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Date : 20140404


Dossier :

T-1691-12

 

Référence : 2014 CF 331

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 4 avril 2014

En présence de madame la juge Heneghan

 

ENTRE :

SHELLEY GORDON

 

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Madame Shelley Gordon (la «demanderesse») sollicite le contrôle judiciaire, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, d’une décision de la Commission des plaintes du public contre la GRC (la Commission). Dans cette décision datée du 6 août 2012, Me Ian McPhail, c.r., président intérimaire (le président intérimaire) de la Commission a conclu que l’enquête de la GRC et le règlement de la plainte déposée par la demanderesse étaient raisonnables dans les circonstances.

 

[2]               Le procureur général du Canada (le défendeur) est le défendeur aux présentes, aux termes du paragraphe 303(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles).

 

LE CONTEXTE

 

[3]                La demanderesse est l’épouse du caporal Michael Kerkowich, un membre de la GRC. Le 22 mars 2011, elle assistait à une réunion tenue aux bureaux de la GRC situés à Prince Albert, en Saskatchewan, et portant sur un grief que son mari avait déposé contre son superviseur. Le mari de la demanderesse, trois autres membres de la GRC et une employée de la fonction publique étaient également présents à la réunion.

 

[4]               La réunion était présidée par le surintendant Dave Fenson. Il demanda à l’employée de la fonction publique de prendre des notes et d’enregistrer la réunion à l’aide d’un enregistreur magnétique. La demanderesse ignorait que la réunion avait été enregistrée jusqu’à ce qu’elle trouve une transcription de l’enregistrement de la réunion dans un envoi de documents relatifs au grief que son mari reçut en novembre 2011. La demanderesse soutient que ni elle ni aucune des personnes présentes à la réunion n’avaient consenti à l’enregistrement. Le 31 janvier 2012, elle déposa une plainte devant la Commission, au motif que le surintendant qui présidait la réunion avait subrepticement enregistré la réunion et avait utilisé l’enregistrement dans une procédure subséquente.

 

[5]               La demanderesse s’est également plainte du fait que l’enregistrement de la réunion, sans son consentement, contrevenait à l’article 184 du Code criminel, LRC 1985, c C-46 (le Code). Elle soutient de plus que la distribution de l’enregistrement et sa transcription contrevenaient à l’article 193 du Code et à l’article 7 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques LC 2000, c 5 (la LPRPDE).

 

[6]               Le sergent Robert Lutzko de la GRC fut chargé d’enquêter sur la plainte de la demanderesse. La demanderesse et les autres participants à la réunion furent interrogés. Les interrogatoires ont été enregistrés, et les enregistrements ont été transcrits.

 

[7]               Le surintendant Fenson et l’adjointe administrative de la fonction publique ont affirmé que les participants à la réunion avaient été informés que la réunion serait enregistrée. Ces deux personnes ont affirmé que le dispositif enregistreur qui fut utilisé était bien en vue sur la table.

 

[8]               Le sergent Lutzko interrogea la demanderesse et son mari, un membre de la GRC. La demanderesse a affirmé au sergent Lutzko qu’on ne lui avait jamais dit que la réunion serait enregistrée. Son mari a affirmé qu’il n’y avait eu aucune discussion, avant ou pendant la réunion, au sujet d’un enregistrement et que, de plus, il n’avait pas remarqué la présence d’un dispositif enregistreur dans la salle.

 

[9]               Le sergent d’état-major Mayrs a affirmé au sergent Lutzko qu’il savait que des notes seraient prises au cours de la réunion et qu’il n’avait pas vu de dispositif enregistreur sur la table.

 

[10]           L’autre membre de la GRC, le sergent Rabut, a affirmé au sergent Lutzko qu’il avait vu l’adjointe administrative de la fonction publique et supposa qu’elle prendrait des notes, bien qu’il ne l’ait pas vue prendre de notes, étant donné qu’il prenait ses propres notes. Il ignorait que la réunion serait enregistrée.

