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Date : 20140407


Dossier : IMM-12840-12

 

Référence : 2014 CF 339

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 avril 2014

En présence de monsieur le juge Annis

 

 

ENTRE :

PLLUMB BICUKU

 

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.                   Introduction

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision d’un agent principal d’immigration, en date du 29 octobre 2012, rejetant sa deuxième demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR]. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.                Les faits

[2]               Monsieur Bicuku est né en 1975 dans un village de montagne en Albanie. Sa famille comptait quatre enfants en tout. Le mariage de ses parents fut arrangé. À l’insu de ses parents, M. Bicuku a eu des relations sexuelles avec deux femmes de la région alors qu’il était âgé de 21 ans. Lorsqu’il avait 26 ans, son père lui a annoncé qu’il avait été fiancé à la fille de Mhill Kola lorsque lui et elle étaient enfants. Il est allé rencontrer Mme Kola, mais elle [traduction] « avait des problèmes de motricité et tremblait continuellement ». Elle ne l’a pas regardé dans les yeux et elle souriait nerveusement [sic], pas d’un air heureux, comme si elle n’était pas tout à fait présente ». M. Bicuku a refusé de l’épouser.

[3]               Le père du demandeur a insisté. Le demandeur a refusé à maintes reprises d’épouser Mme Kola et a sollicité l’aide des notables de la région. Les deux pères n’ont pas accepté cela et le père de M. Bicuku a plus tard avisé ce dernier qu’il amènerait Mme Kola chez eux et que, avec ou sans cérémonie, ils deviendraient mari et femme. M. Bicuku s’est d’abord enfui à Tirana, puis au Canada. Il affirme qu’il s’est adressé à la police albanaise, mais que celle-ci a refusé de l’aider parce qu’il s’agissait d’une querelle du sang et qu’elle ne voulait pas s’en mêler.

[4]               M. Bicuku est arrivé au Canada le 26 juillet 2002. Il a demandé l’asile au motif que son refus d’épouser la femme choisie pour devenir son épouse avait déclenché une vendetta contre sa famille. Le 23 mars 2004, la Section de la protection des réfugiés [SPR] a rejeté sa demande (ainsi que celle de son frère qui l’accompagnait) en mentionnant que la crédibilité était le point déterminant. La demande de contrôle judiciaire a été rejetée le 24 juin 2004. Une demande d’ERAR a été rejetée le 23 juillet 2008 et le 22 novembre 2008 M. Bicuku a quitté le Canada et est retourné en Albanie.

[5]               M. Bicuku déclare que lorsqu’il est retourné en Albanie, il n’a dit à personne qu’il était revenu. Il a vécu et travaillé à Bathore, près de la capitale, pendant deux ans. En novembre 2010, des individus liés à M. Kola lui ont tendu une embuscade alors qu’il rentrait chez lui après le travail. Ils l’ont battu à nouveau un mois et demi plus tard, une autre fois deux mois plus tard, puis encore une fois quelques mois après cela, et ils lui ont demandé de respecter la promesse faite par son père qu’il épouserait Mme Kola. Il s’en est allé en juin 2011. Toutefois, les individus en question l’ont retrouvé et l’ont enlevé en novembre 2011. Ils l’ont amené dans une tente située près d’un cours d’eau où ils l’ont gardé en isolement pendant toute la nuit, puis ils lui ont dit d’épouser Mme Kola, sans quoi il mourrait. Ils l’ont ensuite balancé sur le bord de la route.

[6]               Le demandeur s’est enfui au Monténégro et en Bosnie à des dates non précisées, mais il ne pouvait pas travailler dans ces pays et n’estimait pas qu’il serait reconnu comme réfugié par un pays européen.

[7]               Le 9 décembre 2011, M. Bicuku est entré de nouveau au Canada muni d’un faux passeport. Il a été accusé et déclaré coupable d’être entré au pays illégalement en vertu de l’alinéa 124(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] et a été condamné à 155 jours d’emprisonnement.

