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Date : 20140210


Dossier :

T-509-13

 

Référence : 2014 CF 138

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 10 février 2014

En présence de madame la juge Kane

 

ENTRE :

DAVINDER KHAPAR

 

demandeur

et

AIR CANADA

 

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Le demandeur, M. Khaper, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision en date du 6 février 2013 par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) a refusé de statuer sur sa plainte en vertu des alinéas 41(1)d) et 41(1)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 (la Loi), parce que la plainte n’avait pas été présentée dans le délai prescrit et qu’elle était vexatoire.

 

[2]               Le demandeur affirme que la conclusion de la Commission suivant laquelle sa plainte avait été déposée après l’expiration du délai d’un an prévu par la loi était déraisonnable parce que le dernier acte discriminatoire n’était pas survenu à la date de son congédiement, mais à une date ultérieure et que, à titre subsidiaire, la Commission avait de façon déraisonnable refusé d’envisager la possibilité de proroger le délai. De plus, le demandeur affirme que la Commission n’a pas motivé de façon sérieuse ses conclusions au sujet du respect des délais. Le demandeur affirme en outre que la conclusion de la Commission suivant laquelle sa plainte était vexatoire parce qu’elle constituait un abus de procédure ou qu’elle était irrecevable en raison du principe de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige [également appelé préclusion découlant d’une question déjà tranchée] était déraisonnable.

 

[3]               Le demandeur affirme également qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale parce qu’on ne lui a pas accordé une autre possibilité de répondre aux observations formulées par la défenderesse au sujet du rapport fondé sur les articles 40 et 41 (le rapport).

 

[4]               J’estime que la plainte dont le demandeur a saisi la Commission et dans laquelle il affirmait avoir été victime de discrimination du fait de sa race et de ses origines ethniques et d’une déficience intellectuelle pouvait et aurait dû être examinée au cours de la procédure d’arbitrage. L’arbitre a examiné le grief déposé par le demandeur au sujet de son congédiement, lequel faisait suite à une longe série de procédures disciplinaires au cours desquelles le demandeur n’a jamais mentionné sa déficience. Par ailleurs, à la suite de l’allégation de déficience intellectuelle formulée par le demandeur, l’arbitre avait rouvert l’arbitrage pour examiner le rapport établi à la suite d’un examen médical indépendant du demandeur. Le demandeur ne s’est pas prévalu de cette autre possibilité de faire valoir toutes ses allégations en matière de droits de la personne, y compris celles relatives à la discrimination fondée sur ses origines ethniques ou sa race.

 

[5]               L’allégation du demandeur suivant laquelle la Commission a rendu sa décision sans disposer d’un dossier complet est également mal fondée. Malgré les allégations d’iniquité procédurale concernant le processus d’arbitrage et la procédure suivie par la Commission, le demandeur n’a pas tenté de produire les documents qu’il aurait pu soumettre pour combler les présumées lacunes du dossier. La Cour ne disposait donc pas, dans le cadre du présent contrôle judiciaire, de la preuve médicale qui, suivant le demandeur, confirmait sa déficience alléguée, ni des sentences arbitrales qui, suivant le demandeur, jetteraient de la lumière sur les allégations de discrimination qu’il avait formulées.

 

[6]               L’explication que le demandeur a donnée à la Cour — en l’occurrence qu’entreprendre des démarches pour fournir les renseignements en question n’aurait fait qu’inciter la partie adverse à le contre-interroger et aurait compliqué encore davantage le dossier – n’est pas satisfaisante. Je n’accepte pas l’argument du demandeur suivant lequel la Cour devrait conclure à l’iniquité procédurale parce que la Commission a adopté les conclusions du rapport sans examiner la preuve médicale ni les sentences arbitrales. La Commission a effectivement examiné le rapport et a souscrit à ses conclusions. Le rapport portait sur la plainte et son auteur a passé en revue tous les facteurs pertinents concernant le respect des délais et le caractère vexatoire; il a également examiné les thèses défendues par les parties, la plainte ainsi que d’autres renseignements fournis par le demandeur.

 

[7]               De plus, la Commission disposait des observations formulées par les parties en réponse au rapport. Le demandeur a énoncé ses arguments et ses réserves au sujet de la totalité des questions qu’il soulève dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Par exemple, le demandeur affirmait que l’arbitre n’avait pas examiné les questions qu’il avait soulevées au sujet des droits de la personne et ajoutait qu’on aurait dû lui accorder la possibilité de contre-interroger le docteur Cashman, le psychiatre qui avait effectué l’examen médical indépendant. On ne saurait donc affirmer que la Commission n’était pas au courant de la thèse du demandeur en ce qui concerne la preuve médicale ou les sentences arbitrales déjà rendues.

 

[8]               Il semble que, tentant d’épuiser tous les recours dont il disposait pour se faire réintégrer dans son emploi, le demandeur ait allégué à la dernière minute avoir été victime de discrimination fondée sur ses origines ethniques et sa race, mais seulement après que ses griefs, qui étaient fondés sur des mesures disciplinaires bien documentées, eurent été rejetés. De même, le demandeur a soulevé la question de sa déficience intellectuelle uniquement après plusieurs instances disciplinaires et après avoir pu bénéficier de l’autorisation de l’arbitre en vue de rouvrir son grief pour examiner les éléments de preuve médicaux indépendants. Toutefois, se fondant sur ces éléments de preuve indépendants, l’arbitre a une fois de plus conclu qu’il ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour conclure que le demandeur était atteint d’une déficience intellectuelle au moment de l’inconduite qui s’était soldée par son congédiement.

 

[9]               Il convient de signaler que le demandeur était représenté tant par son syndicat que par un avocat, mais qu’il n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre. Il a plutôt décidé de présenter à la Commission une plainte de discrimination fondée sur sa race et ses origines ethniques.

 

[10]           Invoquant une jurisprudence récente — notamment les arrêts Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c Figliola, 2011 CSC 52, [2011] 3 RCS 422 [Figliola], et Penner c Niagara (Regional Police Services Board), 2013 CSC 19, 356 DLR (4th) 595 [Penner] —, le demandeur affirme que l’arrêt Figliola ne s’applique pas aux décisions que la Commission rend en vertu de l’alinéa 41(1)d) et, à titre subsidiaire, que l’arrêt Figliola a été supplanté par l’arrêt plus récent Penner. Le demandeur affirme que les principes énoncés dans l’arrêt Penner devraient amener la Cour à conclure que la Commission a formulé une conclusion déraisonnable en estimant que la plainte était vexatoire. Bien que l’on reconnaisse que l’arrêt Penner pourrait s’appliquer malgré le fait qu’il a été rendu après la décision de la Commission, force est de conclure, vu l’ensemble des faits de la présente affaire, que l’arrêt Penner ne commande pas un résultat différent : la procédure arbitrale précédente n’était pas injuste et l’on peut, sans crainte de commettre une injustice, se fonder sur ses conclusions.

 

[11]           Bien que l’arrêt Penner puisse inciter les tribunaux à interpréter de façon plus libérale la notion d’iniquité lorsqu’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire en refusant d’appliquer la règle de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige, il n’en demeure pas moins que le principe du caractère définitif des décisions constitue toujours un objectif important pour l’administration de la justice. Pour justifier l’exercice du pouvoir discrétionnaire de manière à écarter l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige ou d’autres doctrines connexes de common law, le demandeur ne peut se contenter d’affirmer ou de supposer qu’il y a eu iniquité sans chercher à fournir d’éléments de preuve à l’appui de ses arguments.

 

[12]           La décision de la Commission est raisonnable.

 

[13]           Pour les motifs plus détaillés qui suivent, la Cour rejette la demande de contrôle judiciaire.

 

Contexte

[14]           Dans sa décision du 6 février 2013, la Commission a refusé de statuer sur la plainte en matière de droits de la personne présentée par le demandeur, Davinder Khapar, au motif que cette plainte avait été déposée après l’expiration des délais prescrits et qu’elle était vexatoire. Dans sa plainte, le demandeur affirmait avoir été victime de discrimination en matière d’emploi de la part de la défenderesse, Air Canada, sur le fondement des motifs illicites, en l’occurrence la race, la couleur, l’origine ethnique et la déficience.

 

[15]           Retraçons brièvement le fil des événements à l’origine de la plainte et de la décision de la Commission.

 

[16]           Le demandeur a commencé à travailler à temps plein pour la défenderesse le 24 novembre 1997. Il a continué à travailler pour la défenderesse jusqu’à ce qu’il soit congédié pour « vol de temps » le 22 janvier 2009. Par « vol de temps », on entend la pratique consistant à se présenter au travail ou à « pointer son arrivée » mais à ne commencer à travailler que plus tard ou encore à quitter le travail sans « pointer son départ ». L’arbitre du travail, Me Teplitsky, a confirmé le congédiement du demandeur à l’issue d’une audience d’arbitrage du grief tenue en mars 2009. Le demandeur ne se prétendait pas victime de discrimination au cours de l’instance en arbitrage.

 

[17]           Les notes de l’arbitre indiquaient que les instances disciplinaires du demandeur remontaient à 1997, qu’il s’était déjà fait servir dix avertissements et avait reçu quatre lettres disciplinaires, qu’il avait été encadré et conseillé au sujet de ses actes de vol de temps et qu’il avait été prévenu, au dernier palier d’arbitrage de griefs — le palier V —, qu’il risquait d’être congédié s’il se livrait de nouveau à du vol de temps.

 

[18]           Maître Teplitsky, qui était également l’arbitre chargé d’examiner le grief au palier V, a dispensé le demandeur de la suspension de 20 jours qui lui avait été infligée, mais les conclusions du grief se trouvaient toujours dans le dossier du demandeur, dans lequel le demandeur avait notamment été explicitement prévenu qu’il risquait d’être congédié s’il volait encore du temps.

 

[19]           À la suite du rejet de son grief par l’arbitre, le demandeur a retenu les services d’un avocat en avril 2009. En août 2009, le demandeur a obtenu un rapport psychiatrique qui, à son avis, démontre qu’il était atteint d’une déficience au moment de son congédiement.

 

[20]           Le 12 novembre 2009, par l’intermédiaire de son syndicat, le demandeur a demandé que la défenderesse le réintègre dans son poste sur la foi du rapport psychiatrique d’août 2009. Le 23 novembre 2009, la défenderesse a refusé en faisant observer que le demandeur aurait pu invoquer des circonstances atténuantes au moment de son congédiement, mais qu’il ne l’avait pas fait. La défenderesse a adopté le point de vue suivant lequel le rapport psychiatrique ne renfermait pas de motif permettant de réintégrer le demandeur dans son emploi étant donné que le rapport en question avait été soumis neuf mois après le congédiement du demandeur, qu’il avait été établi par un médecin qui ne traitait pas le demandeur à l’époque et qu’il n’abordait pas la question de savoir si le demandeur était atteint d’une déficience au moment des faits qui lui étaient reprochés.

