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Date : 20140407


Dossier :

T-1112-13

 

Référence : 2014 CF 326

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 7 avril 2014

En présence de monsieur le juge Hughes

 

ENTRE :

E. MISHAN & SONS, INC. ET
BLUE GENTIAN, LLC

 

demanderesses/
défenderesses reconventionnelles

 

Et

SUPERTEK CANADA INC., INTERNATIONAL EDGE, INC. ET TELEBRANDS CORP.

 

défenderesses/
demanderesses reconventionnelles

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’une action concernant la contrefaçon et la validité de certaines revendications du brevet canadien portant le no 2 779 882 et intitulé « Boyau flexible pouvant subir une expansion ou une contraction ». L’objet visé est un boyau d’arrosage qui, lorsqu’il est rangé, est assez compact; cependant, lorsqu’on le soumet à une pression d’eau, il s’étend sur environ deux fois et demie sa longueur et, lorsque la pression est coupée, il se rétracte à sa longueur initiale. Ce boyau a été annoncé à des fins de vente, notamment au moyen de messages publicitaires télévisés.

 

[2]               Pour les motifs qui suivent, je conclus que les revendications invoquées du brevet sont invalides pour cause d’évidence.

 

[3]               Voici la table des matières des présents motifs :

 

Rubriques

Numéros de paragraphe correspondants

LES PARTIES

4 – 8

LE BREVET 882 EN GÉNÉRAL

 

9 – 15

LE BREVET 882 EN DÉTAIL

16 – 27

LES REVENDICATIONS EN LITIGE

28 – 29

LES TÉMOINS

30 – 34

LES DISPOSITIFS QUI CONTREFONT CENSÉMENT AUX REVENDICATIONS

 

35 – 36

LES LITIGES À L’ÉTRANGER

37 – 43

LES TRAVAUX DE MONSIEUR. BERARDI

44 – 54

QUELQUES OBSERVATIONS SUR LES TÉMOINS DE FAIT ET LES PREUVES

 

55 – 65

QUELQUES OBSERVATIONS SUR LES TÉMOINS EXPERTS ET LEURS PREUVES

 

66 – 73

LES QUESTIONS EN LITIGE

74 – 77

LA PERSONNE VERSÉE DANS L’ART

78 – 81

LE CONTEXTE DES ANTÉRIORITÉS

82 – 91

L’INTERPRÉTATION DES REVENDICATIONS

 

92 – 106

LA CONTREFAÇON DES REVENDICATIONS NOS  1, 15, 28 ET 42

 

107 – 117

LA VALIDITÉ – EN GÉNÉRAL

118

LA VALIDITÉ – L’ANTÉRIORITÉ COMPTE TENU DU BREVET MANY

 

119 – 127

LA VALIDITÉ – L’ÉVIDENCE, COMPTE TENU DES ANTÉRIORITÉS ET, EN PARTICULIER, DU BREVET McDONALD

 

128 – 145

LA VALIDITÉ – DES REVENDICATIONS D’UNE PORTÉE PLUS LARGE QUE CELLE DE L’INVENTION

 

146 – 159

LES MESURES DE RÉPARATION

160 – 161

LES DÉPENS

162 – 163

AUTRES QUESTIONS

164

 

LES PARTIES

[4]               La demanderesse E. Mishan & Sons, Inc. est une société de l’État de New York dont le siège social est situé à New York. Elle est appelée « Emson ». Edward (Eddie) Mishan, un dirigeant de cette société, a comparu comme témoin au procès.

 

[5]               La demanderesse Blue Gentian, LLC est une société à responsabilité limitée de la Floride, dont le siège social est situé à Jupiter (Floride). Le brevet en cause a été délivré et accordé à Blue Gentian, qui en demeure le titulaire. Elle est la brevetée. Michael Berardi est un dirigeant de Blue Gentian et l’inventeur désigné du brevet. Il a comparu comme témoin au procès.

 

[6]               La défenderesse Supertek Canada Inc. est une société canadienne dont le siège social est situé à Montréal (Québec). Elle vend au Canada des produits dits [traduction] « tels que vus à la télévision », comme les boyaux qui sont en litige.

 

[7]               La défenderesse Telebrands Corp. est une société de l’État du New Jersey, dont le siège social est situé à Fairfield (New Jersey). Cette société fait de la publicité à la télévision et sur Internet et vend des produits tels que les boyaux en litige. Ajit Khubani, un dirigeant de Telebrands, a comparu comme témoin au procès.

 

[8]               La défenderesse International Edge Inc. est une société de l’État de New York ayant des bureaux situés au même endroit que Telebrands. Cette société n’est pas liée à Telebrands, mais Poonam Khubani, l’épouse d’Ajit Khubani, en est la dirigeante. International Edge fournit les mêmes boyaux que ceux qui sont en litige à des clients situés à l’extérieur des États‑Unis, comme Supertek.

 

LE BREVET 882 EN GÉNÉRAL

[9]               Sont en litige les lettres patentes canadiennes portant le no 2 779 882 et intitulées « Boyau flexible pouvant subir une expansion ou une contraction », et elles sont désignés ci-après comme suit : le brevet 882 ou, simplement, le brevet. Un exemplaire du brevet a été déposé en tant que pièce P‑1.

 

[10]           La demande relative au brevet a été déposée au moyen des dispositions du Traité de coopération en matière de brevets, et la date de dépôt effective au Canada est le 3 avril 2012. L’historique du dossier de la demande de brevet a été déposé en tant que pièce P‑7. Comme la demande a été déposée après le 1er octobre 1989, ce sont les dispositions de la « nouvelle » Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4, qui s’appliquent au brevet.

 

[11]           La priorité a été revendiquée à la suite d’une demande déposée au Patent Office des États‑Unis le 4 novembre 2011 (demande US13/289,447).

 

[12]           La demande de brevet a été ouverte à l’inspection publique (date de publication) le 23 août 2012. La demande de brevet qui était disponible à l’époque a été déposée en tant que pièce D‑13.

 

[13]           Le brevet a été délivré et accordé à la demanderesse Blue Gentian, LLC le 28 mai 2013; le seul inventeur nommé est Michael Berardi. Ce dernier a comparu comme témoin à l’instruction qui s’est déroulée devant moi.

 

[14]           À moins que la Cour conclue à son invalidité, le brevet expirera 20 ans après sa date de dépôt au Canada, soit le 3 avril 2032.

 

[15]           Le brevet 882 contient 42 revendications; cependant, après entente entre les parties, seules les revendications nos 1, 15, 28 et 42 (et, par l’entremise du no 32, de retour au no 28) sont en litige en l’espèce, à l’égard à la fois de la validité et de la contrefaçon.

 

LE BREVET 882 EN DÉTAIL

[16]           Le brevet 882 est intitulé « Boyau flexible pouvant subir une expansion ou une contraction » et sa description débute au paragraphe 0001 par un énoncé du [traduction] « Domaine de l’invention » :  

[traduction]

[0001] La présente invention a trait à un boyau permettant de transporter des fluides. Il s’agit en particulier d’un boyau qui, automatiquement, se contracte lorsqu’il ne contient aucun fluide sous pression et s’expanse lorsqu’on y introduit un fluide sous pression. À l’état contracté, il est relativement facile à ranger et à manier du fait de sa longueur relativement courte et de son poids relativement léger et, à l’état expansé, il peut être mis en place partout où l’on a besoin du fluide. Il se compose, d’une part, d’un tuyau interne élastique et, d’autre part, d’un tuyau externe non élastique indépendant et distinct, situé autour de la circonférence du tuyau interne et fixé et raccordé à ce dernier aux deux extrémités seulement; entre la première et la seconde extrémité, rien ne raccorde ou ne lie le tuyau externe au tuyau interne.

 

[17]           Aux paragraphes nos 0002 à 0004, le brevet décrit le [traduction] « Contexte de l’invention », dans lequel sont exposés un certain nombre de problèmes que présentent les boyaux actuels : ils doivent être enroulés quand ils ne sont pas utilisés; les boyaux à incendie et autres tuyaux du genre peuvent être rangés à plat, mais ils sont peu pratiques pour les propriétaires de maison. Une solution est promise au paragraphe 0004.


[traduction]

CONTEXTE DE L’INVENTION

 

[0002] Les boyaux servant à transporter divers fluides sont connus dans le domaine. L’un des problèmes qu’ils posent est leur rangement lorsqu’ils ne servent pas à transporter des fluides. Les tuyaux actuels sont flexibles et peuvent être enroulés autour d’un cylindre ou d’un tambour en vue de leur rangement et de leur transport, mais il est impossible d’en réduire la longueur et la largeur. Un autre problème que présentent les boyaux enroulés est qu’ils ont tendance à faire des plis ou des nœuds quand on les déroule. C’est le problème que rencontre habituellement le propriétaire de maison moyen qui se sert d’un boyau d’arrosage pour arroser sa pelouse ou ses plantes ou laver son véhicule.

 

[0003] Les pompiers ont une solution au problème du tortillement des boyaux. Ceux dont ils se servent s’aplatissent jusqu’à un certain point quand on en retire les fluides. Ils sont ensuite rangés en couches, formées par le repliage des boyaux sur eux-mêmes. Lorsque les pompiers utilisent un boyau rangé de cette façon, il leur suffit de tirer sur une extrémité du boyau pour que celui-ci se déplie en ligne droite sans tortillement. Il ne s’agit toutefois pas d’une solution pratique au problème que pose au propriétaire de maison le rangement de son boyau d’arrosage, car ce dernier est d’un diamètre relativement petit, comparativement aux boyaux d’incendie, et presque tous ne s’aplatissent pas quand on les vide de l’eau qu’ils contiennent. Un autre problème que posent les boyaux connus dans le domaine est qu’ils sont lourds, encombrants et difficiles à dérouler lorsqu’ils sont étendus au sol et également difficiles à manier et à traîner jusqu’à l’endroit où l’on doit faire couler le fluide, et qu’ils le sont tout autant lorsqu’ils sont vides et doivent être remis en place à leur lieu de rangement original. De plus, si l’utilisateur n’a pas de dispositif enrouleur, il doit alors disposer le boyau au sol de manière à ce qu’il ne s’emmêle pas sur lui-même car, si cela se produit, il est difficile et agaçant d’avoir à le démêler la prochaine fois qu’on doit l’utiliser.

 

[0004] Par conséquent, ce qu’il faut dans le domaine c’est un boyau qui se contracte et raccourcit automatiquement quand il est inutilisé, qui s’expanse et s’allonge automatiquement jusqu’à une longueur commode, et qui revient ensuite automatiquement à sa longueur initiale. De plus, un boyau d’un poids relativement léger ne fait pas de plis ou de nœuds lorsqu’on le retire de son lieu de rangement et qu’on le remplit de fluide en vue de s’en servir.

 

 

[18]           Entre les paragraphes nos 0005 à 00029, le brevet dresse la liste de quelque 25 brevets antérieurs, en décrivant brièvement chacun. Un livret contenant le texte intégral des brevets a été déposé en preuve au procès, en tant que pièce D‑21. Ces brevets décrivent divers boyaux servant à transporter de l’eau, de l’air et même de l’essence. Les défenderesses se fondent sur l’un d’eux, le brevet Ragner 6 948 527, pour plaider l’invalidité. Deux autres brevets sur lesquels se fondent les défenderesses, le brevet Many 1 220 661 et le brevet McDonald 6 948 527, ne sont pas énumérés. Nous ignorons de quelle façon les brevets énumérés ont été trouvés, ni par qui. Berardi, l’inventeur désigné, a témoigné qu’il avait fait une recherche d’antériorités avant de confier le dossier à l’avocat spécialisé en brevets, mais nous ignorons si cette liste est le résultat de sa recherche ou non. Au paragraphe no 0065, le brevet indique que ces brevets sont une [traduction] « indication » des antériorités :

[traduction]

[0065] La totalité des brevets et des publications mentionnés dans le présent mémoire descriptif sont une indication du niveau des personnes versées dans l’art à qui l’invention s’adresse.

 

 

[19]           Un [traduction] « Sommaire de l’invention » est présenté aux paragraphes nos 0030 à 0037. Voici le texte du paragraphe 0030 :

[traduction]

SOMMAIRE DE L’INVENTION

 

[0030] Un boyau qui s’expanse automatiquement dans le sens longitudinal et latéral au moment de l’application d’un fluide sous pression à l’intérieur du boyau est divulgué. Ce boyau peut s’expanser automatiquement dans le sens longitudinal jusqu’à six fois sa longueur initiale et s’expanser automatiquement dans le sens latéral jusqu’à six fois sa largeur initiale. Lorsqu’on libère la pression présente dans le boyau, ce dernier se contracte automatiquement. Il comporte un tuyau interne extensible, fait d’une matière élastique, et un tuyau externe distinct, fait d’une matière non élastique, mis en place autour de la circonférence externe et de la longueur du tuyau intérieur et rattaché au tuyau intérieur uniquement à la première extrémité et à la seconde, sans aucun lien ou raccord entre ces deux extrémités, et capable de se déplacer librement le long de la longueur du tuyau  intérieur entre la première et la seconde extrémité.

 

 

[20]           Les dessins, soit les figures 1 à 8, sont présentés aux paragraphes nos 0038 à 0045, et ils se trouvent dans les dernières pages du brevet.

 

[21]           Entre les paragraphes nos 0046 et 0063, un boyau est décrit de manière détaillée. Les experts semblent convenir que la description est suffisante, de sorte qu’il est possible de fabriquer un boyau de ce type. Toutefois, le brevet indique clairement aux paragraphes nos 0037, 0046, 0066 et 0067 que la description ne vise pas à avoir un effet limitatif et que des changements peuvent être apportés. Je reproduis ici ces paragraphes :

[traduction]

[0037] D’autres objets et avantages de l’invention deviendront évidents grâce à la description qui suit, lue de pair avec n’importe quel dessin connexe et qui, par voie d’illustrations et d’exemples, énonce certaines réalisations de cette invention. Tout dessin contenu dans les présentes fait partie du présent mémoire descriptif et comporte des réalisations exemplaires de la présente invention et en illustre divers objets et caractéristiques.