[8]               M. Bicuku n’avait pas droit à une autre audience devant la SPR (paragraphe 101(1) : La demande est irrecevable dans les cas suivants [...] b) rejet antérieur de la demande d’asile par la Commission) Il a demandé un autre ERAR et cette deuxième demande d’ERAR a été entendue en tenant compte des nouveaux éléments de preuve qui sont apparus depuis juillet 2008.

La décision attaquée

[9]               L’agent(e) d’ERAR a examiné la situation de M. Bicuku. Il (elle) elle a souligné que M. Bicuku avait présenté à titre de nouvel élément de preuve un document de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR] daté de mai 2008, des articles datés du 1er juillet 2010, du 5 juillet 2011, du 18 mai 2011, du 10 février 2012, du 24 mars 2012, et du 25 juillet 2012, un rapport de Freedom House sur les droits de la personne daté de 2011, des lettres de sa mère, de son frère, de son cousin, et d’un ami dont les dates vont du 1er mai 2012 au 10 juillet 2012, un affidavit qu’il a souscrit le 14 mai 2012.

[10]           Les affidavits du frère, du cousin, et d’un ami relataient ce que le demandeur leur avait dit, et on leur a donc accordé peu de poids. L’affidavit de la mère faisait mention de la querelle avec la famille Kola, mais les renseignements concernant les agressions commises sur M. Bicuku étaient fondés sur ce qu’il lui avait dit et il ne contenait aucun renseignement quant à un quelconque préjudice qu’aurait subi l’un ou l’autre membre de la famille depuis une dizaine d’années. L’agent(e) d’ERAR a également accordé peu de poids à cette lettre.

[11]           L’agent(e) d’ERAR a souligné que le demandeur, selon son affidavit, n’a jamais signalé l’une ou l’autre des attaques aux autorités et n’a pas tenté de mettre fin à la querelle en s’adressant à l’un des comités de réconciliations existants. Il a également quitté l’Albanie à deux reprises en 2011, mais il n’a pas demandé l’asile. L’agent(e) d’ERAR a souligné que le Monténégro et la Bosnie accordent l’asile aux réfugiés. Il a donc été accordé peu de poids à l’affidavit du demandeur.

[12]           Après avoir fait un examen minutieux de la documentation sur la situation dans le pays, l’agent(e) d’ERAR a souligné que bien qu’il(elle) ait accordé un certain poids à cet élément de preuve en établissant l’existence de querelles du sang en Albanie, le demandeur n’avait pas démontré qu’il était impliqué dans une vendetta avec la famille Kola. L’agent a donc accordé peu de poids à cet élément de preuve pour ce qui est d’établir le risque auquel le demandeur serait personnellement exposé.

[13]           L’agent(e) d’ERAR a reconnu que certaines questions en matière de droits de la personne constituaient toujours un problème en Albanie, mais a conclu que la documentation objective n’établissait pas que le demandeur serait exposé à un risque personnel. L’État albanais, bien qu’il soit aux prises avec des problèmes de corruption et d’impunité des policiers, fonctionne et le demandeur n’avait pas fourni de preuves claires et convaincantes de son refus ou de son incapacité à le protéger.

[14]           Enfin, l’agent(e) d’ERAR a souligné que l’avocat du demandeur avait demandé qu’une audience soit tenue. Toutefois, l’agent(e) n’avait pas conclu que les conditions énumérées à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR] étaient présentes et donc n’avait pas conclu que la tenue d’une audience était requise.

III.             Les questions en litige

[15]           Les parties ont convenu à l’audience que la seule question en litige était de savoir si l’agent(e) d’ERAR devait accorder au demandeur une entrevue parce que la preuve soulevait une question importante de crédibilité.

