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Date : 20140410


Dossier :  

T-1231-13

 

Référence : 2014 CF 351

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2014

 

En présence de monsieur le juge Rennie

 

 

ENTRE :

MARIA SNOOK

 

demanderesse

et

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

 

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.                   Aperçu

[1]               La Commission canadienne des droits de la personne (CCDP ou la Commission) a décidé de ne pas réactiver une plainte déposée devant elle par la demanderesse, Maria Snook. Elle en a décidé ainsi parce qu’elle a conclu que le processus de révision interne dont Mme Snook s’est prévalue en vertu de la convention collective conclue entre son syndicat et la Société canadienne des postes (Postes Canada) avait disposé des allégations de discrimination formulées dans la plainte. En concluant ainsi, la Commission a exercé le pouvoir discrétionnaire que l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC1985, c H-6 (la Loi), lui confère. Ledit alinéa est ainsi libellé : 

41. (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 

[…]

 

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

41. (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

 

[…]

 

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith;

[2]               Mme Snook se fonde sur l’alinéa 18(1)d) de la Loi sur les Cours fédérales pour demander le contrôle judiciaire de cette décision.   

II.                Les faits

[3]               La demanderesse a déposé une plainte auprès de la Commission en avril 2011. Elle alléguait que son employeur, Postes Canada, avait enfreint l’article 7 de la Loi en commettant un acte discriminatoire à son endroit en raison de son incapacité. À cette époque, la Commission a décidé de ne pas se saisir de la plainte tant que le grief pendant portant sur la même question n’aurait pas été réglé dans le cadre de la procédure interne de règlement de griefs. Mme Snook fut avisée qu’elle pourrait s’adresser à nouveau à la Commission et réactiver sa plainte lorsqu’une décision aurait été rendue sur son grief. 

[4]               Mme Snook fut renvoyée chez elle le 29 mars 2010 parce que, selon son superviseur, on ne pouvait lui confier aucune tâche qu’elle pouvait accomplir. Elle s’absenta du travail jusqu’au 2 juillet 2010 lorsqu’elle entreprit une formation pour un nouveau poste permanent qu’elle commença à occuper le 19 juillet 2010; 

[5]               Le fondement de la plainte déposée par Mme Snook auprès de la Commission est qu’en la revoyant chez elle, sans travail, pour la durée de son absence, Postes Canada a contrevenu à l’article 7 de la Loi en manquant à son obligation d’accommodement. Plus particulièrement, au cours de la période allant du 29 mars 2010 au 2 juillet 2010, Postes Canada a confié à d’autres personnes des tâches qu’elle pouvait accomplir. Elle aurait donc pu accomplir des tâches adaptées.

[6]               L’affaire a suivi la procédure interne de règlement de griefs de Postes Canada comme suit : 

[7]               Premièrement, les parties ont eu recours à la médiation. La médiation a échoué. 

[8]               Ensuite, les parties ont eu recours à l’arbitrage. Le représentant du syndicat qui représentait Mme Snook, monsieur Craig Dyer, et la représentante de Postes Canada, Mme Ellen Campbell, ont fait valoir leurs prétentions devant l’arbitre. Une entente est intervenue et une sentence arbitrale constatant l’accord des parties fut rendue le 31 mai 2012. La sentence était ainsi libellée :

[traduction]

Le grief no 126-07-01131 est réputé réglé en vertu de la présente sentence arbitrale constatant l’accord des parties. 

L’audition devait se tenir devant l’arbitre Mac Lellan le 29 mai 2012. Des pourparlers ont eu lieu à la demande des parties qui en sont arrivées à une entente aux termes de laquelle la plaignante recevra soixante-dix (70) jours de salaire correspondant à huit heures par jour, du 29 mars 2010 au 2 juillet 2010, rémunérées au taux correspondant à celui d’un facteur de relève pour l’année 2010.    

Aucuns dommages ne sont accordés en vertu de la convention collective. 

[9]               La question des dommages fut soumise au médiateur et à l’arbitre. Selon la preuve soumise par Mme Ellen Campbell, agente des relations du travail pour Postes Canada, l’arbitre, se fondant sur ce que les parties lui ont dit, a mentionné que s’il devait instruire le grief, la compensation qu’il accorderait ne dépasserait pas la perte de salaire.   

[10]           La preuve n’est pas contestée.