[…]

 

DESCRIPTION DÉTAILLÉE DE L’INVENTION

 

[0046] Même si la présente invention est susceptible d’être réalisée sous diverses formes, il est illustré dans les dessins, et il sera décrit plus loin, une réalisation actuellement privilégiée, quoique non limitative, étant entendu que la présente divulgation doit être considérée comme une illustration de la présente invention et qu’elle ne vise pas à limiter l’invention aux réalisations précises qui sont illustrées.

[…]

 

[0066] Il faut comprendre que même si l’on illustre l’invention sous une certaine forme, il ne convient pas de la limiter à la forme ou à la structure précise qui est décrite et illustrée dans les présentes. Les personnes versées dans l’art verront manifestement qu’il est possible d’apporter divers changements sans s’écarter de la portée de l’invention.

 

[0067] Une personne versée dans l’art se rendra aisément compte que la présente invention est bien adaptée pour réaliser les objectifs et obtenir les fins et les avantages mentionnés, ainsi que ceux qui sont inhérents aux présentes. Les réalisations, les méthodes, les procédés et les techniques qui sont décrits dans les présentes sont actuellement représentatifs des réalisations privilégiées, visent à servir d’illustration et ne sont pas destinés à avoir un effet limitatif sur la portée. Les changements qui y sont apportés et les autres usages toucheront les personnes versées dans l’art que l’invention englobe et sont définis par la portée des revendications annexées. En fait, diverses modifications des modes décrits de réalisation de l’invention qui sont évidents aux yeux des personnes versées dans l’art visent à correspondre à la portée des revendications suivantes.

 

 

[22]           Il y a deux commentaires à faire en particulier au sujet de la description donnée dans le brevet 882. L’un concerne le restricteur, et l’autre le fluide.

 

[23]           Selon le témoignage de tous les experts, il est nécessaire de maintenir un certain niveau de pression dans le boyau pour que ce dernier demeure déployé lorsqu’il est utilisé.

 

[24]           Selon la preuve, sans restriction aucune à l’extrémité du boyau, il n’y aurait pas assez de pression pour maintenir le boyau à l’état expansé. Un fluide, comme de l’eau entrant dans le boyau à partir d’un robinet situé à l’extérieur de la maison, a en général une pression de 60 lb/po2 qui, sans restriction, tombe à 0 lb/po2 à l’extrémité du boyau. Un pistolet d’arrosage est une forme de dispositif de restriction; suivant le débit qu’assure le pistolet, un certain niveau de pression est maintenu dans le boyau au niveau du pistolet ou à proximité de ce dernier de façon à maintenir le boyau à l’état expansé. Quand on ouvre le pistolet, la pression ainsi maintenue tombe.

 

[25]           Le dispositif de restriction est décrit au paragraphe 0054 du brevet; il s’agit de tout ce qui limite le débit du fluide à l’intérieur du boyau :

[traduction] Un restricteur de débit distinct 37 est illustré avec le coupleur 16. D’autres types de restricteur de débit, comme une lance d’arrosage, un pulvérisateur, etc., peuvent aussi être utilisés. Tout ce qui restreint le débit du fluide à l’intérieur du boyau peut être employé.

 

[26]           L’autre point qu’il faut mentionner est l’emploi du mot [traduction] « fluide » dans le brevet. Même si les revendications en litige se limitent à l’eau, le brevet indique clairement que l’objet décrit est un boyau capable de transporter un large éventail de fluides. C’est ce qu’indique clairement le brevet, au paragraphe 0064 :

[traduction]

[0064] La réalisation privilégiée de la présente invention utilise de l’eau pour remplir et expanser le boyau 10. Cependant, d’autres fluides peuvent aussi être utilisés. Par exemple, des gaz peuvent être introduits dans le boyau 10 et transportés par ce dernier. Des fluides n’ayant pas un effet corrosif sur le tuyau interne 14 peuvent aussi être utilisés, tout comme des semi‑solides fluidifiables. Les températures des fluides utilisés dans l’invention sont inférieures à celles qui modifieront les propriétés physiques et chimiques des matériaux utilisés dans le boyau. De plus, comme le tuyau interne est élastique, il peut s’étendre si l’eau qui s’y trouve atteint le point de congélation. Par exemple, si un boyau d’arrosage de la présente invention était laissé à l’extérieur en hiver, l’eau qui s’y trouverait gèlerait. Les boyaux d’arrosage ordinaires se fendraient, mais la présente invention s’expanserait si l’eau se transformait en glace grâce à l’élasticité du tuyau interne.

 

[27]           En résumé, bien que le brevet décrive en particulier un boyau d’arrosage transportant de l’eau, la description prend soin d’indiquer que d’autres fluides, tels que des « gaz », peuvent être également utilisés et que « tout » dispositif de restriction peut être employé. Le brevet prend également soin de mentionner que la description fournie est une illustration et qu’une « personne versée dans l’art » peut effectuer « divers changements » sans s’écarter de la portée de l’invention.

 

LES REVENDICATIONS EN LITIGE

[28]           Le texte des revendications nos 1, 15, 28 et 42 (par l’entremise du no 32, de retour au no 28) du brevet 882 est le suivant :

[traduction]

Revendication no 1. Un boyau d’arrosage comprenant :

un tuyau externe allongé et souple, fait de tissu et muni d’une première extrémité et d’une seconde extrémité, l’intérieur dudit tuyau étant essentiellement creux;

un tuyau interne allongé et flexible, muni d’une première extrémité et d’une seconde extrémité, et l’intérieur dudit tuyau étant essentiellement creux et fait d’une matière élastique;

un premier raccord fixé à la première extrémité des tuyaux interne et externe;

un second raccord fixé à la seconde extrémité des tuyaux interne et externe, et les tuyaux interne et externe non rattachés l’un à l’autre entre la première et la seconde extrémité;

le premier raccord fixant de manière fluide le boyau à une source d’eau sous pression, le second raccord fixant le boyau à un restricteur de débit d’eau; ce restricteur fait augmenter la pression de l’eau entre le premier raccord et le second raccord à l’intérieur du boyau,

et cette augmentation de pression fait expanser le tuyau interne longitudinalement le long du tuyau interne et latéralement sur la largeur du tuyau interne, ce qui allonge ainsi le boyau, qui se contracte ensuite à une longueur fortement réduite ou relâchée lorsque la pression de l’eau diminue entre le premier raccord et le second.

 

 

[…]

 

Revendication no 15. Le boyau dont il est question dans les revendications nos 1 à 14, où ledit boyau est un boyau d’arrosage.

 

[…]

 

Revendication no 28. Un boyau à eau comprenant : un tuyau externe fait d’une matière de contrôle à base non élastique et souple et enveloppant un tuyau  interne fait d’une matière élastique, lesdits tuyaux externe et interne ayant chacun une première extrémité rattachée ensemble par un premier raccord et une seconde extrémité rattachée ensemble par un second raccord; le tuyau externe et le tuyau interne comportent une première section nettement raccourcie, à l’état contracté sans débit d’eau, et le tuyau externe s’étendant sur la surface externe du tube interne dans un état plissé, et une seconde longueur nettement plus longue où le tuyau externe entraîne le tuyau interne dans un état allongé au moment de l’application d’une pression d’eau à l’intérieur du tuyau interne élastique.

 

[…]

 

Revendication no 32. Le boyau à eau, conformément aux revendications nos 28 à 31, où le second raccord est un raccord de tuyau mâle fixé à la sortie du tuyau interne et à la seconde extrémité du tuyau externe, ledit raccord pouvant être fixé à un restricteur de débit d’eau.

 

[…]

 

Revendication no 42. Le boyau à eau dont il est question dans les revendications nos 28 à 41, et dans lequel un restricteur de débit d’eau est situé à l’intérieur du raccord mâle; le fait de raccorder le tuyau à l’état contracté à de l’eau sous pression permet à cette eau de s’écouler par l’entrée jusqu’à la sortie, le restricteur de débit d’eau créant une augmentation de la pression d’eau, ce qui entraîne une expansion du tuyau interne et, ainsi, l’expansion du tuyau externe à un état allongé, selon ce que permet la matière de contrôle.

 

[29]           La revendication no 42 est rédigée sous forme subordonnée, en ce sens qu’elle incorpore le libellé de certaines des revendications antérieures. Les demanderesses se fondent sur la revendication no 42, car elle est subordonnée à la revendication no 32, qui, elle-même, est subordonnée à la revendication no 28. Les défenderesses contestent la validité de la revendication sous la forme où elle est rédigée. La revendication no 42, qui est subordonnée à la revendication no 32, elle-même subordonnée à la revendication no 28, peut être rédigée comme suit :

 

[traduction]

Revendication no 42. Un boyau à eau comprenant : un tuyau externe fait d’une matière de contrôle à base non élastique et souple et enveloppant un tuyau interne fait d’une matière à base élastique, lesdits tuyaux externe et interne ayant chacun une première extrémité rattachée ensemble par un premier raccord et une seconde extrémité rattachée ensemble par un second raccord, lequel est un raccord de tuyau mâle fixé à la sortie du tuyau  interne et à la seconde extrémité du tuyau externe et comportant un restricteur de débit d’eau; le fait de raccorder le tuyau à l’état contracté à de l’eau sous pression permet à cette dernière de s’écouler depuis l’entrée jusqu’à la sortie, et le restricteur de débit d’eau entraîne une augmentation de la pression d’eau, ce qui cause ainsi une expansion du tuyau interne et un allongement du tuyau externe, selon ce que permet la matière de contrôle.

 

LES TÉMOINS

[30]           Les demanderesses ont cité deux témoins de fait et un témoin expert, qui ont tous comparu en personne et ont été contre‑interrogés. Ont été cités comme témoins de fait :

 

1.                  Edward (Eddie) Mishan, de New York. Il est le dirigeant de la demanderesse E. Mishan et il a témoigné sur les méthodes de télémarketing de cette société et, en particulier, sur la mise au point, la vente et la mise en marché d’un produit appelé X HOSE et X HOSE PRO, qui intègrent censément les caractéristiques du brevet 882. Son témoignage a également porté sur le succès commercial de ces produits ainsi que sur l’effet des produits en litige des défenderesses sur les ventes et la mise en marché de ces produits.

 

2.                  Michael Berardi, de Jupiter (Floride). Il est l’inventeur nommé dans le brevet 882 ainsi qu’un dirigeant de la demanderesse Blue Gentian. Il a témoigné au sujet de la mise au point de ce qui est décrit dans le brevet 882, du fait d’avoir cédé les droits de brevet à Blue Gentian et du fait d’avoir conféré des droits par licence à National Express. Il a également témoigné au sujet de l’effet, sur lui-même et son épouse, des ventes et de la mise en marché des produits des défenderesses qui sont en litige.

 

[31]           A été appelé à titre de témoin expert des demanderesses :

 

1.                  Tom (Tommi) L. Kuutti, de West Palm Beach (Floride). Il a fourni un rapport sur la contrefaçon du brevet, la pièce P‑16, ainsi qu’un autre sur la validité du brevet, la pièce P‑51; il a également témoigné au sujet de ces questions, y compris le dessin d’un schéma décrivant la pression de l’eau dans un boyau (pièce P‑17).

 

[32]           Les défenderesses ont appelé un témoin de fait et deux témoins experts, qui ont tous comparu en personne et ont été contre‑interrogés. A été appelé à titre de témoin de fait :

 

1.                  Ajit Khubani, de Fairfield (New Jersey). Il est chef de la direction, président et propriétaire unique de la défenderesse Telebrands Corp. Il a témoigné de façon générale au sujet des méthodes de télémarketing de cette société et, en particulier, de la mise au point, de la mise en marché et de la vente des produits Pocket Hose en litige.

 

[33]           Ont été appelés à titre de témoins experts de la défenderesse :

 

1.                  Ken (Kenneth) Kamrin, de Cambridge (Massachusetts). Il est professeur adjoint au Service de génie mécanique du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il a présenté un rapport portant sur la validité du brevet, la pièce D‑41, et un autre portant sur la contrefaçon du brevet, la pièce D‑42; il a aussi témoigné au sujet de ces questions, y compris le dessin d’un schéma illustrant un régulateur (pièce D‑43).

 

2.                  Steve Haubert, de Sylvania (Ohio). Il est consultant dans le domaine des boyaux. Il a présenté un rapport portant sur la validité du brevet, la pièce D‑44, ainsi qu’un autre sur la contrefaçon du brevet, la pièce D‑45, et il a témoigné au sujet de ces questions.

 

[34]           Les demanderesses ont produit en preuve des extraits de la transcription de l’interrogatoire préalable auquel elles ont soumis chacune des défenderesses, soit les pièces P‑8 à P‑12. Les défenderesses ont produit en preuve des extraits de l’interrogatoire préalable auquel elles ont soumis chacune des demanderesses, soit les pièces D‑46 à D‑50.

 

LES DISPOSITIFS QUI CONTREFONT CENSÉMENT LES REVENDICATIONS

[35]           Il a été allégué que quatre dispositifs mis en marché et vendus par les défenderesses contreviennent aux revendications en litige du brevet 882 :

                     le boyau Pocket Hose, illustré par les pièces P‑3 et P‑15

                     le boyau Pocket Hose Ultra, illustré par la pièce P‑4

                     le boyau Deluxe Pocket Hose, illustré par la pièce P‑5

                     le boyau Magic Hose, illustré par la pièce P‑6

 

[36]           Les demanderesses sollicitent une injonction portant sur la totalité des boyaux, à l’exception du Magic Hose, qui a cessé d’être vendu avant la délivrance du brevet 882. Elles sollicitent un dédommagement raisonnable à l’égard du Magic Hose, et la même chose à l’égard des boyaux Pocket Hose car ils étaient vendus au Canada avant la délivrance du brevet. Elles sollicitent également des dommages‑intérêts ou la restitution des bénéfices à l’égard de tous les boyaux susmentionnés qui ont été vendus après la délivrance du brevet, de même que la remise des boyaux qui se trouvent encore en la possession des défenderesses au Canada à la date du jugement. Elles sollicitent par ailleurs les dépens avocat‑client.