IV.             La norme de contrôle

[16]           La jurisprudence concernant la norme de contrôle qui s’applique aux décisions concernant la tenue d’une aux termes de l’article 167 du RIPR et de l’article 113 de la LIPR est partagée. À cet égard, je cite les propos suivants formulés par le juge Yves de Montigny dans Ponniah c Canada (MCI), 2013 CF 386 [Ponniah], au paragraphe 24 :

[24] La jurisprudence de la Cour est divisée sur la norme de contrôle qui s’applique aux décisions concernant la tenue d’une audience aux termes de l’alinéa 113b). Je me suis récemment penché sur cette question dans Adetunji c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 708, et je ne peux faire guère mieux que de répéter ce que j’ai écrit dans cette décision (au paragraphe 24) :

Cela étant dit, une controverse existe dans la jurisprudence de la Cour fédérale au sujet de la norme de contrôle à appliquer lors de la révision de la décision d’un agent de ne pas convoquer d’audience, notamment dans le contexte d’une décision ERAR. Dans certains cas, la Cour a appliqué la norme de la décision correcte, parce que l’affaire a été considérée essentiellement comme une question d’équité procédurale (voir, par exemple, Hurtado Prieto c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 1435 (disponible sur CanLII); Sen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1435 (disponible sur CanLII)). En revanche, la norme de la décision raisonnable a été appliquée dans d’autres cas, au motif que l’examen de la pertinence de tenir une audience à la lumière du contexte particulier d’un dossier donne lieu à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui commande la déférence (voir, par exemple, Puerta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 464 (disponible sur CanLII); Marte c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2010 CF 930, 374 FTR 160 [Marte]; Mosavat c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 647 (disponible sur CanLII) [Mosavat]). Je souscris à cette dernière position, du moins lorsque la Cour révise une décision ERAR.

 

Voir également Rajagopal c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1277; Silva c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1294; Brown c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1305

 

[17]           J’adopte le raisonnement du juge de Montigny selon lequel « la pertinence de tenir une audience à la lumière du contexte particulier d’un dossier donne lieu à l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire qui commande la déférence ». La norme de contrôle applicable en l’espèce est donc celle de la décision raisonnable.

[18]           À titre de commentaires additionnels, il est bien établi en droit que la norme de contrôle reflète dans une large mesure le régime législatif régissant les fonctions de décideur. Voir Catalyst Paper Corp c North Cowichan (District), 2012 CSC 2, au paragraphe 18, où la Cour a déclaré ce qui suit :

La réponse réside dans le fait que Dunsmuir reconnaît que le caractère raisonnable de la décision s’apprécie dans le contexte du type particulier de processus décisionnel en cause et de l’ensemble des facteurs pertinents. Il s’agit essentiellement d’une analyse contextuelle (Dunsmuir, par. 64). Comme l’a dit le juge Binnie dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 (CanLII), 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, par. 59, « [l]a raisonnabilité constitue une norme unique qui s’adapte au contexte. » La question fondamentale est de savoir quelle est la portée du pouvoir décisionnel que la loi a conféré au décideur. La portée du pouvoir décisionnel d’un organisme est déterminée par le type de situation en question.

[Non souligné dans l’original.]

[19]           Le régime législatif a stipulé ce qui devrait constituer une audience équitable relativement au droit d’un demandeur d’être entendu dans le cadre d’une demande d’ERAR. Le législateur a délégué la responsabilité de cette tâche à l’agent d’ERAR qui agit en quelque sorte comme gardien de l’occasion d’avoir une entrevue comme aspect des exigences en matière d’équité du processus d’ERAR. L’agent est tenu d’examiner et d’apprécier la preuve quant à la crédibilité pour déterminer s’il suffit de soulever une question importante quant à la crédibilité. La loi décrit la fonction d’un décideur administratif comme en étant une qui commande l’application de la norme de la raisonnabilité même si elle a trait à un précepte d’équité concernant la possibilité de se faire entendre.

[20]           Dans la même veine, j’estime que le mot « important » est un autre élément qui détermine que la fonction de l’agent d’ERAR commande l’application de la norme de la raisonnabilité. L’agent est tenu non seulement de déterminer s’il existe des éléments de preuve soulevant un problème quant à la crédibilité du demandeur, mais détermine également si la preuve a une valeur probante suffisante pour constituer une question importante de crédibilité. Cela signifie que l’agent est d’abord tenu d’examiner la preuve quant à la crédibilité, non dans le but de déterminer, selon la prépondérance des probabilités, si le demandeur est crédible, mais pour déterminer s’il suffit de soulever une question importante concernant la crédibilité pour que la tenue d’une entrevue soit nécessaire. La distinction revêt une certaine importance. La question de savoir si la preuve contient une question importante concernant la crédibilité met en cause l’expertise du tribunal relativement aux exigences mentionnées aux articles 96 et 97 de la LIPR. Cet exercice du pouvoir discrétionnaire est difficile et il faut faire preuve de déférence à son égard.