 

[21]           En décembre 2009, le demandeur a communiqué avec la Commission pour s’enquérir de la procédure de règlement des plaintes. La Commission lui a fait parvenir une trousse d’accueil et l’a informé de la date limite à laquelle sa plainte devait être reçue. Ce délai a par la suite été prorogé au 22 janvier 2010.

 

[22]           Le 22 janvier 2010, le demandeur a envoyé par la poste à la Commission une plainte dans laquelle il affirmait être victime de discrimination fondée sur la race, l’origine ethnique, la couleur et la déficience par suite de la décision de la défenderesse de mettre fin à son emploi le 22 janvier 2009 et du refus de la défenderesse de le réintégrer dans son poste le 23 novembre 2009.

 

[23]           Le 26 mai 2010, la Commission a informé le demandeur que les actes discriminatoires allégués dans sa plainte n’étaient liés à aucun motif de distinction illicite et la Commission a clos le dossier.

 

[24]           En décembre 2010, l’arbitre a accepté de rouvrir le grief du demandeur pour réexaminer la question de son congédiement à la condition que le demandeur accepte d’être examiné par un médecin indépendant, le docteur Cashman, un psychiatre choisi avec l’accord des deux parties.

 

[25]           L’arbitre a, en janvier 2012, réexaminé le grief du demandeur, qui était représenté par son syndicat et par un avocat.

 

[26]           Le 16 janvier 2012, l’arbitre a rendu une décision dans laquelle il confirmait le congédiement du demandeur. L’arbitre a fait observer que par, souci d’équité, le demandeur s’était vu offrir la possibilité de faire valoir son point de vue au sujet de sa maladie mentale, mais que les allégations de violation des droits de la personne avaient été repoussées dans le rapport du docteur Cashman, qui s’était dit d’avis [traduction] « qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve [...] pour conclure que [le demandeur] était atteint d’une maladie mentale grave ou persistante [...] entre 1999 et 2009 ». L’arbitre a refusé la demande du syndicat de contre-interroger le docteur Cashman.

 

[27]           Ni le demandeur ni le syndicat, au nom du demandeur, n’ont sollicité le contrôle judiciaire de la décision arbitrale du 16 janvier 2012.

 

[28]           En mai 2012, l’avocat du demandeur a demandé à la Commission de rouvrir la plainte au motif qu’elle avait été soumise conformément à la procédure prévue et qu’elle aurait dû être examinée. La Commission a accepté de rouvrir la plainte et a invité les parties à lui soumettre leurs observations.

 

[29]           En novembre 2012, la Commission a présenté un rapport dans lequel elle formulait ses conclusions préliminaires et recommandait que la plainte du demandeur soit rejetée en vertu des alinéas 41(1)d) et 41(1)e) de la Loi.

 

[30]           L’auteur du rapport concluait que la plainte n’avait pas été déposée dans le délai prescrit à l’alinéa 41(1)e). À son avis, le dernier acte discriminatoire reproché était le congédiement du demandeur, le 22 janvier 2009. La plainte avait par conséquent été déposée plus d’un an après le délai d’un an prévu par la Loi. L’auteur du rapport signalait également que le demandeur avait eu l’occasion d’exprimer ses préoccupations au sujet des droits de la personne, mais qu’il ne l’avait pas fait plus tôt, que le demandeur était représenté par son syndicat lors de la procédure d’arbitrage et qu’il était également représenté par un avocat depuis avril 2009 et n’avait fourni aucune explication raisonnable pour justifier le retard.

 

[31]           L’auteur du rapport concluait également que la plainte était vexatoire au sens de l’alinéa 41(1)e) ajoutant que permettre au demandeur de soulever de nouveaux motifs de discrimination devant la Commission constituerait un abus de procédure, dès lors qu’il lui était loisible de faire examiner toutes ses questions portant sur les droits de la personne lors de l’arbitrage. La Commission a répété que le demandeur avait eu de nombreuses occasions de soulever des questions de discrimination fondée sur la race et l’origine ethnique, notamment dans le cadre du mécanisme de règlement interne des différends, de l’arbitrage de mars 2009 portant sur son congédiement et de l’arbitrage subséquent de janvier 2012 au cours duquel les résultats de l’examen médical indépendant du docteur Cashman avaient été examinés.

 

[32]           Comme à l’accoutumée, les deux parties ont eu l’occasion de faire valoir leur point de vue en réponse au rapport.

 

[33]           La défenderesse a d’abord formulé de brèves observations pour exprimer son accord au sujet du rapport.

 

[34]           Dans ses observations, le demandeur a abordé tant la question du respect du délai que celle du caractère vexatoire et a exprimé son désaccord au sujet des recommandations. En ce qui concerne le respect des délais, le demandeur a fait valoir que le dernier acte discriminatoire reproché ne remontait pas au 22 janvier 2010, date de son congédiement, mais bien au 23 novembre 2009, date de la lettre par laquelle la défenderesse avait refusé de le réintégrer dans ses fonctions en raison du rapport psychiatrique d’août 2009. Le demandeur a fait valoir qu’il est de jurisprudence constante que l’obligation d’accommodement peut continuer à exister après le congédiement de l’employé (Ottawa Civic Hospital and ONA (Hodgins), Re, [1995] OLAA no 60, 48 LAC 388 (4th), aux paragraphes 47 et 48 [Hodgins]; Vos c Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2010 CF 713, 373 FTR 124, au paragraphe 54 [Vos]).

 

[35]           À titre subsidiaire, le demandeur a fait valoir que la Commission aurait dû proroger le délai d’un an parce que le retard de 19 jours avait eu lieu sans mauvaise foi de sa part et que ce retard ne causerait aucun préjudice à l’employeur.

 

[36]           En ce qui concerne la conclusion suivant laquelle la plainte était vexatoire, le demandeur a expliqué que l’arrêt Figliola, cité dans le rapport, ne s’appliquait pas à l’étape de l’examen préalable de l’enquête de la Commission, étant donné que la décision portait sur une disposition précise du Human Rights Code de la Colombie-Britannique, qui diffère de la Loi. Le demandeur a cité la jurisprudence applicable selon lui, notamment le jugement Boudreault c Canada (Procureur général) (1995), 99 FTR 293, [1995] ACF no 1055 [Boudreault], et l’arrêt Société canadienne des postes c Barrette, [2000] 4 CF 145, [2000] ACF no 539 (CAF) [Barrette].

 

[37]           Le 10 janvier 2013, la défenderesse a déposé des observations complémentaires en réponse au rapport. Elle a abordé la question du respect des délais et fait observer que le demandeur aurait dû solliciter le contrôle judiciaire de la décision ou déposer une demande contre son syndicat s’il était insatisfait. La défenderesse a également cité, sous forme de notes infrapaginales, cinq décisions arbitrales en matière du travail qui n’étaient pas mentionnées dans le rapport. Ces décisions, qui avaient été rendues entre 1991 et 2009, établissent qu’il incombe à la personne qui s’estime lésée de démontrer en quoi un état pathologique a eu une incidence sur son jugement au cours de son emploi. La défenderesse a également fait observer que l’arbitre avait examiné les éléments de preuve médicaux et estimé qu’ils ne suffisaient pas pour excuser la conduite du demandeur. De plus, la défenderesse a fait valoir que les allégations de racisme formulées par le demandeur étaient totalement injustifiées.

 

[38]           Le 23 janvier 2013, le demandeur a demandé à la Commission de lui permettre de répondre aux observations du 10 janvier 2013 de la défenderesse en faisant valoir que de nouvelles questions avaient été soulevées. La Commission a refusé la demande formulée par le demandeur en vue de présenter de nouvelles observations.

 

Décision de la Commission

[39]           La Commission a rendu sa décision le 6 février 2013.

 

[40]           En ce qui concerne son refus de statuer sur la plainte en vertu de l’alinéa 41(1)e) de la Loi en raison du non-respect des délais impartis, la Commission a fait siennes les conclusions du rapport :

[traduction]

La Cour fédérale du Canada a jugé que la Commission ne devait pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour statuer sur des plaintes déposées plus d’un an après le dernier acte discriminatoire reproché dans des situations dans lesquelles les plaignants sont représentés par un avocat. Dans le jugement 168886 Canada Inc. c. Reducka, 2012 CF 537, au paragraphe 23, la Cour a jugé que le plaignant « n’a pas expliqué par des raisons valables son incapacité à déposer sa plainte dans le délai prescrit, ce qui est inexcusable étant donné qu’il a bénéficié des services d’un avocat en tout temps ». Dans le jugement Johnston c Société canadienne d’hypothèques et de logement, 2004 CF 218, au paragraphe 26 et dans le jugement Zavery c Canada (Développement des ressources humaines), 2004 CF 929, aux paragraphes 9 et 10, la Cour fédérale a déclaré qu’il ne convenait pas que la Commission proroge le délai de prescription lorsque le plaignant a eu l’avantage d’être représenté par un avocat.

 

[41]           En ce qui concerne son refus de statuer sur la plainte en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi en raison du caractère vexatoire de la plainte, la Commission a également repris à son compte les conclusions du rapport :

[traduction

Il semblerait qu’au cours de son emploi, le plaignant n’ait pas, par exemple, porté plainte à l’interne ou déposé de griefs faisant état de ses préoccupations en ce qui concerne le respect de ses droits de la personne. Au moment de son congédiement, le plaignant a déposé un grief dans lequel il ne soulevait aucune question en ce qui concerne le respect de ses droits de la personne. Lors de la première audience en matière d’arbitrage, le plaignant a eu la possibilité de soulever et de faire examiner les préoccupations qu’il pouvait avoir en ce qui concerne le respect de ses droits de la personne. Ce n’est qu’après que son grief eut d’abord été rejeté par l’arbitre, que le plaignant a soulevé la question de sa déficience et qu’il a cherché à faire réexaminer sa décision par l’arbitre en tenant compte d’éléments de preuve médicaux. Or, malgré les éléments de preuve médicaux en question, le grief du plaignant a de nouveau été rejeté. Le plaignant n’a jamais soulevé de questions concernant sa race et ses origines nationales ou ethniques devant l’arbitre, bien qu’il eût le loisir de le faire et ce n’est qu’après avoir déposé la présente plainte qu’il a soulevé ces motifs pour la première fois. Permettre au plaignant de soulever de nouveaux motifs de discrimination devant la Commission alors qu’il aurait pu faire examiner lors de l’arbitrage toutes les questions qu’il avait en ce qui concerne le respect de ses droits de la personne reviendrait à commettre un abus de procédure et constitue de ce fait une tactique vexatoire.

 

Questions en litige

[42]           Le demandeur affirme que la Commission a violé son droit à l’équité procédurale en lui refusant la possibilité de répondre aux observations complémentaires formulées par la défenderesse au sujet du rapport.

