limitée dans le temps. Le fait que le demandeur se soit plaint lorsque l’employeur a contacté son dentiste directement n’a aucun rapport avec celui de lui permettre de parler à son médecin. À son avis, la Commission a eu tort d’affirmer qu’il avait refusé de se soumettre à une évaluation médicale indépendante. La plainte concernant les communications avec le dentiste n’affectait pas la validité de l’autorisation de parler au médecin, et en voulant effectuer une telle évaluation, le véritable mobile de l’employeur était qu’il ne croyait pas que le demandeur souffrait d’une invalidité.

[43]           Enfin, le demandeur prétend qu’il était déraisonnable de la part de la Commission de conclure qu’il ne voulait pas rencontrer les membres de la direction de 2007 à 2009. Il a rencontré l’employeur en septembre 2007 pour discuter des mesures d’adaptation fondées sur son statut de parent célibataire. Puis, au début de 2009, il a accepté d’assister à une autre réunion, mais il a d’abord fallu beaucoup de temps pour arrêter les dates en raison de lettres manquées, son représentant syndical n’était pas disponible durant le mois de mars, et enfin la personne-ressource de l’Agence a quitté son poste en avril. Parce que la réunion n’a pas eu lieu, la Commission en a déraisonnablement déduit que M. Halfacree ne voulait pas y assister.

[44]           J’estime que l’employeur avait manifestement le droit de réclamer des renseignements médicaux additionnels. Santé Canada et son médecin de famille avaient jugé en juin et novembre 2006 que le demandeur était apte à l’emploi. Malgré cela, il s’est absenté du travail pendant la majeure partie ou toute la durée des mois de septembre, octobre et novembre 2006, février et mars 2007, et avril 2007 à avril 2009. Durant cette période, il a fourni 14 billets de son médecin sous la forme de formulaires standard qui n’expliquaient pas les raisons de ses absences et étaient souvent incomplets puisque celle-ci n’attestait pas une connaissance satisfaisante de l’état de son patient. Le défendeur a demandé neuf fois par écrit au demandeur de fournir davantage de renseignements et l’a avisé qu’à défaut pour lui de les fournir, ses absences seraient jugées comme non autorisées. Il l’a également averti que des absences excessives pouvaient entraîner des mesures disciplinaires.

[45]           La jurisprudence arbitrale indique qu’un simple billet médical ne suffit pas nécessairement pour justifier une demande de congé de maladie (voir par exemple Fontaine c Agence canadienne d’inspection des aliments, 2002 CRTFP 33, au paragraphe 29). D’ailleurs, les arbitres ont toujours conclu que l’employeur est en droit de faire des demandes raisonnables pour obtenir des renseignements médicaux lorsqu’il n’est pas certain que l’employé ait adéquatement expliqué son absence. Le caractère raisonnable des demandes dépendra des circonstances de chaque affaire. Des facteurs tels que la durée prévue de l’absence, l’insuffisance des documents produits par l’employé, et la présence de renseignements contradictoires touchant sa santé, peuvent inciter l’employeur à réclamer plus d’informations (Blackburn c Conseil du Trésor (Service correctionnel du Canada, 2006 CRTFP 42, aux paragraphes 83 à 86).

[46]           En l’espèce, la conclusion de la Commission portant que l’employeur était en droit d’exiger plus de précisions était manifestement raisonnable. Les absences duraient depuis longtemps et correspondaient à ce qui était déjà un cycle d’absences bien établi. Rien d’autre n’est venu les justifier que des notes incomplètes sur des formulaires. Les deux évaluations médicales récentes attestant que l’employé était apte à l’emploi constituaient des renseignements contradictoires.

[47]           L’employeur a informé l’employé qu’il n’accepterait plus les mêmes notes sur des formulaires standard, et c’est pourtant tout ce que le demandeur a continué de fournir. L’employeur lui a écrit au moins six fois pour tenter d’organiser une réunion afin de discuter de ses absences continuelles, mais il a ignoré ces demandes ou refusé d’y donner suite. Comme l’a souligné la Commission, la relation d’emploi repose en partie sur l’obligation de l’employé de se présenter au travail ou d’expliquer son absence. Il n’est pas contesté que des absences non autorisées peuvent justifier des sanctions allant jusqu’au licenciement. Dans le cas présent, l’employé a refusé ne serait-ce que de rencontrer l’employeur pour discuter de ses absences continuelles, alors qu’il savait que ce dernier les considérait comme non autorisées.

[48]           Je rejette les explications du demandeur selon lesquelles il n’était pas au courant des réunions; ses affirmations sont contredites par la preuve.

[49]           Il incombe à l’employé de démontrer à la satisfaction de l’employeur qu’il a droit à un congé, faute de quoi les arbitres ont toujours estimé que son absence du lieu de travail l’exposait à des sanctions. Aucun précédent ne vient appuyer l’argument du demandeur voulant que cette règle ne s’applique pas aux congés de maladie sans solde. À l’instar des journées payées, les journées maladie non payées sont un droit régi par les mêmes principes que ceux qu’entérine implicitement la convention collective.