 

LES LITIGES À L’ÉTRANGER

[37]           Il y a eu, dans des pays autres que le Canada, des litiges mettant en cause des brevets qui, à certains égards, ressemblent au brevet canadien dont il est question en l’espèce. On m’a informé que de tels litiges sont actuellement en instance au moins au Royaume-Uni, en Australie, en France et aux États‑Unis.

[38]           L’instance menée au Royaume-Uni se situe au stade où une décision a été rendue par le juge Birss de la Haute Cour de justice, Division de la Chancellerie, Chambre des brevets, dans une affaire intitulée Blue Gentian LLC and E. Mishan & Sons, Inc v Tristar Products (UK) Limited and Tristar Products Inc., datée du 20 décembre 2013, référence neutre : [2013] EWHC 4098 (Pat). Les avocats m’ont informé que l’autorisation de porter l’affaire en appel a été demandée.

 

[39]           La décision rendue au Royaume-Uni avait trait au brevet du Royaume-Uni no 2 490 276 (pièce D‑14), un brevet semblable - mais non identique - au brevet 882 qui est en cause en l’espèce. Le brevet du Royaume-Uni semble être une version ultérieure d’un brevet, car il revendique aussi la priorité non seulement sur la même demande de brevet aux États‑Unis que le brevet 882, mais aussi sur une demande de brevet déposée ultérieurement aux États‑Unis. Le brevet du Royaume-Uni comporte des dessins additionnels; le texte est un peu différent, tout comme le sont les revendications.

 

[40]           Dans l’instance menée au Royaume-Uni, les défenderesses sont différentes de celles qui sont en cause dans la présente action, et n’ont pas de lien avec elles. Le produit prétendument contrefaisant dans cette instance est appelé « Flex Able Hose » (pièce P‑27), et il n’est pas tout à fait le même que les produits prétendument contrefaisants qui sont en cause en l’espèce. Les personnes qui ont témoigné dans cette instance n’étaient pas les mêmes que celles qui ont comparu devant moi.

 

[41]           Cela dit, le produit du Royaume-Uni qui est en litige ainsi que le brevet correspondant ressemblent beaucoup aux produits et au brevet qui sont en cause en l’espèce. La principale question que le juge Birss avait à trancher était celle de la nouveauté et de l’évidence compte tenu des antériorités, et, principalement, Ragner et McDonald, qui sont deux des principaux éléments d’antériorité revendiqués dans la présente action canadienne.

 

[42]           On m’a informé qu’en Australie il y a eu un procès, mais qu’aucune décision n’a encore été rendue. En France et aux États‑Unis, les instances n’ont pas encore atteint le stade du procès.

 

[43]           Je rendrai ma décision en tenant compte des éléments de preuve qui me sont soumis, du brevet canadien qui m’est soumis, des produits qui me sont soumis, ainsi que du droit applicable au Canada, tel que je le conçois.

 

LES TRAVAUX DE M. BERARDI

[44]           Michael Berardi, la personne nommée comme inventeur dans le brevet 882 et un dirigeant de Blue Gentian, l’une des demanderesses, a témoigné au sujet de la façon dont il a mis au point le boyau extensible qui est en cause en l’espèce.

 

[45]           Ses antécédents sont éclectiques. Il a grandi au New Jersey, où il a travaillé dans la quincaillerie de son père et a sans aucun doute acquis des connaissances sur les articles vendus dans de tels magasins; les boyaux en font partie. Il a obtenu un baccalauréat dans une université de l’endroit et s’est rapidement retrouvé dans le domaine de la musique. Ses activités dans ce domaine l’ont amené en fin de compte à produire des vidéos musicaux, et de là, ce que nous appelons des infomerciaux, des annonces télévisées dans lesquelles des gadgets et d’autres produits sont présentés et offerts en vente.

 

[46]           Berardi vivait en Floride quand, en 2011, il a été pressenti par des gens d’affaires de Las Vegas, qui souhaitaient l’intéresser, tant à titre de promoteur que d’éventuel bailleur de fonds, à un boyau extensible du genre de celui qui était décrit dans un brevet – lequel fait partie des antériorités dont il est question en l’espèce - appelé Ragner. Ragner lui‑même faisait partie du groupe qui était entré en contact avec Berardi.

 

[47]           Le produit de Ragner, appelé « Micro Hose », était, pour dire les choses simplement, un boyau léger recouvert sur toute sa longueur d’un ressort enroulé; sous la pression de l’eau, le ressort s’étirait et le boyau s’allongeait considérablement et, quand on coupait la pression, le boyau revenait à sa longueur initiale. Une vidéo illustrant le « Micro Hose » de Ragner et son fonctionnement a été présentée à la Cour : pièce D‑30.

 

[48]           Berardi a été intrigué par le concept d’un boyau d’arrosage extensible et léger, mais il a conclu qu’il faudrait du matériel complexe et coûteux pour fabriquer le Micro Hose et que ce produit coûterait si cher à fabriquer qu’on ne pourrait pas le vendre facilement dans le marché des « infomerciaux ». Il a donc entrepris de concevoir un boyau extensible, facile à fabriquer et peu coûteux.

 

[49]           Un jour, pendant qu’il faisait des exercices dans un gymnase de l’endroit, Berardi a examiné des appareils utilisés dans le cadre de certains exercices. Ces appareils étaient munis de poignées reliées entre elles par des tubes en caoutchouc souples et des sangles. Il s’est dit que de tels matériaux pourraient peut-être servir à faire un boyau utile.

 

[50]           Berardi, dont le métier consistait à réaliser des vidéos pour la télévision, a filmé la mise au point du boyau en litige à l’aide d’une caméra de format « tablette », tenue à la main par son épouse. Plusieurs heures d’images vidéo ont été enregistrées. Une version remaniée des enregistrements vidéo, d’une durée de 13 minutes environ, a été présentée à la Cour (pièce P‑31). En contre‑interrogatoire, deux autres brefs extraits ont été présentés (pièces D‑32 et D‑33). On peut entendre dans les vidéos la voix de M. Berardi et celle de son épouse. Lors de son témoignage devant la Cour, M. Berardi a fait d’autres commentaires sur ce qui était illustré dans les vidéos.

 

[51]           À la fin du mois d’août ou au mois de septembre 2011, ayant vu le Micro Hose de Ragner et jugeant qu’aucune entente ne pouvait être conclue avec le groupe de Ragner, Berardi s’est rendu dans une quincaillerie de l’endroit et a acheté divers articles, dont les suivants : des raccords à boyau, de la sangle tubulaire plate et des tuyaux en caoutchouc ronds. Il a mis à l’essai diverses façons de fabriquer un boyau; par exemple : faire passer de l’eau à travers la sangle et se servir du tuyau en caoutchouc juste comme un dispositif élastique et non pour transporter l’eau, ou utiliser un boyau d’arrosage « poreux » comme tuyau externe.

 

[52]           Au début de novembre 2011, Berardi a arrêté son choix sur une combinaison d’éléments dans le cadre desquels de l’eau provenant d’une source telle qu’un robinet extérieur passait dans le tuyau en caoutchouc interne, qui s’expansait sous la pression de l’eau, mais dont l’expansion extérieure et linéaire était limitée par une sangle externe creuse dans laquelle était situé le tuyau en caoutchouc. Le tuyau en caoutchouc et la sangle n’étaient rattachés ensemble qu’à leurs extrémités. Des raccords appropriés permettaient de brancher une extrémité du boyau à un robinet, et l’autre extrémité à un dispositif tel qu’un pistolet d’arrosage. Un restricteur, situé à la sortie du boyau, avait pour fonction de maintenir dans ce dernier une pression suffisante pendant que l’eau le traversait et de le maintenir ainsi allongé. Quand on fermait l’eau, le boyau se rétractait à sa taille initiale.

 

[53]           Berardi a fait quelques recherches préliminaires sur Internet afin de déterminer s’il existait des éléments d’antériorité; il s’est ensuite adressé à un avocat de l’endroit, spécialisé en brevets, qui a établi les demandes de brevet, et cela a mené, notamment, au brevet en litige.

 

[54]           Berardi a cédé ses droits de brevet à sa société, Blue Gentian, et a voulu les exploiter. Blue Gentian a concédé par licence au moins certains de ces droits de brevet à une société du nom de National Express, Inc. Selon le témoignage d’Eddie Mishan, la demanderesse Emson a obtenu au moins certains de ces droits de brevet par la voie d’une sous-licence de National Express.

 

QUELQUES OBSERVATIONS SUR LES TÉMOINS DE FAIT ET LES PREUVES

[55]           Michael Berardi est la personne nommée comme l’inventeur du brevet 882. J’ai trouvé qu’il était franc et honnête. Il n’est pas un scientifique hautement spécialisé; il est davantage un homme à tout faire, qui a acquis de l’expérience en travaillant dans la quincaillerie de son père.

 

[56]           Il en est arrivé à mettre au point le boyau en question par une méthode que l’on peut qualifier de « rudimentaire ». Il a vu le boyau de Ragner (le Micro Hose), qui était léger, qui s’expansait sous la pression d’eau et qui se contractait quand on coupait la pression. Ce dispositif était trop complexe et coûteux à fabriquer, de sorte que Berardi a entrepris d’en concevoir un plus simple et moins coûteux, en s’inspirant jusqu’à un certain point d’un élément d’un appareil de gymnastique dont il se servait de temps à autre. Il a atteint son objectif. Le boyau qu’il a mis au point remplissait un créneau de mise en marché particulier; il était peu coûteux, il était intrigant; il fonctionnait de manière astucieuse. Il connaît un énorme succès.

 

[57]           Il ne faisait aucun doute, subjectivement dans l’esprit de Berardi, que ce produit était nouveau et inventif. La question dont je suis saisi est différente. Il me faut décider si le brevet (et non le produit) est valable, et si, considéré d’une manière objective, il décrit et revendique une invention nouvelle et non évidente, conformément au droit canadien.

 

[58]           Berardi a déclaré avoir découvert l’existence des boyaux des défenderesses un jour que son épouse et lui se trouvaient dans un pub en Floride et avaient vu un infomercial annonçant le Pocket Hose à la télévision. Cela les avait dévastés. Son épouse est encore sous le choc. Blue Gentian soutient avoir perdu des revenus de redevances, car les ventes des défenderesses ne font pas l’objet d’une licence et privent Emson, sa licenciée, de ventes.

 

[59]           Eddie Mishan et Ajit Khubani sont les principaux propriétaires de deux entités rivales, Emson et Telebrands, toutes deux actives dans le secteur de la vente directe. Elles vendent des produits directement aux consommateurs par le truchement d’infomerciaux télévisés et d’Internet. Un aspect moins important de leur entreprise est la vente de ces produits à des détaillants qui, à leur tour, les vendent au grand public. Pour chacune de ces entreprises, il s’agit là d’une activité très rentable. Ces entreprises vendent d’énormes quantités de marchandises et touchent des revenus forts élevés. Il faut une certaine habileté pour choisir le bon produit à vendre. Il faut une certaine habileté pour concevoir l’infomercial et d’autres messages publicitaires. Il faut une certaine habileté pour présenter le bon type d’offre (p. ex. : achetez maintenant, et vous recevrez deux articles pour le prix d’un, plus un gadget), et il faut une certaine habileté pour offrir un produit au bon prix. Ces habiletés ne dépendent pas de la brevetabilité du produit, même si des mots tels que « breveté », « nouveau » ou « révolutionnaire » peuvent faire partie du battage publicitaire qui entoure le produit. Khubani a témoigné au sujet d’articles tels que des lunettes de soleil de couleur ambre et des vadrouilles sèches qui étaient des produits qui existaient depuis longtemps, mais qui ont été moussés et vendus avec succès grâce au télémarketing.

 

[60]           Emson vend des produits appelés XHose et XHose Pro en vertu de la licence qu’elle détient de National Express, laquelle détient, à son tour, une licence de Blue Gentian. Emson réclame des dommages‑intérêts à cause des ventes dont la privent les produits des défenderesses en litige, ainsi que des pertes connexes.

 

[61]           Mishan a déclaré que des représentants de Supertek sont entrés en contact avec lui pour lui demander s’ils pouvaient s’entendre pour que Supertek puisse vendre le boyau au Canada. Aucune entente n’a été conclue.

 

[62]           Khubani a déclaré que la durée de vie des produits vendus par télémarketing est d’environ deux ans. Il a parlé d’un boyau appelé « Roll a Hose » (pièce 35), que Telebrands avait vendu par télémarketing il y a plusieurs années de cela. Ce boyau était fait d’un tuyau interne en caoutchouc et d’un tuyau externe en tissu, rattachés ensemble aux extrémités seulement. Le tuyau était plat lorsqu’aucune pression d’eau n’était appliquée. Il prenait de l’expansion sur le plan radial, mais non longitudinal, quand on appliquait une pression d’eau. Le boyau s’enroulait à plat dans un dévidoir fourni avec ce dernier.

 

[63]           Telebrands a ensuite conclu une entente avec Ragner en vue de mettre en marché son produit (Micro Hose). Telebrands ne l’a pas fait; au lieu de cela, elle a entrepris de faire fabriquer pour elle et de vendre les produits Pocket Hose en litige.

 

[64]           Telebrands vend ses produits Pocket Hose directement aux consommateurs dans le cadre d’infomerciaux diffusés à la télévision et sur Internet. Ces infomerciaux sont diffusés à partir des États‑Unis mais ils sont vus par quelques Canadiens, qui achètent le produit directement de Telebrands. Les ventes à des détaillants situés à l’extérieur des États‑Unis sont faites par International Edge, qui achète le produit à Telebrands et le revend à ses distributeurs hors États‑Unis. Supertek est l’un de ces clients d’International Edge; elle achète les boyaux d’International Edge et les revend à des détaillants canadiens, comme Home Depot.