 

[43]           Le demandeur affirme que la décision rendue par la Commission au sujet du respect des délais était déraisonnable et que la Commission a commis une erreur en ne motivant pas véritablement sa conclusion que la plainte avait été présentée après l’expiration des délais impartis.

 

[44]           Le demandeur affirme en outre que la décision de rejeter sa plainte au motif qu’elle était vexatoire est déraisonnable. Le demandeur soutient que l’arrêt Figliola que la Commission a cité dans son rapport ne s’applique pas dans le cas d’une décision fondée sur l’alinéa 41(1)d) de la Loi et, à titre subsidiaire, si cet arrêt s’applique, la loi a changé depuis l’arrêt plus récent rendu par la Cour suprême dans l’affaire Penner.

 

Norme de contrôle

[45]           La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte (Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, 263 DLR (4th) 113, au paragraphe 53 [Sketchley]).

[46]           Il est également acquis aux débats que la norme de contrôle applicable dans le cas des décisions rendues par la Commission en vertu des alinéas 41(1)d) et 41(1)e) de la Loi est celle de la décision raisonnable (Berberi c Canada (Procureur général), 2013 CFR 99, [2013] ACF no 113, au paragraphe 10). Comme le demandeur le souligne, la Commission doit faire preuve de prudence lorsqu’il s’agit de déterminer si une plainte mérite un examen plus approfondi. Il ajoute que la Commission ne devrait refuser de statuer sur une plainte que dans les cas les plus évidents, étant donné que la décision rendue par la Commission à l’étape de l’examen préalable met un terme à la plainte (Société canadienne des postes c Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1997), 130 FTR 241, [1997] ACF no 578, au paragraphe 3 (CF 1re inst.), conf. par (1999), 169 FTR 138, 245 NR 397 (CAF), autorisation d’appel à la CSC refusée [1999] CSCR no 323; Canada (Procureur général) c Maracle, 2012 CF 105, 404 FTR 173, aux paragraphes 39 à 42 [Maracle]; Conroy c Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2012 CF 887, 415 FTR 179, aux paragraphes 30 à 33 [Conroy]).

 

[47]           Toutefois, l’article 41 de la Loi confère à la Commission un vaste pouvoir discrétionnaire lui permettant de décider dans quel cas elle peut refuser de statuer sur une plainte à cette étape préliminaire (Maracle, précité, au paragraphe 47). Les décisions fondées sur l’article 41 de la Loi font, par conséquent, l’objet d’un degré élevé de déférence de la part des juridictions de révision et, par conséquent, la portée du contrôle judiciaire est étroite.

 

[48]           Lorsque la norme de la décision raisonnable s’applique, il n’appartient pas à la Cour qui est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de substituer sa décision à celle qui a été rendue, mais de déterminer si la décision de la Commission « appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47).

 

Le demandeur a‑t‑il été privé de son droit à l’équité procédurale?

[49]           Le demandeur affirme que la Commission l’a privé du droit concret et véritable de répondre au rapport (Mercier c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1994] 3 CF 3, [1994] ACF no 361, aux paragraphes 14 et 19 (CAF) [Mercier]; Islam c Nouvelle-Écosse (Human Rights Commission), 2012 NSSC 67, 38 Admin LR (5th) 289, aux paragraphes 14 et 24; Exeter c Canada (Procureur général), 2011 CF 86, 383 FTR 106, au paragraphe 10).

 

[50]           Le demandeur affirme en outre qu’en lui refusant le droit de répondre aux observations supplémentaires présentées par la défenderesse, la Commission ne disposait pas d’un dossier complet lorsqu’elle a rendu sa décision. Le demandeur affirme que, si on lui avait accordé la possibilité de répondre, il aurait pu à tout le moins formuler ses observations au sujet des cinq affaires d’arbitrage en matière du travail citées par la défenderesse, sans toutefois aller jusqu’à préciser quelle réponse il aurait pu donner.

 

[51]           Le demandeur affirme également que la Commission a fondé ses décisions sur un dossier incomplet parce qu’elle n’avait pas en mains les documents essentiels lorsqu’elle a examiné le rapport. Le demandeur affirme que la Commission, qui ne disposait que des rapports d’arbitrage du palier V et non des rapports médicaux ou des décisions arbitrales antérieures, ne disposait pas du fondement probatoire qui lui aurait raisonnablement permis de décider s’il était manifeste et évident qu’il fallait rejeter la plainte.

 

[52]           La défenderesse affirme que l’équité procédurale exige que le demandeur sache ce qu’il doit prouver et qu’on lui accorde la possibilité de répondre. Le processus d’examen préalable de la Commission n’est pas fondé sur le principe du débat contradictoire; les arguments auxquels le demandeur doit répondre ne sont pas les arguments ou les observations de la défenderesse, mais les conclusions formulées par la Commission dans son rapport.

 

[53]           La défenderesse souligne que les deux parties ont eu l’occasion de formuler leurs observations au sujet du rapport et qu’elles l’ont fait.

 

[54]           De plus, la défenderesse affirme que ses observations du 10 janvier 2013 répondaient directement aux questions soulevées par le demandeur dans ses observations. La défenderesse reconnaît que les cinq décisions arbitrales en matière du travail citées dans la note infrapaginale et le principe établi dans ces décisions constituaient de nouveaux éléments, mais ajoute que ces décisions répondent directement à l’argument du demandeur suivant lequel l’arbitre n’avait pas examiné ses questions portant sur les droits de la personne. La défenderesse affirme également que, contrairement à ce que prétend le demandeur, les décisions citées ne tirent pas à conséquence, étant donné que rien ne permet de penser que la règle de droit relative à la charge de preuve dont le demandeur devait s’acquitter constituait un point litigieux; le demandeur n’a pas précisé ce qu’il aurait dit en réponse et, enfin, rien dans la décision de la Commission ne permet de penser que les décisions en question ont influé sur ses conclusions.

 

[55]           La défenderesse signale que, bien que la Commission n’ait pas eu en mains tous les documents, le rapport tenait compte de tous les documents soumis par le demandeur. La défenderesse se demande pourquoi le demandeur n’a pas cherché à présenter les éléments de preuve médicaux qui, selon ce qu’il prétend, ne se trouvent pas dans le dossier.

 

La Commission n’a pas violé le droit à l’équité procédurale du demandeur

[56]           Le processus d’examen préalable de la Commission n’est pas fondé sur le principe du débat contradictoire. Les arguments auxquels le demandeur doit répondre se trouvent dans le rapport.

 

[57]           Il y a lieu d’établir une distinction entre la présente espèce et l’affaire Mercier, de la Cour d’appel fédérale, sur laquelle le demandeur se fonde. Dans l’affaire Mercier, le rapport d’enquête était favorable au demandeur. Toutefois, le Service correctionnel du Canada avait formulé des observations qui débordaient largement le cadre des faits invoqués dans le rapport d’enquête, ce qui avait au bout du compte influé sur la décision de la Commission de refuser de donner suite à la plainte. La Cour d’appel a conclu que le demandeur n’avait jamais été en mesure de prévoir la décision que la Commission allait rendre. Les faits de l’affaire Mercier, précitée, se trouvent au paragraphe 17 :

17     En l’espèce, il est certain que l’appelante n’a jamais été en mesure de prévoir, et a fortiori de parer, la décision qu’allait rendre la Commission, non plus que de connaître ou même soupçonner les motifs qui allaient amener celle-ci à ne pas se rendre à la recommandation de son enquêteur. Le rapport d’enquête, en effet, lui était favorable. Les observations du Service ont été déposées à son insu et à l’extérieur d’un délai qualifié de rigueur par la Commission et imposé par celle-ci. Ces observations constituaient bien davantage qu’une argumentation fondée sur les faits relatés par l’enquêteur dans son rapport; elles étaient au contraire porteuses de faits qui n’apparaissaient pas au dossier placé jusqu’alors devant la Commission et allaient jusqu’à attaquer la crédibilité de l’appelante. Par ailleurs, la Commission, dans sa décision du 18 avril 1991, a induit l’appelante en erreur en lui laissant entendre qu’elle n’avait devant elle que les observations déposées par celle-ci le 22 décembre 1990 : il aura en effet fallu que l’appelante engage des procédures judiciaires pour connaître la preuve qui avait vraisemblablement amené la volte-face de la Commission.

 

[58]           Dans le cas qui nous occupe, le demandeur était clairement au courant des conclusions et recommandations du rapport et il pouvait par conséquent prévoir la décision qu’allait rendre la Commission. Le rapport comportait une analyse de la question de savoir si la plainte avait été présentée dans le délai prescrit et si elle était vexatoire. Le demandeur, qui avait le rapport en mains, était au courant des arguments auxquels il devait répondre.

 

[59]           Dans l’arrêt Exeter c Canada (Procureur général), 2012 CAF 119, 433 NR 286, la Cour d’appel fédérale a estimé, au paragraphe 23, que le fait de refuser au demandeur le droit de répondre aux observations formulées par la partie adverse au sujet d’un rapport fondé sur l’article 40 et 41 ne constituait pas un manquement à l’équité procédurale :

23     Mme Exeter affirme en réponse que l’enquêtrice a mis irrégulièrement fin à la communication réciproque des observations, l’empêchant ainsi en fait de répondre aux arguments contenus dans la lettre du 8 septembre 2009 que son ancien employeur avait envoyée à la Commission. Il convient toutefois de rappeler que la lettre du 8 septembre 2009 de l’ancien employeur était simplement la réponse de celui-ci à la réplique que Mme Exeter avait donnée au rapport de l’enquêtrice. Il n’y a rien d’irrégulier ou d’inéquitable dans le fait de ne pas permettre à une partie de répondre à la réplique d’une autre partie. La juge de première instance n’a pas commis d’erreur.

 

[60]           En l’espèce, le demandeur a présenté, en réponse au rapport, des observations détaillées dans lesquelles il a mentionné sa preuve médicale, a soutenu qu’on aurait dû lui accorder la possibilité de contre-interroger le docteur Cashman, a maintenu que l’arbitre n’avait pas examiné les questions soulevées au sujet des droits de la personne et a fait valoir que sa plainte avait été déposée dans le délai d’un an prescrit.

 

[61]           Dans ses observations complémentaires, la défenderesse a répondu au rapport ainsi qu’aux questions soulevées par le demandeur. La seule question abordée par la défenderesse qui ne constituait pas une réponse directe aux observations du demandeur ou au rapport était sa mention du principe juridique suivant lequel il incombait au demandeur de démontrer en quoi ses problèmes de santé psychiatrique avaient affecté son jugement pendant sa période d’emploi, citant à l’appui cinq décisions arbitrales en matière du travail dans une note infrapaginale.