A.                Le caractère suffisant de la crédibilité de la preuve ou une conclusion relative à la crédibilité?

[21]           Les observations du demandeur démontrent la nécessité d’éviter une mauvaise interprétation des motifs de l’agent(e) d’ERAR comme preuve d’une conclusion relative à la crédibilité, alors qu’il s’agissait d’une évaluation de la preuve relative à la crédibilité pour déterminer si elle était suffisante pour soulever une question importante.

[22]           La détermination de savoir si la tenue d’une entrevue est exigée est la deuxième des trois étapes du processus d’ERAR. La première consiste à déterminer s’il existe une preuve autre que celle qui a été soumise à la SPR; la deuxième consiste à savoir si une entrevue est nécessaire; la troisième étape consiste à trancher l’affaire. La deuxième étape consiste à apprécier la preuve relative à la crédibilité. Ce processus donne nécessairement naissance à des contre-arguments, comme en l’espèce pourquoi la preuve ne faisait pas mention du signalement des incidents aux autorités, ou de tentatives faite par le demandeur en vue de mettre fin à la querelle grâce aux mécanismes créés à cette fin par l’État. L’agent(e) a conclu que pour que la preuve ait une valeur probante suffisante pour que la tenue d’une entrevue soit nécessaire, il incombe au demandeur de mentionner s’il a pris les mesures auxquelles on pourrait raisonnablement s’attendre, ou expliquer pourquoi il ne l’a pas fait. Comme ces aspects évidents et importants de la preuve du demandeur étaient absents, sa preuve ne soulevait aucune question importante concernant la crédibilité.

[23]           La preuve soumise par les membres de la famille n’était également pas assez importante pour confirmer une question importante concernant la crédibilité du demandeur. Elle était surtout composée de renseignements communiqués par le demandeur, alors que la preuve émanant directement des membres de la famille avait très peu de poids, comme la description du demandeur comme manifestant de la crainte lorsqu’il relate ses récits. Aucun élément de preuve n’était une observation directe ou des descriptions de res gestae immédiatement après les événements à l’appui du demandeur. La preuve avait une valeur probante minimale et ne soulevait aucune question importante qui contredisait la conclusion selon laquelle le demandeur ne pouvait pas vraiment prouver la véracité de son récit.

[24]           Ces conclusions peuvent être décrites comme étant des conclusions relatives à la crédibilité, une conclusion d’absence de crédibilité n’est tirée qu’après avoir conclu que la tenue d’une entrevue n’est pas nécessaire. En concluant que la preuve relative à la crédibilité n’avait pas suffisamment de poids pour constituer une question « importante », le résultat est que l’agent(e) rejette également la preuve, c’est-à-dire tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité en raison de son absence de valeur probante. Toutefois, la question en litige dans la présente demande consiste à savoir si la tenue d’une entrevue est nécessaire. Il s’agit d’une question d’insuffisance de la preuve sur le plan de son poids, et non pas d’une affaire qui a en fin de compte été rejetée pour des motifs de crédibilité. Néanmoins, les décisions relatives aux deux questions ne peuvent pas être séparées.

[25]           Ce n’est que lorsque l’agent(e) conclut qu’il existe une preuve suffisante qu’il existe une question importante relativement à la crédibilité que la troisième étape distincte sera entreprise, après une entrevue, afin de déterminer si la preuve est suffisamment fiable selon la prépondérance des probabilités pour tirer une conclusion. La procédure analogue à celle suivie par un juge lorsqu’il décide s’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour soumettre l’affaire au jury afin qu’il la tranche selon la prépondérance des probabilités. Le demandeur a en effet été débouté quant à la question de la crédibilité parce que la preuve n’avait pas suffisamment de poids pour atteindre la troisième étape du processus d’ERAR.