 

[65]           Il n’est pas nécessaire que je fasse des commentaires sur la crédibilité des témoins Khubani ou Mishan. Les deux ont été contre‑interrogés dans certains cas en usant de moyens visant à amoindrir leur crédibilité. J’ai parfois trouvé que leurs réponses étaient évasives ou qu’ils ne répondaient pas aux questions qu’on leur posait. Ce fait est sans importance pour les questions que j’ai à trancher ici.

 

QUELQUES OBSERVATIONS SUR LES TÉMOINS EXPERTS ET LEURS PREUVES

[66]           Trois témoins experts ont présenté des preuves au procès : Kuutti pour les demanderesses, Kamrin et Haubert pour les défenderesses. Leur témoignage a porté essentiellement sur les mêmes sujets, axés sur la validité et la contrefaçon des revendications du brevet 882 en litige. Les parties ont fourni chacune des précisions quant au domaine d’expertise des témoins qu’elles présentaient.

 

[67]           Les demanderesses ont proposé les précisions suivantes au sujet de l’expertise de Kuutti :

[traduction] Tom Kuutti a de l’expérience et une expertise dans le domaine du génie aérospacial ainsi que du génie mécanique, ce qui inclut la conception et la fabrication de produits, de systèmes et de dispositifs de nature mécanique. Il a aussi une expérience des systèmes d’application à haute fiabilité ainsi que des dispositifs qui contrôlent la pression, la température et le débit de fluides et d’air.

 

 

[68]           Les défenderesses ont proposé les précisions suivantes au sujet de l’expertise de Kamrin :

[traduction] Ken Kamrin est un expert en mécanique des fluides et des solides, ce qui inclut la façon dont des matières fluides s’écoulent dans un boyau et les effets de cet écoulement sur les matières utilisées pour la fabrication du boyau.

 

 

[69]           Les défenderesses ont proposé les précisions suivantes au sujet de l’expertise de Haubert :

[traduction] Steven Haubert est un expert dans le domaine des boyaux, ce qui inclut leur conception, leur fabrication, leur mise à l’essai et leurs usages.

 

 

[70]           Je conclus que les précisions qui précèdent sont appropriées; cependant, je suis clairement d’avis que M. Haubert est le témoin qui possède l’expertise la plus pertinente pour ce qui est des questions qu’il me faut trancher.

 

[71]           Tom Kuutti est ce que l’on pourrait appeler un « bricoleur » (en français dans la décision originale) ou un touche‑à‑tout. Il exploite une entreprise qui conçoit et fabrique de nombreux appareils différents. Cependant, son expérience dans le domaine des boyaux est restreinte. J’accepte en général son témoignage, sauf celui concernant le fait que l’invention du brevet 882 limite ce dernier à de l’eau uniquement – je ne suis pas d’accord – et son témoignage au sujet d’un régulateur de débit d’air, comme celui qui est illustré dans le brevet McDonald et qui, dit-il n’est pas un restricteur – je suis convaincu que ce dernier joue le même rôle que le restricteur dont il est question dans le boyau visé par le brevet 882.

 

[72]           M. Kamrin est un théoricien; il n’a aucune expérience concrète des boyaux. Il est sans aucun doute très intelligent. Il a fait un bon témoignage sur les rudiments de l’écoulement des fluides, et je souscris à son explication concernant le fonctionnement d’un régulateur, illustré à la pièce 43. Son interprétation des revendications en litige me pose par contre un peu de difficulté. Elle était trop forcée, trop axée sur la recherche de problèmes plutôt que sur la compréhension du brevet et des revendications.

 

[73]           Haubert a passé toute sa vie professionnelle dans le domaine des boyaux. Les boyaux, il les connaît. Il a témoigné de manière réfléchie, simple et directe. Il s’est montré disposé à concéder des points contraires aux intérêts des défenderesses lorsqu’il était évident qu’il devait le faire. Je me fonde surtout sur son témoignage et, quand ce dernier est en conflit avec celui des autres experts, c’est le sien que je privilégie, sauf dans les cas où j’indique le contraire.

 

LES QUESTIONS EN LITIGE

[74]           Les actes de procédure soulèvent plusieurs questions, dont la contrefaçon et la validité du brevet 882, la contrefaçon et la validité du dessin déposé canadien n146676 (le dessin 676), ainsi que des déclarations (ou des indications) fausses et trompeuses au sens des dispositions de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c. T‑13 et des articles 36 et 52 de la Loi sur la concurrence, LRC 1985, c. C‑34.

 

[75]           Par une ordonnance de disjonction du protonotaire Aalto datée du 20 janvier 2014, certaines questions ont été scindées, de sorte que l’instruction qui a eu lieu devant moi n’a porté que sur des questions liées à la validité et à la contrefaçon du brevet 882, et que les mesures de réparation qu’il me fallait examiner se sont limitées à un jugement déclaratoire, à un redressement par voie d’injonction et à une remise, en laissant à plus tard, le cas échéant, la question de la quantification des dommages‑intérêts ou des bénéfices. Les questions relatives au dessin 676, à la Loi sur les marques de commerce et à la Loi sur la concurrence ont été reportées à une date ultérieure.

 

[76]           Par suite de l’ordonnance du protonotaire Aalto et d’une entente conclue entre les parties, les questions qu’il me faut trancher à ce stade‑ci ont été circonscrites encore plus, et se limitent seulement à celles qui se rapportent à la contrefaçon et à la validité des revendications nos 1, 15, 28 et 42 (subordonnée aux revendications nos 32 et 28).

 

[77]           Pour pouvoir trancher les questions dont je suis saisi, il me faut traiter des questions suivantes :

1.      la personne versée dans l’art – à qui le brevet s’adresse-t-il?

2.      le contexte des antériorités – quelles sont les éléments d’antériorité pertinents?

3.      l’interprétation des revendications en litige – plus particulièrement, les défenderesses contestent les expressions et les passages qui suivent :

                                                             a.      [traduction] « état allongé » dans les revendications nos 1, 15, 28 et 42;

                                                            b.      [traduction] « nettement moindre » ou [traduction] « longueur relâchée » dans les revendications nos 1 et 15;

                                                             c.      [traduction] « augmenter la pression de l’eau entre le premier raccord et le second raccord » dans les revendications nos 1 et 15;

4.      la contrefaçon – suivant l’interprétation que l’on fait des revendications, les dispositifs Magic Hose ou Pocket Hose en litige contrefont-ils l’une quelconque des revendications nos 1, 15, 28 ou 42?

5.      la validité – en général;

6.      la validité – l’anticipation, compte tenu du brevet Many;

7.      la validité – l’évidence compte tenu des antériorités et, en particulier, du brevet McDonald;

8.      la validité – des revendications d’une portée plus large que l’invention divulguée;

9.      les mesures de réparation

                                                             a.      injonction et remise;

                                                            b.      dédommagement raisonnable;

                                                             c.      dommages‑intérêts ou bénéfices;

10.  les dépens – en particulier, des dépens sur la base avocat‑client sont-ils justifiés?

 

LA PERSONNE VERSÉE DANS L’ART

[78]           Le brevet 886 s’applique à un boyau, notamment un boyau pouvant, comme l’indique le titre du brevet, subir une expansion ou une contraction. Le brevet commence par définir le domaine de l’invention au paragraphe 1, lequel inclut, notamment :

[traduction] La présente invention a trait à un boyau permettant de transporter des fluides. Il s’agit en particulier d’un boyau qui, automatiquement, se contracte lorsqu’il ne contient aucun fluide sous pression et s’expanse lorsqu’on y introduit un fluide sous pression […].

 

 

[79]           Chacune des parties, assistées par ses experts, a présenté sa définition de la personne versée dans l’art à laquelle le brevet s’adresse. Je conclus qu’il n’est pas nécessaire que cette personne ait suivi une formation postuniversitaire complexe, spécialisée dans le domaine de la mécanique des fluides, mais qu’il s’agit d’une personne ayant une bonne connaissance des boyaux, une connaissance acquise par l’expérience ou un niveau raisonnable d’instruction. Je préfère la définition que donne Haubert au paragraphe 26 de son premier rapport (pièce D‑44) sous réserve de quelques modifications.

 

[80]           La personne versée dans l’art que je définis est la suivante :

[traduction] Une personne telle qu’un ingénieur ou un technicien ayant une expérience de la fabrication, de la fourniture ou de l’utilisation de boyaux destinés à divers types de fluides. Cette personne possède au moins une connaissance rudimentaire de la mécanique des fluides et de la science des matériaux, relativement aux boyaux et à la façon dont ces derniers fonctionnent de manière générale pour transporter des fluides d’un point à un autre.

 

[81]           La Cour aura à traiter de certaines questions, comme l’interprétation et l’évidence du point de vue d’une telle personne versée dans l’art. Il est également pertinent de signaler la date à laquelle cet examen doit être fait. Dans le cas présent, la date de dépôt de la demande de brevet au Canada est en fait le 3 avril 2012, la date de priorité est le 4 novembre 2011 et la date de publication est le 23 août 2012. Rien dans la preuve ou dans l’argumentation des parties ne m’oblige à faire une distinction entre ces dates. Rien d’important n’est survenu entre ces dates et aucune partie n’a fait valoir dans son argumentation que je devrais faire une distinction, pour une raison ou pour une autre, entre elles.

 

LE CONTEXTE DES ANTÉRIORITÉS

[82]           Tout le monde sait ce qu’est un boyau. Je cite et j’accepte la définition que Haubert a présentée au paragraphe 29 de son premier rapport (pièce D‑44), en citant le Webster’s Dictionary :

[traduction]

29. De façon générale, un boyau est un tube creux dont on se sert pour transporter des matières fluides sous pression d’un point à un autre. Il s’agit d’un moyen flexible de transporter des fluides sous pression, comparativement à un tuyau, qui est un conduit non flexible. Une définition utile du mot « boyau », qui s’intègre bien à la compréhension qu’a de ce terme la personne versée dans l’art est celle que l’on trouve dans le Webster’s Third New International Dictionary, à la pièce « E » jointe à mon rapport :

 

[…] a : un tube flexible (de caoutchouc, de plastique ou de tissu, par exemple) servant à transporter des fluides (comme de l’air, de la vapeur, du charbon pulvérisé ou de l’eau à partir d’un robinet ou d’une borne‑fontaine); b : un tel tube muni d’une buse et de raccords, c : les tuyaux en tant que matière.

 

[83]           Je souscris à la distinction que fait Haubert, dans son témoignage (volume 4, page 653, lignes 21 à 26), entre un boyau, qui transporte un fluide, et le même objet à l’état statique, où il contient un fluide, mais qui ne s’écoule pas. Dans ce dernier état, il n’est pas un boyau, mais un récipient sous pression.

 

[84]           Un point de départ raisonnable pour examiner les éléments d’antériorité est le Roll A Hose (pièce D‑35) que Telebrands a vendu à partir de 2002. Ce boyau était fait d’un tuyau interne qui transportait de l’eau et qui était entouré d’une toile. Le tuyau et le revêtement de toile étaient rattachés l’un à l’autre à chaque extrémité au moyen de connecteurs mâle et femelle appropriés, mais, sinon, ils étaient indépendants l’un de l’autre. Le boyau s’enroulait à plat dans un dévidoir (fourni avec lui) lorsqu’il n’était pas utilisé. Ce boyau prenait de l’expansion dans le sens radial quand on y faisait couler de l’eau sous pression, comme lorsque le boyau était raccordé à un robinet à une extrémité et qu’il y avait un pistolet à l’autre extrémité, mais il ne s’étendait pas dans le sens longitudinal.

 

[85]           Le prochain élément d’antériorité à prendre en considération est le Micro Hose, dont faisait la promotion un groupe que j’ai appelé Ragner et qui est l’objet du brevet Ragner des États‑Unis no 6 948 527 (le brevet 527). Ce brevet a été rendu accessible au public le 27 septembre 2005. Khubani a déclaré qu’au cours de l’été 2011 il avait vu un film vidéo (pièce D‑30) dans lequel Ragner en faisait la démonstration. Berardi a déclaré qu’il avait vu lui aussi ce vidéo, ou un vidéo semblable, à la fin de l’été 2011, de même qu’un modèle du boyau. Il n’y avait aucune preuve que le vidéo ou l’exemple étaient confidentiels; en fait, Berardi a déclaré qu’il avait vu le vidéo au moins un an avant de rencontrer les membres du groupe Ragner, vers le mois de juillet 2011.

 

[86]           Le Micro Hose était formé d’un ressort spiralé allongé auquel était appliquée une couche interne et externe faite d’un matériau flexible. Ce ressort était en métal, mais le brevet 527 dit qu’il pouvait s’agir aussi d’un matériau élastique. Le boyau était muni d’un raccord mâle et d’un raccord femelle aux extrémités respectives. Lorsqu’on appliquait une pression d’eau, le boyau s’étendait dans le sens linéaire et, lorsqu’on coupait la pression, il revenait à sa longueur initiale. Le ressort limitait la dimension radiale, ce qui fait que le boyau, sous pression, s’étendait peu dans le sens radial.

 

[87]           Le dernier élément d’antériorité à prendre en considération est le brevet des États‑Unis no 6 523 539 (le brevet 539 ou le brevet McDonald), qui a été accordé, et donc publié, le 25 février 2003. Ce brevet est appelé « Self-Elongating Oxygen Hose for Stowable Aviation Crew Oxygen Mask » (boyau à oxygène auto‑extensible pour masque à oxygène escamotable d’équipage d’avion). À la section [traduction] « Domaine de l’invention », à la colonne 1, on peut lire l’énoncé suivant :

[traduction] Plus particulièrement, l’invention a trait à de tels ensembles [masques à oxygène d’appoint pour aéronef] dans lesquels un boyau à gaz auto‑extensible, sous pression, s’allonge de manière importante dans le sens axial.