 

[62]           La question des règles de droit relatives à la charge de preuve qui incombe au demandeur devant l’arbitre n’a jamais été soulevée dans le rapport. De plus, le demandeur devait connaître de façon générale la jurisprudence citée étant donné qu’elle formule un principe bien connu. Le demandeur n’a donné aucun indice de ce qu’il aurait déclaré en réponse s’il avait eu l’occasion de présenter des observations complémentaires, ni en quoi sa réponse aurait pu influer sur la décision de la Commission. Je constate que rien dans la décision de la Commission ne permet de penser que les décisions arbitrales en matière du travail en question ont influé sur les conclusions tirées par la Commission au sujet du respect des délais et du caractère vexatoire de la plainte.

 

[63]           En ce qui concerne les arguments du demandeur suivant lesquels la Commission s’est fondée sur un dossier incomplet pour rendre sa décision, je suis d’accord avec la défenderesse pour dire qu’il n’est pas nécessaire pour la Commission d’examiner exactement les mêmes documents que ceux qui ont été analysés à l’étape du rapport fondé sur les articles 40 et 41, car l’obliger à le faire irait à l’encontre de l’objectif visé par l’examen préalable. Le rapport fondé sur les articles 40 et 41 se veut une synthèse sur laquelle la Commission se fonde. La Commission avait en mains la plainte, ainsi que la sentence arbitrale rendue au palier V, le rapport ainsi que les arguments formulés par les deux parties en réponse.

 

[64]           Il est de jurisprudence constante que l’étape visée par les articles 40 et 41 consiste en un examen préalable. Par conséquent, à cette étape, la Commission s’attache à déterminer si elle dispose de suffisamment d’éléments de preuve pour renvoyer la plainte à un examen plus approfondi. Il n’appartient pas à la Commission à l’étape visée aux articles 40 et 41 d’aller au‑delà des faits et de déterminer si le bien‑fondé de la plainte a été établi. Ainsi que la Cour suprême du Canada l’a déclaré dans l’arrêt Cooper c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1996] 3 RCS 854, 140 DLR (4th) 193, au paragraphe 53 :

53        La Commission n’est pas un organisme décisionnel; cette fonction est remplie par les tribunaux constitués en vertu de la Loi. Lorsqu’elle détermine si une plainte devrait être déférée à un tribunal, la Commission procède à un examen préalable assez semblable à celui qu’un juge effectue à une enquête préliminaire. Il ne lui appartient pas de juger si la plainte est fondée. Son rôle consiste plutôt à déterminer si, aux termes des dispositions de la Loi et eu égard à l’ensemble des faits, il est justifié de tenir une enquête. L’aspect principal de ce rôle est alors de vérifier s’il existe une preuve suffisante.

 

[65]           Je relève souligne que le demandeur n’a pas tenté de soumettre d’autres documents à la Cour sous forme d’affidavit pour combler les lacunes alléguées du dossier, malgré le fait que la Loi prévoit des exceptions au principe général suivant lesquelles le tribunal ne doit tenir compte, lorsqu’il est saisi d’une demande de contrôle judiciaire, que des éléments dont disposait l’auteur de la décision. Il est de jurisprudence constante (voir notamment Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22, 428 NR 297, au paragraphe 20, que lorsqu’un manquement à l’équité procédurale est allégué, le tribunal peut accepter des éléments de preuve pour démontrer le bien-fondé de ces allégations :

[20]       Le principe général interdisant à notre Cour d’admettre de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une instance en contrôle judiciaire souffre quelques exceptions reconnues et la liste des exceptions n’est sans doute pas exhaustive. Ces exceptions ne jouent que dans les situations dans lesquelles l’admission, par notre Cour, d’éléments de preuve n’est pas incompatible avec le rôle différent joué par la juridiction de révision et par le tribunal administratif (nous avons déjà expliqué cette différence de rôle aux paragraphes 17 et 18). En fait, bon nombre de ces exceptions sont susceptibles de faciliter ou de favoriser la tâche de la juridiction de révision sans porter atteinte à la mission qui est confiée au tribunal administratif. Voici trois de ces exceptions :

 

a)   Parfois, notre Cour admettra en preuve un affidavit qui contient des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire (voir, par ex. Succession de Corinne Kelley c. Canada, 2011 CF 1335, aux paragraphes 26 et 27; Armstrong c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1013, aux paragraphes 39 et 40; Chopra c. Canada (Conseil du Trésor), (1999), 168 F.T.R. 273, au paragraphe 9). On doit s’assurer que l’affidavit ne va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le tribunal administratif, au risque de s’immiscer dans le rôle que joue le tribunal administratif en tant que juge des faits et juge du fond. En l’espèce, les demanderesses invoquent cette exception en ce qui concerne la plus grande partie de l’affidavit de M. Juliano.

 

b)   Parfois les affidavits sont nécessaires pour porter à l’attention de la juridiction de révision des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif, permettant ainsi à la juridiction de révision de remplir son rôle d’organe chargé de censurer les manquements à l’équité procédurale (voir, par ex. Keeprite Workers’Independent Union c. Keeprite Products Ltd., (1980) 29 O.R. (2d) 513 (C.A.)). Ainsi, si l’on découvrait qu’une des parties a versé un pot-de-vin au tribunal administratif, on pourrait soumettre à notre Cour des éléments de preuve relatifs à ce pot-de-vin pour appuyer un argument fondé sur l’existence d’un parti pris.

 

c)   Parfois, un affidavit est admis en preuve dans le cadre d’un contrôle judiciaire pour faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion déterminée (Keeprite, précitée).

 

[66]           Le demandeur n’a donné aucune raison satisfaisante pour expliquer pourquoi il n’avait pas cherché à combler les présumées lacunes du dossier. Bien que le demandeur ait laissé entendre à la Cour que tout renseignement complémentaire qu’il aurait pu soumettre n’aurait fait qu’inviter la partie adverse à le contre-interroger et aurait compliqué davantage le dossier, cette explication n’est pas satisfaisante compte tenu de son argument suivant lequel la Commission ne disposait pas d’un dossier complet lorsqu’elle a rendu sa décision et suivant lequel la décision de la Commission était par conséquent inéquitable sur le plan procédural.

 

La conclusion de la Commission suivant laquelle la plainte n’avait pas été déposée dans les délais impartis était‑elle raisonnable et la Commission a‑t‑elle véritablement motivé sa décision?

 

[67]           Le demandeur affirme que sa plainte a été déposée dans les délais impartis : il a envoyé sa plainte le 22 janvier 2010 et le fait que la Commission n’ait reçu sa plainte que 19 jours plus tard était indépendant de sa volonté. Le demandeur affirme également que la Commission a de façon déraisonnable refusé d’excuser ce court retard. Le demandeur affirme également que la date applicable n’est pas le 22 janvier 2010, étant donné que le dernier acte discriminatoire reproché remonte au 23 novembre 2009, date à laquelle la défenderesse a refusé de le réintégrer dans ses fonctions en raison du rapport médical. Par conséquent, sa plainte, qui a été reçue le 20 février 2010, a en fait été déposée dans le délai d’un an prescrit. Le demandeur invoque la décision Hodgins, précitée, aux paragraphes 47 et 48, et le jugement Vos, précité, au paragraphe 54, pour affirmer que l’employeur est susceptible d’être tenu à l’obligation de tenir compte de la déficience de l’employé même après la cessation de son emploi. Le demandeur affirme que la Commission n’a pas tenu compte de la décision Hodgins et du jugement Vos qu’il avait cités dans son premier mémoire et dans les observations qu’il avait formulées au sujet du respect des délais en réponse au rapport.

 

[68]           Le demandeur affirme que l’arrêt Conroy, précité, aux paragraphes 38 à 42, démontre que, bien qu’il ne soit pas nécessaire de fournir des motifs détaillés, la juridiction de révision doit tout de même être convaincue que la Commission s’est penchée sur les arguments du plaignant. Le demandeur affirme que, tout comme dans l’affaire Conroy, la décision de la Commission ne donne pas en l’espèce l’impression que l’argument formulé par le demandeur au sujet du respect des délais a été examiné.

 

[69]           À titre subsidiaire, le demandeur affirme que, si le 22 janvier 2010 est la date pertinente, le retard de 19 jours est à ce point négligeable que la Commission aurait dû accepter sa plainte et ce, d’autant plus que l’ensemble des circonstances justifiait qu’on lui accorde une prorogation de délai.

 

[70]           La thèse de la défenderesse est que le rapport, que la Commission a adopté dans ses motifs, abordait directement les arguments du demandeur.

 

[71]           La défenderesse affirme que le dernier acte discriminatoire dont le demandeur aurait éventuellement pu faire l’objet en tant qu’employé remonte au 22 janvier 2009, date de son congédiement.

 

[72]           La thèse de la défenderesse est que la jurisprudence invoquée par le demandeur, en l’occurrence la décision Hodgins et le jugement Vos, portent sur la question de savoir si le fait que l’employeur était au courant de la déficience de l’employé au moment de l’acte discriminatoire est pertinent en ce qui concerne sa responsabilité ou uniquement en ce qui concerne la réparation à accorder; en d’autres termes, il s’agit de savoir si l’employeur jugé coupable de discrimination ne doit répondre que du préjudice subi après qu’il a pris conscience de la discrimination. Cette jurisprudence ne permet pas de savoir à quand remonte le dernier acte discriminatoire reproché pour calculer la date à partir de laquelle commence à courir le délai de prescription d’un an dans lequel la plainte doit être déposée. De plus, ni la décision Hodgins ni le jugement Vos ne portaient sur une plainte déposée après l’expiration du délai de prescription.

 

La décision rendue par la Commission au sujet du respect des délais est raisonnable

[73]           Lorsque la Commission adopte les recommandations de l’auteur du rapport et ne fournit aucun autre motif ou se contente de formuler de brefs motifs, la Cour peut considérer que le rapport constitue le raisonnement suivi par la Commission pour rendre sa décision à l’étape de l’examen préalable (Sketchley, précité, au paragraphe 37).

 

[74]           L’auteur du rapport consacre 20 paragraphes à la question de savoir si la plainte a été déposée dans le délai prescrit. Il analyse les arguments des deux parties, ainsi que les facteurs permettant de déterminer si une plainte est déposée dans le délai prescrit et si la Commission doit exercer son pouvoir discrétionnaire et accepter d’examiner une plainte après l’expiration du délai d’un an. Il relate également la chronologie des agissements du plaignant.

 

[75]           L’auteur du rapport reconnaissait que le demandeur disposait d’un récépissé postal confirmant qu’il avait mis sa plainte à la poste le 22 janvier 2010. D’une part, le rapport faisait état des arguments du demandeur portant que sa plainte soulevait des questions sérieuses et que le retard ne causerait aucun préjudice à la défenderesse; d’autre part, le rapport signalait que le demandeur était représenté par un avocat depuis avril 2009, avait communiqué avec la Commission pour la première fois en décembre 2009 et avait été informé du délai à respecter et n’avait fourni aucune explication raisonnable pour son retard.

 

[76]           L’auteur du rapport concluait finalement que la plainte avait été déposée après l’expiration du délai d’un an prévu par la loi et recommandait à la Commission de ne pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour statuer sur la plainte étant donné que le demandeur avait depuis le début pu profiter des services d’un avocat pour le représenter. La Commission a fait siennes ces conclusions.

