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Date : 20140410


Dossier :

T-1215-13

Référence : 2014 CF 350

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 10 avril 2014

En présence de monsieur le juge Manson

 

ENTRE :

PATRICIA BERNARD

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un membre désigné de la Commission d’appel des pensions [la Commission], présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Le 19 mars 2013, la Commission a refusé de proroger le délai d’appel d’une décision du tribunal de révision du Régime de pensions du Canada [le tribunal de révision] rendue le 27 août 2012.

I.                   Question

[2]               La question soulevée dans la présente demande s’énonce comme suit :

         La décision de la Commission de refuser à la demanderesse une prorogation du délai pour demander l’autorisation d’interjeter appel de la décision du tribunal de révision est-elle déraisonnable? 

II.                Historique

[3]               Le 8 novembre 2010, la demanderesse a fait une demande de prestations d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada [RPC] car elle souffrait du syndrome du canal carpien et d’une dépression sévère. Elle avait auparavant travaillé dans un centre d’appels et travaillé comme nettoyeuse et a subi une opération aux poignets en 2007 et 2008.  

[4]               Dans une lettre datée du 10 janvier 2011, un représentant de Service Canada [le représentant] a refusé la demande de prestations d’invalidité de la demanderesse au motif qu’elle n’avait fourni aucun renseignement voulant qu’elle eût été dirigée vers un spécialiste pour sa dépression ou que son syndrome du canal carpien l’empêchait d’accomplir d’autres tâches. Se fondant sur ce qui précède, le représentant a conclu  qu’il existait d’autres options de traitement et que, par conséquent, la demanderesse n’avait pas démontré que son invalidité était « grave » aux termes du Régime de pensions du Canada, LRC1985, c C-8 [la Loi].

[5]               Le 2 août 2011, la demanderesse a interjeté appel de la décision du représentant auprès du tribunal de révision. Le 27 août 2012, le tribunal de révision a rejeté l’appel de la demanderesse au motif que son invalidité n’était pas grave au moment de sa période minimale d’admissibilité, le 31 décembre 2011.

[6]               Le 30 novembre 2012, l’avocat de la demanderesse a demandé une prorogation du délai pour demander l’autorisation d’interjeter appel de la décision du tribunal de révision jusqu’au 31 janvier 2013. 

[7]               Dans une lettre datée par erreur du 11 décembre 2011, les parties s’entendant pour dire qu’il s’agit plutôt du 11 décembre 2012, le gouvernement faisait remarquer que la demande de prorogation de délai de la demanderesse avait été reçue deux jours après l’expiration du délai de quatre-vingt-dix jours prévu pour interjeter appel d’une décision du tribunal de révision, tel que stipulé alors au paragraphe 83(1) de la Loi. Au vu de la situation, le gouvernement a demandé à la demanderesse de faire parvenir ses observations au plus tard le 31 janvier 2013, sur les quatre critères décrits dans Grewal c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] 2 CF 263 (CAF) et reformulés dans Canada (Ministre du développement des ressources humaines) c Gattellaro, 2005 CF 883 [Gattellaro]. Les critères énoncés dans Gattellaro balisent le pouvoir discrétionnaire dont la Commission jouit pour décider de la prorogation du délai pour demander l’autorisation d’interjeter appel : 

         Il y a intention persistante de poursuivre la demande ou l’appel; 

         La cause est défendable;

         Le retard a été raisonnablement expliqué;

         La prorogation du délai ne cause pas de préjudice à l’autre partie.   

[8]               La Commission a conclu que les quatre critères énoncés dans Gattellaro étaient présents, sauf celui portant sur la question de savoir si l’appel de la demanderesse constitue une cause défendable. La Commission a fait remarquer que le précédent établi par Callihoo c Canada (Procureur général), [2000] ACF no 612 guide l’application de ce critère. Le paragraphe 22 de Callihoo est ainsi libellé : 

En l’absence d’une nouvelle preuve importante qui n’aurait pas été examinée par le tribunal de révision, une demande d’autorisation a des chances sérieuses d’être accueillie lorsque le décideur conclut qu’il en ressort une question ou une erreur de droit, appréciée en vertu de la norme de la décision correcte, ou une erreur de fait importante commise de façon déraisonnable ou arbitraire à la lumière de la preuve […]Le décideur en l’espèce a conclu qu’il ne ressortait aucune erreur de la demande d’autorisation. La décision portant sur la demande d’autorisation ne contient aucune erreur qui justifierait l’intervention de la Cour.