[50]           Le demandeur a avancé l’argument inédit selon lequel son cas ne relevait pas de la disposition de la convention collective relative aux congés de maladie payés. Cependant, il n’a pas montré en vertu de quoi il avait droit à un quelconque congé si celui-ci n’était pas couvert par la convention collective. La présence de l’employé au travail et le fait qu’il n’ait pas droit de prendre les congés qu’il veut juste parce qu’ils ne sont pas payés, sont un aspect fondamental de la relation d’emploi.

[51]           Je conviens avec le demandeur que les employeurs n’ont pas d’office le droit de réclamer aux employés n’importe quels renseignements médicaux personnels. Cependant, c’est loin d’être ce qui s’est produit en l’espèce. Le demandeur s’est absenté longuement du travail même après avoir été déclaré apte à l’emploi, et il n’a fourni aucune explication raisonnable. Dans les circonstances, les notes médicales ne tombent pas dans cette catégorie. Il était déraisonnable d’attendre que l’employeur effectue des recherches indépendantes et spontanées sur sa situation personnelle. Ce dernier l’a prévenu plusieurs fois des préoccupations que son absentéisme suscitait et des conséquences qu’il pouvait avoir. Des facteurs justifiant amplement les demandes de renseignements médicaux – la fréquence et la durée des absences, l’insuffisance des documents médicaux et les deux évaluations médicales attestant que le demandeur était apte à l’emploi – étaient présents. L’employeur a tenté à plusieurs reprises de rencontrer M. Halfacree pour discuter de la situation, mais ce dernier n’était jamais disponible. Il est inconcevable qu’il ait été réellement incapable, pour des motifs de bonne foi, de rencontrer son propre employeur ne serait-ce qu’une fois entre septembre 2007 et avril 2009. Il n’a nullement prouvé qu’il avait droit à un nombre illimité de jours de congé de maladie non payés. La conclusion de la Commission selon laquelle l’employeur était en droit de réclamer plus de renseignements était manifestement raisonnable.

E.                 La Commission a-t-elle manqué à l’équité procédurale en n’autorisant pas le contre-interrogatoire de M. McReavy au sujet de la source des renseignements portant que le demandeur occupait un second emploi depuis décembre 2003?

[52]           Le demandeur soutient que la Commission a enfreint son droit de connaître les arguments avancés contre lui et d’être entendu lorsqu’elle a refusé d’autoriser un contre-interrogatoire concernant la source des renseignements selon lesquels il occupait un second emploi depuis décembre 2003. Les principes de la justice naturelle obligent les arbitres à admettre tous les éléments de preuve pertinents (General Electric Canada c Communications, Energy and Paperworkers of Canada, Local 544, 2007 CanLII 408).

[53]           La Commission ne s’est pas appuyée sur les allégations selon lesquelles le demandeur occupait un second emploi pour conclure qu’il était raisonnable que l’employeur réclame une justification additionnelle à ces congés de maladie. Elle a plutôt invoqué la durée des absences, l’insuffisance des notes médicales et les renseignements contradictoires émanant de deux évaluations de santé. Le juge en chef Lamer, s’exprimant au nom des juges majoritaires, a affirmé dans l’arrêt Université du Québec à Trois-Rivières c Larocque, [1993] 1 RCS 471, au paragraphe 46, « […] je ne suis pas prêt à affirmer que le rejet [par l’arbitre saisi d’un grief] d’une preuve pertinente constitue automatiquement une violation de la justice naturelle ».

[54]           J’estime que la Commission a eu raison de conclure qu’elle n’était pas obligée d’admettre cet élément de preuve. Les mesures disciplinaires faisaient suite aux actes d’insubordination ayant consisté à refuser de justifier les absences, et il n’importait pas de savoir si l’existence alléguée, par l’employeur, d’un informateur était crédible et si le demandeur était réellement atteint d’une invalidité. Monsieur Halfacree aurait facilement pu rentre le recours à des mesures disciplinaires tout à fait inutile s’il avait simplement fourni d’autres documents concernant sa situation médicale, ce qui aurait permis à l’employeur de comprendre ses problèmes et de s’y adapter. Au lieu de cela, il a continué à s’absenter pendant de très longues périodes et a refusé de coopérer.

[55]           Compte tenu de ce qui précède, la demande est rejetée à tous égards.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée.

 

 

 

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-124-13

 

INTITULÉ :

MARK HALFACREE c

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 3 avril 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT :                               LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :                     Le 14 avril 2014

 

 

COMPARUTIONS :

Mark Halfacree

 

POUR LE demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

Joshua Alcock

 

POUR LE défendeur

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mark Halfacree

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.