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Date : 20140404


Dossier :

IMM-6236-13

 

Référence : 2014 CF 334

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE ,NON RÉVISÉE]

 

Ottawa (Ontario), le 4 avril 2014

 

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

 

ENTRE :

ERSIN ARPA

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

I.   Introduction

  • [1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], d’une décision rendue le 29 août 2013 par Edward Aronoff, de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié qui a conclu que Ersin Arpa n’était pas un réfugié au sens de l’article 96 de la LIPR ni une personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR.

 

II.  Les faits

  • [2] Le demandeur est un citoyen turc de 27 ans. Il est de religion musulmane et appartient à l’ethnie kurde.

 

  • [3] Il est arrivé au Canada le 29 août 2011 muni d’un visa de visiteur et a demandé l’asile en invoquant son appartenance à l’ethnie kurde et son objection de conscience au service militaire.

 

  • [4] L’audience devant la SPR a eu lieu le 31 juillet 2013. Lors de l’audience, le demandeur a allégué ce qui suit. En 2006 on lui a demandé de se rapporter à l’inspection pour son service militaire. Afin d’éviter le service militaire, le demandeur s’est rendu au Royaume-Uni muni d’un visa de visiteur où il est demeuré statut juridique jusqu’en octobre 2008. Il a alors été déporté vers la Turquie où il a été détenu à son arrivée parce qu’il n’avait pas fait son service militaire. Il a été libéré après avoir versé un pot-de-vin et s’est engagé à se rapporter au bureau local des forces armées une semaine plus tard. Au lieu de se rapporter au bureau des forces armées, le demandeur s’est inscrit à des cours universitaires, ce qui a amené l’armée à lui accorder un report de son service militaire jusqu’au 1er janvier 2013. Il soutient qu’il craint d’être arrêté, torture ou tué en détention s’il doit retourner en Turquie. Il affirme qu’il craint avec raison d’y être persécuté en raison de ses opinions politiques à titre d’objecteur de conscience et en raison de sa race et de sa nationalité kurde. Il soutient également qu’il serait soumis à des conditions d’emprisonnement pénibles et cruelles qui constitueraient des traitements ou peines cruels et inusités s’il devait retourner en Turquie.

 

 

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

  • [5] La SPR ne remet pas en question l’identité du demandeur.

 

  • [6] La SPR a affirmé que le statut d’objecteur de conscience n’est pas un droit internationalement reconnu et que la crainte d’être poursuivi pour ne pas avoir répondu à l’appel de mobilisation ne suffit pas à démontrer qu’il existe une crainte fondée de persécution. On a jugé nécessaire de déterminer si le demandeur était bien un objecteur de conscience étant donné que la jurisprudence circonscrit étroitement la portée de cette notion. À cet égard, le demandeur n’a soumis aucune preuve à l’effet qu’il avait de profondes convictions religieuses ou qu’il appartenait à un regroupement d’objecteurs de conscience, il n’a jamais fait part de ses opinions à ce sujet à qui que ce soit et au lieu de dire à l’armée qu’il était opposé au service militaire obligatoire, il a à une occasion fui le pays et à une autre occasion il s’est inscrit à l’université pour obtenir un report.

 

  • [7] La SPR a établi que le fait d’être poursuivi pour insoumission n’est généralement pas considéré comme de la persécution. Le demandeur avait le fardeau de prouver que sa situation constituait véritablement un cas de persécution. Selon la preuve documentaire, le défaut de se soumettre à la loi turque qui rend le service militaire obligatoire peut résulter en une sentence allant d’un à 36 mois de prison. En vertu de la jurisprudence applicable, même si le demandeur devait être condamné à 36 mois de prison, cela ne constituerait pas de la persécution.

 

  • [8] Le demandeur s’en remet également à certaines décisions particulières qui figurent dans les cartables nationaux de documentation et qui, allègue-t-il, étayent sa prétention suivant laquelle, à titre d’objecteur de conscience, il serait soumis à des conditions de détention pénibles et cruelles qui équivaudraient à un traitement ou une peine cruel et inusité. La SPR a conclu que ces décisions représentaient des cas isolés. Le demandeur a tout simplement omis de produire une preuve suffisante pour démontrer qu’il était vraiment un objecteur de conscience.

 

  • [9] En ce qui a trait à la prétention du demandeur suivant laquelle il serait victime de discrimination équivalant à de la persécution étant donné qu’il est Kurde, la SPR a fait remarquer que le demandeur n’avait pas produit de preuve suffisante pour établir la persécution.

 

  • [10] La SPR a donc conclu, par prépondérance des probabilités, qu’il y avait peu de chances ou de possibilité sérieuses que le demandeur soit persécuté s’il devait retourner en Turquie et qu’il était plus probable qu’improbable que le demandeur ne serait pas personnellement exposé à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités ou encore d’être soumis à la torture.