 

[11]           La demanderesse soutient que le président intérimaire a préféré de façon déraisonnable les dépositions du surintendant et de l’employée de la fonction publique à celles des quatre autres participants à la réunion et que, par conséquent, les conclusions factuelles de la décision définitive sont déraisonnables.

 

[12]            Le 11 avril 2012, le surintendant principal Randy Beck fit parvenir les résultats de l’enquête à la demanderesse et l’avisa qu’il ne pouvait soutenir l’allégation de la demanderesse suivant laquelle la réunion avait été subrepticement enregistrée.

 

[13]           Le 3 mai 2012, l’avocat de la demanderesse écrivit à la Commission pour lui demander d’examiner le rapport d’enquête du surintendant principal Beck. L’avocat allègue plusieurs erreurs en fait et en droit dans l’enquête et dans la conclusion du surintendant principal suivant laquelle il ne pouvait soutenir l’allégation. Le 16 août 2012, le président intérimaire rendit sa décision, dans laquelle il concluait que la façon dont la GRC avait réglé la plainte de la demanderesse était raisonnable dans les circonstances.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

 

[14]           La décision faisant l’objet du contrôle a été rendue par le président intérimaire. Le président intérimaire a fait remarquer au début que l’examen était fondé sur la plainte de la demanderesse et sur sa demande d’examen, sur le dossier d’enquête de la plainte du public et sur le rapport final de la GRC. Il remarqua qu’au cours de leurs entrevues avec l’enquêteur, tant le surintendant qui a présidé la réunion que l’employée de la fonction publique responsable de l’enregistrement ont déclaré que le surintendant avait informé les personnes présentes que des notes étaient prises et que la réunion était enregistrée. Ils ont également tous deux indiqué que l’enregistreur était bien en vue tout au long de la réunion. L’employée de la fonction publique fit remarquer qu’en raison de son inexpérience, elle avait tardé à actionner l’enregistreur qui n’avait par conséquent pas enregistré la mise en garde du surintendant les informant que des notes étaient prises et que la réunion était enregistrée.

 

[15]           Les quatre autres personnes qui ont assisté à la réunion ont fait remarquer dans leurs entrevues qu’elles ignoraient que la réunion était enregistrée, bien qu’elles étaient au courant que l’employée de la fonction publique prenait des notes.

 

[16]           En ce qui a trait à l’inquiétude manifestée par la demanderesse selon laquelle l’enregistrement contrevenait à la LPRPDE, le président intérimaire observa par la suite que cette loi ne s’appliquait pas à la GRC. En ce qui a trait à ses représentations suivant lesquelles il y a eu contravention au Code, le président était d’avis qu’il n’avait pas la compétence pour déterminer si la conduite qui faisait l’objet de la plainte contrevenait au Code. Le président intérimaire fit observer que son mandat était de déterminer, lorsqu’on lui en faisait la demande si la façon dont la GRC avait réglé une plainte du public était raisonnable dans les circonstances.

 

[17]            Toutefois, le président intérimaire affirma plus loin que la disposition du Code citée par la demanderesse ne s’appliquait pas à la plainte à l’étude. Il a conclu qu’étant donné que les articles du Code parlaient d’interceptions ou d’enregistrements faits sans l’autorisation de l’initiateur ou du destinataire de la communication et que l’enregistrement sonore s’était fait à la connaissance d’au moins deux des destinataires visés par la communication, cet enregistrement ne faisait pas partie des interceptions interdites prévues au Code.

 

[18]           Le président intérimaire a également conclu que la procédure de règlement des griefs de la GRC était le cadre le plus approprié pour traiter des préoccupations de la demanderesse relativement à l’utilisation des transcriptions. Il a conclu que cette procédure était un forum plus approprié que la procédure des plaintes du public pour traiter des questions relatives à la preuve. Le président intérimaire était par conséquent convaincu que la façon dont la GRC avait réglé la plainte était raisonnable dans les circonstances.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[19]           La demanderesse conteste la décision pour plusieurs motifs. Les principaux motifs sont le manquement à l’équité procédurale résultant du fait que l’enquête est incomplète et deuxièmement, des conclusions de faits déraisonnables fondées sur une appréciation sélective de la preuve.