 

[88]           Il est important de souligner que la preuve dont je dispose, et que je soupçonne que le juge Birss, lors du procès tenu au Royaume-Uni, n’avait pas en main, est qu’une personne versée dans l’art aurait découvert le brevet McDonald. Au paragraphe 27 de son premier rapport (pièce D‑44), Haubert dit qu’une personne versée dans l’art chercherait des brevets dans le domaine des boyaux et qu’elle les lirait et les comprendrait :

[traduction]

27. La personne versée dans l’art aurait une expérience de la spécification de boyaux appropriés en vue d’applications et d’usages particuliers, elle aurait une certaine compétence pour ce qui est de choisir les matériaux convenant à une application de boyau déterminée, et elle chercherait des brevets dans le domaine des boyaux, les lirait et les comprendrait. C’est donc dire, par exemple, qu’au moment de concevoir un boyau une personne versée dans l’art se reporterait probablement à des catalogues et à des brevets en vue d’apprendre comment des boyaux existants ont été conçus et fabriqués.

 

 

[89]           Haubert poursuit, au paragraphe 143 de son premier rapport (pièce D‑44) :

[traduction] Il m’a été possible de trouver le brevet 539 en faisant une recherche sur des « boyaux extensibles ».

 

 

[90]           Khubani a déclaré que lorsqu’il a pris connaissance du produit XHose des demanderesses, il a demandé à ses avocats de faire une recherche de brevet. Ils ont trouvé le brevet McDonald. Ils n’ont manifestement pas relevé la demande de brevet canadien concernant le brevet 882 ni toute autre demande de brevet déposée ailleurs puisque, à l’époque, la demande de brevet n’avait pas été encore rendue publique. Des instructions ont alors été données au fabricant de Telebrand en Chine. C’est ainsi qu’ont vu le jour les produits en litige.

 

[91]           En bref, le brevet McDonald était non seulement trouvable, mais il a également été trouvé par des personnes qui s’intéressaient aux boyaux extensibles. Aucune preuve contraire n’a été présentée.

 

L’INTERPRÉTATION DES REVENDICATIONS

[92]           Dans le droit canadien des brevets, il est bien établi que la Cour doit interpréter les revendications en litige avant de se pencher sur les questions de contrefaçon et de validité. Cette interprétation se fait du point de vue d’une personne versée dans l’art, à la date de la publication de la demande de brevet. Il est possible que l’on ait besoin de l’aide de preuves d’expert pour expliquer les termes techniques et l’état de la technique, mais c’est la Cour, et non l’expert, qui doit interpréter les revendications. L’interprétation ne se fait pas dans le vide, et la Cour doit savoir sur quels points les parties sont en désaccord ou, comme il a été indiqué dans certaines affaires, là où le bât blesse.

 

[93]           Dans le cas présent, les défenderesses ont soulevé trois questions concernant des termes utilisés dans les revendications pertinentes, et je les analyserai à tour de rôle :

 

a)     L’« état allongé », dans les revendications nos 1, 15, 28 et 42.

 

[94]           La revendication no 1 (et la revendication subordonnée no 15) ainsi que la revendication no 28 (et la revendication subordonnée no 42) traitent du boyau à l’[traduction] « état allongé »). Je réitère ici une partie du texte de la revendication no 1 et de la revendication no 28 pour situer ces termes, qui sont en caractères gras, dans leur contexte :

Revendication no 1

 

[traduction] […] ce restricteur fait augmenter la pression de l’eau entre le premier raccord et le second raccord à l’intérieur du boyau, et cette augmentation de pression fait expanser le tuyau interne longitudinalement le long du tuyau interne et latéralement sur la largeur du tuyau interne, ce qui allonge ainsi le boyau, qui se contracte ensuite à une longueur fortement réduite ou relâchée lorsque la pression de l’eau diminue entre le premier raccord et le second.

 

Revendication no 28

 

[traduction] Un boyau à eau comprenant : un tuyau externe fait d’une matière de contrôle à base non élastique et souple et enveloppant un tuyau  interne fait d’une matière élastique, lesdits tuyaux externe et interne ayant chacun une première extrémité rattachée ensemble par un premier raccord et une seconde extrémité rattachée ensemble par un second raccord; le tuyau externe et le tuyau interne comportent une première section nettement raccourcie, à l’état contracté sans débit d’eau, et le tuyau externe s’étendant sur la surface externe du tube interne dans un état plissé, et une seconde longueur nettement plus longue où le tuyau externe entraîne le tuyau interne dans un état allongé au moment de l’application d’une pression d’eau à l’intérieur du tuyau interne élastique.

 

 

[95]           La Cour peut se reporter au mémoire descriptif pour l’aider à comprendre les termes utilisés dans les revendications ((Western Electric Co. Inc.c Baldwin International Radio of Canada, [1934] SCR 570, le juge Duff, à la page 572).

 

[96]           Le mémoire descriptif fait état de l’expansion (allongement) du boyau situé à l’intérieur du boyau externe lorsqu’on applique une pression de fluide jusqu’à ce que le boyau interne soit retenu, tant en diamètre qu’en longueur par le boyau externe. Je fais particulièrement référence au paragraphe no 0051. Au paragraphe no 0053, le mémoire descriptif indique :

[traduction] La pression de sortie d’un boyau caractéristique est d’environ 60 lb/po2. Si l’écoulement du fluide à l’autre extrémité de la présente invention était coupé et totalement restreint, la pression à l’intérieur du boyau interne serait la même que la pression de sortie du boyau, soit 60 lb/po2. À cette pression élevée, le boyau interne 14 et le boyau externe 12, dans la présente invention, s’étendraient jusqu’à leur longueur maximale de cinquante pieds. Si on libère le fluide à l’extrémité du boyau, la pression à l’intérieur du boyau diminue et ce dernier commence à se contracter. Cependant, la présente invention demeurera pleinement allongée même si la pression à l’extrémité opposée tombe en deçà de la pression caractéristique de sortie de 60 lb/po2. Dans un exemple, la pression d’eau sortant du boyau était de 60 lb/po2 et la pression de l’eau sortant de la buse à l’autre extrémité du boyau était de 35 lb/po2. Cette pression de 35 lb/po2 à l’intérieur du boyau interne élastique 14 était suffisante pour amener le boyau interne 14 à s’expanser dans le sens latéral et dans le sens longitudinal jusqu’à ce que son expansion latérale et longitudinale soit restreinte par le boyau externe non élastique 12 et que le boyau s’expanse jusqu’à la longueur et à la largeur maximales du boyau externe non élastique 12. Dans une réalisation privilégiée, le boyau 10 s’étend d’une longueur de 10 pieds à l’état contracté jusqu’à une longueur de 50 pieds à l’état allongé.

 

 

[97]           Je souscris à la preuve de Kuutti (pièce P‑16, paragraphe 79) selon laquelle le degré d’expansion dépendra, en partie du moins, de la pression de l’eau ou d’un autre fluide ainsi que du niveau de retenue qu’assure le moyen de restriction utilisé.

 

[98]           Je considère donc que l’expression [traduction] « état allongé » signifie que le boyau se trouve dans un état où la combinaison de l’application d’une pression à une extrémité et d’une restriction à l’autre extrémité a pour effet que le boyau intérieur atteint essentiellement le stade où son diamètre et sa longueur sont restreints par le boyau externe.

 

b)  « une longueur fortement réduite ou relâchée », dans la revendication no 1 et la revendication subordonnée no 15

[99]           Ici encore, je reproduis une partie de la revendication no 1, dans laquelle sont mis en caractères gras les mots [traduction] « longueur fortement réduite ou relâchée » :

[traduction] […] ce restricteur fait augmenter la pression de l’eau entre le premier raccord et le second raccord à l’intérieur du boyau, et cette augmentation de pression fait expanser le tuyau interne longitudinalement le long du tuyau interne et latéralement sur la largeur du tuyau interne, ce qui allonge ainsi le boyau, qui se contracte ensuite à une longueur fortement réduite ou relâchée lorsque la pression de l’eau diminue entre le premier raccord et le second.

 

 

[100]       Là encore, il est indiqué au paragraphe no 0030 du mémoire descriptif du brevet :

[traduction] Lorsqu’on libère la pression présente dans le boyau, ce dernier se contracte automatiquement.

 

 

[101]       Et au paragraphe no 0053 :

[traduction] Dans une réalisation privilégiée, le boyau 10 s’étend d’une longueur de 10 pieds à l’état contracté jusqu’à une longueur de 50 pieds à l’état allongé.

 

 

[102]       La raison pour laquelle ces mots susciteraient une controverse quelconque m’intrigue. Le boyau, quand on relâche la pression, se rétracte dans une large mesure jusqu’à sa longueur initiale.

 

c) « augmenter la pression de l’eau entre le premier raccord et le second raccord », dans la revendication no 1 et la revendication subordonnée no 15

 

[103]       Je reproduis le texte de la revendication no 1 dans laquelle les mots « augmenter la pression de l’eau entre le premier raccord et le second raccord » et d’autres termes sont en caractères gras :

[traduction] Revendication no 1. Un boyau d’arrosage comprenant :

un tuyau externe allongé et souple, fait de tissu et muni d’une première extrémité et d’une seconde extrémité, l’intérieur dudit tuyau étant essentiellement creux;

un tuyau interne allongé et flexible, muni d’une première extrémité et d’une seconde extrémité, et l’intérieur dudit tuyau étant essentiellement creux et fait d’une matière élastique;

un premier raccord fixé à la première extrémité des tuyaux interne et externe;

un second raccord fixé à la seconde extrémité des tuyaux interne et externe, et les tuyaux interne et externe non rattachés l’un à l’autre entre la première et la seconde extrémité;

le premier raccord fixant de manière fluide le boyau à une source d’eau sous pression, le second raccord fixant le boyau à un restricteur de débit d’eau; ce restricteur fait augmenter la pression de l’eau entre le premier raccord et le second raccord à l’intérieur du boyau,

et cette augmentation de pression fait expanser le tuyau interne longitudinalement le long du tuyau interne et latéralement sur la largeur du tuyau interne, ce qui allonge ainsi le boyau, qui se contracte ensuite à une longueur fortement réduite ou relâchée lorsque la pression de l’eau diminue entre le premier raccord et le second.

 

 

[104]       Dans le mémoire descriptif, il est question de la pression à l’intérieur du boyau, au paragraphe no 0053 :

[traduction] [0053]La buse, suivant son degré d’ouverture, offre divers degrés de restriction du fluide à l’extrémité du boyau. Plus l’ouverture est petite, plus la buse restreint la sortie du fluide à l’extrémité du boyau, et plus la pression et le volume du fluide à l’intérieur du boyau augmentent. Plus l’ouverture de la buse est grande, moins celle-ci restreint la sortie du fluide à l’extrémité du boyau, et plus la pression et le volume du fluide à l’intérieur du boyau diminuent. La pression de sortie d’un boyau caractéristique est d’environ 60 lb/po2. Si l’écoulement du fluide à l’autre extrémité de la présente invention était coupé et totalement restreint, la pression à l’intérieur du boyau interne serait la même que la pression de sortie du boyau, soit 60 lb/po2. À cette pression élevée, le boyau interne 14 et le boyau externe 12, dans la présente invention, s’étendraient jusqu’à leur longueur maximale de cinquante pieds. Si on libère le fluide à l’extrémité du boyau, la pression à l’intérieur du boyau diminue et ce dernier commence à se contracter. Cependant, la présente invention demeurera pleinement allongée même si la pression à l’extrémité opposée tombe en deçà de la pression caractéristique de sortie de 60 lb/po2. Dans un exemple, la pression d’eau sortant du boyau était de 60 lb/po2 et la pression de l’eau sortant de la buse à l’autre extrémité du boyau était de 35 lb/po2. Cette pression de 35 lb/po2 à l’intérieur du boyau interne élastique 14 était suffisante pour amener le boyau interne 14 à s’expanser dans le sens latéral et dans le sens longitudinal jusqu’à ce que son expansion latérale et longitudinale soit restreinte par le boyau externe non élastique 12 et que le boyau s’expanse jusqu’à la longueur et à la largeur maximales du boyau externe non élastique 12. Dans une réalisation privilégiée, le boyau 10 s’étend d’une longueur de 10 pieds à l’état contracté jusqu’à une longueur de 50 pieds à l’état allongé.

 

 

 

[105]       Je suis d’accord avec le témoin Kuutti quand il dit que le passage en litige, aux yeux d’une personne versée dans l’art, ferait référence à l’augmentation de la pression à l’intérieur du boyau lorsque le fluide qui s’écoule dans le boyau est restreint par un limitateur de débit (transcription, volume 1, pages 103 à 110 l 2 et pièce P.17).

 

[106]       Je ne souscris pas à la preuve alambiquée de Kamrin, au paragraphe 336 38 de son second rapport, la pièce D‑42. Sur ce point, je suis d’accord avec l’avocat des demanderesses, selon lequel Kamrin joue simplement avec les mots.

 

LA CONTREFAÇON DES REVENDICATIONS NOS 1, 15, 28 ET 42

[107]       Pour examiner la question de la contrefaçon, je vais présumer que les revendications sont valides. Il va sans dire qu’on ne peut pas contrefaire une contrefaçon qui n’est pas valide. Je prendrai en considération les dispositifs qui, d’après les demanderesses, contrefont les revendications nos 1, 15, 28 et 42, de même que l’interprétation que je donne aux termes contestés que comportent ces revendications.

 

[108]       Les défenderesses ont soulevé une objection : l’expert des demanderesses n’a jamais mis à l’essai le boyau Magic Hose. Certes, mais le boyau Pocket Hose l’a été, et il ressort d’une simple observation que le Magic Hose comporte essentiellement les mêmes caractéristiques. Il faut qu’à un moment donné le bon sens l’emporte et, en l’espèce, je conviens que le Magic Hose se comportera de la même façon que le Pocket Hose, tel qu’il a été mis à l’essai.