B.                 La conclusion défavorable antérieure quant à la crédibilité du défendeur

[26]           La jurisprudence relative à l’exigence de procéder à une entrevue semble étayer une conclusion selon laquelle invoquer, ou même mentionner, une conclusion défavorable antérieure quant à la crédibilité du demandeur est un facteur que le demandeur peut invoquer pour démontrer qu’une question importante quant à la crédibilité, exigeant la tenue d’une entrevue, est soulevée.

[27]           Par exemple, le demandeur cite l’extrait suivant tiré de Shafi c Canada (MCI), 2005 CF 714, au paragraphe 19 :

La conclusion de l'agente sur le caractère suffisant des preuves prises en compte ne peut être séparée de ses conclusions sur la crédibilité. La première de ces conclusions est celle par laquelle elle a fait sienne la conclusion de la SPR sur la crédibilité. Bien que cette conclusion ne suffise pas à elle seule à rendre nécessaire la tenue d'une audience, sa conjugaison avec la conclusion défavorable de l'agente sur la valeur probante de la lettre par opposition à un affidavit et son observation qu'elle n'avait pu trouver aucune information sur l'existence du clan ou de la tribu en question, engage à conclure qu'elle n'a pas trouvé dignes de foi la demanderesse et les témoins cités par cette dernière.

[Non souligné dans l’original.]

[28]           Je souligne en passant, en toute déférence, que le passage souligné de l’extrait qui précède me pose problème, car il semble donner à entendre que la question de savoir si la preuve est suffisante pour soulever une question importante quant à la crédibilité ne peut pas être séparée, à titre d’étape distincte, de la conclusion défavorable quant à la crédibilité qui est tirée lorsque la preuve est jugée insuffisante. La nécessité de faire une distinction entre les deux étapes a été expliquée ci-dessus.

[29]           Pour ce qui est de la question des conséquences de retenir les conclusions de la SPR quant à la crédibilité, il ressort en l’espèce que le rejet par l’agent(e) de l’explication du demandeur selon laquelle il a tenté de vivre au Monténégro et en Bosnie était fondé sur une conclusion défavorable déjà tirée quant à la crédibilité. À cet égard, il(elle) a déclaré ce qui suit dans ses motifs :

[traduction]

Je souligne également que le demandeur a quitté le pays à deux reprises en 2001, mais qu’il n’a pas demandé l’asile à l’une ou l’autre de ces occasions, car il a déclaré « qu’il n’existait aucune donnée à long terme quant à la possibilité d’obtenir l’asile ». Je souligne que la Bosnie-Herzégovine et le Monténégro accordent tous les deux l’asile ou le statut de réfugié. Compte tenu de la décision rendue par la SPR en 2004 dans laquelle la crédibilité était une question déterminante, de l’absence de la possibilité d’obtenir la protection de l’État ou de la possibilité qu’il y ait réconciliation et du fait qu’il soit allé dans deux pays distincts en 2011, après que la famille Kola eut commencé à le pourchasser, et qu’il n’a demandé l’asile dans aucun de ces pays, j’accorde peu de poids à cette déclaration sur le risque.

[Non souligné dans l’original.]

[30]           La preuve relative à la protection de l’État était manifestement insuffisante, mais l’argument voulant que le fait que l’agent(e) se soit fié(e) à l’évaluation défavorable faite par la SPR quant à la crédibilité devrait être considéré comme un critère permettant de conclure qu’une question importante quant à la crédibilité est soulevée me pose problème. Je conclus, au contraire, qu’une conclusion défavorable quant à la crédibilité déjà tirée devrait être un facteur étayant la conclusion selon laquelle les déclarations du demandeur avaient peu de poids et sont donc insuffisantes pour établir l’existence d’une question importante quant à la crédibilité.