 

[77]           La décision rendue par la Commission sur le respect des délais est raisonnable. Il était loisible à la Commission de rejeter l’explication du demandeur selon laquelle sa plainte accusait un retard de seulement trois semaines et avait été mise à la poste à la date prévue, d’autant plus qu’il était représenté par un avocat et avait déjà bénéficié d’une prorogation de délai pour déposer sa plainte.

 

La Commission a abordé les arguments du demandeur dans sa décision

[78]           Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que les motifs de la Commission doivent donner au plaignant l’impression que la Commission a examiné ses allégations avant de les rejeter. La juge Bédard a énoncé ce principe dans le jugement Conroy, précité, au paragraphe 41, après avoir examiné l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, de la Cour suprême du Canada. Voici ce que la juge Bédard écrit :

41     Il convient également de retenir que le fait de rejeter une plainte avant de procéder à une enquête a quelque chose d’exceptionnel. Selon moi, la Commission est tenue de s’expliquer lorsque, aux termes de l’article 41 de la Loi, elle estime qu’une plainte n’est pas de sa compétence. Cette obligation d’expliquer sa décision doit être adaptée en fonction du contexte de la plainte. La Commission n’est peut-être pas tenue de fournir des motifs détaillés, mais elle doit à tout le moins donner à l’auteur de la plainte le sentiment qu’avant d’écarter ses allégations, elle les a considérées. Cela est particulièrement important lorsque certains arguments ne sont pas pris en compte lors de la rédaction du rapport fondé sur les articles 40 et 41 et ne sont avancés qu’en réponse à ce rapport. Je considère que, compte tenu des circonstances précises de la présente affaire, la demanderesse et la Cour devraient avoir l’assurance que les principaux arguments développés par la demanderesse ont été pris en compte par la Commission avant de conclure que la plainte ne relevait à l’évidence pas de sa compétence. Comme elle n’est pas certaine que la Commission s’est effectivement penchée sur ces arguments et qu’il ne lui appartient pas de dire si la plainte en question aurait dû faire l’objet d’une enquête, la Cour n’est pas, selon moi, en mesure de déterminer si la décision de la Commission fait partie des issues possibles acceptables.

 

[79]           Dans le cas qui nous occupe, l’auteur du rapport a examiné, mais rejeté, l’argument du demandeur suivant lequel l’acte discriminatoire le plus récent remontait au 23 novembre 2009, date à laquelle la défenderesse avait communiqué au demandeur son refus de le réintégrer dans son emploi. La Commission a fait observer ce qui suit, aux paragraphes 18 et 19 du rapport :

[traduction]

18.    Le dernier acte reproché qui est mentionné dans la plainte se serait produit le 22 janvier 2009. Or, la plainte a été reçue le 10 février 2010. La plainte a été déposée après l’expiration du délai prescrit.

 

19.    Le dernier acte discriminatoire reproché correspond au congédiement du plaignant le 22 janvier 2009 et non au refus par la défenderesse, dans sa lettre du 23 novembre 2009, de reconsidérer sa décision. La proposition du représentant du plaignant suivant laquelle le dernier acte discriminatoire reproché remonterait au 23 novembre 2009 ne peut être retenue étant donné que la décision de mettre fin à l’emploi du plaignant a été prise le 22 janvier 2009.

 

 

[80]           Bien que l’auteur du rapport n’ait pas traité longuement de l’allégation du demandeur suivant laquelle le dernier acte discriminatoire reproché remonte au 23 novembre 2009, on ne saurait dire que, dans sa décision, la Commission a donné au demandeur l’impression qu’elle n’avait pas examiné les allégations qu’il avait formulées avant de les rejeter.

 

[81]           Qui plus est, la jurisprudence citée par le demandeur n’appuie pas sa thèse suivant laquelle le refus de la défenderesse de le réintégrer dans ses fonctions après qu’il eut soumis un rapport psychiatrique neuf mois après son congédiement constituait le dernier acte discriminatoire.

 

[82]           L’affaire Hodgins ne portait pas sur la question de savoir si la plainte avait été déposée dans le délai prescrit. Dans l’affaire Hodgins, l’employée avait d’abord été congédiée en raison de ses absences prolongées. La preuve médicale démontrait que ses agissements s’expliquaient par sa toxicomanie. Le conseil d’arbitrage a analysé la jurisprudence de diverses provinces et conclut que le fait qu’un employeur soit au courant de la déficience de son employé est une question pertinente en ce qui concerne la réparation à accorder, mais non en ce qui concerne sa responsabilité. Le conseil d’arbitrage était disposé à conclure qu’il y avait eu contravention au Code des droits de la personne de l’Ontario en raison du refus de l’employeur de réintégrer l’employée après qu’elle eut révélé son problème de dépendance aux drogues, mais le conseil d’arbitrage n’avait finalement pas conclu que le Code des droits de la personne avait été violé parce que le fait pour l’employeur de prendre des mesures d’accommodement lui aurait causé des contraintes excessives.

 

[83]           Dans le jugement Vos, la Cour fédérale a cité la décision Hodgins dans le contexte du rejet d’une plainte en vertu de l’alinéa 44(3)b) de la Loi. La Cour fédérale n’a toutefois mentionné que brièvement la décision Hodgins pour confirmer que l’employeur ne peut exciper de son absence de connaissance de la déficience de l’employé pour se soustraire à sa responsabilité. Dans le jugement Vos, le juge Lemieux a annulé la décision de la Commission de rejeter la plainte en vertu de l’alinéa 44(3)b) de la Loi en partie parce que le rapport de l’enquêteur « n’indique jamais quand le CN a eu connaissance du besoin de M. Vos en matière de mesures d’accommodement » (Vos, précité, au paragraphe 54).

 

[84]           Il est raisonnable de la part de la Commission de ne pas mentionner expressément les décisions citées par le demandeur, étant donné que ces décisions ne s’appliquaient pas. Dans l’affaire Hodgins, le conseil d’arbitrage interprétait la législation ontarienne sur les droits de la personne. Cette affaire portait sur la question de savoir si et en quoi le fait pour l’employeur d’être au courant de la déficience de l’employé avait une incidence sur la réparation à accorder pour l’acte discriminatoire commis par l’employeur. La question de savoir si la plainte avait été déposée dans les délais prescrits ne se posait pas dans cette affaire. De même, l’affaire Vos ne concernait pas la question de savoir si la plainte avait été déposée dans le délai imparti; la demande de contrôle judiciaire avait été accueillie au motif que la décision de la Commission de rejeter la plainte en vertu de l’alinéa 44(3)b) faisait suite à une enquête entachée d’irrégularités.

 

[85]           Dans le cas qui nous occupe, la défenderesse n’a été mise au courant de la déficience alléguée du demandeur qu’après que le syndicat du demandeur lui eut fourni une copie du rapport psychiatrique d’août 2009 en novembre 2009, c’est‑à‑dire neuf mois après le congédiement. De plus, la défenderesse n’a pas considéré le rapport psychiatrique du demandeur comme un document l’informant de la déficience de ce dernier parce qu’il avait été produit longtemps après son congédiement par un médecin qui ne le traitait pas au moment de l’inconduite qui lui était reprochée ou de son congédiement. Le rapport psychiatrique a incité l’arbitre à rouvrir le processus d’arbitrage pour examiner les questions relatives au respect des violations alléguées des droits de la personne. Le demandeur a été examiné par un médecin indépendant convenu par les deux parties. Pourtant, l’arbitre a de nouveau conclu, en se fondant sur ce rapport médical indépendant, que la maladie mentale n’était pas un facteur qui avait joué un rôle en ce qui concerne les « vols de temps » commis par le demandeur.

 

[86]           Je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que la décision Hodgins et le jugement Vos ne permettent pas d’affirmer qu’un ancien employé peut informer son employeur de sa déficience après son congédiement au moment où il le juge bon pour ensuite, si son employeur refuse de le réintégrer dans son emploi, affirmer que ce refus constitue l’acte discriminatoire le plus récent lorsqu’il s’agit de calculer le délai d’un an imparti pour déposer une plainte en matière de droit de la personne.

 

[87]           Je constate également qu’au paragraphe 45, l’auteur du rapport recommande que, même si la Commission exerçait son pouvoir discrétionnaire et acceptait d’examiner la plainte après l’expiration du délai d’un an prescrit, elle devrait néanmoins refuser d’examiner la plainte en raison de son caractère vexatoire.

 

La conclusion de la Commission suivant laquelle la plainte était vexatoire était‑elle raisonnable?

[88]           Le demandeur affirme que la décision de la Commission suivant laquelle sa plainte était vexatoire est déraisonnable parce que la Commission n’a pas bien appliqué la jurisprudence.

 

[89]           Le demandeur affirme en premier lieu que, contrairement à la jurisprudence, la Commission a rejeté la plainte simplement parce qu’elle avait déjà été examinée par l’arbitre (Boudreault, précité, au paragraphe 17; Barrette, précité, au paragraphe 28; Lawrence c Société canadienne des postes, 2012 CF 692, [2012] ACF no 884, au paragraphe 40 [Lawrence]).

 

[90]           Deuxièmement, le demandeur affirme que la Commission a commis une erreur en se fondant sur l’arrêt Figliola, qui portait sur l’interprétation de dispositions bien précises du Human Rights Code de la Colombie‑Britannique, RSBC 1996, c 210 [Human Rights Code de la C.‑B.] et que cet arrêt ne s’applique pas à l’étape de l’examen préalable fondé sur l’article 41.

 

[91]           Troisièmement, et à titre subsidiaire, le demandeur affirme que l’arrêt Figliola a été supplanté par l’arrêt plus récent rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Penner, lequel est postérieur à la décision rendue par la Commission en l’espèce et qui a modifié considérablement le droit applicable à l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige. Le demandeur signale que notre Cour devrait tenir compte d’un précédent émanant d’une juridiction d’appel qui est plus récent que la décision de la Commission (Canada (Procureur général) c Commission canadienne des droits de la personne, 2013 CAF 75, 444 NR 120, au paragraphe 18).

 

[92]           Le demandeur affirme que, par suite de l’arrêt Penner, la conclusion de la Commission suivant laquelle les plaintes étaient vexatoires n’appartient plus aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et qu’elle est par conséquent déraisonnable. Le demandeur affirme que la Commission n’a pas tenu compte de l’équité de la procédure d’arbitrage antérieure, compte tenu notamment du fait que l’arbitre avait refusé de permettre le contre‑interrogatoire du médecin indépendant, le docteur Cashman. De plus, même si la Commission s’est penchée sur la question de savoir si la procédure d’arbitrage antérieure était équitable sur le plan procédural, elle n’a pas procédé au second volet de l’analyse exigée par l’arrêt Penner : elle ne s’est pas demandé s’il pourrait se révéler injuste d’empêcher, sur le fondement de la procédure d’arbitrage antérieure, que la plainte portée par le demandeur au sujet des droits de la personne soit déclarée recevable.

