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Date : 20140402


Dossier :

T-2005-06

 

Référence : 2014 CF 317

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2014

En présence de monsieur le juge Mosley

 

 

ENTRE :

LOUIS DUFOUR

 

Demandeur

et

SA MAJESTÉ LA REINE

 

Défenderesse

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

(Appel d’une ordonnance de protonotaire datée du 28 février 2014)

[1]               Dans la présente requête, le demandeur, M. Louis Dufour, porte appel d’une ordonnance de Madame la protonotaire Tabib rejetant sa requête ex parte qui visait « à aviser la responsable du dossier (Madame la protonotaire Tabib) que la règle 388 a été enfreinte et à demander qu’elle prenne les actions requises pour y remédier ». Spécifiquement, le demandeur contestait les communications entre la Cour et la Gendarmerie royale du Canada (« GRC ») ainsi que la Sûreté du Québec lors des séances de médiation, prétendant que celles-ci ont enfreint la règle 388 selon laquelle les « discussions tenues au cours d’une conférence de règlement des litiges ainsi que les documents élaborés pour la conférence sont confidentiels et ne peuvent être divulgués. »

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis de rejeter l’appel.

 

La décision faisant l’objet de l’appel 

[3]                 Dans son ordonnance datée du 28 février 2014, la protonotaire Tabib a noté que l’obligation de confidentialité prévue à la règle 388 doit être interprétée à la lumière de la règle 152, qui prévoit l’identification et l’accès aux documents confidentiels. Elle a aussi noté que l’article 59 de la Loi sur les Cours fédérales prévoit l’assistance et les services de la GRC ou de tout corps policier qui sont jugés nécessaires à la conduite des audiences devant la Cour fédérale, ou à la sécurité de ses membres et de son personnel. En conséquence, la protonotaire Tabib a conclu que la communication d’information pertinente par un membre de la Cour ou de son personnel aux forces policières ne constitue pas une divulgation « au public », mais à « un organisme mandaté par la loi pour dispenser des services auxiliaires à la Cour. » Pour cette raison, les communications en l’espèce ne constituaient pas, à leur face même, une contravention à la règle 388.

 

[4]               Par ailleurs, elle a conclu que les rapports de police qui sont devenus publics ne révélaient pas la substance des offres de règlement échangées lors de la médiation, mais qu’ils s’attardaient plutôt sur « l’insatisfaction et la frustration profondes exprimées » par le demandeur à l’égard de la médiation. Puisque cette frustration avait déjà été publiquement dévoilée par le demandeur dans sa lettre du 3 février 2009, qu’il avait spécifiquement demandé soit placée au dossier de la Cour, la protonotaire Tabib a conclu que les communications n’auraient révélées « qu’une version différente de la façon dont le demandeur a exprimé sa frustration ». La protonotaire Tabib a donc jugé que :

Dans les circonstances, et considérant que la présente instance est et demeure suspendue et qu’aucun remède n’est recherché ni utile, il n’y aurait de toute façon aucune raison de s’enquérir d’avantage quant à l’usage qu’auraient fait les corps policiers de l’information que la Cour a partagé avec eux.

 

Analyse

[5]               Le demandeur soutient que la protonotaire Tabib a commis une erreur de fait ou de droit en interprétant la règle 388 à la lumière de la règle 152. Lors des séances de médiations, la Cour agissait en tant que médiateur et les juges responsables de la gestion d’instance au dossier ne sont pas habilités à rendre des ordonnances, telles celles prévues par la règle 152. Par ailleurs, les communications entre la GRC et la Cour constituent une « divulgation du déroulement des procédures en médiations. » Le demandeur soutient aussi que le médiateur au dossier n’a pas joué un rôle neutre et que la présence de la GRC avait pour seul objectif d’intimider les demandeurs et de les inciter à accepter l’offre reçue sans poser des questions. La présence de la GRC est aussi « très mal perçue » par le demandeur parce que les agents de la GRC avaient le droit d’être présents lorsque son avocat a avisé la Cour qu’il avait un conflit d’intérêts et ne pouvait plus agir pour son client. La GRC sait donc pourquoi son avocat avait un conflit d’intérêts, alors que le demandeur affirme qu’on ne lui a jamais expliqué le fondement du conflit. Le demandeur soutient qu’il a droit à une médiation juste et équitable.      