[31]           Dans une certaine mesure, le fait de se fier à une conclusion défavorable quant à la crédibilité déjà tirée par la SPR soulève la question de savoir si le demandeur devrait continuer de jouir de la présomption de véracité de ses déclarations notamment décrite dans l’arrêt Maldonado c MEI, [1980] 2 CF 302 (CAF), au paragraphe 5 [Maldonado].

[32]           L’ERAR est essentiellement la suite de la décision de la SPR sur la question du risque. L’agent doit d’abord examiner soigneusement la décision de la SPR afin de déterminer quelles conclusions ont été tirées sur la foi de la preuve qui a été présentée. Cet exercice vise à déterminer, avant que la preuve ne soit examinée dans le cadre d’un ERAR, si le demandeur a satisfait à la condition préalable qui consiste à démontrer que la preuve soumise n’a pas déjà présentée à la SPR.

[33]           Compte tenu du présent contexte d’ERAR, j’estime qu’il est illogique d’accepter que la conclusion défavorable tirée sur la crédibilité du demandeur par la SPR, sur la foi d’une preuve de même nature (menace à la vie dans le cadre d’une querelle découlant d’un refus relatif à un mariage), quant à la même question du risque, peut ne pas être prise en compte, de sorte que le demandeur soit considéré comme étant, sur le plan de la crédibilité, sur le même pied que le nouveau demandeur d’asile qui témoigne dans une audience devant la SPR et qui jouit, à l’égard de ses déclarations, de la présomption de véracité.

[34]           Si la SPR a d’abord conclu que le demandeur n’était pas crédible, on peut prétendre que cette conclusion devrait s’appliquer quant à une preuve similaire portant sur les mêmes questions.

[35]           Cet argument peut être examiné à un autre moment. Mais, manifestement, je ne vois aucune raison de tirer, à la suite d’une conclusion défavorable déjà tirée par la SPR quant à la crédibilité, une conclusion moins déterminante, c’est-à-dire une conclusion qui n’écarte pas une preuve soulevant de nouvelles questions relativement à la crédibilité, mais selon laquelle, logiquement, la présomption faite par le juge de la véracité de la déclaration d’un demandeur ne s’applique pas dans le cadre d’un ERAR ultérieur alors que la crédibilité du demandeur a déjà été jugée insatisfaisante dans le cadre du processus de demande d’asile.

[36]           L’application de cette conclusion à la question de l’appréciation du caractère sérieux de la preuve relative à la crédibilité a pour effet que le critère auquel est soumis le demandeur devrait être plus exigeant, et non pas moins exigeant, afin de démontrer l’existence d’une question importante concernant la crédibilité qui satisfait aux conditions exigées pour la tenue d’une entrevue. Étant donné que l’autre preuve était suffisante pour étayer les conclusions de l’agent, le poids accordé aux conclusions défavorables déjà tirées quant à la crédibilité n’est pas déterminant en l’espèce. Toutefois, il a pour effet que la Cour estime davantage que la décision par laquelle l’agent(e) d’ERAR a conclu qu’il n’était pas nécessaire de tenir une entrevue appartient aux issues raisonnables et acceptables.

V.                Les questions certifiées

[37]           Le demandeur a proposé des questions à la certification relativement à la controverse relative à la norme de contrôle applicable aux cas comme celui en l’espèce et à la valeur probante d’une conclusion défavorable quant à la crédibilité tirée dans une décision antérieure de la SPR. Toutefois, je souscris aux prétentions du défendeur selon lesquelles ces questions ne sont pas déterminantes en l’espèce et, par conséquent, aucune question ne sera proposée à la certification.

VI.             Dispositif

[38]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande sera rejetée.

 

 


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la demande.

 

 

 

 

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 


 

DOSSIER

IMM-12840-12

 

INTITULÉ :

PLLUMB BICUKU c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

                                                                        Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

                                                                        LE 29 JANVIER 2014

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                            LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :

                                                            LE 7 AVRIL 2014

COMPARUTIONS :

Guidy Mamann

Asiya Hirji

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Nicholas Dodokin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell, LLP

Avocats en droit de l’immigration

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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