 

[109]       J’accepte la preuve de Kuutti, corroborée par un simple examen des boyaux d’arrosage des défenderesses qui sont en litige, à savoir que ces boyaux sont formés d’un tuyau interne élastique par lequel s’écoule de l’eau, et restreint par un tuyau externe non élastique. Les boyaux sont rattachés l’un à l’autre aux deux extrémités; un raccord femelle est fixé à l’une des extrémités pour pouvoir le raccorder, par exemple, à un robinet situé à l’extérieur d’une maison. À l’autre extrémité se trouve un raccord mâle, auquel est fixé un robinet à tournant sphérique, qui s’ouvre et se ferme. Le boyau Magic Hose est muni d’une buse, et non d’un robinet à tournant sphérique. La buse ou le robinet à tournant sphérique, de pair avec, jusqu’à un certain point, la partie interne du raccord mâle sert de restricteur, qui empêche l’eau de circuler dans le boyau et qui en régule le débit.

 

[110]       Les essais de Kuutti montrent que lorsque le boyau est raccordé à une source d’alimentation en eau et que le robinet à tournant sphérique est fermé, le boyau s’expanse jusqu’au point où le tuyau interne est limité en diamètre et en longueur par le tuyau externe. Lorsqu’on ferme l’alimentation en eau et que le robinet est ouvert, le boyau se rétracte à sa taille initiale, et le tuyau externe se replie le long de l’extérieur du tuyau interne.

 

[111]       La preuve de Kuutti, que j’accepte, est que lorsqu’on ouvre l’alimentation en eau le boyau demeure à l’état expansé si le robinet est fermé et, aussi, s’il est ouvert, de sorte que l’eau s’écoule à travers le boyau et sort par l’extrémité (rapport, pièce P‑16, paragraphe 133, et transcription, volume 1, pages 108, ll 9‑13).

 

[112]       Je suis convaincu que les boyaux Magic Hose et Pocket Hose qui sont tous deux en litige correspondent à tous les éléments des revendications nos 1, 15, 28 et 42 du brevet 882 et que, si elles sont valides, ces revendications seraient contrefaites.

 

[113]       Je suis convaincu, au vu des éléments de preuve, que les défenderesses Telebrands et Supertek ont vendu les boyaux Magic Hose et Pocket Hose en litige au Canada.

 

[114]       Je suis convaincu qu’il n’existe aucune preuve qu’International Edge a vendu des produits au Canada. Il y a eu, en fait, un brassage de documents par lequel le titre de propriété du produit en question a été transféré de Telebrands à International Edge et à Supertek, mais il n’existe aucune preuve que ce titre a été transféré d’International Edge à Supertek au Canada. De ce fait, Telebrands et Supertek sont des contrefacteurs directs, mais il n’existe aucune preuve qu’International Edge en est un aussi.

 

[115]       Les demanderesses soutiennent qu’International Edge a incité Supertek à commettre une contrefaçon. Je n’ai aucune preuve de ce qu’International Edge a fait, à part agir comme conduit par l’entremise duquel le titre de propriété du produit a été transféré.

 

[116]       Dans la décision Varco Canada Limited c Pason Systems Corp, 2013 CF 750, le juge Phelan de la Cour fédérale, en faisant référence à une décision qu’il avait rendue antérieurement  et qui avait ensuite été portée en appel, soit Weatherford Canada Ltd c Corlac Inc, 2011 CAF 228, a résumé les éléments à prouver pour pouvoir établir une incitation à contrefaçon, au paragraphe 251 :

Comme la Cour d’appel fédérale l’a conclu dans l’arrêt Weatherford Canada Ltd c Corlac Inc, 2011 CAF 228, 95 CPR (4th) 101, statuer sur la question de l’incitation requiert l’application du critère à trois volets suivants :

• L’acte de contrefaçon doit avoir été exécuté par le contrefacteur direct;

• L’exécution de l’acte de contrefaçon doit avoir été influencée par les agissements du présumé incitateur de sorte que, sans cette influence, la contrefaçon directe n’aurait pas eu lieu;

• L’influence doit avoir été exercée sciemment par l’incitateur.

 

 

[117]       Le deuxième point indique que l’exécution de l’acte de contrefaçon doit avoir été influencée par les agissements du présumé incitateur. Le troisième point indique que l’incitateur doit avoir exercé sciemment l’influence. Il n’existe tout simplement aucune preuve concernant International Edge qui répondrait aux exigences de ces deux points et, pour cette seule raison, il convient de rejeter l’action à l’encontre de cette partie-là.

 

 

 

 

LA VALIDITÉ – EN GÉNÉRAL

[118]       Le paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets dispose qu’un brevet, une fois délivré, est présumé être valide, sauf preuve contraire. Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Whirlpool Corp. c Camco Inc., [2000] 2 RCS 1067, il incombe à la partie qui allègue l’invalidité d’en faire la preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

LA VALIDITÉ – L’ANTÉRIORITÉ COMPTE TENU DU BREVET MANY

[119]       Les défenderesses soutiennent que la revendication no 1 du brevet 882 est invalide car elle est antériorisée par le brevet des États‑Unis no 1 220 661, daté du 27 mars 1917. J’appellerai ce dernier le brevet Many, du nom de l’inventeur désigné dans le brevet.

 

[120]       La Cour suprême du Canada a reconnu que l’antériorité découlant d’une publication est une question difficile à prouver. Voici une partie de la décision qu’a écrite le juge Binnie pour cette Cour, dans l’arrêt Free World Trust c Électro Santé Inc., [2000] 2 RCS 1024, au paragraphe 25 :

25 La défense fondée sur l’antériorité découlant d’une publication est difficile à établir, car les tribunaux reconnaissent qu’il n’est que trop facile, après la divulgation d’une invention, de la reconnaître, par fragments, dans un enseignement antérieur.  Il faut peu d’ingéniosité pour constituer un dossier d’antériorité lorsqu’on dispose du recul nécessaire.  En l’occurrence, les intimés prétendent que tous les éléments essentiels des prétendues inventions de l’appelante avaient été divulgués dans une seule publication, savoir l’article de Solov'eva, environ quatre ans avant la demande de brevet. Si tel est le cas, le brevet est invalide.

 

 

[121]       La Cour suprême a examiné les exigences juridiques qui s’appliquent à l’établissement de l’antériorité dans Apotex Inc. c Sanofi-Synthelabo Canada Inc., [2008] 3 RCS 265. Les motifs correspondants sont exhaustifs et je les ai résumés dans la décision que j’ai rendue dans l’affaire Laboratoires Abbott c Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 1359. Je réitère et j’adopte ce que j’ai écrit aux paragraphes 65 à 68 de cette décision, qui, en résumé, indique ceci : ce qui, dit-on, est antérieur doit à la fois divulguer et permettre de réaliser l’objet qui, s’il était mis en pratique, contreferait la revendication en question. Les erreurs évidentes peuvent être corrigées. Des essais courants peuvent être faits, à la condition qu’ils ne soient pas exagérément contraignants :

65        Dans l’arrêt Sanofi, précité, particulièrement aux paragraphes 18 à 50, la Cour suprême du Canada a passé très récemment en revue le droit relatif à l’antériorité. Aux paragraphes 20 à 22 de cet arrêt, la Cour suprême analyse le critère juridique applicable à l’antériorité que le juge de première instance avait utilisé, à savoir : « l’invention exacte a déjà été faite et a été divulguée au public ». Ce critère, écrit la Cour suprême au paragraphe 23 de son arrêt, était excessif :

 

23 Pour les motifs qui suivent et au vu de la jurisprudence récente, j’estime respectueusement que le juge de première instance a exagéré la rigueur du critère de l’antériorité en considérant que l’« invention exacte » devait déjà avoir été faite et avoir été rendue publique.

 

66        Aux paragraphes 24 à 37 de son arrêt, la Cour suprême analyse en y souscrivant l’arrêt Synthon, précité, rendu par la Chambre des lords. Pour qu’il y ait antériorité, il y a deux conditions distinctes à remplir : divulgation antérieure et caractère réalisable.

 

67        La divulgation antérieure signifie que le brevet antérieur (publication, utilisation ou autre divulgation) doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet (la revendication en litige). La personne versée dans l’art qui examine la divulgation est censée tenter de comprendre ce que signifiait le brevet antérieur (ou l’autre divulgation). Les essais successifs sont exclus; l’antériorité doit être simplement lue à des fins de compréhension.

 

68        La seconde condition est celle du caractère réalisable : la personne versée dans l’art aurait pu réaliser ce qui a été divulgué. À ce stade, on suppose que cette personne est disposée à procéder par essais successifs pour arriver à l’invention. Au paragraphe 37 de l’arrêt Sanofi, la Cour suprême résume une liste non exhaustive de facteurs qu’il est possible d’appliquer au moment d’examiner la question du caractère réalisable :

 

37 Au vu de cette jurisprudence, j’estime que les facteurs suivants — dont l’énumération n’est pas exhaustive et l’applicabilité dépend de la preuve — doivent normalement être considérés.

 

1. Le caractère réalisable est apprécié au regard du brevet antérieur dans son ensemble, mémoire descriptif et revendications compris. Il n’y a aucune raison de limiter les éléments du brevet antérieur dont tient compte la personne versée dans l’art pour découvrir comment exécuter ou réaliser l’invention que vise le brevet subséquent. L’antériorité est constituée de la totalité du brevet antérieur.

 

2. La personne versée dans l’art peut faire appel à ses connaissances générales courantes pour compléter les données du brevet antérieur.  Les connaissances générales courantes s’entendent des connaissances que possède généralement une personne versée dans l’art en cause au moment considéré.

 

3. Le brevet antérieur doit renfermer suffisamment de renseignements pour permettre l’exécution du brevet subséquent sans trop de difficultés.  Le caractère excessif des difficultés dépend de la nature de l’invention.  Par exemple, lorsque celle‑ci relève d’un domaine technique où les essais sont monnaie courante, le seuil de ce qui constitue une difficulté excessive tend à être plus élevé que lorsque des efforts moindres sont la norme.  Lorsqu’il est nécessaire de franchir une étape inventive, la divulgation antérieure ne satisfait pas au critère du caractère réalisable.  Les essais courants sont toutefois admis et il n’en résulte pas de difficultés excessives.  L’expérimentation ou les essais successifs ne doivent cependant pas se prolonger, et ce, même dans un domaine technique où ils sont monnaie courante. Aucune limite n’est fixée quant à la durée des efforts consacrés; toutefois, les essais successifs prolongés ou ardus ne sont pas tenus pour courants.

 

4. Les erreurs ou omissions manifestes du brevet antérieur ne font pas obstacle au caractère réalisable lorsque des habiletés et des connaissances raisonnables permettaient d’y remédier.

 

 

 

[122]       Le brevet Many, à la colonne 1, lignes 8 à11, indique :

[traduction] Mon invention se rapporte à un boyau, et plus particulièrement à une version améliorée d’un manche et d’un tuyau d’incendie de tailles supérieures, qui, à l’état vide, sont habituellement plats » (un tuyau est d’une taille plus petite que celle d’un manche d’incendie).

 

 

[123]       Le brevet Many décrit ensuite un boyau muni d’une gaine en caoutchouc située à l’intérieur d’une enveloppe de coton mais non fixée à cette dernière par une colle à base de caoutchouc ou un produit de remplissage plastique, de sorte qu’il est possible de retirer cette gaine afin de la remplacer ou la réparer. Lorsque le boyau est utilisé, la gaine en caoutchouc prend de l’expansion tant dans le sens longitudinal que dans le sens latéral (deuxième page, lignes 8 à 11). La gaine, une fois vidée de son eau, revient immédiatement à sa position plate habituelle (deuxième page, lignes 27 à 32). Lorsqu’elle est plate, la gaine, étant indépendante de l’enveloppe, ne subit aucune pression (deuxième page, lignes 40 à 45).

 

[124]       Haubert, l’expert des défenderesses, a reconnu que le brevet Many ne décrit pas de raccords, tels qu’un connecteur et une lance situés aux extrémités du boyau, mais il a dit que leur présence était implicite car le boyau était un manche d’incendie, et que la lance ferait office de limitateur de débit. Il a ajouté que le boyau visé par le brevet Many fonctionnerait de la même façon que le boyau décrit dans le brevet 882. Je réitère son témoignage, qui figure dans le volume 4 de la transcription, de la page 647, ligne 14, à la page 648, ligne 6 :

[traduction]

Q.        Pour ce qui est maintenant des antériorités dont vous avez parlé dans votre rapport d’expert D44, juste sommairement, pourquoi dites-vous que le brevet Many est pertinent à l’égard des revendications invoquées du brevet 882?

R.         Le brevet Many décrit un boyau muni d’un tuyau interne élastique qui, sous pression, prend de l’expansion tant dans le sens radial que dans le sens longitudinal. Il est également recouvert d’une enveloppe de tissu qui est relativement non élastique. Les deux ne sont pas fixés l’un à l’autre, sauf aux raccords d’extrémité.

 

Q.        Et quel type de boyau décrit-on dans le brevet Many?

 

R.         Il s’agit d’un manche d’incendie.

 

Q.        Et quel autre dispositif, s’il y en a un, est implicite puisqu’il s’agit d’un manche d’incendie?

 

R.         Comme il s’agit d’un manche d’incendie, il est implicite que ce boyau serait muni de raccords. L’extrémité la plus éloignée serait munie d’une lance et celle-ci ferait office de limitateur de débit.

 

Q.        Et en quoi la structure et le fonctionnement du boyau Many se comparent-t-ils au boyau du brevet 882?

 

R.         Ils sont identiques.

 

 

[125]       Le contre‑interrogatoire de Haubert (volume 4 de la transcription, de la page 668, ligne 19, à la page 671, ligne 3) établit que le brevet Many ne révèle pas dans quelle mesure le boyau intérieur prend de l’expansion ou se contracte; il pourrait s’agir de quelques centimètres sur 30 mètres, ou de trois pouces sur 100 pieds. Si les tuyaux interne et externe étaient fixés l’un à l’autre, il faudrait que le tuyau soit plissé jusqu’à un certain point afin de permettre au tuyau interne de s’expanser si cette expansion était plus que minime; pourtant, cela n’est ni décrit dans le texte du brevet, ni illustré dans les dessins.