[9]               Les observations que la demanderesse a soumises à la Commission portant sur la question de savoir si la demande constitue une cause défendable étaient : 

[TRADUCTION] Mme Bernard fait appel de la décision du tribunal de révision qui a rejeté sa demande de pension d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Elle nous avise que sa condition a empiré depuis l’audition du tribunal de révision qui a eu lieu à Winnipeg, Manitoba, le 4 juillet 2012 et qu’elle déposera d’autres éléments de preuve médicale au soutien de sa cause. Le tribunal de révision avait conclu que toutes les méthodes de traitement n’avaient pas été essayées par l’appelante au regard de ses troubles médicaux à long terme. Mme Bernard nous a informés qu’elle avait subi d’autres tests et traitements et que son état de santé avait empiré. On a prétendu qu’il existe une cause défendable voulant que que Mme Bernard sera admissible à une pension d’invalidité du RPC lorsque la nouvelle preuve médicale sera soumise à l’appui de sa cause.    

[10]           La Commission a conclu :

16        Je ne vois rien dans le dossier complet qui m’a été soumis qui me permettait de penser que la demanderesse a une cause défendable selon les principes de droit énoncés dans le jugement Callihoo. 

17        Il n’y a aucune preuve importante nouvelle ou additionnelle qui n’a pas été prise en compte par le TR. 

18        Selon moi, il n’y a pas d’erreur de droit eu égard à la norme de la décision correcte et le TR a appliqué aux faits le droit pertinent. 

et a donc rejeté la demande de prorogation de délai. 

III.             Norme de contrôle

[11]           La demanderesse soutient que la norme de contrôle judiciaire applicable à la demande faisant l'objet du contrôle est celle de la décision correcte, étant donné que la question à trancher consiste à déterminer si la Commission a pris en compte les éléments de droits pertinents à l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (Canada (Procureur général) c Pentney, 2008 CF 96, aux paragraphes 26 et 27).

[12]           Toutefois la décision Pentney précède l’arrêt Dunsmuir c New Brunswick, 2008 CSC 9, et d’autres décisions qui ont modifié la norme de contrôle applicable à une décision portant sur une prorogation de délai en vertu de ce qui était alors le paragraphe 83(1) de la Loi. La norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la raisonnabilité (Villeneuve c Canada (Procureur général), 2013 CF 498 au paragraphe 20; Dunsmuir au paragraphe 47).

IV.             Analyse

[13]           En ce qui a trait au pouvoir discrétionnaire dont la Commission est investie pour accorder une prorogation de délai dans la présente affaire, les parties s’entendent pour dire que la Commission tient pour acquis que la demanderesse satisfait à trois des quatre critères énoncés dans la décision Gattellaro. Le débat porte uniquement sur le caractère raisonnable de la conclusion de la Commission suivant laquelle la demanderesse n’a pas établi qu’elle avait une cause défendable. 

[14]           En outre, l’application que la Commission doit faire du critère énoncé dans Gattellaro doit être guidée par l’assurance que justice sera rendue entre les parties lorsqu’elle est appelée à se prononcer sur une demande de prorogation de délai (Chan c Canada (Procureur général), 2013 CAF 130, au paragraphe 5).

[15]           Le défendeur soumet à titre de question préliminaire que les paragraphes 25-28 de l’affidavit de la demanderesse et les éléments de preuve contenus à la pièce I produite au soutien de son affidavit sont inadmissibles étant donné qu’ils n’ont pas été soumis au décideur (TG c Canada (Procureur général), 2013 CAF 254, aux paragraphes 3-4).

[16]           Je suis d’accord pour dire que ces éléments de preuve n’ont pas été soumis à la Commission et ne devraient pas être pris en compte aux fins de la présente demande. Bien que la demanderesse ait porté à mon attention la décision rendue dans Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22, au paragraphe 26, l’exception décrite dans cette affaire ne s’applique pas en l’espèce. 