 

[93]           La défenderesse affirme que les principes établis dans l’arrêt Figliola au sujet de l’abus de procédure, de la contestation indirecte et de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige s’appliquaient à l’examen préalable de la plainte par la Commission, ajoutant que l’arrêt Figliola n’a pas été supplanté par l’arrêt Penner et que ces deux arrêts peuvent être conciliés. La défenderesse ajoute toutefois que l’issue ne serait pas différente dans le cas qui nous occupe.

 

[94]           En réponse à l’argument du demandeur suivant lequel l’arrêt Figliola ne s’applique pas à la Loi étant donné que l’alinéa 27(1)f) du Human Rights Code de la C.-B. qui était en cause dans cette affaire n’employait pas les mêmes termes que ceux que l’on trouve à l’alinéa 41(1)d) de la Loi – en particulier, le mot « vexatoire » −, la défenderesse affirme que toute instance introduite en dépit d’une décision antérieure ou formulée sous forme de contestation indirecte ou constituant par ailleurs un abus de procédure est intrinsèquement vexatoire et que les dispositions en litige dans l’arrêt Figliola visaient à traiter de ces situations de façon plus générale.

 

[95]           La thèse de la défenderesse est que l’arrêt Figliola n’a pas été supplanté par l’arrêt Penner et que les trois critères énoncés dans l’arrêt Figliola ont été respectés en l’espèce : l’arbitre était investi d’une compétence concurrente; la question de droit était essentiellement la même; le plaignant a eu la possibilité de savoir à quels arguments il devait répondre et il a eu la possibilité d’y répondre.

 

[96]           La défenderesse reconnaît qu’un arrêt rendu après la décision de la Commission, tel que l’arrêt Penner, pourrait s’appliquer. Toutefois, même si la décision de la Commission devait être réexaminée à la lumière de l’arrêt Penner, la décision de la Commission ne pourrait être qualifiée de déraisonnable : la procédure arbitrale antérieure n’était entachée d’aucune iniquité procédurale et on pouvait sans risque de commettre une injustice se fier sur son issue.

 

[97]           La défenderesse affirme également que la Commission a bien appliqué les arrêts Boudreault et Barrette, étant donné que l’arrêt Boudreault, qui a été explicité dans l’arrêt Barrette, n’oblige pas la Commission à examiner tous les éléments de preuve soumis au premier tribunal pour pouvoir refuser à bon droit d’exercer sa compétence.

 

La décision de la Commission suivant laquelle la plainte était vexatoire était raisonnable

La Commission a examiné la décision antérieure

[98]           Pour décider si une plainte qui a déjà été tranchée donne lieu à l’application de l’alinéa 41(1)d) de la Loi, la Commission doit examiner les motifs allégués et se prononcer sur leur bien‑fondé. La Commission ne peut se contenter d’exciper du fait qu’une décision a déjà été rendue pour refuser d’examiner une plainte en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi.

 

[99]           Dans l’arrêt Barrette, précité, la Cour d’appel a déclaré ce qui suit, au paragraphe 28 :

28     Il est clair, à mon avis, que la Commission doit examiner la décision de l’arbitre, non pas pour déterminer si elle est liée par cette décision, mais plutôt pour répondre à la question de savoir si, compte tenu de la décision de l’arbitre et des conclusions de fait et en matière de crédibilité qu’il a tirées, l’alinéa 41(1)d) ne s’applique pas, vu la nature de la plainte.

 

[100]       Dans l’arrêt Boudreault, précité, aux paragraphes 14 à 17, la juge Tremblay-Lamer a conclu de façon catégorique que, si le demandeur s’est prévalu des recours internes qui lui sont ouverts, la Commission ne peut refuser d’exercer sa compétence au motif que l’affaire a déjà été tranchée.

 

[101]       Toutefois, dans le jugement Lawrence, précité, aux paragraphes 40 et 41, le juge Scott a examiné l’arrêt Boudreault et a réaffirmé l’opinion plus modérée énoncée dans l’arrêt Barrette :

40     Dans Boudreault c Canada (Procureur général), (1995), 99 FTR 293, [1995] ACF no 1055, la juge Tremblay-Lamer s’est fondée sur Burke c Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1987), 125 NR 239 (CAF), et Pitawanakwat c Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (1987), 125 NR 237 (CAF), pour affirmer que si le demandeur « s’est prévalu des recours internes qui lui sont ouverts, la Commission ne peut refuser d’exercer sa compétence au motif que la chose est déjà jugée ».

 

41     De l’avis de la Cour, un examen approfondi des documents déposés montre que, dans la présente affaire, la CCDP ne s’est pas simplement fondée sur une décision antérieure lorsqu’elle a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire, mais elle a analysé attentivement l’entente de règlement. [...]

 

[102]       Dans le cas qui nous occupe, avant de refuser de statuer sur la plainte, la Commission a expressément cité les arrêts Boudreault et Barrette dans son rapport fondé sur l’article 41 et elle s’est demandé si [traduction] « la plainte n’était pas de nature à donner lieu à l’application de l’alinéa 41(1)d) ». La Commission a également formulé plusieurs observations au sujet de la procédure d’arbitrage antérieure. Elle a fait observer que le demandeur [traduction] « avait pu bénéficier des conseils d’un avocat pour aider son syndicat à présenter sa cause lors de l’arbitrage » et que le demandeur « a effectivement soulevé la question de sa déficience devant l’arbitre, mais n’a pas soulevé la question de sa race ou de son origine nationale ou ethnique; certains indices donnent toutefois à penser qu’on l’a empêché de le faire ». La Commission a fait également observer qu’« un autre décideur, en l’occurrence un arbitre du travail, s’est penché sur les raisons pour lesquelles on avait mis fin à l’emploi du plaignant » et que « l’on n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre ».

 

L’arrêt Figliola s’applique à l’étape préalable visée aux articles 40 et 41

[103]       L’auteur du rapport soulignait que les principes énoncés dans l’arrêt Figliola s’appliquaient aux commissions des droits de la personne et il énumérait les facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer si une plainte est vexatoire à la lumière des principes en question. L’auteur du rapport reconnaissait également que la Cour suprême du Canada avait conclu que, dans certaines situations, la justice pouvait exiger un nouveau procès.

 

[104]       Dans l’arrêt Figliola, la Cour suprême a énoncé les principes régissant la façon dont un tribunal administratif établi par la loi doit exercer son pouvoir discrétionnaire pour rejeter une plainte en matière des droits de la personne déjà examinée par un autre tribunal administratif créé par la loi. Bien que l’arrêt Figliola porte sur l’interprétation de l’alinéa 27(1)f) du Human Rights Code de la C.-B. et que l’on ne retrouve pas le mot « vexatoire » dans cet alinéa, la Cour suprême a, dans son arrêt, proposé certains principes généraux au sujet des façons de prévenir « les abus dans le processus décisionnel » et, par conséquent, il pourrait s’appliquer de façon plus générale aux décisions prises par la Commission en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi. Le mot « vexatoire » que l’on trouve à l’alinéa 41(1)d) de la Loi réunit, à l’instar de l’alinéa 27(1)f) du Human Rights Code de la C.-B., les doctrines de common law qui consacrent le caractère définitif des décisions judiciaires, en l’occurrence les principes de l’autorité de la chose jugée, de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige, de la contestation indirecte et de l’abus de procédure.

 

[105]       La Commission n’a pas commis d’erreur en se fondant sur l’arrêt Figliola. L’alinéa 41(1)d) de la Loi prévoit que « [...] la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable [...] [parce que] d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi » [non souligné dans l’original]. Dans l’arrêt Figliola, la Cour suprême a examiné les principes juridiques permettant de conclure au caractère vexatoire d’une plainte.

 

[106]       Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale a jugé que l’arrêt Figliola s’appliquait au Tribunal canadien des droits de la personne [le TCDP] lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire pour refuser de statuer sur une plainte déjà examinée par un autre tribunal administratif. La Cour d’appel a fait observer que, dans l’arrêt Figliola, la Cour suprême avait conclu que l’alinéa 27(1)f) du Human Rights Code de la C.-B. incarnait les doctrines de common law consacrant le caractère définitif des décisions — l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige, l’abus de procédure et le principe interdisant les contestations indirectes — et que, par conséquent, les observations formulées par la Cour dans l’arrêt Figliola étaient utiles lorsqu’il s’agissait pour le TCDP d’appliquer ces principes de common law (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Office des transports du Canada, 2011 CAF 332, 37 Admin LR (5th) 180, au paragraphe 24). Il en va de même pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission aux termes de l’alinéa 41(1)d).

 

[107]       L’arrêt Figliola continue donc à fournir des balises à l’étape de l’examen préalable lorsqu’il s’agit de déterminer si l’application des doctrines de common law consacrant le caractère définitif des décisions, notamment celui relatif à l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige, causerait une injustice et si la plainte est vexatoire.

 

[108]       L’arrêt Figliola a été rendu à cinq voix contre quatre et tant les juges majoritaires que les juges minoritaires ont qualifié de déraisonnable la décision du Tribunal des droits de la personne de la Colombie‑Britannique de refuser de statuer sur la plainte. Les juges majoritaires se sont concentrés sur la question de savoir si le tribunal avait statué de façon appropriée sur le fond de la plainte. Voici les principes pertinents applicables qu’ils ont énumérés aux paragraphes 34 à 37 de leur décision :

[34]    Ces doctrines existent essentiellement pour prévenir l’iniquité en empêchant « les recours abusifs » (Danyluk, par. 20; voir aussi Garland, par. 72, et Toronto (Ville), par. 37). On peut résumer ainsi leurs principes sous‑jacents communs :

 

•           La capacité de se fier au caractère définitif d’une décision sert l’intérêt public et celui des parties (Danyluk, par. 18; Boucher, par. 35);

 

•           Le respect du caractère définitif d’une décision judiciaire ou administrative renforce l’équité ou l’intégrité des tribunaux judiciaires et administratifs ainsi que de l’administration de la justice; à l’opposé, la remise en cause de questions déjà tranchées par un forum compétent peut miner la confiance envers l’équité et l’intégrité du système en créant de l’incohérence et en suscitant des recours faisant inutilement double emploi (Toronto (Ville), par. 38 et 51);

 

•           La contestation de la validité ou du bien-fondé d’une décision judiciaire ou administrative se fait au moyen de la procédure d’appel ou de contrôle judiciaire prévue par le législateur (Boucher, par. 35; Danyluk, par. 74);

 

•           Les parties ne doivent pas éluder le mécanisme de révision prévu en s’adressant à un autre forum pour contester une décision judiciaire ou administrative (TeleZone, par. 61; Boucher, par. 35; Garland, par. 72);

 

•           En évitant les causes inutiles, on évite le gaspillage de ressources (Toronto (Ville), par. 37 et 51);

 

[35]     C’est sur ces principes que repose l’al. 27(1)f). Individuellement et collectivement, ils font échec aux arguments voulant que l’accessibilité à la justice soit synonyme d’accès successifs à de multiples forums ou que plus on rend de décisions plus on s’approche de la justice.