 

[126]       Je conclus que le brevet Many ne révèle pas un boyau qui fonctionnerait de la manière décrite dans le brevet 882, et notamment dans la revendication no 1. Dans le brevet Many, rien n’explique ce que l’on fait de l’expansion linéaire du boyau interne si cette expansion est plus que minime. Rien dans le brevet Many ne décrit l’allongement et la forte réduction qui sont décrits dans le brevet 882 et dans la revendication no 1.

 

[127]       Le brevet Many n’antériorise pas la revendication no 1 du brevet 882.

 

LA VALIDITÉ – L’ÉVIDENCE, COMPTE TENU DES ANTÉRIORITÉS ET, EN PARTICULIER, DU BREVET McDONALD

[128]       La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Sanofi-Synthelabo Canada Inc. c Apotex Inc., 2008 CSC 61, ainsi que la Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale, dans des décisions telles que Pfizer Canada Inc. c Apotex Inc., 2009 CAF 8, Apotex Inc. c Sanofi-Aventis Canada Inc., 2013 CAF 186 et Novartis Pharmaceuticals Canada Inc. c Cobalt Pharmaceuticals Co., 2013 CF 985, décrivent la méthode à suivre pour décider si une invention revendiquée est évidente. Je réitère que l’évidence n’est pas un critère subjectif, mais plutôt un critère objectif; la question n’est pas de savoir si l’inventeur pense qu’il a réalisé une invention; le critère consiste plutôt à savoir si la personne fictive versée dans l’art penserait que l’invention est évidente ou non.

 

[129]       Pour déterminer l’évidence, la Cour doit :

            a)         identifier la personne fictive qui est versée dans l’art;

b)         déterminer les connaissances générales courantes pertinentes et les antériorités qui représentent l’état de la technique;

c)         déterminer l’idée originale des revendications en cause;

d)         recenser les différences, s’il y en a, qui existent entre l’état de la technique et l’idée originale;

e)         en ce qui concerne ces différences, a-t-il fallu recourir à un degré d’inventivité pour arriver à l’invention revendiquée et, plus précisément, des questions telles que les suivantes peuvent être posées :

         était-ce plus ou moins évident?

         quel effort, ordinaire ou non, a-t-il fallu déployer?

         quelle était la raison pour trouver une solution?

 

 

[130]       J’ai déjà identifié la personne fictive versée dans l’art.

 

[131]       J’ai, jusqu’à un certain point, examiné l’état de la technique; celui-ci comprend le boyau Roll A Hose, un boyau d’arrosage plat fait d’un tuyau interne en caoutchouc et d’un tuyau externe non élastique, conçu pour être enroulé à plat dans un dévidoir. Une extrémité serait raccordée à une source d’eau, comme un robinet situé à l’extérieur de la maison. L’autre extrémité était munie d’une buse, d’un gicleur ou d’un autre dispositif semblable. Lorsqu’on faisait couler l’eau, le boyau prenait de l’expansion dans le sens radial, mais non dans le sens axial, c’est-à-dire qu’il devenait plus gros, mais pas plus long.

 

[132]       L’état de la technique comprenait également le brevet Ragner, qui est illustré dans le boyau Micro Hose. Ce boyau était fait d’un long ressort enroulé, pris en sandwich entre deux couches de tuyau expansibles. Lorsqu’on appliquait une pression d’eau, le boyau s’allongeait, mais ne grossissait pas, à mesure que le ressort s’étirait. Le boyau revenait à sa longueur initiale lorsque l’on fermait l’eau.

 

[133]       Nous en arrivons ensuite au brevet McDonald. Au vu de la preuve qui m’a été soumise, comme il a été indiqué plus tôt, la personne fictive versée dans l’art aurait trouvé ce brevet.

 

[134]       La description présentée dans le mémoire descriptif du brevet McDonald comporte ce qui suit :

 

[traduction]

 

Colonne 1, lignes 8 à18 :

 

CONTEXTE DE L’INVENTION

 

1.         Domaine de l’invention

La présente invention concerne en général des ensembles de distribution de gaz d’appoint, comme les distributeurs d’oxygène d’appoint habituellement utilisés dans les aéronefs pour fournir de l’oxygène d’appoint aux membres d’équipage en cas de dépressurisation de la cabine ou d’une autre situation d’urgence. Plus particulièrement, l’invention a trait aux ensembles dans lesquels un tuyau de gaz auto‑extensible est employé et qui, sous pression, s’allonge considérablement sur le plan axial. Cela procure à l’utilisateur une longueur de tuyau effective relativement longue, tout en évitant les problèmes de manipulation et de rangement qui sont caractéristiques des tuyaux conventionnels.

 

 

Colonne 2, ligne 54 à colonne 2, ligne 11 :

 

SOMMAIRE DE L’INVENTION

 

La présente invention surmonte les problèmes décrits ci‑dessus et procure des ensembles de gaz d’appoint (comme de l’oxygène), comprenant un masque conçu pour recouvrir au moins le nez et la bouche de la personne qui le porte, ainsi qu’un tuyau flexible raccordé au masque, le tout rangé dans un boîtier de rangement. Conformément à l’invention, l’ensemble se compose d’un boyau auto‑extensible qui, lorsque l’utilisateur saisit le masque et l’extrait de son boîtier, se gonfle et s’étend dans le sens axial jusqu’à une longueur déployée supérieure à la longueur à l’état relâché. De cette façon, on réduit les exigences en matière de rangement de l’ensemble ou, subsidiairement, il est possible d’utiliser un boyau d’une longueur effective sensiblement supérieure dans un boîtier de rangement standard, conçu pour recevoir un boyau conventionnel d’une longueur nettement inférieure. Dans les formes privilégiées, l’ensemble comporte un tuyau interne élastomérique gonflable, de pair avec une gaine extérieure faite d’un matériau tissé ou tressé qui, lors d’une utilisation, limite l’expansion radiale du tuyau interne lorsqu’il est sous pression, tout en permettant au tuyau de s’étendre dans le sens axial. L’ensemble peut être déployé sur une longueur équivalant à au moins 1,5 fois la longueur à l’état relâché, et, encore mieux, sur une longueur supérieure au double environ de la longueur à l’état relâché.

 

Colonne 2, ligne 61 à colonne 3, ligne 14 :

 

De façon plus détaillée, le tuyau 30 peut être fait d’un matériau élastomérique, et notamment ceux choisis dans le groupe formé des matériaux en caoutchouc silicone. En revanche, la gaine est faite de préférence d’un tissu flexible, le « NOMEX (un matériau de fibre de résine commercialisé par DuPont) »; elle pourrait aussi être faite d’autres matériaux convenables, comme du KEVLAR (un matériau en fibre de résine synthétique, commercialisé par DuPont), du NYLON (fibre de polyamide) ou un monofilament. La gaine 36 est d’une longueur de deux à trois fois supérieure à celle du tuyau interne 30. Comme l’illustre la FIG. 2, lorsque l’ensemble 14 se trouve à l’état relâché, la gaine 36 se trouve dans un état contracté ou plissé, le long du tuyau non expansé. Cependant, comme l’illustre la FIG. 3, lorsqu’un gaz sous pression, tel que l’oxygène, traverse le tuyau 30, celui-ci subit une expansion à la fois radiale et axiale. Cependant, la présence de la gaine 36 sert à limiter l’expansion radiale du tuyau 30, mais lui permet de s’allonger sur le plan axial. De préférence, la longueur déployée de l’ensemble 14 est d’au moins 1,5 fois la longueur relâchée de ce dernier, et, mieux encore, d’environ deux fois la longueur relâchée.

 

 

[135]       La figure 2 du brevet McDonald illustre le boyau à l’état contracté, dans lequel le tuyau externe, plissé, entoure le tuyau interne; la figure 3 illustre le boyau à l’état expansé :

             

[136]       À titre comparatif, je présente les figures 1, 2, 3 et 4 du brevet 882, qui montrent aussi le boyau à l’état contracté, avec le tuyau externe, plissé, qui enveloppe le tuyau interne (figures 1 et 2), ainsi qu’à l’état expansé (figures 3 et 4) : 4) :   

[137]       Les différences entre la description faite dans le brevet McDonald et la description faite dans le brevet 882 comprennent les suivantes :

  • dans le brevet McDonald, le boyau est destiné à être utilisé de pair avec un appareil d’alimentation en oxygène d’appoint dans un aéronef; le boyau visé par le brevet 882 sert à transporter de l’eau, comme dans un boyau d’arrosage;
  • le boyau du brevet McDonald transporte de l’oxygène ou de l’air, le brevet 882 décrit le transport d’un fluide, y compris des gaz, tels que l’air, mais ne revendique que de l’eau;
  • le boyau dont il est question dans le brevet McDonald comporte un régulateur et un masque fixés à l’extrémité libre, le brevet 882 revendique la présence d’un restricteur.

 

[138]       Ces différences perdent presque toute leur pertinence quand on lit la description du brevet 882, que j’ai déjà examinée en détail plus tôt. La description de ce brevet indique au lecteur que le boyau peut transporter un [traduction] « fluide », ce qui inclut de l’eau, des gaz et même des solides fluidifiables. Le brevet 882 dit aussi que [traduction] « tout ce qui restreint le débit d’un fluide dans le boyau peut être employé » comme restricteur.

 

[139]       L’expert des demanderesses, Kuutti a, selon moi, été trop loin en disant qu’une personne versée dans l’art ne constaterait pas aisément qu’il serait possible d’adapter le boyau visé par le brevet McDonald pour servir de boyau à eau – ce serait le cas, et trop loin aussi en disant que l’ensemble formé du régulateur et du masque ne constituait pas un restricteur – c’était le cas.

 

[140]       Je privilégie la preuve de Haubert à cet égard. Je réitère ici une partie du témoignage qu’il a fait au procès, tel qu’indiqué dans le volume 4 de la transcription. Aux pages 648 et 649 de son témoignage direct, il a donné les réponses qui suivent :

[traduction]

Page 648

 

            Q. Et une fois de plus, en résumé, quelle est selon vous la pertinence du brevet McDonald?
            R. Le brevet McDonald est un exemple de boyau qui s’expanse et se contracte. Il s’expanse sous la pression d’un fluide et il conserve sa longueur pendant usage.
            Q. Et quand est-il de la confection du boyau?
            R. Il s’agit d’un tube flexible. Il est distinct de la gaine, qui n’est pas élastique.
            Q. Et de quoi le tube flexible est-il fait?
            R. D’élastomère.
            Q. Que pourriez-vous dire au sujet du fait que le boyau visé par le brevet McDonald est utilisé dans le contexte d’un masque à oxygène, pour le transport d’oxygène?
            R. Sa méthode de fonctionnement est la même. C’est la pression qui l’amène à prendre de l’expansion.
            Q. Dans le brevet McDonald, quelles structures, s’il y en a, une personne versée dans l’art reconnaîtrait-elle comme étant un restricteur de débit?
            R. Le régulateur en est un et l’autre est le no 28, le raccord d’extrémité auquel est fixé le régulateur

Page 649

 

            Q. Pourquoi les considéreraient-ils comme des restricteurs de débit?

            R. Le raccord d’extrémité, comme je l’ai décrit plus tôt, doit être plus petit que le DI du – disons plutôt le diamètre intérieur du boyau, et le régulateur est aussi un restricteur de débit.
            Q. Selon vous, que dirait la personne versée dans l’art au sujet du fait que le boyau McDonald est illustré comme étant utilisé dans un aéronef?
            R. Ce qui est important c’est que l’expansion est due à la pression. Quel que soit la longueur ou quel que soit le fluide, le boyau s’expanse quand il est sous pression.

 

 

[141]       À la page 691 de la transcription, il a donné les réponses suivantes en contre‑interrogatoire :

[traduction]

 Q. Avez-vous vu une réalisation matérielle du brevet McDonald?

 R. Je dirais que c’est en fait la même chose que le boyau 882.
 Q. Désolé, pourriez-vous parler plus fort?
 R. Je dirais qu’il est le même que le brevet 882.
 Q.  Vous dites donc avoir vu une réalisation du McDonald. Elle est là dans le 882, ou est-elle là dans le Pocket Hose? Mais vous n’avez pas vu une réalisation du McDonald dans le cockpit d’un aéronef, n’est-ce pas?
 R. Non.
 Q. Et ce brevet amène la personne versée dans l’art à se dire que l’environnement qui s’applique à cette invention doit être le cockpit d’un aéronef?
 R. Le brevet McDonald est un brevet de boyau. Il est utilisé – il s’avère qu’il est utilisé dans le cockpit d’un aéronef de pair avec un masque respiratoire.
 Q. Nulle part dans le brevet du McDonald – nulle part dans le brevet McDonald ne laisse-t-on entendre que cette invention peut être utilisée ailleurs que dans… dans le cockpit d’un aéronef, est‑ce exact?

 R. C’est exact.

 

 

[142]       À la page 695 de la transcription, il a donné les réponses suivantes en contre‑interrogatoire :

[traduction]

 Q.  Et l’appareil respiratoire, le masque qui est muni de cet autre régulateur, est-ce un dispositif complexe?
 R. Il s’agit d’un limitateur de débit.
 Q. J’ai dit : est-ce un dispositif complexe?
 R. Pas vraiment. Il s’agit d’un régulateur.
 Q. Savez-vous si une personne peut calibrer et entretenir des régulateurs pour les pompiers ou les plongeurs en scaphandre autonome ou d’autres gens comme ceux-là?

 R. Les besoins de calibrage ne veulent pas dire qu’il s’agit d’un dispositif complexe. Cela veut dire qu’il est nécessaire que le dispositif soit calibré parce qu’il s’agit d’un dispositif important.

 

 

[143]       Je suis convaincu que la personne versée dans l’art trouverait facilement le boyau visé par le brevet McDonald et l’adapterait en vue de s’en servir comme boyau à eau, tel qu’un boyau d’arrosage. Ce boyau à eau serait doté d’un tube interne flexible et d’un tube externe limitateur. Les deux tubes ne seraient fixés l’un à l’autre qu’à leurs extrémités. Une extrémité serait munie d’un raccord destiné à une source de pression, comme de l’eau; l’autre serait muni d’un dispositif de restriction. Cette adaptation, selon moi, serait aisément accomplie par la personne versée dans l’art.