[11]           Il y avait accord sur le fait que le montant versé aux termes de la sentence devait servir au remboursement du salaire et des avantages que Mme Snook aurait perçus si elle avait travaillé entre le 29 mars 2010 et le 2 juillet 2010, la période visée dans la plainte déposée en vertu de la LCDP. Toutefois, suite à la sentence arbitrale, Mme Snook s’est adressée à nouveau à la Commission pour lui demander de réactiver sa plainte pour cause de discrimination, ce que la Commission a refusé de faire. Elle a décidé de ne pas réactiver la plainte parce que le grief et l’arbitrage soulevaient « essentiellement les mêmes questions relatives aux droits de la personne que celles soulevées dans la plainte ». Deuxièmement, il faut souligner que la Commission a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Lors de la médiation, la plaignante a décidé de rejeter l’offre du défendeur de lui verser une compensation en échange du retrait de la présente plainte. Elle a semble-t-il estimé qu’en acceptant l’offre elle cautionnerait en quelque sorte le traitement censément discriminatoire que le défendeur lui a fait subir, et que celui-ci pourrait en profiter pour faire subir le même traitement à d’autres employés invalides. Toutefois, la présente plainte s’apparente à un litige privé entre les parties et ne soulève pas de questions de discrimination systémique. Le règlement amiable d’un grief ne peut être interprété comme un aveu de responsabilité  ou de faute de la part de l’une ou l’autre des parties. 

[12]           La demanderesse a essentiellement prétendu devant la Cour que, contrairement au Tribunal canadien des droits de la personne, l’arbitre ne peut pas accorder des dommages-intérêts en vertu de la convention collective, la procédure interne de règlement de griefs ne constitue pas une solution de rechange acceptable étant donné qu’elle ne prévoit pas de redressement à l’encontre de la conduite discriminatoire de Postes Canada. En outre, elle soutient que la décision de régler selon les termes de la sentence arbitrale rendue suite à l’accord des parties fut celle de son syndicat et non la sienne. Selon Mme Snook, la question de l’atteinte à sa dignité, que l’article 7 vise à protéger, n’a jamais été réglée et seul l’octroi de dommages-intérêts pourrait constituer un dédommagement acceptable.    

III.             Analyse

[13]           La question dont notre Cour est saisie consiste à déterminer si la décision de la Commission est raisonnable. Dans Kwon c Federal Express Canada Ltd, 2014 CF 268, le juge Richard Mosley a passé en revue la jurisprudence relative à la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission rendues en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi et a conclu, au paragraphe 13, qu’il s’agit de la norme de la raisonnabilité. Je suis de cet avis. 

[14]           Trois principes portant sur l’évaluation de la raisonnabilité dans le cadre d’un grief relatif au milieu de travail trouvent application aux présentes. Premièrement, un arbitre appelé à trancher un grief en milieu de travail a le pouvoir de mettre en œuvre et de faire respecter les droits et obligations substantiels prévus par les lois sur les droits de la personne et dispose d’une vaste compétence pour apporter des redressements lorsque la convention collective est enfreinte : Parry Sound (District), Conseil d'administration des services sociaux c S.E.E.F.P.O., section locale 324, 2003 CSC 42, [2003] 2 RCS 157. Deuxièmement, dans Colombie-Britannique (Workers' Compensation Board) c Figliola, 2011 CSC 52, [2011] 3 RCS 422, la Cour suprême du Canada énonce clairement que l’application de la norme de la raisonnabilité doit être guidée par des considérations d’intérêt public, telle l’importance du caractère définitif des décisions. Troisièmement, raisonnabilité n’est pas synonyme de satisfaction complète et consécration sur toutes les questions du point de vue de l’une des parties. Tel que le juge André Scott (maintenant juge à la Cour d’appel) le fait remarquer dans Lawrence c Société canadienne des postes, 2012 CF 692 aux paragraphes 44-47, le fait que des dommages-intérêts ou des lettres d’excuses ne se retrouvent pas dans un règlement ne signifie pas qu’ils n’ont jamais fait l’objet de discussions, il conclut comme suit : « de par sa nature même, un règlement est un compromis ». 

[15]           Cette dernière remarque est tout à fait pertinente en l’espèce. La question des dommages‑intérêts a été discutée au cours de la médiation. Postes Canada Post a offert de verser des dommages-intérêts à Mme Snook en échange du retrait de la plainte déposée en vertu de la LCDP. Toutefois, Mme Snook a rejeté l’offre. Dans son affidavit du 12 août 2013, Mme Snook a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION] Toute considération de ma part et de celle de tous les employés d’une telle tentative par la SCP d’acheter mon silence pour dissimuler l’atteinte aux droits garantis par la Charte ne serait pas dans le meilleur intérêt de la confiance du public. Il serait contraire à l’éthique que j’attache un prix aux principes de justice fondamentale que j’estime inappréciables. La rançon que la SCP m’a offerte en échange du retrait de mes plaintes devant la Commission canadienne des droits de la personne a été refusée.   