 

IV.  Observations du demandeur

  • [11] Le demandeur soutient que la conclusion du tribunal suivant laquelle il n’est pas un objecteur de conscience étant donné qu’il n’a pas démontré qu’il avait des convictions sincères et étant donné qu’il avait « respecté le système afin de reporter son service militaire » est déraisonnable. Il est bien établi que la loi turque ne reconnaît pas l’insoumission et que le demandeur n’a eu recours qu’à des moyens légaux pour reporter son service : entreprendre des études. Le demandeur soutient également que la conclusion de la SPR suivant laquelle il aurait dû faire part de ses croyances à l’armée ou les publiciser était déraisonnable étant donné que cela l’aurait exposé à un bien pire traitement.

 

  • [12] En outre, le demandeur soumet que la SPR a commis une erreur en concluant que les décisions relatives aux objecteurs de conscience que le demandeur a soumises étaient des cas isolés, étant donné qu’il existe une preuve certaine que les objecteurs de conscience sont fréquemment exposés à de mauvais traitements lorsqu’ils sont détenus.

 

  • [13] Le demandeur soumet également que la SPR a agi de façon déraisonnable en omettant de prendre en compte la preuve documentaire pour en arriver à la conclusion qu’il ne serait pas persécuté en raison de son appartenance à l’ethnie kurde.

 

V.  Observations du défendeur

  • [14] Le défendeur soutient que la décision de la SPR est raisonnable et reflète fidèlement la preuve soumise. La conclusion suivant laquelle le demandeur n’est pas un objecteur de conscience est tout à fait raisonnable au vu de la preuve soumise par le demandeur qui avait le fardeau de prouver la sincérité de ses convictions. Qui plus est, il appartenait également au demandeur de démontrer que son refus de faire son service militaire l’exposerait à la persécution, ce qu’il n’a pas fait.

 

  • [15] La conclusion de la SPR suivant laquelle la sentence, allant d’un à 36 mois d’emprisonnement, pouvant résulter de l’insoumission ne constitue pas de la persécution et est conforme à la jurisprudence. En outre, le demandeur avait le fardeau d’établir que son refus de faire son service militaire obligatoire l’expose à un châtiment plus sévère en raison de sa situation personnelle, ce qu’il n’a pas fait.

 

  • [16] En ce qui a trait à l’appartenance du demandeur à l’ethnie kurde, son formulaire de renseignements personnels [FRP] ne contient aucune information relative à cette allégation. Il n’a soumis aucune preuve établissant qu’il est personnellement exposé à un risque en raison de son ethnicité.

 

VI.  Questions en litige

  • [17] Cette demande de contrôle judiciaire soulève trois questions :

 

  1. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas un objecteur de conscience?

    1. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que la peine pour insoumission prévue par la loi turque n’équivalait pas à de la persécution ?

    2. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas établi qu’il serait persécuté en raison de son appartenance à l’ethnie kurde?

 

VII.  Norme de contrôle

[18]  La norme de la raisonnabilité s’applique à toutes les conclusions de la SPR relatives à la demande d’asile du demandeur (voir par exemple Sahin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 990, au paragraphe 8, [2013] ACF no 1088; Etiz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 308, aux paragraphes 16-17, [2013] ACF no 333). Il en résulte donc que la Cour n’interviendra que si les conclusions sont déraisonnables au point de ne pas appartenir « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau- Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] ACF no 9).

 

VIII.  Analyse

  • [19] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal conclut que la décision de la SPR est raisonnable.

A. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’était pas un objecteur de conscience? 

[20]  La conclusion de la SPR suivant laquelle le demandeur n’est pas un objecteur de conscience étant donné qu’il n’a pas établi la sincérité de ses convictions est raisonnable. Il est bien établi qu’un demandeur ne peut se voir accorder l’asile au motif qu’il refuse de servir dans l’armée de son pays (Lebedev c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 728, au paragraphe 14, [2007] ACF no 975 [Lebedev]). Il y a des exceptions à cette règle générale, y compris celle relative aux « objecteurs de conscience », notion que la Cour limite « aux cas où le demandeur refuse toute participation à une action militaire en raison de ses convictions sincères, que celles-ci reposent sur des croyances religieuses ou des considérations d’ordre philosophique ou éthique » (Lebedev, précitée, au paragraphe 46).

 

  • [21] Dans la présente affaire, le demandeur n’a soumis aucune preuve démontrant qu’il refuse de faire son service militaire obligatoire en raison de convictions qui reposent sur ses croyances religieuses ou des considérations d’ordre philosophique ou éthique. La SPR a examiné la preuve et a conclu raisonnablement, en l’absence de preuve, que le demandeur n’était pas un « objecteur de conscience ». La SPR a indiqué qu’il n’y avait aucun élément de preuve démontrant, entre autres choses, que le demandeur avait des croyances religieuses bien enracinées, qu’il appartenait à un regroupement d’objecteurs de conscience, ou qu’il avait déjà publiquement déclaré qu’il s’objectait à servir dans l’armée. Sans égard aux arguments du demandeur suivant lesquels la SPR ne devait pas s’attendre à ce qu’il dévoile ses croyances aux autorités militaires étant donné qu’en agissant ainsi il se serait exposé à un danger encore plus grand, il convient de souligner qu’il doit à tout le moins y avoir des éléments de preuve au dossier qui démontrent que le demandeur est vraiment un objecteur de conscience. Il n’y en a toutefois aucun. Compte tenu des faits en l’espèce, les conclusions de la SPR appartiennent aux issues possibles acceptables.