 

[20]           Il y a deux questions incidentes, à savoir, l’interprétation de certaines dispositions du Code par le président intérimaire et la raisonnabilité de sa conclusion portant sur l’utilisation de l’enregistrement de la réunion en tant qu’élément de preuve dans le cadre d’une procédure de règlement des griefs impliquant le mari de la demanderesse.

 

ANALYSE ET CONCLUSION

 

[21]           Un manquement à l’équité procédurale est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte; voir la décision dans Sketchley c Canada (Procureur général) (CAF), [2006] 3 RCF 392, au paragraphe 53. L’appréciation des faits effectuée par le président intérimaire est quant à elle susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité; voir la décision L’Ecuyer c Canada (2009), 365 FTR 244, au paragraphe 36, et l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 53. La norme de contrôle applicable à l’interprétation que le président intérimaire a faite du Code est celle de la décision correcte; voir la décision Rogers Communications Inc c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, [2012] 2 RCS 283, au paragraphe 14.

 

[22]           Avant d’aborder l’étude du bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire, il est utile de décrire brièvement la procédure de traitements des plaintes de la GRC.

 

[23]           La Commission est un organisme indépendant créé en vertu de l’article 45.29 de La loi sur la Gendarmerie royale du Canada, LRC 1985, c R-10 (la Loi). Aux termes de l’article 45.35 de la Loi, la Commission entend tout membre du public qui a un sujet de plainte concernant la conduite, dans l’exercice de fonctions prévues à la Loi, de toute personne employée sous le régime de la Loi.

 

[24]           La plainte est d’abord soumise au Commissaire de la GRC et fait l’objet d’une enquête. Cette procédure est régie par les règles établies par le Commissaire en vertu de l’article 45.38 de la Loi. Aux termes de l’article 45.4 de la Loi, les résultats de l’enquête et toute mesure prise sont transmis au plaignant sous forme de rapport. Si le plaignant n’est pas satisfait du résultat de l’enquête et du rapport, il peut renvoyer sa plainte devant la Commission pour examen conformément à l’article 45.41.

 

[25]           Aux termes de l’article 45.42 de la Loi, le président de la Commission examine chacune des plaintes qui sont renvoyées devant la Commission conformément à l’article 45.41. Après examen de la plainte, le président de la Commission, s’il est satisfait de la décision de la Gendarmerie, établit et transmet un rapport écrit à cet effet au plaignant, à la personne dont la conduite fait l’objet de la plainte et au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, conformément au paragraphe 45.42(2).

 

[26]           Si, après examen de la plainte, la Commission n’est pas satisfaite des résultats de l’enquête, elle peut, conformément au paragraphe 45.42(3), établir et transmettre un rapport au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile énonçant les conclusions et recommandations relativement à la plainte ou demander au commissaire de la GRC de tenir une enquête plus approfondie sur la plainte. La Commission peut également, à son gré, tenir une enquête plus approfondie ou convoquer une audience pour enquêter sur la plainte.

 

[27]           La demanderesse soutient que l’enquête tenue sur la plainte est incomplète et qu’étant donné que le président intérimaire s’est fondé sur une enquête incomplète, il en est résulté un manquement à l’équité procédurale.

 

[28]           Selon moi, la décision ne révèle aucun manquement à l’équité procédurale.

 

[29]           La décision faisant l’objet du contrôle est celle qui a été rendue par le président intérimaire, et non pas celle du surintendant principal qui a examiné les résultats de la première enquête. Aux termes de la Loi, la Commission a l’obligation d’examiner la plainte et les suites qui y sont données afin de déterminer si l’issue est satisfaisante. Voir la décision dans L’Ecuyer, précitée; confirmée par la Cour d’appel fédérale dans L’Ecuyer c Canada (2010), 425 N R 360.