 

[36]    Considéré dans son ensemble, l’alinéa 27(1)f) ne codifie pas les doctrines elles-mêmes ou leurs explications techniques, il en englobe les principes sous-jacents afin d’assurer le caractère définitif des instances, l’équité et l’intégrité du système judiciaire en prévenant les incohérences, les dédoublements et les délais inutiles. Il s’ensuit que ce ne sont pas tant des dogmes doctrinaux précis qui devraient guider le Tribunal que les objets de la disposition, qui sont d’assurer l’équité du caractère définitif du processus décisionnel et d’éviter la remise en cause de questions déjà tranchées par un décideur ayant compétence pour en connaître. La justice est accrue par la protection de l’attente des parties qu’elles ne soient pas sujettes à des instances supplémentaires, devant un forum différent, pour des questions qu’elles estimaient résolues définitivement. Le magasinage de forum pour que l’issue d’un litige soit différente et meilleure peut être maquillé de nombreux qualificatifs attrayants, l’équité n’en fait toutefois pas partie.

 

[37]     En s’appuyant sur ces principes sous-jacents, le Tribunal est appelé à se demander s’il existe une compétence concurrente pour statuer sur les questions relatives aux droits de la personne, si la question juridique tranchée par la décision antérieure était essentiellement la même que celle qui est soulevée dans la plainte dont il est saisi et si le processus antérieur, qu’il ressemble ou non à la procédure que le Tribunal préfère ou utilise lui-même, a offert la possibilité aux plaignants ou à leurs ayants droit de connaître les éléments invoqués contre eux et de les réfuter. Toutes ces questions visent à déterminer s’il « a été statué de façon appropriée » sur le fond de la plainte. Il s’agit, en définitive, de se demander s’il est logique de consacrer des ressources publiques et privées à la remise en cause de ce qui est essentiellement le même litige.

 

[109]       Dans le cas qui nous occupe, le critère énoncé au paragraphe 37 de l’arrêt Figliola, précité, a été respecté. Le demandeur avait déjà allégué qu’il avait été victime de discrimination fondée sur la déficience lorsqu’il avait contesté son congédiement devant l’arbitre en janvier 2012 lors d’une audience au cours de laquelle il était représenté tant par son syndicat que par un conseiller juridique. L’arbitre a expressément examiné le volet du grief portant sur les droits de la personne, c’est‑à‑dire la déficience intellectuelle alléguée. En fait, l’arbitre a expressément mentionné le fait que des considérations relatives aux droits de la personne l’avaient incité à réexaminer le grief du demandeur à la lumière de ses allégations de maladie mentale. Ainsi que la Commission l’a fait observer, le demandeur aurait pu formuler ses allégations de discrimination fondées sur la race et l’origine ethnique soit lors de l’audience arbitrale de 2009 soit lors de celle de 2012 ou même plus tôt, au cours de son audience disciplinaire, mais il ne l’a pas fait. Le demandeur était au courant des arguments auxquels il devait répondre lors de l’arbitrage et il a pris part au processus. L’arbitre a tenu compte des nouveaux éléments de preuve soumis par le demandeur en 2012 et a conclu qu’ils [traduction] « affaiblissent tout argument suivant lequel les droits de la personne du plaignant ont été violés ».

 

[110]       L’analyse porte ensuite sur le caractère raisonnable de la conclusion de la Commission suivant laquelle la plainte était vexatoire pour le cas où les principes énumérés dans l’arrêt Penner au sujet de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige devaient s’appliquer.

 

La décision de la Commission est raisonnable compte tenu de l’arrêt Penner

[111]       La décision plus récente rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Penner ne change rien aux issues et ne rend pas l’arrêt Figliola non applicable aux décisions rendues par les commissions des droits de la personne.

 

[112]       Dans l’arrêt Penner, la Cour suprême s’est penchée sur la question de la démarche que les tribunaux devaient suivre pour décider dans quel cas l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige doit s’appliquer lorsqu’une instance administrative a déjà eu lieu. L’arrêt Penner a été rendu à quatre voix contre trois; les juges majoritaires ont conclu que l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige ne s’appliquait pas et ils ont fait droit au pourvoi, tandis que les juges minoritaires auraient appliqué l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige et auraient rejeté le pourvoi.

 

[113]       Dans l’arrêt Penner, précité, les juges majoritaires ont analysé, aux paragraphes 28 à 31 le cadre juridique régissant la question de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige :

[28]     La tenue d’une nouvelle instance à l’égard d’une question déjà tranchée gaspille les ressources, fait en sorte qu’il soit risqué pour les parties d’agir sur la foi du jugement obtenu à l’issue de l’instance antérieure, expose inéquitablement les parties à des frais additionnels, soulève le risque d’incohérence décisionnelle et, lorsque le premier décideur exerce une fonction qui relève du droit administratif, risque de contrecarrer l’intention du législateur qui a mis en place le régime administratif. Pour ces motifs, le droit a développé un certain nombre de doctrines visant à limiter la tenue de nouvelles instances.

 

[29]     La doctrine pertinente en l’espèce est celle de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée. Elle établit un équilibre entre le caractère définitif des décisions et l’économie, d’une part, et d’autres considérations intéressant l’équité envers les parties, d’autre part. Toujours selon cette doctrine, une partie ne peut pas engager une nouvelle instance à l’égard d’une question tranchée de façon définitive à l’issue d’une instance judiciaire antérieure opposant les mêmes parties ou celles qui les remplacent. Toutefois, même si ces éléments sont réunis, la cour de justice conserve le pouvoir discrétionnaire de ne pas appliquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée lorsqu’il en découlerait une injustice.

 

[30]      Selon le principe sur lequel repose ce pouvoir discrétionnaire, « [u]ne doctrine élaborée par les tribunaux dans l’intérêt de la justice ne devrait pas être appliquée mécaniquement et donner lieu à une injustice » : Danyluk, par. 1; voir également Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77, par. 52-53.

 

[31]     La préclusion découlant d’une question déjà tranchée, de même que le pouvoir discrétionnaire qui s’y rattache, s’applique aux décisions des tribunaux administratifs. Le cadre juridique qui régit l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire est énoncé dans Danyluk. À notre avis, ce cadre n’a pas été supplanté par la jurisprudence subséquente de la Cour. Lorsque les cours de justice exercent leur pouvoir discrétionnaire, elles doivent tenir compte de l’éventail et de la diversité des structures, des mandats et des règles de procédure qui circonscrivent le travail des décideurs dans la sphère administrative; toutefois, il ne faut pas exercer ce pouvoir discrétionnaire de manière à, dans les faits, sanctionner une attaque collatérale, ou à miner l’intégrité du régime administratif. Comme le souligne la jurisprudence de la Cour, particulièrement depuis Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, les lois qui créent les tribunaux administratifs sont le reflet des choix politiques des législateurs et la prise de décision par ces tribunaux doit être traitée avec respect par les cours de justice. Cela dit, comme la Cour l’a affirmé dans Danyluk, par. 67 : « L’objectif est de faire en sorte que l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée favorise l’administration ordonnée de la justice, mais pas au prix d’une injustice concrète dans une affaire donnée. »

 

[114]       Aux paragraphes 39 à 42, les juges majoritaires ont expliqué qu’il pouvait y avoir injustice dans deux situations précises :

[39] De manière générale, les facteurs relevés dans la jurisprudence montrent que l’iniquité peut se manifester de deux façons principales qui se chevauchent et ne s’excluent pas l’une l’autre. Premièrement, l’iniquité de l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée peut résulter de l’iniquité de l’instance antérieure. Deuxièmement, même si l’instance antérieure s’est déroulée de manière juste et régulière, eu égard à son objet, il pourrait néanmoins se révéler injuste d’opposer la décision en résultant à toute action ultérieure.

 

a)  Caractère équitable de l’instance antérieure

 

[40]     Si l’instance antérieure a été inéquitable envers une partie, ce serait redoubler l’iniquité que cette partie soit liée par l’issue en résultant aux fins d’une action ultérieure. Par exemple, dans Danyluk, la décision administrative antérieure découlait d’un processus dans le cadre duquel Mme Danyluk n’avait pas été informée des allégations formulées par l’autre partie et n’avait pas eu la possibilité d’y répondre.

 

[41]     Bon nombre des facteurs établis dans la jurisprudence, dont les garanties procédurales, l’existence d’un droit d’appel et l’expertise du décideur, ont trait à la possibilité de participer à la procédure administrative et au caractère équitable de cette dernière. Ces considérations sont importantes parce qu’elles permettent de déterminer si les parties ont eu une possibilité raisonnable de présenter leur position, si les questions soulevées ont été tranchées et s’il est possible de faire réexaminer la décision. Dans la négative, il pourrait se révéler injuste qu’elles se voient liées par la première décision aux fins d’autres actions.

 

b)  Caractère équitable du fait d’opposer l’issue d’une instance antérieure à une action intentée ultérieurement

 

[42]      La deuxième façon dont l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée peut se révéler inéquitable n’intéresse pas tant le caractère équitable de l’instance antérieure que celui du fait d’opposer la décision issue de cette instance à une autre action. Dans ce deuxième sens, l’équité fait l’objet d’un examen beaucoup plus nuancé. D’une part, une partie est censée soulever toutes les questions pertinentes et ne dispose pas de multiples tentatives pour obtenir un jugement favorable. Le caractère définitif est important tant pour les parties que pour le système judiciaire. En revanche, même si l’instance antérieure s’est déroulée de manière juste et régulière eu égard à son objet, il pourrait se révéler injuste d’empêcher, sur le fondement de l’issue d’une procédure antérieure, la tenue d’une autre instance. Par exemple, ce peut être le cas lorsque les objets, la procédure ou les enjeux des deux instances diffèrent grandement. Nous reconnaissons que la procédure administrative et la procédure judiciaire différeront toujours sur ces plans. Or, pour démontrer qu’il y a iniquité selon ce deuxième sens que nous venons de décrire, il faut un écart considérable, évalué à la lumière de l’importance que revêt également en droit administratif, selon la Cour, le caractère définitif des litiges. Comme l’ont souligné les juges Doherty et Feldman dans Schweneke c. Ontario (2000), 47 O.R. (3d) 97 (C.A.), par. 39, si les tribunaux refusaient systématiquement d’appliquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée parce que les garanties procédurales applicables en matière administrative et en matière judiciaire ne correspondent pas, cette doctrine serait l’exception plutôt que la règle. [Italiques dans l’original.]