[17]           Le défendeur soutient que la demande de prorogation de délai de la demanderesse ne répond à aucun des critères servant à établir qu’elle a une cause défendable tel qu’énoncés dans Callihoo. Elle n’a soumis aucune preuve importante nouvelle ou additionnelle qui n’a pas été prise en compte par le tribunal de révision, et n’a fait valoir aucune erreur de droit ou de fait qui serait déraisonnable à la lumière de la preuve.

[18]           Le défendeur fait remarquer qu’il ne suffisait pas à la demanderesse d’affirmer qu’une nouvelle preuve venant étayer sa demande serait soumise prochainement. La demanderesse devait plutôt soumettre une nouvelle preuve à la Commission (Villeneuve, au paragraphe 46). La Commission a clairement mentionné qu’aucune preuve nouvelle ne lui avait été soumise au moment de rendre sa décision.  

[19]           Le défendeur prétend également que les autres éléments pertinents soumis par la demanderesse sont privés de leur pertinence par la conclusion de la Commission suivant laquelle la demanderesse n’a pas démontré qu’elle avait une cause défendable. De même, l’allègement du fardeau de la preuve en appel n’est d’aucun secours à la demanderesse étant donné qu’elle n’a démontré aucune cause défendable.  

[20]           Enfin, le défendeur soutient que le tribunal de révision, dans le raisonnement qui l’a amené à cette conclusion, n’a commis aucune erreur qui donnerait ouverture à une conclusion à l’effet que la demanderesse a démontré qu’elle avait une cause défendable au vu des faits étant donné que les motifs du tribunal de révision expliquent suffisamment le fondement probatoire de sa décision

[21]           Je suis d’avis qu’aucune preuve importante, nouvelle ou additionnelle, établissant l’existence d’une cause défendable n’a été soumise à la Commission. La prétention de la demanderesse devant la Commission reposait sur une promesse de preuve à venir qui aurait établi qu’elle avait une cause défendable. La Commission a conclu de façon raisonnable qu’une telle preuve par anticipation ou hypothétique ne suffit pas à démontrer qu’il existe une cause défendable tel que notre Cour l’a décidé dans Villeneuve au paragraphe 46. De plus, la preuve nouvelle que la demanderesse souhaitait produire ne porte pas sur la période sur laquelle le tribunal de révision s’est penché. 

 

[22]           Il se peut que la Commission ait commis une erreur en concluant qu’il n’existait pas de cause défendable en se fondant sur le fait que la demanderesse n’avait pas démontré que le tribunal de révision avait commis une erreur de fait ou de droit dans le raisonnement qui l’a mené à sa décision. Je ne crois pas que cela soit le cas. Bien que la demanderesse soulève des erreurs de fait dans son mémoire des faits et du droit, cela n’a pas été soulevé devant la Commission, la demanderesse se fondant exclusivement sur le fait qu’elle soumettrait prochainement une preuve additionnelle.  

[23]           Au vu de ce qui précède, je ne crois pas que la façon dont la Commission s’est prononcée sur le critère de la cause défendable énoncé dans Gattellaro, tel que décrit dans Callihoo, soit déraisonnable. Étant donné qu’il n’appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau les éléments pris en considération par la Commission, je conclus que la décision de la Commission dans son ensemble était également raisonnable.

[24]           Enfin, bien que l’on puisse raisonnablement inférer que la Commission a estimé que les critères énoncés dans Gattellaro étaient conjonctifs plutôt que disjonctifs, je ne crois pas que cela porte un coup fatal à la décision définitive.


LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Michael D. Manson »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

 

 

 

DOSSIER :

T-1215-13

 

INTITULÉ :

BERNARD c PGC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 AVRIL 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 10 aVril 2014

 

COMPARUTIONS :

SHIRLEY VAN SCHIE

POUR LA DEMANDERESSE

PATRICIA BERNARD

 

MARTIN KREUSER

 

POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

WILLOW COMMUNITY LAW CENTRE

Avocats

Winnipeg (Manitoba)

 

POUR LA DEMANDERESSE

SHIRLEY VAN SCHIE

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada 

Gatineau (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

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