 

[30]           Le président intérimaire a examiné les résultats de l’enquête et la façon dont la plainte avait été réglée afin de déterminer si l’issue était satisfaisante. Le président intérimaire a conclu que c’était le cas. Par conséquent, je suis convaincue qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale.

 

[31]           Les conclusions de faits du président intérimaire sont raisonnables en regard de la preuve présentée. Ces conclusions sont à l’effet que deux personnes présentes à cette réunion savaient qu’elle était enregistrée. Au moins deux personnes savaient que des notes étaient prises. Je suis d’accord avec le défendeur lorsqu’il affirme que le président intérimaire n’a pas négligé ou fait abstraction de la déposition de la demanderesse, de celle de son mari et des deux autres agents de la GRC. Le président intérimaire a clairement tenu compte des dépositions de ces personnes lorsqu’il a examiné la plainte et a tiré ses conclusions de faits. Le président intérimaire avait l’obligation de soupeser la preuve dont il disposait. Il avait le pouvoir de choisir la version du surintendant Fenson et de l’adjointe administrative de la fonction publique.

 

[32]           Je suis convaincue que le président intérimaire a apprécié les dépositions de tous les témoins et a conclu, en se fondant sur la preuve, qu’il y avait eu consentement à l’enregistrement pour les besoins du Code.

 

[33]           La constatation qui a emporté l’adhésion du président intérimaire est que la façon dont l’enquête avait été menée et celle dont la plainte avait été réglée étaient raisonnables dans les circonstances. L’appréciation des faits à laquelle le président intérimaire a procédé pour en arriver à cette conclusion reposait sur l’enregistrement et était raisonnable.

 

[34]           Le président intérimaire a fait observer avec justesse qu’il n’avait pas le pouvoir de décider si le Code avait été enfreint. La Commission a pour mandat d’examiner les enquêtes sur les plaintes qui sont déposées par le public contre des membres de la GRC. Il n’appartient pas à la Commission de dire si des accusations criminelles peuvent être portées en vertu du Code.

 

[35]           De plus, selon moi, l’interprétation que le président intérimaire a faite du Code dans la présente affaire n’a aucune incidence sur l’issue de la présente demande de contrôle judiciaire.

[36]           Je ne partage pas l’argument de la demanderesse suivant lequel le président intérimaire a tenté de régler la plainte en s’en remettant à un recours qui n’était pas ouvert, à savoir la procédure de règlement des griefs. La mention que le président intérimaire fait de cette procédure comme moyen approprié de traiter des questions relatives à la preuve donne à penser qu’il faisait allusion à toute objection à l’utilisation en preuve de l’enregistrement, dans le cadre de la procédure de règlement des griefs à venir, que la demanderesse pourrait formuler. Le président intérimaire est d’avis que la procédure de règlement des griefs est un forum plus approprié pour traiter de cette question.

 

[37]           Quoi qu’il en soit, cette question n’occupe pas une place déterminante dans la décision du président intérimaire. Toute lacune à cet égard ne rend pas la décision prise dans son ensemble déraisonnable pour autant. Le fondement même de la décision faisant l’objet du contrôle est que l’enquête et le règlement de la plainte de la demanderesse étaient raisonnables dans les circonstances. Compte tenu du dossier dont le président intérimaire était saisi, je suis convaincue que la conclusion était raisonnable.

 

 

[38]           La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par l’article 400 des Règles, je ne rendrai aucune ordonnance quant aux dépens.

 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré par l’article 400 des Règles, je ne rends aucune ordonnance quant aux dépens.

 

 

 

 

«E. Heneghan»

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

C. Laroche

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :

T-1691-12

 

INTITULÉ :

SHELLEY GORDON c

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                                        Saskatoon (Saskatchewan)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                                        LE 12 SEPTEMBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LA JUGE

 HENEGHAN

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

                                                            LE 4 AVRIL 2014

COMPARUTIONS :

Marcus R. Davies

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Don Klaassen

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bainbridge Jodouin Cheecham

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

William F. Pentney

Sous-procureur general du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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