 

  B.   La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que la peine pour insoumission prévue par la loi turque n’équivalait pas à de la persécution?   

 

  • [22] La SPR n’a pas commis d’erreur en concluant ainsi étant donné que cette conclusion est conforme à la jurisprudence applicable. Tel que le défendeur l’a bien résumé, le statut d,objecteur de conscience n’est pas un droit internationalement reconnu (Hinzman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 420, au paragraphe 207, [2006] ACF no 521 [Hinzman]), et elle ne suffit pas à établir une crainte fondée de persécution(voir Karen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1217, au paragraphe 18, [2011] ACF no 1486 [Karen]; Mohilov c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1292, au paragraphe 33, [2008] ACF no 1645).

 

  • [23] La Cour d’appel fédérale a conclu que la poursuite et l’emprisonnement des personnes qui refusent de faire leur service militaire rendu obligatoire aux termes d’une loi d’application générale ne constitue pas de la discrimination au sens de la Convention (Ates c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 322, [2005] ACF no 1661). Par conséquent, il appartenait au demandeur de démontrer à la SPR [TRADUCTION] « que la sentence à laquelle il était exposé équivalait à de la persécution » (Karen, précitée, au paragraphe 19; voir aussi Hinzman, précitée, au paragraphe 117).

 

  • [24] Après avoir examiné la preuve, la SPR en est venue à la conclusion que même la peine maximale de 36 mois de prison qui pourrait être imposée au demandeur ne constituait pas de la discrimination. Cette conclusion est conforme à la jurisprudence applicable à cette question (voir, par exemple, Sahin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 990, au paragraphe 18, [2013] ACF no 1088; Ozunal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 560, au paragraphe 28, [2006] ACF no 709).

 

  • [25] Le demandeur soumet également qu’il existe une preuve convaincante au soutien de sa remarque suivant laquelle les objecteurs de conscience sont souvent maltraités au cours de leur détention et que, par conséquent, il était déraisonnable pour la SPR de conclure qu’il n’était pas exposé à une menace à sa vie ou à un risque de traitement ou peine cruel et inusité. Il se peut bien qu’il y ait une preuve à cet effet. Toutefois, la SPR avait déjà conclu de façon raisonnable que le demandeur n’était pas un objecteur de conscience. Il en résulte que la preuve soumise par le demandeur relativement à cette question n’était plus pertinente au moment de l’audience devant la SPR, tout comme c’est le cas à ce jour. La conclusion de la SPR à cet égard est raisonnable.

 

C. La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas établi qu’il serait persécuté en raison de son appartenance à l’ethnie kurde?

 

  • [26] Le demandeur n’a pas soumis le moindre élément de preuve démontrant qu’il était personnellement exposé à un risque en raison de son ethnicité. En fait, le président de l’audience devant la SPR a fait clairement remarquer à plusieurs reprises au procureur du demandeur que la preuve soumise relativement aux difficultés auxquelles les Kurdes sont confrontés en Turquie était d’application générale. Même s’il lui incombait de le faire, le demandeur n’a tout simplement pas soumis de preuve suffisante, ou une quelconque preuve, dans l’exposé circonstancié de son FRP ou lors de l’audience devant la SPR, qui pouvait établir qu’il était exposé à un risque personnel dans les circonstances. (Jarada c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409, aux paragraphes 26-28, [2005] ACF no 506).

 

  • [27] Étant donné qu’aucune preuve n’a été soumise et étant donné que le simple fait d’être Kurde ne suffit pas à obtenir le statut de réfugié, il était tout à fait raisonnable pour la SPF de conclure que le demandeur n’a pas démontré qu’il serait persécuté en Turquie en raison de son appartenance à l’ethnie kurde, la SPR ayant traité de cette question dans ses motifs plus qu’il ne le fallait.

 

  • [28] Pour tous les motifs qui précèdent, la Cour conclut que la décision de la SPR suivant laquelle le demandeur n’est pas un réfugié» au sens de l’article 96 de la LIPR ni une personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR est raisonnable et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[29]  Les parties ont été invitées à soumettre des questions à certifier, mais aucune n'a été proposée.  

 

 

 


ORDONNANCE

 

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

    « Simon Noël »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER :

IMM-6236-13

 

INTITULÉ :

ERSIN ARPA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

  Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

  LE 2 avril 2014

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :   LE JUGE S. NOËL

 

DATE DES MOTIFS :

  LE 4 avril 2014

COMPARUTIONS :

Styliani Markaki

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Lyne Prince

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Styliani Markaki

Avocate

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Lyne Prince

Avocate

Montréal [Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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