 

[115]       Bien que les juges dissidents dans l’arrêt Penner aient laissé entendre que les juges majoritaires s’étaient écartés de l’arrêt Figliola, ceux‑ci n’ont pas expressément mentionné l’arrêt Figliola. Toutefois, les juges majoritaires ont fait observer, au paragraphe 31, que le cadre légal établi dans l’arrêt Danyluk c Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44, [2001] 2 RCS 460 [Danyluk], qui régit la façon dont la cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour suspendre l’application de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige a été supplantée par la « jurisprudence subséquente », ce qui engloberait l’arrêt Figliola.

 

[116]       Dans l’arrêt Penner, les juges dissidents se sont dits d’avis que l’arrêt Figliola s’était écarté de la façon d’appliquer l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige qui avait été proposée dans l’arrêt Danyluk, dans lequel il avait été jugé que les tribunaux administratifs disposaient d’un pouvoir discrétionnaire plus large que celui des cours de justice pour suspendre l’application de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige. Les juges dissidents ont estimé que l’arrêt Figliola demeurait la décision dans laquelle avait été énoncée la bonne méthode à appliquer tant le cas des tribunaux administratifs que dans celui des cours de justice pour déterminer si l’irrecevabilité résultant des questions en litige s’appliquait en raison de l’existence d’une décision antérieure d’un tribunal administratif. Les juges dissidents ont reproché au juge majoritaire de reprendre la méthode proposée dans l’arrêt Danyluk et d’élargir encore plus la portée de l’analyse de l’équité proposée dans la décision antérieure.

 

[117]       Il importe d’établir une distinction entre les faits de l’arrêt Penner et ceux de l’arrêt Figliola. L’affaire Penner portait sur l’application du principe précis de common law de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige par une cour de justice à la lumière de la décision antérieure d’un tribunal administratif. En revanche, l’affaire Figliola portait sur le cas d’un décideur administratif qui avait appliqué une disposition législative qui incorporait les principes à la base des doctrines de common law consacrant le caractère définitif des décisions judiciaires, notamment les principes de l’autorité de la chose jugée, de l’abus de procédure, de l’interdiction des contestations indirectes et de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige.

 

[118]       Je constate que, dans l’arrêt Figliola, les juges majoritaires ont précisé qu’on ne pouvait savoir avec certitude si les facteurs énoncés dans l’arrêt Danyluk s’appliquaient aux faits de l’affaire Figliola. Les juges majoritaires ont établi une distinction avec l’affaire Danyluk au motif que celle-ci était censée aider les tribunaux à appliquer le principe de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige. Les juges majoritaires ont conclu que l’alinéa 27(1)f) du Human Rights Code de la C.-B. ne se limitait pas à l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige, mais commandait une approche appliquant les différents principes à la base des diverses doctrines de common law consacrant le caractère définitif des décisions judiciaires (Figliola, précité, au paragraphe 44).

 

[119]       Comme nous l’avons déjà mentionné, à l’instar des dispositions pertinentes du Human Rights Code de la C.-B. que la Cour suprême du Canada a examinées dans l’arrêt Figliola, l’alinéa 41(1)d) ne se limite pas non plus à l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige; la notion de plainte vexatoire pourrait englober les plaintes qui sont chose jugée, ou qui constituent un abus de procédure ou une contestation indirecte ou qui sont irrecevables en raison du principe de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige. La conclusion de la Commission suivant laquelle la plainte du demandeur était vexatoire au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi était fondée sur le fait que la plainte avait [traduction] « déjà été jugée de façon appropriée » et que, comme il était mentionné dans le rapport [traduction] « permettre au plaignant de soulever de nouveaux motifs de discrimination devant la Commission alors qu’il aurait pu faire examiner toutes ses questions relatives aux droits de la personne lors de l’arbitrage constituerait un abus de procédure et ferait en sorte que sa plainte devrait être considérée comme vexatoire ».

 

[120]       La Commission n’a pas mentionné l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige pour justifier sa conclusion que la plainte était vexatoire; il est toutefois évident que la Commission s’est inspirée des balises proposées dans l’arrêt Figliola qui englobaient les diverses doctrines consacrant le caractère définitif des décisions judiciaires.

 

[121]       Je suis d’avis que la Commission s’est guidée sur l’arrêt Figliola pour conclure au caractère vexatoire de la plainte.

 

[122]       Toutefois, si l’arrêt Penner devait également s’appliquer parce que l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige aurait pu constituer le motif à la base de la conclusion de la Commission suivant laquelle la plainte était vexatoire plutôt que les considérations plus larges relatives au caractère définitif des décisions sous-jacentes à l’alinéa 41(1)d) de la Loi – dont la Commission a, à mon avis, tenu compte –, l’issue ne serait pas différente. La décision de la Commission de rejeter la plainte était raisonnable même si l’on devait appliquer l’arrêt Penner.

 

[123]       Si l’arrêt Penner avait dû être appliqué, la Commission aurait dû procéder à une analyse plus approfondie de la décision antérieure avant de pouvoir conclure que la plainte était vexatoire. Elle aurait d’abord examiné la question de savoir si la procédure d’arbitrage avait été équitable. Elle aurait ensuite examiné la question de l’équité. Elle se serait ensuite penchée sur la question de savoir s’il pouvait se révéler injuste d’empêcher, sur le fondement de l’issue de la procédure d’arbitrage, que la plainte soit déclarée recevable.

 

[124]       À mon avis, la procédure d’arbitrage n’était entachée d’aucune iniquité. Le demandeur était représenté tant par son syndicat que par un conseiller juridique. Il a eu la possibilité de participer aux débats, de fournir des documents et de faire valoir son point de vue. Il existait un mécanisme permettant de réviser la décision de l’arbitre et de vérifier notamment si la procédure suivie était conforme à l’équité procédurale; or, le demandeur n’a pas demandé de contrôle judiciaire.

 

[125]       Quant à l’argument du demandeur suivant lequel l’arbitre a manqué à l’équité procédurale en refusant de lui permettre de contre-interroger le docteur Cashman, le médecin indépendant, je suis d’accord avec la défenderesse pour dire que le fait de permettre ce contre-interrogatoire aurait permis au demandeur d’attaquer la crédibilité de son propre témoin, ce qui irait à l’encontre de l’objet visé par un examen médical indépendant. Le demandeur a accepté de se soumettre à un examen médical et il était d’accord avec le choix du docteur Cashman.

 

[126]       De plus, j’estime que le fait de se fonder sur les issues du processus arbitral pour conclure que la plainte était vexatoire n’était pas injuste. Il n’existait aucune différence marquée entre les objectifs, la procédure ou les enjeux des deux instances, surtout dans le cas du demandeur. Ainsi que la défenderesse l’a fait valoir à juste titre, les arbitres fédéraux du travail se voient conférer le pouvoir d’interpréter, d’appliquer et d’accorder des réparations en conformité avec la loi et, en revanche, la Commission peut refuser de statuer sur une plainte si le demandeur n’a pas épuisé toutes les procédures de règlement des griefs dont il dispose. Dans le cas qui nous occupe, le demandeur a tenté de se faire réintégrer dans ses fonctions par la défenderesse. La Commission aurait également pu examiner des questions de discrimination systémique, mais le demandeur n’a fait que des affirmations vagues et générales en ce qui concerne la discrimination systémique. Par conséquent, tant dans le cadre du processus d’arbitrage que dans celui de l’examen de la plainte en matière de droit de la personne, on aurait pu aborder la question du statut d’emploi du demandeur ainsi que les dommages que lui avait causés son congédiement. Et, comme nous l’avons fait observer à plusieurs reprises, le demandeur n’a soulevé ses allégations de discrimination fondée sur sa race et son origine ethnique qu’après son congédiement et après l’aboutissement du premier processus d’arbitrage.

 

[127]       Il convient de signaler que le seul objectif visé par la réouverture du processus d’arbitrage et de l’audience de janvier 2012 était de donner au demandeur la possibilité de faire valoir ses arguments en matière de droits de la personne à la lumière des nouveaux éléments de preuve médicaux indépendants. Dans l’arrêt Penner, précité, la Cour souligne au paragraphe 42 que l’on s’attend à ce qu’une partie soulève toutes les questions appropriées et qu’on ne peut lui accorder des occasions multiples pour obtenir une décision judiciaire qui la favorise.

 

[128]       La Commission s’est demandé si le fait de conclure que la plainte était vexatoire causerait une injustice et elle a répondu, de façon raisonnable, par la négative à cette question.

 

[129]       L’iniquité et l’injustice doivent être réelles et des allégations d’iniquité et d’injustice ne suffisent pas, et ce, que l’on considère que les principes énoncés dans l’arrêt Figliola renferment des balises permettant de tirer de telles conclusions ou que l’on estime plutôt que l’on devrait appliquer les principes de l’arrêt Penner, qui commandent une analyse en deux étapes plus approfondie au sujet de l’équité de la procédure antérieure lorsqu’il s’agit d’exercer le pouvoir discrétionnaire de soustraire une partie aux conséquences de l’application du principe de l’irrecevabilité résultant de l’identité des questions en litige ou de celles de la conclusion que sa plainte était vexatoire.

 

[130]       Dans le cas qui nous occupe, le demandeur n’a pas démontré en quoi le fait d’invoquer le caractère définitif du processus arbitral lui aurait causé une injustice ou une iniquité.

 

[131]       Dans les arrêts Figliola et Penner, les juges majoritaires ont beaucoup insisté sur l’importance du caractère définitif des décisions. Ainsi que la Cour l’a fait observer, dans l’arrêt Figliola, précité, au paragraphe 35, les principes du caractère définitifs des décisions « font échec aux arguments voulant que l’accessibilité à la justice soit synonyme d’accès successifs à de multiples forums ou que plus on rend de décisions plus on s’approche de la justice ». Dans l’arrêt Penner, précité, au paragraphe 42, les juges majoritaires ont fait observer ce qui suit : « [U]ne partie est censée soulever toutes les questions pertinentes et ne dispose pas de multiples tentatives pour obtenir un jugement favorable. Le caractère définitif est important tant pour les parties que pour le système judiciaire. »

 

[132]       La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[133]       Ainsi que les parties l’ont convenu, les dépens sont adjugés à la défenderesse et sont établis au montant de 3 000 $.


JUGEMENT

 

LA COUR :

 

1.                  REJETTE la demande de contrôle judiciaire;

 

2.                  ADJUGE à la défenderesse les dépens, lesquels sont établis à la somme de 3 000 $.

 

 

 

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 


DOSSIER :

T-509-13

 

INTITULÉ :

DAVINDER KHAPAR c AIR CANADA

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                            LE 10 DÉCEMBRE 2013

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :

                                                            LA JUGE KANE

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 10 FÉVRIER 2014

ONT COMPARU :

Raj Anand

POUR LE DEMANDEUR

 

Rachelle Henderson

Fred Headon

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

WeirFoulds LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

 

 

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