   

[6]               Bien que je sois sensible à la frustration et à l’insatisfaction profonde du demandeur à l’égard de la médiation, dans Z.I. Pompey Industrie c ECU-Line N.V., 2003 CSC 27, [2003] 1 RCS 450 [Pompey] au para 18, la Cour suprême du Canada a établi que les décisions discrétionnaires d’une protonotaire ne peuvent être modifiées par le juge des requêtes que dans deux instances :

18      Le juge des requêtes ne doit modifier l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire que dans les cas suivants : a) l’ordonnance est entachée d’une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire sur le fondement d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits, ou b) le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire relativement à une question ayant une influence déterminante sur la décision finale quant au fond : Canada c. Aqua‑Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), le juge MacGuigan, p. 462‑463.  Une cour d’appel ne peut intervenir que si le juge des requêtes n’avait aucun motif de modifier la décision du protonotaire ou, advenant l’existence d’un tel motif, si la décision du juge des requêtes était mal fondée ou manifestement erronée : Jian Sheng Co. c. Great Tempo S.A., [1998] 3 C.F. 418 (C.A.), le juge Décary, p. 427‑428, autorisation de pourvoi refusée, [1998] 3 R.C.S. vi.  Pour les motifs qui suivent, j’arrive à la conclusion que les décisions du protonotaire, du juge des requêtes et de la Cour d’appel sont entachées d’une erreur flagrante.

 

[7]               En l’espèce, puisque la question soulevée n’a pas une « influence déterminante sur la décision finale quant au fond », l’ordonnance de protonotaire Tabib ne peut être modifiée que si elle est entachée d’une erreur flagrante, « en ce sens que l[a] protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire sur le fondement d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits ».

 

[8]               La règle 152 est une règle d’application générale qui peut être invoquée dans tous les cas où, en vertu d’une règle de droit, un document ou un élément matériel doit être considéré comme confidentiel. Puisque la règle 388 prévoit une obligation de confidentialité, elle doit être interprétée à la lumière de la règle 152 qui régit, entre autres, l’accès aux documents ou aux éléments matériels confidentiels. Je note que contrairement à l’affirmation du demandeur, les pouvoirs des juges responsables de la gestion de l’instance incluent le pouvoir de « donner toute directive ou rendre toute ordonnance nécessaires pour permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible », tel que prévu par la règle 385.  

 

[9]               L’article 59 prévoit que la Cour ou son personnel peuvent avoir recours aux services ou à l’assistance de la GRC ou des corps policiers lorsque, compte tenu des circonstances, ceux-ci sont jugés nécessaires. Comme l’a conclu la protonotaire Tabib, la communication d’information pertinente par un membre de la Cour ou de son personnel dans le cadre de cet article n’enfreint pas l’obligation de confidentialité prévue par la règle 388 qui s’impose vis-à-vis « le public ». Ces communications constituent plutôt une divulgation « à un organisme mandaté par la loi pour dispenser des services auxiliaires à la Cour. »    

 

[10]           Par ailleurs, je souscris à la conclusion de la protonotaire selon laquelle si les rapports de police sont devenus publics, ils ne révélaient pas la substance des offres de règlement échangées lors des séances de médiation, mais plutôt une version de la façon dont le demandeur a exprimé sa frustration.

 

[11]           En outre, comme l’a noté la protonotaire Tabib, l’instance est et demeure suspendue et aucun remède procédural n’est recherché ni utile.   

 

[12]           Puisqu’il est impossible d’affirmer que la protonotaire Tabib a commis une erreur flagrante en rejetant la requête, l’appel est rejeté.

 

 

 

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que l’appel soit rejeté.

 

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DOSSIER :

T-2005-06

 

INTITULÉ :

LOUIS DUFOUR

 

c

 

SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                            Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE

PAR ÉCRIT :

                                                            LE 27 mars 2014

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

                                                            LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 2 avril 2014

COMPARUTIONS :

Louis Dufour

pour le demandeur

(pour son propre compte)

 

Me Antoine Lippé

 

pour lA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Louis Dufour

Notre Dame de Lourdes

Joliette (Québec)

 

pour le demandeur

(pour son proper compte)

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

pour lA DÉFENDERESSE

 

 

 

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