 

[144]       Un certain nombre de facteurs secondaires ont été évoqués. Il y avait la motivation de créer un boyau d’arrosage simple et peu coûteux dont il était possible de faire la promotion au sein du marché de la vente au détail directe, dans le cadre d’annonces télévisées et d’autres moyens semblables. Le boyau a été un succès sur le plan commercial. Mais la motivation et le succès à eux seuls ne signifient pas qu’il existait, dans le sens objectif du terme, une invention. Khubani a témoigné en ce sens lorsqu’il a fait référence à des articles tels que des lunettes de soleil ambrées et des vadrouilles sèches qui existaient depuis plusieurs années, mais qui ont obtenu un succès considérable dans le milieu de la vente au détail directe.

 

[145]       Je conclus que les revendications en cause, soit les nos 1, 15, 28 et 42, étaient évidentes, eu égard à l’état de la technique et, en particulier, du brevet McDonald.

 

LA VALIDITÉ – DES REVENDICATIONS D’UNE PORTÉE PLUS LARGE QUE CELLE DE L’INVENTION

[146]       Les défenderesses soutiennent que les revendications nos 1 (et 15) et 28 sont d’une portée plus large que celle de l’invention que révèle le brevet 882; elles emploient les mots [traduction] « trop ambitieux ». Cet argument ne concerne pas la revendication no 42 (qui est subordonnée aux revendications nos 32 et 28); de ce fait, quelle que soit l’issue de cet argument, les défenderesses seraient quand même confrontées à la revendication no 42, si ce n’était de ma conclusion concernant l’invalidité pour cause d’évidence.

 

[147]       En ce qui concerne la revendication no 1 (et la revendication subordonnée no 15), les défenderesses soutiennent qu’elle ne précise pas que le tuyau externe est [traduction] « non élastique ». Elles ajoutent que ce n’est que lorsqu’on arrive à la revendication no 2, qui n’est pas en cause ici, qu’il est mentionné que le tuyau externe doit être [traduction] « fait d’une matière qui ne s’étire pas longitudinalement »; par conséquent, font-elles valoir, la revendication no 1 doit inclure quelque chose qui s’étire longitudinalement.

 

[148]       Dans le même ordre d’idées, en ce qui concerne la revendication no 28, elles soutiennent que la revendication ne précise pas la présence d’un restricteur et que ce n’est qu’à partir des revendications no 32 et no 42 qu’un tel dispositif est mentionné.

 

[149]       Si l’on examine la revendication no 1, on constate que le tube externe doit être fait de [traduction] « tissu ». Dans le mémoire descriptif, par exemple, à la page 11, au paragraphe no 0030, les tuyaux interne et externe sont décrits comme suit : [traduction] « [i]l comporte un tuyau interne extensible, fait d’une matière élastique, et un tuyau externe distinct, fait d’une matière non élastique […] ».

 

[150]       Si l’on examine la revendication no 28, on constate qu’elle décrit [traduction] « […] une première section nettement raccourcie, à l’état contracté sans débit d’eau […] et une seconde longueur nettement plus longue […] dans un état allongé au moment de l’application d’une pression d’eau […] ».

 

[151]       Le mémoire descriptif, au paragraphe no 0052, indique : [traduction] « [l]a pression à l’intérieur du tuyau s’obtient par l’introduction d’un fluide sous pression à l’une des extrémités du boyau et en limitant l’écoulement du fluide à l’autre extrémité » et, au paragraphe no 0054 : [traduction] « [t]out ce qui restreint le débit du fluide à l’intérieur du boyau peut être employé ».

 

[152]       Les défenderesses étayent leur argumentation en invoquant principalement des affaires dans lesquelles on a considéré que la différenciation des revendications était déterminante. Les demanderesses, en revanche, soutiennent que les défenderesses interprètent les revendications de manière trop littérale et restrictive, et qu’il y a lieu d’en adopter une interprétation plus large et plus généreuse.

 

[153]       Je conclus que la décision qu’a rendue la Cour suprême du Canada dans Metalliflex Limited c Rodi & Wienenberger AG, [1961] RCS 117, est des plus utiles pour trancher la question.

 

[154]       Dans cette affaire, il était question d’un brevet applicable à des bracelets de montre en métal expansibles et d’autres produits semblables, formés d’anneaux, de maillons en U et de ressorts à lame. Il a été soutenu que les revendications omettaient le dispositif de retenue, ce qui faisait que le bracelet était inutilisable (à cet égard, l’argument invoqué est le même que celui, plus large, qui est invoqué ici à propos des revendications). S’exprimant au nom de la Cour, le juge Taschereau a tranché la question aux pages 121 et 122 :

[traduction] La fabrication de ce bracelet est simple. Il se compose de trois parties : des anneaux, des maillons en U et des ressorts à lame, dont l’utilisation offre un bracelet relativement simple et peu coûteux. Il est possible d’en ajuster la longueur plus facilement en fonction de poignets différents que dans le cas des autres bracelets. Il est dit pour le compte de l’appelante que même si les revendications nos 1 et 2 englobent une combinaison, dont les éléments sont des liens, des maillons et des ressorts, elles omettent le dispositif de retenue, avec la conséquence que le bracelet est un dispositif inutilisable, qui va forcément tomber en morceaux, et qu’il faudrait donc considérer les revendications comme invalides parce que dénuées du caractère d’utilité. L’argument de l’intimée est que les revendications nos 1 et 2 doivent être interprétées de manière à ce qu’une personne qui entreprendrait de fabriquer le bracelet inclurait, dans le cadre du processus ordinaire, quelque chose qui retiendrait les pièces en place. Il a aussi été allégué, et la Cour du Banc de la Reine a souscrit à cette opinion, qu’il ne suffit pas de prendre en considération uniquement le libellé des revendications, mais aussi les prescriptions tout entières, lesquelles ont été décrites comme étant le « dictionnaire des revendications ».

 

 

[155]       Il est dit que l’avocat de l’appelante, Gordon F. Henderson c.r., dans sa plaidoirie devant la Cour, a tenu les pièces non rattachées entre elles dans la main et les a laissé tomber par terre pour faire ressortir son argument.

 

[156]       Aux pages 122 et 123 du recueil, le juge Taschereau a déclaré que les revendications doivent être interprétées par rapport au mémoire descriptif tout entier. Un breveté ne tente pas d’étendre son monopole. Une personne qui lit les revendications dans le contexte du mémoire descriptif saurait qu’un certain type de dispositif de retenue est exigé :

[traduction]

            On doit naturellement interpréter les revendications en se rapportant à l’ensemble du mémoire descriptif, qui peut donc être consulté pour faciliter la compréhension et l’interprétation d’une revendication, mais on ne peut pas permettre que le breveté élargisse la portée de son monopole décrit expressément dans les revendications « en empruntant tel ou tel élément à d’autres parties du mémoire descriptif ». Voir : Ingersoll Sergeant Drill Co. c. Consolidated Pneumatic Tool Co.

 

En l’espèce, toutefois, l’intimée ne tente pas d’élargir la portée de son monopole en faisant référence au mémoire descriptif, mais ellel s’y reporte en vue d’expliquer ce qui est évident. Le monopole demandé s’applique à la combinaison de trois éléments, et le moyen particulier par lequel les éléments doivent être retenus ensemble importe peu. L’appelante ne revendique pas un moyen de retenue. Cela, bien sûr, peut être fait par n’importe quel moyen pratique. Dans le mémoire descriptif, on révèle un moyen que l’intimée propose d’utiliser, mais il n’est pas essentiel qu’il s’agisse de celui-là en particulier. Il ne fait aucun doute que les pièces doivent être retenues ensemble, mais le moyen utilisé pour atteindre cet objectif et retenir ensemble la combinaison, qui est l’invention visée par les revendications nos 1 et 2, importe peu.

 

Ainsi, dans The King c. Uhlemann, il a été conclu que les revendications relatives à la fabrication de lunettes étaient valides, même s’il n’était pas précisé de quelle façon les lanières « ceinturant » les bords des lunettes resteraient en place. Voir aussi : Canadian Tire c. Samson; dans cette dernière affaire, il était question dans les revendications de lames supportées par un moyeu, sans préciser le moyen de les retenir en place en cours d’utilisation. Dans ces deux affaires, il a été conclu que les revendications étaient valides.

 

Je suis donc arrivé à la conclusion, tout comme le juge Rinfret de la Cour du Banc de la Reine, conclusion à laquelle ont souscrit les juges Pratte et Owen, que le dispositif, qui est l’objet de la présente affaire, est utilisable et utile et que, cela étant, les revendications sont valides.

 

 

[157]       Les revendications ne sont pas des manuels d’instruction; elles servent à définir la portée du monopole. La référence que l’on fait dans la revendication no 1 à du [traduction] « tissu » à utiliser pour le tube externe est suffisante; considérée dans le contexte du mémoire descriptif pour définir un matériau relativement non élastique, la revendication n’est pas d’une portée plus large que celle de l’invention divulguée. En fait, la revendication no 2 sert à élargir la portée de la revendication no 1, de manière à englober un matériau qui n’est peut-être pas un tissu, tant qu’il il s’agit d’un matériau qui ne s’étire pas.

 

[158]       Dans le même ordre d’idées, en ce qui concerne la recommandation no 28, celle‑ci traite du fait que le boyau prend de l’expansion sous la pression de l’eau et se rétracte quand il n’y a pas d’eau qui y circule, ce qui, de pair avec le mémoire descriptif, est suffisant pour informer une personne qu’il faut prévoir un restricteur d’un certain type.

 

[159]       Je conclus que les revendications nos 1, 15 et 28 ne sont pas trop ambitieuses.

 

LES MESURES DE RÉPARATION

[160]       Comme j’ai conclu que les revendications nos 1, 15, 28 et 42 du brevet 882 sont invalides, les défenderesses (demanderesses reconventionnelles) ont droit à une déclaration à cet effet.

 

[161]       Les demanderesses n’ont droit à aucune des mesures de réparation qu’elles sollicitent et il ne sera pas fait référence à l’ampleur d’un dédommagement raisonnable, de dommages‑intérêts ou de bénéfices. J’ajoute un mot au sujet du dédommagement raisonnable, car, dans son argumentation, l’avocat des demanderesses a avisé la Cour que ses clientes ne cherchaient à obtenir un tel dédommagement qu’après le 27 décembre 2012, date à laquelle les revendications incluses dans la demande relative au brevet 882 ont été modifiées pour revêtir la forme dans laquelle le brevet a finalement été délivré.

 

LES DÉPENS

[162]       Les défenderesses ont droit à des dépens, que je fixe au milieu de la colonne IV. Cependant, je réduis les dépens, y compris les honoraires et les débours, de 50 %, car les défenderesses ont soulevé de nombreuses questions pour lesquelles elles n’ont pas obtenu gain de cause. L’affaire était essentiellement une question d’évidence eu égard au brevet McDonald; si les défenderesses s’étaient essentiellement limitées à cette question, la longueur du procès et de procédures connexes, telles que les interrogatoires préalables, aurait été nettement inférieure.

 

[163]       Pour la taxation des dépens, mes instructions sont les suivantes :

 

  • les honoraires de deux avocats principaux sont admis au procès;
  • les honoraires d’un seul avocat sont admis pour les interrogatoires préalables, les requêtes et les conférences, ce qui inclut des débours raisonnables au titre des déplacements, de la nourriture et de l’hébergement;
  • Khubani, Kamrin et Haubert ont droit à des débours raisonnables au titre des déplacements, de la nourriture et de l’hébergement;
  • les frais relatifs aux témoins experts Kamrin et Haubert sont admissibles, à condition qu’ils ne dépassent pas les frais facturés par les avocats principaux des défenderesses pour une durée semblable;
  • aucuns honoraires ou débours ne sont admissibles pour toute autre personne;
  • les autres débours raisonnables sont admissibles;
  • dans la mesure où des dépens ont été prévus par toute ordonnance antérieure, ces dépens demeurent inchangés.

 

AUTRES QUESTIONS

[164]       Il subsiste dans la présente action quelques questions concernant un dessin industriel et des questions découlant de la Loi sur les marques de commerce et de la Loi sur la concurrence. J’encourage les parties à tenter de les régler. S’il se révèle impossible de le faire dans un délai raisonnable, l’une ou l’autre des parties peut demander la tenue d’une conférence de gestion d’instance en vue d’établir un échéancier pour examiner les questions qui restent et fixer une date et un lieu pour la tenue du procès.

 


JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT, LA COUR STATUE CE QUI SUIT :

 

1.         il est déclaré que les nos 1, 15, 28 et 42 du brevet canadien no 2 779 882 sont et ont toujours été invalides et nuls;

 

2.         l’action des demanderesses concernant la contrefaçon du brevet canadien no 2 779 882 est rejetée;

 

3.         l’une ou l’autre des parties peut demander la tenue d’une conférence de gestion d’instance en vue d’établir un échéancier pour examiner les questions qu’il reste à trancher dans la présente action, le cas échéant;

 

4.         les défenderesses ont droit à la moitié de leurs honoraires et débours, et ce, au milieu de la colonne IV, conformément aux présents motifs.

 

 

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


DoSSIER :                                        T-1112-13

 

INTITULÉ :

E. MISHAN & SONS, INC. ET BLUE GENTIAN, LLC c SUPERTEK CANADA INC., INTERNATIONAL EDGE, INC. ET TELEBRANDS CORP.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :               Toronto (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

            du 24 au 27 et le 31 mars 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :

                                                            LE 7 AVRIL 2014

COMPARUTIONS :

Ronald Dimock

Angela Furlanetto

Alan Macek

 

POUR LES DEMANDERESSES/DÉFENDeRESSES RECONVENTIONNELLES

 

Andrew McIntosh

Adam Bobker

POUR LES DÉFENDERESSES/DEMANDERESSES RECONVENTIONNELLES

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DIMOCK STRATTON, LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

BERESKIN & PARR, LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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