[16]           L’affirmation par la demanderesse de son attachement aux principes et au bien-être de ses collègues de travail est digne de mention. Toutefois, ici comme dans la vie, l’attachement aux principes a souvent un prix. Aux présentes toutefois la décision de rejeter une offre présentée dans le cadre d’une médiation et d’un règlement constitue un élément important de la trame factuelle qui sous-tend l’évaluation du caractère raisonnable de la décision. De plus, les motifs pour lesquels la Commission a rejeté la demande de réactivation de la plainte de Mme Snook mentionnent spécifiquement l’offre de dommages-intérêts qu’elle a refusée, ce qui constitue le fondement intelligible, transparent et justifiable de la décision de la Commission.

[17]           Les faits de la présente affaire sont analogues à ceux exposés au juge James O’Reilly dans Verhelle c Société canadienne des postes, 2010 CF 416. Dans cette affaire on soutenait que le refus de la Commission d’entendre une plainte au motif qu’une sentence arbitrale avait été rendue était déraisonnable étant donné que ladite sentence n’avait pas traité spécifiquement de deux des nombreux griefs dont l’arbitre était saisi, et qu’elle n’avait pas non plus traité de la perte de la pension et d’autres avantages. En rejetant la demande, le juge O’Reilly a concentré son analyse sur le fondement factuel de la plainte et non sur le résultat. Il s’agissait de déterminer s’il était raisonnable pour la Commission de conclure que : « l’essence même [du] différend avec Postes Canada avait été tranchée dans le cadre du processus de règlement des griefs ». Dans le cas de Mme Snook « l’essence » de son différend a également été tranchée dans le cadre du processus de règlement des griefs et la décision de la Commission de ne pas réactiver sa demande était par conséquent raisonnable.

[18]           La Commission a fondé sa décision sur l’ensemble du dossier dont elle était saisie, à savoir le refus de Postes Canada de prendre des mesures d’accommodement pour la période allant du 29 mars 2010 au 2 juillet 2010, sa réintégration dans un poste permanent adapté et la sentence arbitrale rendue suite à l’accord des parties qui l’a remise dans la position antérieure. La Commission a également examiné les représentations de la demanderesse et de Postes Canada portant sur la question de savoir si la procédure de règlement des griefs et l’arbitrage avaient permis de trancher de façon satisfaisante la plainte relative aux droits de la personne qui sous‑tendait la plainte. La Commission a répondu par l’affirmative. Tel que le juge James Russell l’écrivait dans Chan c Canada (Procureur général), 2010 CF 1232, la question qui se pose est de savoir si la Commission « a examiné » la question de savoir si la plainte relative aux droits de la personne a été traitée dans le cadre de la procédure de rechange.

[19]           Il est important de comprendre, lorsque l’on procède à l’analyse de la raisonnabilité d’une décision de ne pas instruire une plainte, que l’alinéa 41(1)d) de la Loi agit comme un filtre. Il permet à la Commission de déterminer si l’essence d’une plainte relative aux droits de la personne a été traitée de façon satisfaisante par le biais d’une procédure parallèle. La Commission n’est pas obligée de faire enquête sur chaque plainte ou de s’assurer que le redressement que la solution de rechange a pu apporter correspond en tout point à celui que le Tribunal aurait pu apporter. La Commission doit plutôt voir si on retrouve à première vue le motif énoncé à l’alinéa 41(1)d) : English-Baker c Canada (Procureur général), 2009 CF 1253,au paragraphe 18.

IV.             Conclusion

[20]           La Commission a décidé de ne pas réactiver la plainte de Mme Snook étant donné qu’elle a été tranchée par la procédure d’arbitrage. La décision de la Commission prise en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).  Les motifs pour lesquels la Commission en est arrivée à cette conclusion sont intelligibles, transparents et peuvent se justifier au regard des faits et du droit. En d’autres mots, la décision de la Commission est raisonnable. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. 

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.             La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.             Des dépens de 1000 $ sont accordés au défendeur. 

 

 

 

 

« Donald J. Rennie »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-1231-13

 

INTITULÉ :

MARIA SNOOK c SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Saint-JEAN, NOUVEAU-Brunswick

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 16 JanVIER 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

                                                            LE JUGE RENNIE

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 10 AVRIL 2014

COMPARUTIONS :

Maria Snook

 

LA DEMANDERESSE

 

Peter Lecain

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cox & Palmer

Halifax (Nouvelle-Écosse)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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